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Ramallah - 12 février 2004
Par Amira Hass
Dans les trois dernières années, ils ont déjà goûté au check points qui les empêchent d’accéder aux villages voisins, ou à la ville principale de la région, Ramallah.
Et même si la porte ou les portes de la barrière « secondaire » orientale sont ouvertes la plupart du temps : à Rantis, à Budrus et dans les autres villages, ils montrent les cartes et la nouvelle géopolitique qui se crée sous leurs yeux.
Les deux petites enclaves palestiniennes créées à l’ouest de Ramallah laissent deux larges blocs de colonies à l’extérieur, qui coupent profondément dans le territoire palestinien et qui rejoignent Israël lui-même , au point où on ne voit plus qu’il y avait une Ligne Verte.
Manifestation contre le Mur à Budrus
Un chien noir à l’air sérieux, aux yeux presque vides, traversait librement la bande de terre dénudée située à l’ouest des villages de Qibiya et de Budrus , et qui s’étend à partir du village de Rantis, à quelque cinq km au nord.
Un jeune habitant de Qibyia qui servait de guide aux visiteurs parmi les oliviers et les vergers de son village jusqu’à la barrière, traversa en hâte le fossé creusé de chaque côté de la route, et disparut entre les arbres.
La raison de cette hâte fut bientôt claire : un véhicule de sécurité israélien approchait du nord vers ces gens qui marchaient sur la bande exposée, dès qu’il les eût détectés.
Le véhicule s’arrêta et deux hommes en sortirent. Le plus petit et plus âgé des deux, portant un fusil, venait de Kfar Yonah ; le second venait d’une communauté bédouine de Galilée.
Celui qui avait le fusil exigea sur un ton de colère que les visiteurs à pieds partent immédiatement, ou il appellerait la police, pour qu’ils vous expliquent, si vous insistez, que ceci est une zone militaire fermée, même s’il n’avait aucun papier le prouvant.
Son ami, qui avait fait sept ans dans l’armée et en était parti il y a six mois, calma les choses avant qu’elles ne s’échauffent.
L’homme au fusil affirma que la présence de caméras encourage les gens à venir manifester, et c’est comme ça que les émeutes commencent. "C’est pas vous, par votre travail, qui provoquez les vagues d’émeutes ?", demandait-il, et la question n’était pas vraiment comprise.
De quoi parlez-vous ?
Nous faisons notre travail, expliquait le plus jeune. Et je suis évidemment pour la barrière, pour ne pas exploser avec ma famille dans un restaurant .
Les "émeutes" dont parlaient les deux hommes sont une série de manifestations contre la barrière, que les habitants de Budrus font depuis environ un mois. "Nous avons décidé, qu’à la différence des autres endroits où jusqu’à présent, c’étaient les militants de la paix internationaux qui menaient la bataille et nous, les Palestiniens, qui les soutenions, nous, les habitants de Budrus, allions mener notre propre combat."
Ce sont les paroles d’Ayad Mourar, 42 ans, militant de longue date du Fatah, et qui, avec son frère Naïm fut parmi les fondateurs du comité populaire du village « pour la lutte contre le mur de l’apartheid ». Le comité insistait auprès des gens pour que la lutte contre les bulldozers et les nombreux policiers et soldats qui les protègent soit menée sans violence.
Couvre-feu et arrestations
Tous les habitants sont venus manifester, jeunes et vieux, hommes et femmes. Ce qui avait commencé comme une grève le long de la route a culminé le 30 décembre. Quelqu’un a vu un bulldozer approcher l’oliveraie. L’imam de la mosquée l’a rapidement annoncé sur le haut-parleur, et tous ceux qui étaient au village sont accourus vers l’ouest et les oliviers.
Les écoliers sont sortis de classe, les livres à la main. Les gaz lacrymogènes, les balles en caoutchouc, et les coups n’ont pas arrêté les villageois, qui se sont d’abord dispersés, puis sont revenus là, ou se sont assis par terre devant la police.
Des témoins rapportent que les écolières se sont assises devant les nombreux soldats, qui ont alors fait retraite avec leurs jeeps. L’apparition de caméras de télévision a certainement aidé.
