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Palestine - 21 janvier 2014
Par Tariq Dana
Résumé
- La dette publique permet aux capitalistes de faire pression sur l'Autorité palestinienne pour qu'elle adapte sa politique en favorisant les grandes entreprises privées qui menacent de retirer leurs investissements et d'en retarder d'autres.
- Des capitalistes palestiniens ont tenté de pratiquer un contrôle social en recrutant la société civile pour servir leurs objectifs, en travaillant aux côtés des principaux bailleurs de fonds internationaux.
- Des monopoles sont sélectivement accordés aux capitalistes palestiniens qui bénéficient d'une proximité particulière avec les entreprises israéliennes, qui leur accordent des privilèges en retour. L'impact sur l'économie palestinienne est dévastateur.
- Les influences politiques et sociales des capitalistes palestiniens complices de projets de normalisation sont un obstacle structurel à la lutte anti-coloniale.
Maquette du projet de ville-dortoir "Rawabi", entre Ramallah et Naplouse. Le concepteur du projet, l'industriel palestinien Bashar Masri, a été condamné par le mouvement BDS pour ses activités de normalisation avec la puissance occupante.
Aperçu
Alors que la plupart des Palestiniens vivant sous occupation israélienne luttent pour survivre, un groupe puissant de capitalistes palestiniens est en plein essor, jouissant d'une influence politique, économique et sociale croissante, et traite avec les Israéliens comme un partenaire d'affaire "normal" plutôt qu'une puissante occupante.
Influence sur le processus politique
Comme les autres Palestiniens, les hommes d'affaires ont lutté avec le statut d'apatrides [1], et cherché la sécurité qu'un Etat pouvait leur procurer. Beaucoup d'entre eux ont soutenu les accords d'Oslo comme une étape clé vers la création d'un Etat palestinien, certains ont même imaginé que les "dividendes de la paix" transformeraient la Cisjordanie et la Bande de Gaza en Singapour du Moyen-Orient.
L'adoption officielle du néolibéralisme par l'Autorité palestinienne (AP) a contribué à créer un cadre institutionnel qui permet à des groupes d'intérêt économique de manipuler la politique au service de fins privées. Le néolibéralisme, combiné avec l'autoritarisme politique et la corruption, a renforcé et consolidé ce qu'on peut décrire comme le capitalisme de copinage de l'AP.
En favorisant des groupes privilégiés d'un point de vue politique et économique, ce système a entravé la compétitivité du marché et exclu la majorité de la population de l'accès à des opportunités économiques significatives. Ce fut particulièrement le cas en ce qui concerne la collusion politique et sécuritaire de l'élite de l'AP avec des conglomérats de la diaspora, en gérant des monopoles publics-privés à grande échelle, avec plus de 25 principaux produits importés [2].
Le contrôle social par le biais de la dette et autres moyens
Un aspect du contrôle social est la facilitation de prêts privés, ce qui a encouragé une culture de la consommation et a poussé beaucoup de gens dans le piège de l'endettement. On estime que 75% des employés du secteur public [3] sont actuellement endettés. La dette personnelle sert principalement à financer la consommation. Cela a des conséquences sociales majeures, car cela favorise un sentiment d'individualisme et entraîne des préoccupations personnelles privées qui poussent systématiquement les gens à abandonner les problèmes nationaux cruciaux.
De même les capitalistes locaux exploitent et contrôlent les ouvriers d'usines, où ceux-ci touchent des salaires bien inférieurs [4] au salaire minimum [5] des fonctionnaires. Cette exploitation et ce contrôle de la main d’œuvre palestinienne sont exacerbés par le manque de syndicats efficaces, qui ont été considérablement affaiblis tant par l'AP que par les capitalistes.
