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Hébron - 1 avril 2005
Par KL
Je me sens comme Alice qui a seulement fait un pas à travers le miroir.
Pas simplement parce que les lettres ici sont écrites de droite à gauche.
Pas simplement parce qu'Al-Khalil tout comme Hevron signifie ami.
Pas simplement parce que nous avons été emprisonnés pour avoir été agressés.
Plus probablement parce que nous, dans "le monde occidental", semblons accepter l'image d'Israel reflétée dans nos sociétés, une image oubliant l’important.
Le petit village de Qawawis est l'endroit le plus paisible que j'aie jamais visité. Géographiquement, il est situé au sud d'Al-Khalil (Hebron) en Cisjordanie . Ici une poignée de familles de bergers vivent dans des cavernes creusées à la main dans la colline rocheuse. Nous sommes quatre internationaux à vivre dans le village avec les familles.
Les journées à Qawawis sont apparemment identiques : nous nous levons à l'aube et nous sommes invités à déjeuner qui est constitué principalement de pain et d’hoummos dans l’une des cavernes.
Ensuite, les troupeaux sont sortis et nous marchons avec les bergers pendant qu'ils font paître leurs moutons dans des espaces libres. Et trois ou quatre heures plus tard, nous revenons au village, nous mangeons du pain et du hoummos et nous faisons une petite sieste.
Alors nous repartons avec les moutons pendant encore trois ou quatre heures et nous revenons au crépuscule. Au moment du dîner (rarement avec surprise), plusieurs des jeunes garçons du village viennent à la caverne où nous avons diné pour pratiquer l’anglais, et nous enseignent de nouveaux mots en Arabe.
A la nuit tombée, toute la vie sociale se fait à la lumière des lampes à huile, puisque le village est sans électricité. Néanmoins j'ai encore trouvé un endroit en Palestine avec une meilleure réception pour mon téléphone portable.
Le paradoxe de la bonne réception est dû aux colonies illégales environnantes, équipées de nouvelles routes, de l'eau courante, de l'électricité et d’une abondance d’armes et de fils téléphoniques, installés principalement avec l'argent des impôts des citoyens israéliens. Ces colonies sont la raison pour laquelle nous sommes ici.
Le harcèlement des Palestiniens à proximité des colonies est plus la règle que l'exception, mais depuis deux ans, la violence contre le village a augmenté, et quand deux villageois se sont fait tirer dessus, la plupart des familles s'étaient déjà déplacées vers le village voisin de Yatta.
L'armée israélienne est venue et a forcé le reste des habitants à partir pour "des raisons de sécurité".
Quelques colons israéliens sont entrés dans les cavernes, mais ont été également évacués du village par l'armée, qui a détruit alors au bulldozer plusieurs cavernes et puits.
Le Mur de séparation israélien a été projeté pour annexer cette partie de la Cisjordanie et le village allait devenir une nouvelle base militaire.
Après des plaintes et un combat juridique difficile, en particulier de l'organisation pacifiste israélienne, Ta'ayush, et puis un changement du tracé du Mur de Séparation qui l’a déplacé plus près de la Ligne Verte, la Cour Suprème israélienne a décidé que les villageois avaient le droit de revenir sur leur terre.
Il y a un mois, certaines des familles se sont réinstallées au village avec des pacifistes de l’ISM (Mouvement International de Solidarité), sur la base d’une présence internationale tournante.
Au cours du mois, les villageois ont souffert quotidiennement des visites des colons qui les menaçent de leurs armes ou lancent des pierres sur les moutons et les bergers. Le samedi (Shabbat) les colons font souvent une descente dans le village, en montrant les cavernes et en en racontant des fausses histoires sur la façon dont ils vivaient dans les cavernes, et comment les habitants originaux sont partis pour un meilleur logement à Yatta.
Tout cela, je le connaissais déjà, mais je n'étais pas complètement préparé à notre première confrontation avec les fanatiques religieux.
Masques d’Halloween et un Uzi
"Nazis! Tueurs de Juifs ! Retournez en Allemagne !"
Soudainement tout semble chaotique. Il y a cinq minutes, un pick-up blanc est arrivé et s’est arrêté et deux jeunes hommes sont sorti. Moi et un autre international nous sommes approchés d’eux calmement, en nous rappelant notre formation de dé-escalade des situations probablement violentes.
Un des hommes était habillé de façon orthodoxe, la tête couverte d’une kippah et des boucles brunes tombant sur les tempes. L'autre fôlatrait avec un masque jaune d’Halloween, évoquant un crâne et un Uzi (mitrailleuse).
