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ISM France - Archives 2001-2021

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Palestine -

Droit inné

Par

Cet été, Martin Lukacs s’est rendu en Israël et en Palestine, en quête de réponses…)

En Palestine, j’ai découvert la face d’Israël qu’on m’avait cachée ou qu’on m’avait tue, tout au long de mon voyage Birthright. En travaillant avec le Mouvement International de Solidarité (International Solidarity Movement – ISM), et Ta’âyush, deux associations qui aident les Palestiniens de manière non-violente et concrète, je m’attendais au pire : rencontrer des enfants n’ambitionnant, tous, les uns autant que les autres, qu’une seule chose : devenir un kamikaze.

« Bienvenue chez vous ! »

Entendre cette formule d’accueil lorsque vous arrivez dans un pays où vous n’aviez encore jamais mis les pieds, ça fait drôle !

Tels furent bien, pourtant, les mots que j’entendis alors que je passais à la douane de l’aéroport Ben-Gourion et que je sentais ma main chaleureusement broyée par une poignée énergique de Schlomo Momo Lifshitz, un colonel athlétique de l’armée israélienne, président actuel de l’organisation Oranim Birthright.

"Eh oui… Vous êtes juif, DONC ce pays est légitimement le vôtre", finit-il par m’expliquer avec un accent israélien à couper au couteau, avant de passer au suivant, avec les mêmes propos. Il allait réapparaître, au cours des jours suivants, afin de compléter son message : je pouvais – au cas où je l’aurais voulu – revendiquer «ma» citoyenneté israélienne, à tout moment.

On m’aurait remis un passeport, on m’aurait refilé une enveloppe pleine de biffetons, ainsi que les clés d’un appartement généreusement subventionné. Plus important : j’étais là-bas, selon ses dires, non pas pour "leur apporter un soutien, mais afin d’être soutenu… Qui ça ? Moi ! ?…"


J’étais allé en Israël pour y rencontrer Birthright, une joint venture entre le gouvernement israélien, des organisations juives nord-américaines, et une dizaine de philanthropes juifs. Elle a été créée afin de nouer des liens avec les communautés de la diaspora juive, et de renforcer à leurs yeux une image positive d’Israël.

Depuis sa création, elle a amené environ 70 000 juifs américains (âgés de 18 à 26 ans) qui n’étaient encore jamais allés en Israël, leur voyage organisé (d’une durée de dix jours) étant entièrement pris en charge.


Personnellement, j’avais décidé de faire ce voyage parce que je voulais rejoindre les milliers de personnes passionnément en quête d’une solution juste et pacifique du conflit palestino-israélien. Mais je n’avais aucune attirance, ni émotionnelle, ni religieuse, pour Israël, et je pensais sincèrement que je pourrais sans doute découvrir l’humain en grattant un peu le vernis sur la narration de l’un et de l’autre peuple. A mon retour, il fallait absolument que je parle des réalités que ces narrations passent volontairement sous silence…


Birthright

Ces dix jours passèrent très rapidement, en tempête. Nous avons vu des sites antiques – souvent religieux – , magnifiques. Nous avons marché dans les rues de villes historiques. Nous avons apprécié Israël by night. En parcourant le pays dans tous les sens, nous regardions par les vitres de l’autobus l’environnement géographique, qui se transformait en un univers peuplé de héros bibliques et de guerriers modernes.

Nous avons visité des kibboutz, nous avons fait l’ascension de Massada à l’aube, nous avons vu la belle ville de Haïfa et les quartiers ultramodernes de Tel-Aviv. On nous a fait connaître cet achèvement unique du peuple juif, remémoration actuelle de sa très longue Histoire.


Pour beaucoup d’entre nous, le plus excitant fut la rencontre, et les liens que nous établîmes, avec huit soldats israéliens, qui nous ont accompagnés durant cinq journées. En Israël, les soldats sont tenus en très haute estime : ce sont un peu les dieux d’une véritable religion civique. Les coutumes, les récits et les légendes se combinent, formant un mythe guerrier, qui alimente leur image de marque dans le monde entier. Tout au long de notre voyage, nous fûmes gratifiés des épopées de leurs victoires miraculeuses…


Le voyage Birthright touchant à sa fin, plusieurs participants décidèrent de repousser leur vol de retour. Beaucoup sont allés à Tel-Aviv, ou dans la ville balnéaire d’Eilat. Certains sont allés bosser dans un kibboutz. Quelques-uns ont opté pour des programmes qui leur permettaient de travailler pour l’armée israélienne durant quelques semaines. Pour la plupart, toutefois, nous rentrâmes, un peu groggy, convaincus qu’Israël allait très bien et que tout était parfait.