Il est à craindre que le système d'exploitation et de contrôle des travailleurs soit élargi et institutionnalisé dans les zones industrielles qui visent à intégrer le capital régional palestino-israélien pour exploiter le bassin de main d’œuvre palestinienne bon marché. En outre, les zones industrielles [6] n'appliqueront pas le droit du travail palestinien ou israélien, les niveaux de salaires et autres conditions de travail, et les syndicats seront interdits.
La normalisation avec l'occupation par la voie économique
La normalisation économique est institutionnalisée dans un large éventail d'activités communes telles que les zones industrielles conjointes, les forums d'affaires israélo-palestiniens, les investissements palestiniens en Israël et dans les colonies, et la gestion conjointe des ressources en eau. C'est le plus haut niveau d'activité de normalisation [7] dans l'histoire de la lutte palestinienne de libération nationale.
Des groupes travaillant pour les droits de l'homme et l'auto-détermination des Palestiniens ont ouvertement dénoncé [8] certains de ces capitalistes palestiniens de copinage, qui rétorquent qu'ils sont simplement au service de l'économie palestinienne et de la détermination du peuple.
Que faut-il faire ?
L'influence politique et sociale des capitalistes palestiniens de copinage et leur normalisation économique actuelle avec l'occupation israélienne doivent alarmer tous ceux qui se préoccupent de l'avenir de la cause palestinienne [9]. En courant après leurs profits [10], sans égard pour les droits fondamentaux et les aspirations nationales des Palestiniens, ces capitalistes sont allés trop loin. Plusieurs mesures peuvent et doivent être prises, y compris :
- les hommes d'affaires et les investisseurs locaux doivent résister aux tentatives israéliennes d'impliquer le capital palestinien dans des projets de normalisation,
- le capital palestinien doit être réglementé et surveillé avec rigueur afin de s'assurer qu'il serve les objectifs nationaux palestiniens,
- des campagnes soutenus de boycott, désinvestissement et sanctions sont nécessaires pour rendre intenable la position des capitalistes palestiniens,
- l'investissement et le développement des entreprises doivent prendre en compte les droits de l'homme et la dignité des Palestiniens, et réduire progressivement les niveaux de dépendance vis-à-vis de l'aide internationale,
- il est nécessaire de développer un modèle basé sur le concept d'économie de résistance [11] pour une juste redistribution de la richesse nationale.
Notes de lecture :
[1] http://www.merip.org/mer/mer142/exile-bourgeoisie-palestine
[2] http://duncankennedy.net/documents/Is-Pal/Second-Syllabus/Sara%20Roy,%20De-Development%20Revisited.pdf
[3] http://www.alquds.com/news/article/view/id/457732
[4] http://www.mas.ps/2012/sites/default/files/Round%20Table%209%20%20The%20Minimum%20Wage-.pdf
[5] http://www.google.com/hostednews/afp/article/ALeqM5if9jE720JGyYhZ2gXI2SPjsCigFw?docId=CNG.af1b23fe03686edb11f1d5f20e2e62a9.371
[6] http://mrzine.monthlyreview.org/2008/hanieh190708a.html
[7] http://pacbi.org/etemplate.php?id=1749
[8] http://www.bdsmovement.net/2012/bnc-denounces-bashar-masri-normalization-9500
[9] http://www.jadaliyya.com/pages/index/6347/دور-الرأسمال-الاستثماري-الخاص-في-التنمية-المحلية-ا
[10] http://www.africaworldpressbooks.com/servlet/Detail?no=908
[11] http://al-shabaka.org/policy-brief/economic-issues/defeating-dependency-creating-resistance-economy?page=show
Télécharger l'article intégral de Tariq Dana.
Ecouter et lire l'entretien (en anglais) des journalistes Lia Tarachansky et Max Blumenthal avec Munib al-Masri, "l'homme le plus riche de Palestine", qu'ils ont rencontré dans son palais, à Naplouse (clairement visible depuis le camp de réfugiés de Balata...) : "In the Home of the Richest Man in Palestine".
Source : Al Shabaka
Traduction : MR pour ISM
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