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Monde - 31 janvier 2009
Par Afif Safieh
Propos recueillis par Madeleine Leroyer.
Après avoir dirigé durant trois ans la représentation de l’Organisation de Libération de la Palestine à Washington, Afif Safieh a été nommé Ambassadeur palestinien en Russie en septembre dernier. Les relations que la Russie entretient avec les pays arabes, avec le mouvement islamiste Hamas, comme avec Israël, la placent dans une position inédite que l’Ambassadeur compte bien mettre à profit au moment de la conférence israélo-palestinienne attendue à Moscou au printemps.
LCDR : La Russie, seul membre du Quartette à entretenir des relations avec le Hamas, multiplie les initiatives diplomatiques pour obtenir un cessez-le-feu à Gaza. Monsieur l’Ambassadeur, quel rôle peut jouer Moscou dans la résolution de ce conflit ?
A.S. : L’intérêt russe pour le Moyen Orient remonte à plusieurs siècles. D’abord, il y a eu un engagement russe en Terre Sainte à travers l’Eglise orthodoxe. Puis est venue la période soviétique, un moment d’intense interaction entre l’URSS et différents états et mouvements arabes et palestiniens. Aujourd’hui, la Russie nouvelle a réactivé son réseau de contacts et est à l’aise dans toutes les capitales arabes, qu’elles soient progressistes ou conservatrices.
Par ailleurs, la Russie est membre permanent du Conseil de sécurité de l’ONU, elle est aussi membre du Quartette. Et puis, je ne vous le cache pas, à mon arrivée ici il y a six mois, j’ai été impressionné par la qualité et la sophistication de la classe politique et de la machine diplomatique russes. Il y a ici des orientalistes de grand calibre, un réservoir de talents vis-à-vis du Moyen Orient que je n’ai pas rencontré à Washington. Donc il est clair que Moscou a tous les atouts pour jouer un rôle important et d’après ce que je comprends, elle est prête à le faire à tout moment.
LCDR : Malgré ce potentiel diplomatique, le Proche Orient n’est-il pas un peu éloigné de l’épicentre des intérêts russes, à savoir le Caucase et les pays de la CEI ?
A.S. : Nous vivons dans un monde qu’il y a 40 ans déjà Marshall McLuhan qualifiait de « village planétaire ». Le monde se rétrécit quotidiennement avec les avancées technologiques. Il n’y a plus de conflits régionaux. Tous les conflits régionaux ont des dimensions globales. Et si il y a un conflit régional à caractère global, c’est bien le conflit qui se déroule en ce moment en Palestine, à l’intersection de trois continents majeurs, l’Europe, l’Afrique et l’Asie, sur une terre sainte pour la majorité de la population mondiale. Prétendre que le Moyen Orient est éloigné de Moscou, c’est être myope.
LCDR : Qu’attendez-vous précisément de la Russie ?
A.S. : Les Russes prennent des positions justes, que ce soit au conseil de sécurité de l’ONU à New York ou à la Commission des droits de l’homme à Genève. Ils se sont aussi activés pour envoyer de l’aide matérielle, des tentes, des couvertures, des médicaments. Quatre avions sont arrivés à l’aéroport Al-Arish dans le Sinaï égyptien et leur chargement a été acheminé vers Gaza grâce aux agences onusiennes. Je ne peux qu’encourager tous les pays à imiter la Russie en apportant leur aide au peuple palestinien.
LCDR : Moscou projette d’accueillir, en avril ou mai, une conférence israélo-palestinienne pour relancer le processus de paix. Comment vous y préparez-vous ?
A.S. : J’ai comme instruction, et cela correspond à ma conviction et à mon inclination personnelle, de coopérer avec les Russes pour que la conférence de Moscou soit une réussite. D’ici là, nous aurons une nouvelle administration américaine, peut-être moins souple à l’égard d’Israël, mais aussi un nouveau gouvernement israélien, probablement bien plus radical que l’équipe actuelle. Dans les quelques semaines qui nous restent, il est de notre devoir de comprendre pourquoi le processus d’Annapolis a été un échec. Cet échec m’offense et m’humilie en tant que diplomate.
