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Bilin - 29 avril 2009
Par Rory McCarthy
Tout a commencé assez calmement, par une marche dans la grand’ rue, après les prières de midi à la mosquée. Les villageois palestiniens étaient entourés de dizaines d’internationaux chantant et brandissant des drapeaux. Ils ont tourné pour se diriger vers les oliveraies et monter le chemin étroit qui va à la barrière d’Israël sur la terre de Bil’in. Là, derrière un bunker de béton au sommet de la colline, les soldats israéliens les observaient.
Les Palestiniens et les manifestants internationaux tentent d'échapper aux gaz lacrymogènes tirés par les soldats israéliens, à Bil'in ( Photograph : Atef Safadi/EPA).
La foule s’est approchée de la barrière, en chantant. Un homme a lancé un cerf-volant, à la forme d’un avion. « Cette terre est une zone militaire fermée », a crié un soldat israélien par haut-parleur, dans un arabe impeccable. « Vous n’êtes pas autorisés à vous approcher du mur. » Puis les soldats ont tiré des salves de gaz lacrymogène.
Ce fut la même chose chaque vendredi dans le village de Bil’in, depuis plus de quatre ans – la manifestation populaire la plus tenace contre le long mur d’acier et de béton d’Israël. C’est une protestation basée sur la non-violence, qui s’étend dans d’autres villages de Cisjordanie . Mais elle devient de plus en plus dangereuse.
Le 17 avril, sur une colline de Bil’in, un Palestinen nommé Basem Abu Rahmeh, 31 ans, a été touché par une grenade lacrymogène à grande vitesse qui lui a transpercé la poitrine, provoquant une hémorragie interne massive et l’a tué en quelques minutes. Les vidéos prises par un autre manifestant montrent qu’il n’était pas armé, qu’il était loin de la barrière et ne constituait aucune menace aux soldats.
L’armée israélienne a dit qu’elle faisait face à « une émeute violente et illégale » et qu’elle enquêtait. Vendredi, les manifestants de Bil’in portaient l’image de Rameh sur leurs t-shirts et sur des pancartes.
Le mois dernier, un autre manifestant, un américain nommé Tristan Anderson, 38 ans, a été touché à la tête par une grenade lacrymogène à grande vitesse identique, lors d’une manifestation de protestation contre la barrière, dans le village voisin de Na’alin. Il a été grièvement blessé, il a perdu l’œil droit et souffre de lésions cérébrales. Sa mère, Nancy, a dit : « Pour nous, c’est horrible qu’ils tirent sur des manifestants pacifiques. »
La manifestation de vendredi a duré environ trois heures. La foule s’est à plusieurs reprises ruée vers la barrière, puis a battu en retraite sous les nuages de gaz. L’armée a fait constamment hurler une sirène au son très aigu, entrecoupé par des avertissements en arabe et en hébreu : « Reculez. Toi, avec le drapeau, recule, » et, de façon incongrue, en anglais : « Vous entrez dans une zone d’exclusion de navires. Faites immédiatement demi-tour. »
La manifestation de Bil’in a toujours été non-violente, bien que vendredi, comme c’est souvent le cas, des dizaines de jeunes et d’hommes en colère ont envoyé des pierres aux soldats avec des lance-pierres. Pour sa part, l’armée israélienne a tiré sur la foule des gaz lacrymogènes, des grenades incapacitantes, des balles caoutchouc-acier et quelquefois, des balles réelles.
Il y a eu longtemps des partisans palestiniens de la non-violence, mais ils ont été englouti par le militantisme de la Deuxième Intifada, le soulèvement qui a commencé en 2000 et qui a explosé en vagues d’attentats suicide épouvantables.
Eyad Burnat, 36 ans, a passé de longues heures à discuter avec les jeunes de Bil’in, petit village de moins de 2.000 habitants, pour les convaincre des mérites de « la résistance civile partant de la base ».