La majorité des participants à ce voyage – ce n’est pas mon cas – étaient des gens qui avaient reçu une éducation religieuse, ou pour qui, tout du moins, la vie juive n’était pas totalement étrangère. Ils avaient été bercés de récits des gloires anciennes du peuple juif en Terre sainte. Ils avaient été imprégnés d’un sentiment d’exil bimillénaire, de persécutions religieuses, d’inquisition, de diffamations sanglantes, de pogroms et d’un quasi anéantissement, avec l’Holocauste.

C’est à leur intention que les organisateurs avaient tout fait pour que Birthright soit l’affirmation puissante et émotionnelle de tout ce qu’ils avaient appris, jusque-là, sur la rédemption de ce même Israël historiquement souffrant. La majorité des participants quittaient Israël en sacrifiant à une version mythologique d’Israël, qui les avait accompagnés, de fait, tout au long de leur existence.



Péchés par omission

Je fus émus aux larmes, en une soirée sereine, un vendredi soir, à un office du shabbat. C’était devant le Mur occidental, dernier vestige du second Temple. Pour la première fois de ma vie, je compris la beauté de ce rêve d’une nation, censé, par sa noblesse même, donner une dignité aux souffrances et à la mort de millions de personnes.

Birthright et son discours incarnent ce rêve. Ce faisant, toutefois, il perpétue une hypocrisie qui transparaît dans notre approche du conflit israélo-palestinien. Israël n’est pas qu’une nation de victimes. Aujourd’hui, c’est une nation qui opprime, aussi. Birthright rend un très mauvais service en refusant de reconnaître que les Palestiniens et les Israéliens sont totalement impliqués mutuellement dans leurs vies réciproques. Leur passé, leur présent et leur avenir sont entremêlés. Leur course à l’abîme cauchemardesque ne pourra être stoppée et redressée que s’ils se réveillent, ensemble.

Tout au long de ces dix journées, Birthright n’en dit rien. Nous n’avons rien appris sur le mouvement montant des Refuseniks, ces soldats qui refusent de servir en Cisjordanie ou dans la bande de Gaza. Et nous n’avons pas été informés du fait qu’après leurs deux ou trois années de service militaire obligatoire, beaucoup d’ex-soldats et soldates israéliens voyagent de par le monde afin de tenter d’oublier leurs années passées dans l’armée.

On ne nous a pas dit qu’Israël, financé par les Etats-Unis, disposant d’une armée d’une puissance inégalée au Moyen-Orient, ne s’est pas une seule fois senti militairement menacé, depuis des décennies.


Durant tout notre voyage, nous n’avons rien entendu au sujet des Palestiniens, excepté lors d’une présentation du point de vue du gouvernement israélien, intitulée (ce qui en dit long) "Le Moyen-Orient en Trente Minutes", documentaire au cours duquel un expert israélien réduisait les problèmes de la région au fait qu’une petite nation de juifs sans défense était perpétuellement agressée par des Arabes sanguinaires et irrationnels.

J’ai sombré dans un profond désespoir, après avoir pris conscience du fait que l’ensemble du conflit palestino-israélien est manifestement défiguré par cette incapacité à reconnaître l’existence et les besoins d’un autre peuple – avec sa terre, son histoire de souffrances et tout ce qu’il a investi, émotionnellement et politiquement, dans cette terre. On ne nous a jamais incités à chanter « Massacrez les Arabes ! » sur l’air des lampions. Ni on ne nous a dit carrément : « Ecrasez l’infâme ! ». Néanmoins, dix jours durant, on m’a inculqué une subtile ignorance, une cécité délibérée, vis-à-vis de cet autre peuple.

Quand on se sent menacé, on considère son ennemi comme pas totalement humain. Ce n’est que lorsque nous serons dépouillés des rationalisations et des auto-justifications qui nous empêchent de voir l’Autre comme pleinement humain que nous pourrons rencontrer l’Autre et voir en lui un partenaire.

