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Gaza - 12 janvier 2009
Par Eva Bartlett
F. n’a pris aucun repos depuis le début de l’attaque, il y a deux semaines. Elle m’envoie de temps en temps des textos. Il y a peu, elle était forte, déterminée : « Salut, ça va ? Nous oui, prends soin de toi. Nous tiendrons jusqu’à la mort. Bises. » Hier : « Salut, tu me manques. J’espère tu vas bien, je voudrais rentrer chez moi. Je meurs. Mon cœur et mon esprit sont à Jabaliya. Nous t’aimons », m’a-t-elle envoyé.
Lorsque je lui ai parlé cette nuit, nos pensées allaient vers son beau-père, qui est resté derrière, déjà un réfugié et refusant d’être obligé, une fois encore, de quitter sa maison, et vers les morts, vers les annonces d’autres amis et voisins morts.
H. semblait très fatigué la dernière fois que je l’ai vu, il y a quelques jours. Fatigué et hagard. Tandis que nous discutions, il s’excusait fréquemment, disant qu’il avait oublié ce qu’il voulait dire, perdu le fil de sa pensée. « Je n’arrive pas à penser clairement », a-t-il admis, embarrassé. Nous parlions de la situation. Tout le monde s’occupe des morts, des blessés, de la terreur, pour tellement de gens, c’est bien plus que la terreur psychologique mais une véritable menace pour leurs vies. Ce n’est pas seulement savoir où ou comment sont les membres de la famille, ou pleurer les morts, ou pleurer les corps irrécupérables des morts.
J’ai vu Abed, son frère cadet, un peu avant. Il souriait, sans son clin d’œil malicieux habituel. Il portait un sac plastique plein de ce qui semblait être des vêtements de rechange.
Aucun d’entre nous ne sait si le père de H., Abu N., est vivant. Aucun d’entre nous ne peut l’atteindre – les soldats israéliens se sont emparés du secteur, complètement isolé, depuis le début de l’invasion terrestre. La famille y était restée lors des invasions armées israéliennes précédentes, et elle sait comment les maisons sont occupées, comment les snipers prennent position dans les pièces les plus élevées. Mais cette fois ils sont partis, parce que cette fois, l’invasion terrestre a été précédée par un déversement de missiles inimaginable, qui a bien sûr réussi à faire fuir les gens de leurs maisons.
Abu N. est pourtant resté. Il a déjà été chassé par la force de sa ville de naissance, près de ce qui est maintenant Ashkelon, lorsqu’Israël a été créé.
J’étais inquiète, il y a quelques jours, lorsque, juste après avoir quitté la maison de F., Sharon et moi avons entendu une explosion et vu le panache de fumée noire monté du quartier de F. C’était trop près, comme les nombreux missiles qui ont suivi.
A 4h du matin le 3 janvier, peu de temps après que j’ai été secouée par le missile qui a atterri quelque part près de chez elle, F. m’a envoyé un texto : « Ils ont tiré une bombe devant chez nous. Les vitres… ». Elle n’a pas terminé, mais elle n’avait pas besoin. J’étais avec le Croissant Rouge, en route vers l’école américaine qui venait d’être bombardée, à Beit Lahia, quand j’ai réussi à l’avoir au téléphone : « Nous ne savons pas où il est tombé », murmurait-elle avec désespoir. « Peut-être devant chez nous. On a peur. » Et ils avaient raison d’avoir peur, puisque toutes les nuits jusqu’à aujourd’hui, et souvent pendant la journée, elle m’a parlé des missiles qui étaient tombé en face, à côté, derrière chez elle.
Je l’ai vue le matin où l’invasion terrestre a commencé, avec sa famille, portant tous les sacs qu’ils pouvaient, en pleurs.
Je ne pensais pas qu’ils partiraient : ils étaient si déterminés à ne pas bouger, comme pendant les invasions passées. Mais cette attaque est différente des précédentes. Tout le monde me le dit. Alors ils ont choisi de partir, espérant que le secteur de la famille chez qui ils allaient serait plus sûr.
Après avoir regardé les derniers dégâts autour de la maison de F., j’ai discuté avec les voisins. Comme son beau-père, ils restaient. « Où irions-nous ? », demandaient-ils, la question que chacun pose, la question qui mène à l’école des Nations Unies qui a été bombardée. Ils restent. Comme le frère d’Abu Nasser. Au sujet de sa maison, il m’a dit : « Je l’ai construite il n'y a que 2 ans ». « Comment pourrais-je me permettre d’en construire une autre ? » Il pense qu’elle sera bombardée, mais à nouveau, où aller ? A Gaza, Gaza petite, on peut tourner en rond (bien qu’aujourd’hui, on ne peut pas courir du nord au sud - la présence des troupes israéliennes coupe la route -, on ne peut pas sortir la nuit – une invitation aux drones qui surveillent d’en haut), mais on ne peut pas échapper aux bombes, nulle part.
Le secteur en question, où Abu Nasser, et ses voisins, sont peut-être, a été occupé et on pense que c’est la zone où quelques-uns des pires massacres de cette guerre ont eu lieu. Trois personnes âgées qui ont réussi à s’échapper il y a deux jours m’ont parlé de leur calvaire, doux en comparaison de ceux de la famille Samouni à Zaytoun, ou des victimes inconnus au nord ouest. Les soldats les ont bouclés pendant 3 jours chez eux, sous la menace des fusils, et à un moment, soit avant ou pendant qu’ils essayaient de s’échapper, ils leur ont tiré dessus. Une dame âgée montre sa blessure au poignet et au tibia, son visage frappé à coup de poing, et parle de son mari assassiné, tué sur le coup.
Les dernières nouvelles venant du secteur étaient celles de la famille d’Abed Rabbo, au moins 8 tués, 10 blessés par les soldats israéliens, à l’est de Jabaliya.
Source : In Gaza
Traduction : MR pour ISM
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