N’oubliez pas que nous sommes en 2009, c’est à dire 18 ans après la conférence convoquée à Madrid et 16 ans après la percée historique d’Oslo. Le processus de paix aurait dû durer 5 ans, pas 18. Durant ces années de paix théorique, Israël ne s’est pas retiré des territoires occupés, au contraire, il a étendu son occupation des territoires palestiniens en élargissant ses colonies de peuplement.
Je répète souvent à mes interlocuteurs cette phrase pessimiste de Hegel : « De l’histoire nous avons appris que nous n’avons rien appris de l’histoire ». A mon avis, il ne se fâchera pas si nous prouvons qu’il s’est trompé. Dans le dialogue que j’engage aujourd’hui avec mes interlocuteurs russes, y compris au plus haut niveau, nous essayons de comprendre l’échec d’Annapolis pour le dépasser. La leçon principale que nous tirons est la suivante : trop de place a été accordée aux belligérants locaux.
Nous, les Palestiniens, nous avons dû négocier malgré un rapport de forces très déséquilibré, tandis qu’Israël a eu l’illusion de pouvoir dicter les conditions et le rythme du processus de paix. La volonté internationale doit prévaloir sur l’humeur capricieuse d’un des acteurs régionaux.
La paix est trop importante pour être laissée aux Israéliens. La boussole qui doit nous guider, c’est le droit international, les résolutions onusiennes. Il faut donner la primauté à l’ONU et au Quartette. Ensuite, le contenu du processus de paix est connu. Il n’est guère besoin de créativité diplomatique supplémentaire pour définir ce qui doit être fait. Ce qui manque, c’est la volonté politique.
Je dis souvent à mes interlocuteurs israéliens : « un territoire qui a été occupé en 19673 en six jours, peut aussi être évacué en six jours, pour que vous puissiez, vous Israéliens, vous reposer le septième, tandis que nous nous attèlerons à ces tâches fascinantes que sont la construction nationale et la reconstruction économique ». Je suis impatient.
LCDR : La Russie parle non seulement au Hamas, mais aussi à la Syrie, à l’Iran, tout en maintenant de bonnes relations avec Israël. Est-ce qu’elle joue vraiment toutes les cartes qu’elle a en main compte tenu de cette position inédite ?
A.S. : Je ne vous cache pas, ça reste à voir. Il y a un défi et une opportunité pour Moscou et pour le monde. J’espère qu’ils joueront toutes leurs cartes. Le fait qu’ils aient un rapport intime avec Israël peut aussi être tourné en atout. Dans les années 1990, un million de Juifs russes et de Russes non juifs ont émigré en Israël. La grande majorité d’entre eux s’est rangée aux côtés de partis radicaux, extrémistes, voire racistes. Ces Israéliens d’origine russe représentent un habitant sur six et leurs partis ont maintenant 15 députés à la Knesset. Il y a donc une masse critique importante.
La Russie peut prendre l’initiative de rencontres triangulaires entre des parlementaires ou des chercheurs russes, des membres du mouvement national palestinien et des représentants influents de la communauté israélienne d’origine russe.
C’est un sujet innovant que j’ai abordé avec mes interlocuteurs russes en leur disant : «Là il y a un rôle que vous seuls pouvez jouer.» Ils sont très intéressés par l’idée, mais il faut que les choses se calment, je l’espère le plus tôt possible, pour que de telles rencontres puissent démarrer. Il y aura la conférence de Moscou, qui sera l’apogée de la diplomatie officielle russe. Je compte aussi sur cette diplomatie parallèle, qui me semble très prometteuse.
Source : Le Courrier de Russie
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