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Gaza - 7 avril 2009
Par Philip Rizk / Adam Makary
"Plus de 1.400 personnes sont mortes dans la dernière guerre d’Israël contre Gaza. Mais tous les jours, les Gazaouis meurent pour toutes sortes de causes dont nous n’entendons pas suffisamment parler dans les médias. Le système d’égout est horrible, l’eau est polluée et les maladies sont en train de devenir un phénomène croissant à Gaza."
"Sumoud", la constance, la persévérance palestinienne (photo P. Rizk)
Philip Rizk, 27 ans, journaliste indépendant et bloggeur, fait des reportages depuis Gaza depuis 2005 ; il a été arrêté par les forces de la sécurité égyptienne après une manifestation pro-palestinienne au Caire le 6 février. Il a été libéré quelques jours plus tard, sans être inculpé.
Pendant qu’il était à Gaza, il a tourné un documentaire, « Cette vie palestinienne » mettant en lumière les moyens non violents de résistance contre l’occupation israélienne.
La première du film a eu lieu le 4 avril au Festival International du Documentaire à Londres. Le film est la première à découvrir à Londres Festival international du documentaire le 4 avril. Voici des extraits d’un entretien que Rizk a donné à Al-Jazeera avant la projection du film.
Al Jazeera : Pourquoi avez-vous été arrêté puis relâché par les autorités égyptiennes lors de la manifestation du Caire ?
Rizk : Le 6 février, j’ai participé à une manifestation de 15 personnes contre le siège israélien dans la Bande de Gaza. Nous sommes partis de la banlieue du Caire et nous avons marché en direction de Gaza. Quelques 12km plus tard, nous avons été stoppés par les forces de la sécurité, qui m’ont isolé du reste du groupe. On m’a mis de force dans une voiture, ils m’ont bandé les yeux et je n’avais aucune idée d’où j’allais. Un des manifestants était un avocat qui avait sa voiture, lui et les autres ont donc suivi la voiture qui m’emmenait.
La police a mis en place des checkpoints de sécurité pour les ralentir et ils ont fini par perdre ma trace.
Les hommes de la sécurité m’ont emmené à trois postes de détention. Lorsque je suis arrivé à la troisième destination, ils m’ont donné un chiffre, le 29, m’ont dit d’oublier mon nom et c’est là que je suis resté pendant quatre jours. Ils m’ont interrogé sur tout ce que j’avais fait dans ma vie : où j’étais né, qui je connaissais… tout.
Ils ne m’ont inculpé de rien, mais pendant qu’on m’interrogeait, ils m’ont accusé d’être un espion israélien. Ils ont aussi dit que je faisais du trafic d’armes pour le Hamas. Il semble donc qu’ils essayaient de comprendre qui j’étais pour ouvrir un dossier sur moi.
Al Jazeera : Vous faites des reportages sur Gaza depuis ces deux dernières années et vous êtes un des premiers journalistes autorisé à entrer par les tunnels. Les Palestiniens continuent-ils à les utiliser ?
Rizk : J’ai vécu à Gaza de 2005 à 2007 et j’ai travaillé pour l’ONG « Fondation pour l’aide et la réconciliation ». Gaza a le visage de la souffrance et les conditions de vie sont inimaginables. Si vous n’y allez pas, vous ne pouvez vous faire du genre d’agonie que doivent vivre les Gazaouis tous les jours. Ils fonctionnent avec tout ce qui disponible.
J’ai été très choqué lorsque je suis revenu à l’été 2008. J’ai découvert ces tunnels moi-même et je ne pouvais croire qu’ils soient à ce point à ciel ouvert. Par le passé, j’avais entendu parler dire que les entrées étaient chez des gens, sous leurs lits ou sous la table, difficiles à découvrir si jamais les soldats israéliens fouillaient les maisons.
L’été dernier, je suis passé au milieu de centaines de tentes, et sous chacune d’elles il y avait des points d’entrée à des centaines de ces tunnels. Les Egyptiens et les Israéliens sont tout-à-fait au courant de leur existence puisque ces tunnels sont le seul moyen qu’ont les gens pour transporter de la nourriture et des marchandises.
Au moins 85% de la population dépend de l’aide alimentaire. Si le montant de l’aide était réduit, ils mourraient de faim.
Les camps de réfugiés reçoivent de la farine, de l’huile et du riz et sans ces dons, ils ne pourraient pas survivre.
Ils vivent peut-être, mais ils ne sont pas en vie. Il n’y a pas de travail, ils ont perdu leur dignité par manque de travail, essentiellement dû au siège. Les pères n’ont rien à donner à leurs enfants et, devant leurs femmes, ils se sentent honteux parce qu’ils ne peuvent rien faire. Ils ne peuvent même pas fournir à leurs familles les plus élémentaires des besoins.
