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Gaza - 6 juin 2009
Par Eva Bartlett
Avant de revenir rue Zarka, dans le quartier des familles Bateran très pauvres, je me suis arrêtée au marché Sahaa de Gaza pour acheter quelques fruits frais et secs pour Iman, enceinte et à une semaine d’accoucher d’un fils très attendu.
Le vendeur de noix a mis un kilo d’amandes dans une poche en disant que c’était bon pour les femmes enceintes. Le vendeur de fruits, que je connais bien depuis les massacres à Gaza, m’a demandé des nouvelles d’un collègue, le caméraman espagnol Albert, et m’a préparé un panier avec un assortiment de fruits.
Puis je suis partie, montant dans un des nombreux taxis de Gaza, cabossé et bringuebalant, jusqu’à la rue des Bateran.
Hadwa était assise sur le bord de l’allée qui mène à sa maison d’une pièce. Nous sommes allées à l’intérieur. La chaleur y était déjà accablante, aucun souffle ne passant par la fenêtre, près du plafond, ni par la petite fenêtre sur un autre mur. Le ciment semblait retenir la chaleur dans la pièce-boîte.
Hadwa me dit que la vie est la même que la dernière fois que je suis venue la voir : dure, et rien à attendre. Elle répète : je vis, je me débrouille. Que puis-je faire ?
Un militant étranger m’avait demandé de lui donner un peu d’argent, pour la nourriture et ses besoins quotidiens, ce que j’ai fait avant de continuer chez d’autres familles.
Amar Bateran n’était pas chez lui ; sa femme, les yeux tristes, glisse l’aide dans sa poche, m’emmenant voir un voisin qui a lui aussi besoin d’aide.
Je réalise mes énormes limites, et que les dons que je leur porte ne sont qu’une thérapie provisoire, juste aider les gens à s’en sortir à court terme. A l’exception d’Hamsa, qui a pu acheter un cheval avec l’argent que les gens m’ont envoyé, les autres familles ont peu de chances de mettre en place quelque chose qui leur apportera un revenu. Je suis en train de voir combien coûterait une carriole pour vendre du thé et du café, pour une famille à Beit Lahia.
Mais l’immense majorité des gens que je rencontre n’a aucune perspective de revenu correct. On ne peut gagner quelque argent qu’en achetant et en revendant des paquets de chewing-gum et de bonbons, comme le fait Amar. L’économie est par terre, merci au siège, merci à l’indifférence obscène des décideurs internationaux, merci aux bombardements israéliens des usines et de la terre arable, des bateaux de pêche et des taxis, des marchés.
Aussi, l’un des aspects les plus durs, à être là à Gaza, est d’entendre, jour après jour, combien les gens sont désespérés, étranglés, combien il leur tarde de pouvoir circuler librement, d’avoir du travail, d’apporter les choses les plus simples à leurs enfants.
Alors que je ne suis qu’une visiteuse à Gaza et que ces réalités ne se répercutent pas sur mes propres perspectives de vie, je les ai intériorisées, j’éprouve le chagrin d’amis à qui il tarde tellement de pouvoir voyager, comme je l’ai fait, ou simplement de continuer leurs études.
Il est aussi terriblement dur d’entendre quelqu’un me dire qu’un des membres ou enfant de sa famille a besoin d’un traitement médical, et de savoir que je ne peux rien faire. Il est impossible de les convaincre que je n’ai aucun pouvoir de persuasion, que je ne peux faire jouer aucune relation avec les geôliers égyptiens ou israéliens.
Iman est à la maison, Hamsa dehors avec son cheval, cherchant du travail. A une dizaine de jour de son accouchement, Iman est radieuse. Nous n’avons pas encore eu l’occasion de beaucoup discuter seules, et très vite elle m’assaille de question sur pourquoi des gens comme moi sont à Gaza. Je la quitte un peu plus tard, avec la promesse qu’elle essaiera de m’appeler quand elle sera sur le point d’accoucher.
Alors que je remonte le chemin, je rencontre Abu Mohammed, père d’Hanin, martyr de 10 ans, assis à l’ombre du mur de ciment avec Saud, son frère qui est atteint de schizophrénie.
Saud sourit tristement et me dit qu’il ne peut toujours pas trouver le Semap, le médicament essentiel dont il a besoin pour soigner sa schizophrénie. Ses paroles sont l’écho de celles d’Hadwa, et de tellement d’autres. Il est fatigué, ce n’est pas une vie, il n’y a rien à attendre, nous vivons… à peine.
Je jette un coup d’œil chez Abu Mohammed pour dire un rapide bonjour à sa femme et à ses filles. Yasmin est là, l’adolescente perturbée qui a vu sa plus jeune sœur se faire tuer, puis le canon du fusil d’un soldat israélien braquée sur elle alors qu’elle se cachait dans l’appartement. Elle se déplace avec maladresse et ses parents me disent qu’elle n’est « toujours pas normale. »
Depuis la famille du martyr, je continue pour dire bonjour à la femme de Saud et lui remettre un don.
Je me creuse la tête, cherchant les moyens d’apporter l’autosuffisance à ce quartier. Mais c’est hors de ma portée, hors de leur portée, c’est entre les mains de ceux qui imposent ce siège qui étrangle Gaza. Et, en écho à la question qu’on me pose ici tous les jours, qu’est-ce qu’on peut faire ici ? Quelle sorte de vie est-ce ?
Source : In Gaza
Traduction : MR pour ISM
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Eva Bartlett
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