« Il est évident que ça devient plus difficile lorsque quelqu’un est tué, » dit Burnat, qui mène la manifestation. « Mais nous avons déjà eu ces problèmes par le passé. Plus de 60 personnes ont été arrêtées et pourtant, ils sont revenus à la non-violence. C’est une décision stratégique. »
Certains, comme le député palestinien modéré Mustafa Barghouti, espère que ce soit le début d’un mouvement plus large dans toute la société palestinienne. « C’est une étincelle qui se répand,» dit-il à Bil’in. « C’est une alternative aux négociations inutiles et à ceux qui pensent que seule la violence peut aider. »
Mais ce n’est pas tant que tous les jeunes du village se soient convertis à la cause pacifique, c’est plutôt qu’ils respectent et suivent leurs aînés. « Personnellement, je ne crois pas à la résistance non-violente, » dit Nayef al-Khatib, 21 ans, étudiant en comptabilité. « Ils ont pris notre terre par la force, et nous devons la leur reprendre par la force. »
A Bil’in, la barrière coupe le village de plus de la moitié de sa terre agricole et elle a permis l’expansion continue des colonies juives, dont l’énorme et ultra-orthodoxe colonie de Modiin Illit, bien que toutes les colonies sur une terre occupée soient illégales selon le droit international (et le droit israélien, NdT).
La Cour Internationale de Justice a donné en 2004 un avis consultatif que la barrière était illégale là où elle traversait la Cisjordanie , et même la cour suprême israélienne a statué il y a presque deux ans que le tracé à Bil’in n’était fondé sur aucune « raison de sécurité militaire » et devait être modifié. Mais rien n’a changé.
Comme la plupart des hommes du village, Nayef al-Khatib a fait de la prison. Il a été arrêté à 17 ans pour avoir manifesté et a passé un an derrière les barreaux, faisant sa dernière année de collège depuis sa cellule. Cette incarcération signifie qu’il ne peut pas obtenir de permis de voyage à Jérusalem ni en Jordanie, et il est souvent détenu pendant des heures aux checkpoints militaires israéliens, à l’intérieur de la Cisjordanie . « Mais c’était pour moi un honneur. Maintenant, je suis comme les hommes plus âgés, » dit-il.
Certains des ces aînés ont de l’influence. Ahmad al-Khatib, 32 ans, fut membre des Brigades des Martyrs d’al-Aqsa, un groupe militant de premier ordre, et fut incarcéré pendant un an pour avoir transporté des armes. Il s’est maintenant engagé dans la non-violence, et il s’oppose même aux jeteurs de pierre.
« Je ne regrette pas ce que j’ai fait, mais je ne le referai pas, » dit-il. « Nous sommes une nation occupée selon le droit international, et nous avons le droit de résister, bien que ça ne signifie pas que je soutiens les attaques suicide. Mais je ne veux pas résister pendant toute ma vie. »
Il soutient qu’une stratégie non-violente entraîne mois de pertes palestiniennes. « Ca ne me pose aucun problème de mourir pour récupérer ma terre, mais j’enverrai ma terre au diable si cela ramenait notre martyr, qui est mort la semaine dernière. La vie d’un être humain et plus importante que la terre elle-même. »
Souvent, pour les villageois, la question la plus sensible n’a pas été de prendre ou non les armes, mais plutôt s’il faut ou non accepter en leur sein tant d’internationaux, et en particulier les manifestants israéliens. Ahmad al-Khatib dit que ce fut « la question la plus discutée », car beaucoup craignaient que les Israéliens viennent les espionner, jusqu’à ce qu’ils voient qu’eux aussi été blessés et arrêtés.
Un des premiers Israéliens à rejoindre la protestation de Bil'in, dès le début, est Jonathan Pollack, 27 ans, activiste et membre d'Anarchistes Contre le Mur, qui vit à Jaffa, juste au sud de Tel-Aviv. Bien qu'ils l'accueillent chaleureusement maintenant, les débuts furent tendus. « Je ne suis toujours pas l’un d’entre eux et je ne fais pas semblant de l’être, » dit-il.
À la différence de la plupart des autres initiatives de paix communes, dans ce cas les Israéliens sont en minorité et en arrière-plan. « Je pense qu'il est très important que la lutte soit menée par les Palestiniens et que les relations de pouvoir colonial sont sciemment inversées, » dit Pollack.
Article paru initialement, en anglais, dans The Guardian.
Source : Palsolidarity
Traduction : MR pour ISM
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