L’ironie est que les principaux pourvoyeurs d’emploi sont les ONG qui sont financées par les organismes internationaux, qui servent donc à aider à maintenir en vie le reste de la population. Pendant ce temps, les politiciens ne cherchent pas de solutions réelles au conflit.
Al Jazeera : De quoi parlent les médias ?
Rizk : Plus de 1.400 personnes sont mortes dans la dernière guerre d’Israël contre Gaza. Mais tous les jours, les Gazaouis meurent pour toutes sortes de causes dont nous n’entendons pas suffisamment parler dans les médias. Le système d’égout est horrible, l’eau est polluée et les maladies sont en train de devenir un phénomène croissant à Gaza.
Les hôpitaux ne peuvent faire face à cause des coupures d’électricité ; de nombreux Palestiniens ont un besoin désespéré de dialyse rénale, le type de maladie qui est en passe de s’aggraver, ce n’est tout simplement pas un endroit vivable.
La ligne entre le sens de la vie et de la mort devient ténue. Si vous êtes étudiant, vous pouvez passer toute votre vie à essayer de réussir à l’école, à avoir de bons résultats – mais vos efforts ne servent à rien parce qu’il n’y a pas d’avenir pour le premier de la classe.
Tous, de la même façon, se sentent complètement impuissants, sans espoir et sans avenir. Je suis même stupéfait que les gamins puissent encore réussir à l’école, étant donné l’état constant de guerre dans lequel ils vivent.
Al Jazeera : On a vu des reportages sur des tensions entre les Palestiniens et les colons israéliens à Hébron. Pensez-vous que ce soit une situation potentiellement explosive ?
Rizk : Ce qui se passe à Gaza reste à Gaza parce que peu de choses sont rapportées. Israël a tellement bien réussi à contrôler le flux d’informations ; ils contrôlent quiconque entre ou sort de la Bande. Pour les étrangers qui le peuvent, c’est plus facile d’entrer avec une ONG qui travaille à Gaza. Pour ce qui concerne les médias, c’est Israël qui donne les autorisations et de mi-novembre à fin-janvier ou début février, les Israéliens n’ont autorisé personne à entrer, ce fut un blackout total de l’information.
L’autre point est que les médias du monde entier ne montrent pas un grand intérêt à continuer à faire des reportages sur Gaza. Pour eux, il n’y a rien de nouveau à dire sur la situation alors qu’en fait, l’histoire est en constante évolution ; « Dernière minute » est le deuxième nom de Gaza. Mais parce que ces informations de dernière minute sont toujours du même type, personne ne se soucie d’en faire un reportage.
Al Jazeera : Votre documentaire veut donc faire la lumière sur la situation à Gaza ?
Rizk : Mon documentaire est une réponse à ce dont j’ai été témoin à Gaza et en Cisjordanie , et ce sont des histoires qu’on ne trouve pas dans les médias. Les Palestiniens sont si facilement catalogués comme des terroristes encagoulés, portant un fusil ou tirant une roquette Qassam.
Mais ce sont réellement des gens comme tout le monde, essayant juste de tirer le meilleur de leurs vies, de mettre leurs enfants à l’école, de trouver un boulot, de réussir leurs examens de fin d’étude.
J’ai remarqué que dans les médias, le thème de la violence est toujours associé à des histoires qui viennent de la Gaza.
Pourquoi ne parlent-ils pas de récits de résistance non violente ?
Alors que quelques Palestiniens répliquent avec violence à la violence israélienne, la grande majorité ne le fait pas, le mot arabe pour ces actes quotidiens de protestation non violente est « sumoud », qui veut dire la constance, la persévérance.
Peu importe ce que les Israéliens font aux gens que j’ai rencontrés, ils continuent de lutter pour leur droit à rester sur leur terre, leur droit à rester en vie. Beaucoup des gens que j’ai filmés ne sont affiliés à aucun parti politique, ce sont des gens comme vous et moi.
Peu importe ce que les Israéliens font aux gens que j'ai rencontrés, ils ont continué la lutte pour leur droit de rester sur leurs terres, leur droit à rester en vie. Beaucoup de gens que j'ai filmés ne sont pas affiliés à des partis politiques, ils sont des gens « normaux », comme vous et moi.
J’ai eu besoin de me rendre en Palestine pour comprendre ce qui s’y passait. Ce que j’avais étudié ou lu sur la situation n’a vraiment eu du sens que lorsque j’ai vu le mur, les colonies, l’occupation physique. Ensuite, et après être passé par le type d’expériences que j’ai vécues, je tenais à traduire ce que j’avais vu au moyen d’un film.
J’envisage aussi de faire un film en Afrique de l’Ouest, et ensuite j’aimerais me centrer sur l’Egypte, qui est un véritable Etat policier. Il y a de la bureaucratie partout, ça va être un défi.
Pour plus d’informations sur le documentaire de Philip Rizk, visitez le site créé sur le film : « This Palestinian Life ».
Source : Palsolidarity
Traduction : MR pour ISM
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