Je pense qu’il est vital, pour quiconque recherche une fin au conflit palestino-israélien, qu’il soit juif ou non, de connaître l’expérience d’un voyage Birthright, de s’engager dans les modes de perception, de cognition et de sensation auxquels j’ai été ainsi initié, et finalement de saisir que si l’on reste embourbés dans une telle vision du monde, il ne saurait en résulter qu’une stagnation éternelle ou l’annihilation mutuelle.


L’histoire de Saddâm

En Palestine, j’ai découvert la face d’Israël qu’on m’avait cachée ou qu’on m’avait tue, tout au long de mon voyage Birthright. En travaillant avec le Mouvement International de Solidarité (International Solidarity Movement – ISM), et Ta’âyush, deux associations qui aident les Palestiniens de manière non-violente et concrète, je m’attendais au pire : rencontrer des enfants n’ambitionnant, tous, les uns autant que les autres, qu’une seule chose : devenir un kamikaze.

Très loin de là : je me suis fait des amis d’enfants qui étaient, bien qu’ils aient souffert si tôt dans leur jeune existence, pleins de cette énergie naturelle que l’on rencontre chez les enfants, partout dans le monde. J’ai rencontré de futurs footballeurs, de futurs ingénieurs, et de futurs hommes politiques. Je n’ai rencontré qu’un seul jeune garçon, qui voulait, déjà, devenir kamikaze.


Il m’a fallu quelque temps, pour me faire aimer de Saddâm, treize ans. Tandis que l’équipe de l’ISM passait dans son village, sa famille m’a hébergé pour la nuit. Je n’avais pas vu Saddâm, durant cette journée de protestation, où tous les jeunes garçons avaient jeté des pierres sur les soldats israéliens. Je lui ai demandé pourquoi, et il m’a confié, tout timide, qu’il avait trop peur, pour y participer. J’ai apprécié sa sensibilité et sa maturité. Il avait une façon attendrissante de s’exprimer très sérieusement en anglais : souvent, il prenait le temps de chercher le mot exact dont il avait besoin, dans son dictionnaire arabe / anglais.


Je lui ai demandé quels étaient ses projets d’avenir, et il commença par me dire qu’il aimerait vendre des fruits et des légumes, au marché. Mais, ce soir-là, tandis que nous tentions en vain, côte à côte, de nous endormir, je le surpris en train de lire un petit morceau de papier. Sur ce petit morceau de papier, il était écrit : « Nous ne chantons pas les louanges de la mort, mais les hymnes de la vie ». Je lui ai fait promettre de me dire ce que cela signifiait, dès le lendemain matin, bien que j’eus déjà conjecturé la signification de ce message.


A l’aube, nous renonçâmes, l’un comme l’autre, à nous endormir. Nous allâmes rejoindre son oncle, et bûmes ensemble un verre de thé brûlant. A ma demande, Saddâm et moi, nous allâmes derrière sa maison, nous contournâmes un âne brayant attaché au tronc d’un figuier, et descendîmes dans une petite vallée. Pas à plus de cinq cents mètres de l’ainsi dite "barrière de sécurité", que je voulais photographier.

Son père m’avait dit que, la nuit d’avant, c’est-à-dire, celle qui avait suivi la fermeture du mur, il avait perdu son travail en Israël, qu’il avait effectué vingt-cinq années durant (il était toujours en bons termes avec son employeur israélien), et qu’il avait perdu, aussi, les oliviers qui avaient été transmis, dans sa famille, de génération en génération : mis sous séquestre, les arbres avaient été arrachés. Désormais, il aurait de la difficulté à nourrir sa famille.

J’ai demandé à Saddâm quelles conséquences, à son avis, la barrière allait avoir, pour les Palestiniens. Sur un ton pausé, bien plus que celui qu’on aurait pu attendre à son âge, il me répondit : "Nous savons déjà ce que cela donne, à Gaza".

Précautionneusement, je me mis à lui poser des questions au sujet du tract du Hamas que je l’avais surpris à lire. Finalement, il me confia qu’il rêvait de devenir kamikaze. Je lui ai alors dit que j’étais juif. Il resta pensif un instant, puis il haussa les épaules. Il me montra le mur, et il me dit que c’était contre les gens qui avaient construit « ça », qu’il état en colère.