Les jours suivants, les Forces Israéliennes de Sécurité ont imposé un couvre-feu au village pour empêcher les habitants de sortir manifester. Des hommes, surtout jeunes, ont violé le couvre-feu et sont allés dans l’oliveraie, pour empêcher les bulldozers de faire leur travail. Jusqu’à cette semaine, ceux-ci ne sont pas revenus, après avoir déraciné environ 60 oliviers. Les gens de Budrus attribuent cela à leur entêtement et à leur détermination.
Quelques jours après la manifestation, l’armée a arrêté Naïm Mourar. Il a été relâché le 11 janvier, mais n’a pas réussi à rester chez lui plus de trois jours, quand l’armée est revenue les arrêter, lui et son frère Ayad. Le procureur militaire a demandé qu’ils soient placés en détention administrative.
Au tribunal militaire de la base d’Ofer, le juge, Major Adrian Agassi, a décidé de relâcher Ayad. "J’ai pensé normal d’intervenir dans une décision du Commandant". a écrit Agassi dans ses attendus.
"Après tout, nous ne pouvons permettre au commandement militaire d’utiliser son autorité pour ordonner la détention administrative d’une personne uniquement à cause de son activité ( contre la barrière ).
A mon avis, c’est une décision erronée qui ne provenait pas clairement de raisons de sécurité".
Mais le juge a décidé d’approuver la décision du commandant de placer Naïm Mourar en détention administrative.
Comme il est l’habitude pour la détention administrative, seul le juge a eu le droit de consulter les documents secrets que lui avaient fournis les services de sécurité du Shin Beth, et d’après ces documents, "les renseignements en notre possession lui attribuent une activité de soutien du terrorisme, dans le contexte de l’organisation Tanzim."
Mais à Budrus, les gens sont convaincus que la seconde détention de Naïm Mourar, comme celle de huit autres militants anti-mur, est une tentative de démantèlement de l’opposition dans le village. De l’oliveraie menacée de Budrus, on entend des coups de feu : des exercices de tir. Ils viennent de la base d’Adam, à quelque douzaines de mètres à l’ouest, à 20 ou 30 mètres à l’ouest de la Ligne Verte.
A Budrus, on pense qu’à cause de cette base de l’armée, le chemin suivi par la barrière a été déplacé dans la belle oliveraie dont ils prennent soin depuis des décennies . Budrus a perdu la plupart de ses terres en 1948 : plusieurs milliers de dunums, certains comptent jusqu’à 20 000 (=2000 ha, NdT), demeurés du côté occidental de la Ligne Verte.
Quelques terres sont restées dans la zone démilitarisée, dans laquelle Israéliens comme Jordaniens n’avaient pas le droit de pénétrer. D’après les villageois, la zone démilitarisée est devenue israélienne depuis 1967, et ils n’avaient pas le droit d’y retourner cultiver leurs terres.
Le chemin prévu d’après la carte des services de sécurité israéliens semble coïncider exactement avec la Ligne Verte. En réalité, toute la différence se trouve dans plusieurs douzaines de mètres à l’est de la Ligne Verte. Maintenant, des 5000 dunums (=500ha) qui resteront aux quelque 1400 habitants de Budrus, ils estiment qu’ils en perdront environ un cinquième.
Une partie de ces terres est confisquée pour la construction même de la barrière, et une partie du village restera derrière : entre la barrière et la Ligne Verte.
Les villageois estiment que 3000 oliviers, sur une aire d’environ 5000 dunums, seront perdus sous les dents des bulldozers, ou seront piégés dans des zones interdites d’accès.
Ils se disent que la "barrière", en fait deux fossés qui seront creusés de chaque côté, et les deux barrières de barbelés, et la barrière électronique avec ses capteurs, et les routes de patrouille entre eux, et les tours d’observation, toucheront presque certaines des maisons le plus à l’ouest du village, y compris l’école.
Une enclave prison
Ici, à l’ouest de Kibiya et de Budrus, l’occupation et la préparation des terres se font dans le contexte de la deuxième phase de construction de la barrière de sécurité. D’après le plan, et tant que rien n’est changé, deux enclaves seront créées à l’ouest de Ramallah.