Après un couple de semaines dans ce pays, je ne suis toujours pas à l’aise en voyant des armes, et l'adrénaline montait dans nos veines pendant que nous venions plus près et que demandions avec diplomatie si nous pouvions les aider, sans obtenir de réponse.
Les deux hommes ont commencé à courir autour de nous en criant et en lançant des pierres sur les moutons et les bergers. Notre dé-escalade était apparemment un échec total, depuis qu’encore d’autres voitures continuaient à arriver et que ceux qui en sortaient semblaient très en colère contre nous.
"Nazis! Tueurs de Juifs ! Retournez en Allemagne ! Toi ! Es-tu Allemand ?"
Une femme extrêmement agitée d’une trentaine d’années se dirigeait vers moi. En pleine confusion, je lui ai juste répondu : "Non, je suis Danois."
"Ouais, les Danois, vous êtes aussi vraiment bon pour tuer les Juifs !"
Les deux autres internationaux sont arrivés en courant et nous avons tous tenter de nous mettre entre les bergers et les 10 colons en colère, qui jetaient des pierres et qui nous disaient comment ils pourraient facilement nous tuer, tout en pointant leurs mitrailleuses sur nous. Un véhicule militaire a remarqué l'épisode et s’est dirigé vers nous.
Trois jeunes soldats sont juste sortis et n’ont rien fait, malgré le fait que nous leur ayons demandé à plusieurs reprises, car les colons commençaient à nous donner des coups de pied et à nous frapper.
Quand un adulte s’est jeté sur notre amie américaine et lui a mis de nombreux coups de poings dans le visage, au cou et à la poitrine, l’un des soldats est venu aider à l’éloigner d'elle. Après le soldat a décidé d'aider l'homme à trouver ses lunettes. Nous retournions vers le village avec les bergers, quand les colons criards ont tenté de passer devant les soldats.
Nous avions téléphoné à la police dès que les deux jeunes étaient sortis du pick-up et nous avions été franchement étonnés quand ils ont promis de venir rapidement.
J'avais entendu dire que la police ne s’occupe pas souvent vraiment des cas où des colons sont impliqués. Mon attitude positive envers la police israélienne n'a pas duré longtemps.
Il a fallu plusieurs appels avant qu'elle se montre finalement un heure et demi plus tard. Nous avons essayé de leur expliquer ce qui s'était passé, mais bientôt les colons sont revenus et ont commencé à hurler en hébreu à la police.
Avant de réaliser quoi que ce soit, la police avait pris nos passeports, les colons rentraient à la maison et nous étions en route pour le commissariat de police.
Le commissariat de police est situé au milieu d'une des plus grandes colonies de la Palestine, Kiryat Arba, un nom qui la relie à une sinistre histoire.
Pennywise
Kiryat Arba fut la première colonie israélienne, dont l'approbation a été donnée par l’ancien ministre de la Défense, Moshe Dayan. Celui dira plus tard que ce fut la plus grave erreur de sa carrière.
L’énorme colonie est située à côté des frontières municipales d'Al-Khalil (Hebron) et abrite environ 7200 personnes.
Pendant que nous étions emmenés au commissariat de police, nous roulions lentement à travers ce Disneyland de rues ordonnées, de petits espaces verts et de centaines de petites maisons identiques avec leurs toits rouges caractéristiques, installés sur 6000 dunums de terre palestinienne confisquée.
Je ne sais pourquoi cet endroit me rappelle Pennywise, le clown tueur du film Ca tiré du livre de Stephen King, qui m'a tant terrifié quand j’étais enfant.
La région d’Hébron est connue comme l'une des plus difficiles de toute la Cisjordanie , la cause de ses problèmes est la question des colons.
Un des exemples les plus tragiques et les plus mortels est le massacre dans la Mosquée Ibrahimi en 1994, quand un médecin Américano-Israélien, Baruch Goldstein, est entré dans la mosquée et a abattu 29 fidèles musulmans et en a blessé 125 autres.
Dans la vieille ville d'Al-Khalil, 500 fondamentalistes juifs résident dans quatre colonies. Une fois que le centre économique et social d'Al-Khalil, la vieille ville a été transformé en une ville-fantôme de boutiques fermées pour "raisons de sécurité", avec des incursions militaires et des checkpoints.
Les colons prétendent être la "continuation" de la communauté juive originale de la ville, mais en 1996, 40 membres de la communauté juive originale ont signé une pétition publique demandant l'évacuation des colons.