Je ne doute pas un instant que Saddâm soit capable de réaliser son rêve. Je le vois, même, faisant exploser son corps frêle au milieu d’Israéliens, accomplissant les volontés maléfiques de la doxa perverse du Hamas. Je le vois, s’imaginant élever la conscience d’Israël et du monde contre l’insupportable injustice de la situation. Saddâm est ce terroriste qu’on m’a appris à redouter et à haïr, durant mon endoctrinement Birthright, cet organisme qui n’est qu’un semeur de haine inconscient.

En réalité, Saddâm n’est qu’un garçon adorable, dont la vie est si douloureuse qu’elle ne lui semble pas valoir le coup de la vivre. Son aspiration à devenir un kamikaze n’est pas née d’une haine irrémissible : c’est une réponse logique à une occupation qui ne lui donne aucune chance de mener une vie digne.



Dépaquetons l’antisémitisme

Le lendemain matin, après une discussion très franche avec quelques Palestiniens adultes au sujet de l’opposition juive à l’occupation, une parente de l’un des hommes qui y avaient participé m’amena son fils, en larmes ; elle tenait à ce qu’il me rencontre. Le père du garçon était en prison. Quant à l’enfant, il en avait conçu une terreur panique des soldats israéliens. La mère pensait qu’un contact avec un bon juif pourrait l’aider à dominer cette peur.

Ce genre d’incidents abondent, qui mettent en lumière les affirmations infondées des apologistes de l’agression israélienne. D’après eux, les Palestiniens seraient des ennemis intraitables des juifs ; les Palestiniens refuseraient de vivre avec, et même à côté, des Israéliens ; les Palestiniens élèveraient leurs enfants dans les mêmes sentiments (de haine) qu’eux.

Je ne relate pas ces faits pour blanchir l’antisémitisme, qui est une réalité. Non. Ce que je veux, c’est montrer que si nous évoquons une haine contre les juifs, nous ne parlons absolument pas de cette haine fanatique et irrationnelle à laquelle les juifs sont par trop accoutumés : cette haine des juifs parce qu’ils sont juifs. L’antisémitisme qui existe en Palestine est motivé par une haine envers des occupants et des colonisateurs. Or, il se trouve que ceux-ci sont juifs.



Quelques mots, à l’adresse de deux peuples

"Où irons-nous, après les dernières frontières ? / Jusqu’où les oiseaux devront-ils voler, après le dernier ciel ? / Où les plantes devront-elles dormir, après le dernier souffle de la brise ? / Nous écrirons nos noms d’une vapeur écarlate / Nous couperons les mains du chant, pour qu’il en soit fini de notre chair / Nous mourrons ici : ici, sur le dernier passage / Ici. Et c’est ici que notre sang plantera son olivier".

Quelle personne juive ne partagerait pas ces vers du poète palestinien Mahmoud Darwish, qui expriment la réalité d’un peuple chassé dans un exil perpétuel, qui porte dans son cœur une aspiration éperdue à un pays, un rêve aussi noble qu’un autre, et aussi inné ? Mais, d’après Ehud Barak, ancien Premier ministre d’Israêl, son pays n’est pas encore prêt, pour une telle poésie.

Avant de me séparer de Saddâm, je lui ai parlé d’une prière que les juifs récitent fervemment a la fin de la Pâque, cette fête qui célèbre la libération des juifs de l’esclavage en Egypte. C’est une prière où ils jurent, pleins de confiance, de se rencontrer, l’année suivante, à Jérusalem. Bien que je n’aie personnellement jamais dit sérieusement cette prière, j’ai promis à Saddâm que je le ferais, l’année prochaine.

Ma prière, toutefois, sera un petit peu différente : elle incarnera l’espoir de deux peuples, et non pas d’un seul. Un espoir dans deux patries, coexistant pacifiquement. Sans ce mur de béton, entre les deux. Il s’agit-là, je le reconnais, d’une prière fondée sur un optimisme infini, qui ne peut être entretenu qu’en refusant de céder au désespoir.

Peu importe. Je le dirai, avec foi et espoir : "L’an prochain, côte à côte, en Palestine !".

Source : The McGill Daily

Traduction : Marcel Charbonnier

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