Ce sont deux des 81 enclaves palestiniennes qui ont été créées ou le seront le long de la barrière, et qui sont discutées dans de rapport de B’Tselem. Certaines seront entre la barrière et la Ligne Verte, certaines dans de petites « boucles » créées par la barrière, d’autres encore seront le résultat d’«obstacles secondaires », comme dit l’armée.
Budrus est l’un des neuf villages palestiniens qui se retrouvent dans une enclave d’une surface de 53,2 kilomètres carrés. Ceux-ci incluent Luban al Gharabiyeh, Rantis, Qibiya, Shabtin, Budrus, Midya, Na’lin et Dir Kadis.Le village de Midiya sera entièrement encerclé par la barrière, comme dans une boucle.
Il suffisait de regarder la carte des services de sécurité pour voir qu’une enclave serait créée là. Le chemin suivi par les barrières orientale et occidentale sont de la même couleur, comme s’il n’y avait aucune différence entre elles.
Les porte-paroles militaires ont en fait expliqué à l’équipe de soutien des négociateurs palestiniens que la barrière orientale ne serait pas similaire à l’occidentale, et se composerait de ce qui est appelé un « obstacle secondaire » ( un système de fossés et de barrières de barbelés), et d’une porte à l’est, vers Ramallah et les villages environnants - qui serait fermée à clé et interdite seulement en cas d’alerte.
De toute façon, les habitants du village, qui savent qu’ils perdent des centaines d’hectares de leurs terres, ne sont pas rassurés par cette promesse.
Au cours des trois dernières années, ils ont déjà goûté au check points qui les empêchent d’accéder aux villages voisins, ou à la ville principale de la région, Ramallah. Et même si la porte ou les portes de la barrière « secondaire » orientale sont ouvertes la plupart du temps : à Rantis, à Budrus et dans les autres villages, ils montrent les cartes et la nouvelle géopolitique qui se crée sous leurs yeux.
Les deux petites enclaves palestiniennes créées à l’ouest de Ramallah laissent deux larges blocs de colonies à l’extérieur, qui coupent profondément dans le territoire palestinien et qui rejoignent Israël lui-même , au point où on ne voit plus qu’il y avait une Ligne Verte.
« C’est pour cela que nous nous battons contre la barrière, »dit Ayad Murar, parlant de cette nouvelle géographie. « Cela fait partie de notre lutte pour une solution pacifique au conflit—l’établissement d’un Etat palestinien à côté d’Israël. »
Entre novembre et décembre 2003, des ordres militaires ont commencé à être affichés à Rantis, à Budrus et d’autres villages, concernant la « saisie provisoire » de terres (jusqu’à décembre 2005) pour des raisons militaires. Suivant ces ordres signés du Chef d’Etat Major le Général Moshe Kaplinsky, la largeur des bandes de terre confisquées aux villages ira de 68 à 490 mètres. La longueur totale de la barrière (primaire et secondaire) qui entourera les neuf villages de l’enclave : 32,2 kilomètres.
Pendant ce temps, certains habitants de Budrus continuent de se faufiler en Israël à pieds, pour gagner leur vie, surtout dans la construction. D’autres, qui ont perdu leur emploi en Israël ces dernières années, ont trouvé du travail à Ramallah ou ses environs. Mais s’ils sont enfermés dans une enclave, ils le perdront sans doute. Les employeurs palestiniens ne peuvent pas supporter les incidents de retard fréquents causés par les routes fermées et les check points.
On leur dit : "Venez habiter à Ramallah, ou quittez ce travail". Les propriétaires d’épiceries sentent bien la différence. Les gens viennent rarement, achètent à crédit, et uniquement ce qui est essentiel. Il est dur d’imaginer ce qui va se passer d’autre quand la grande oliveraie sera écrasée sous les dents des bulldozers ou avalée de l’autre côté de la barrière, et quand il ne sera plus possible de travailler en Israël.
Source : www.haaretz.com
Traduction : Jean-Luc Mercier
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