En raison des innombrables confrontations violentes, la vie quotidienne des 45,000 habitants palestiniens est troublée par le harcèlement, le couvre-feu et les contrôles de sécurité apparemment innombrables.
Plus de 600 jours de couvre-feu ont été imposés à la population palestinienne d’Hebron et plus de 74 maisons ont été démolies, le plus souvent pour construire des routes pour Juifs-seulement.
Tout cela est surveillé par environ 1500 soldats postés dans la vieille ville. Leur première tâche est d’assurer la sécurité des 500 colons,dont beaucoup sont armés jusqu’aux dents et aucun d’entre eux n’a à passer par les contrôles de sécurité humiliants. Les soldats habitent dans des maisons palestiniennes confisquées et à Kiryat Arba, où nous sommes emmenés pour interrogatoire.
Allez en prison, allez directement en prison !
Nous sommes arrivés au commissariat de police croyant que nous allions déposer une plainte suite à notre agression et celles des villageois. Quand nous nous sommes assis, on nous a dit que nous étions maintenant détenus puisque les colons avaient déposé une plainte contre nous pour agression.
Bienvenue en terre miroir. Nous avons découvert que tous les colons avaient été autorisés à rentrer à la maison. Nous, par contre, avons dû subir des heures d'interrogatoire, pendant lesquelles nous avons seulement eu le droit de répondre à des accusations.
Après huit heures d’interrogatoire, on nous a offert de signer un papier nous interdisant de retourner à Qawawis. Nous avons refusé et nous avons été arrêtés et mis en prison.
Dure punition pour avoir été attaqués, mais en terre miroir, il n'est pas nécessairement illogique de croire que, non-armés, des pacifistes non-violents pourraient attaquer des colons fous armés de M-16 et d’Uzis.
Le lendemain, nous avons été présentés devant un juge qui a écarté les accusations contre nous, et qui a reconnu l'importance d'une présence internationale à Qawawis. Les colons continuent leur harcèlement régulier dans le secteur.
Récemment, un troupeau de moutons a été empoisonné avec du poison pour rats dans le village voisin de Àt-Tuwani.
La difficulté créée par les colons fondamentalistes fous qui croient en l’interprétation littérale des textes religieux est une partie bien calculée de la politique de colonisation du gouvernement israélien. Les colons, plus ou moins sciemment, obéissent aux gouvernements, mais également le système judiciaire semble très clément quand il s’agit des colons.
Un exemple grave est l'histoire d'un garçon palestinien de 11 ans, qui a été "tabassé à mort avec une arme par un colon de Hebron. L’auteur a été arrêté, jugé et acquitté parce que "l'enfant était mort tout seul suite à un pression émotionnelle".
En appel, la Cour Suprême israélienne a caractérisé l'acte comme "meurtre léger", et le colon a reçu une condamnation de six mois au service de la communauté et une amende.
Les colons, représentant 6 à 7 % de la population israélienne, ne sont pas tous les mêmes.
Beaucoup sont tout simplement attirés par des logements bon marché et subventionnés par le gouvernement, mais ils sont tout sauf des fils dans la toile d’araignée israélienne tissée pour le contrôle des Territoires Occupés.
Avec les secteurs unilatéralement annexés par "le Mur de saisie de terres", ce sont des faits sur le terrain qui peuvent être utilisés comme arguments dans des futures négociations de paix.
Je me sens comme Alice qui a seulement fait un pas à travers le miroir.
Pas simplement parce que les lettres ici sont écrites de droite à gauche.
Pas simplement parce qu'Al-Khalil tout comme Hevron signifie ami.
Pas simplement parce que nous avons été emprisonnés pour avoir été agressés.
Plus probablement parce que nous, dans "le monde occidental", semblons accepter l'image d'Israël reflétée dans nos sociétés, une image oubliant l’important.
L'état israélien ne s'inquiète pas des engagements internationaux qu'il feint de respecter. Le mur de séparation et les colonies ont été déclarés illégaux par la communauté internationale.
Malheureusement, l'image d'Israël n’obtiendra pas ces dimensions supplémentaires aussi longtemps que les vetos américains au Conseil de Sécurité des Nations Unies et que les accords commerciaux avantageux avec l’Union Européenne enverront un message clair que nous sommes plus que prêts à fermer les yeux sur les violations sans fin et inhumaines.
L'histoire de Qawawis est nullement particulièrement affreuse ou extraordinaire, elle est juste un autre jour en Palestine, la terre-miroir.
Source : www.palsolidarity.org
Traduction : MG pour ISM
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