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Palestine - 26 juin 2006
Par Lisa Taraki
Taraki est professeur assistant de sociologie à l'Université de Bir Zeit
Ce qui est particulièrement important, pour nous qui appelons à un boycott des universités israéliennes, c'est le fait que ces universitaires, au lieu d'être confrontés au rejet et à l'opprobre de leurs pairs en raison de leur complicité avec l'oppression, sont, bien au contraire, récompensés par les plus grands privilèges. La tolérance du racisme et de l'extrémisme sous les oripeaux de la recherche est tout aussi remarquable ; la légitimité et la normalité qui semblent entourer le discours de la «menace démographique» en sont un exemple frappant
Bien que la carrière de Menahem Milson et la mienne se soient trouvées sur une même trajectoire, risquant la collision, nous ne nous sommes jamais rencontrés.
En 1976, j'ai intégré l'Université de Bir Zeit, en Cisjordanie occupée, en tant que maître-assistant en sociologie.
Cette même année, Milson, un professeur d'arabe de l'Université Hébraïque de Jérusalem est devenu "conseiller ès affaires arabes" auprès du gouvernement israélien.
En 1981, tandis que la communauté universitaire à laquelle j'appartenais se débattait sous le joug écrasant des punitions collectives israéliennes, il fut nommé chef de l'administration militaire pour la Cisjordanie .
Un des hauts-faits de sa mandature fut le projet tristement célèbre des "ligues villageoises", une expérimentation désastreuse consistant à encourager l'émergence d'une classe de collaborateurs palestiniens chargés d'assurer une "médiation" dans l'imposition de la loi de l'occupant israélien.
Le service de Milson s'insère dans le paradigme classique d'un régime colonial enrégimentant des universitaires pour en faire des auxiliaires du contrôle des "indigènes".
En 1995, il a déclaré à une publication juive américaine qu'afin "d'être au service d'une population arabe d'une manière responsable, il faut connaître la langue et la civilisation arabes. C'est la raison pour laquelle beaucoup de professeurs ont été invités à les étudier".
De fait, la liste des universitaires israéliens qui se sont mis au service des officines gouvernementales contribuant au régime d'occupation est impressionnante.
Aujourd'hui, cette liste compte des démographes, des psychologues et une cohorte d'analystes ès stratégie.
Ce qui est particulièrement important, pour nous qui appelons à un boycott des universités israéliennes, c'est le fait que ces universitaires, au lieu d'être confrontés au rejet et à l'opprobre de leurs pairs en raison de leur complicité avec l'oppression, sont, bien au contraire, récompensés par les plus grands privilèges.
La tolérance du racisme et de l'extrémisme sous les oripeaux de la recherche est tout aussi remarquable ; la légitimité et la normalité qui semblent entourer le discours de la « menace démographique » en sont un exemple frappant.
Les opposants au boycott universitaire objectent qu'il violerait les libertés académiques en restreignant l'accès des chercheurs israéliens aux réseaux de recherche internationaux.
Ces opposants prétendent aussi que, les universités israéliennes étant généralement "progressistes", cette action aurait pour effet de punir les gens parmi les moins partisans de la politique de leur gouvernement.
Ces objections dénotent un mépris remarquable pour l'indivisibilité de la liberté académique (on dirait que, pour ces contempteurs du boycott, la liberté académique des Palestiniens compte pour rien) et elles déforment la réalité de l'université israélienne et des universitaires israéliens.
Quand je suis arrivée à Bir Zeit, la première institution d'enseignement supérieur créée par les Palestiniens dans les territoires occupés, son président venait d'être déporté par l'armée israélienne. Il était accusé d'avoir "incité" les étudiants contre l'occupation. Il a vécu dix-neuf années en exil, jusqu'en 1993, année où il fut autorisé à revenir.
La résistance à l'occupation s'étant accrue, dans les années 1980, les universités palestiniennes furent soumises à un régime constant d'"ordres de fermeture", en représailles contre les manifestations étudiantes.
Dès qu'un ordre militaire de fermeture était promulgué, nous autres, étudiants et profs de cette jeune université, nous nous mobilisions dare-dare et nous envoyions des appels aux consulats occidentaux, aux médias et aux organisations de défense des droits de l'homme.
Les arrestations faisant invariablement suite aux ordres de fermeture, nous avions pris l'habitude de préparer les étudiants à leur rencontre du troisième type avec le système de la "justice" militaire.
Nous assistions aux procès qui se déroulaient dans des tribunaux militaires sordides - procès où certains des procureurs et des juges étaient des universitaires effectuant leur période de réserviste. Je me souviens encore de ces individus insipides, qui faisaient tout pour éviter de croiser le regard des universitaires palestiniens qui les observaient, depuis la salle.
Plus tard, alors que nous avions organisé des cours magistraux et des laboratoires de fortune, répartis dans tout Ramallah et Jérusalem, nous nous ingénions à échapper aux patrouilles de l'armée israélienne qui s'ingéniait à criminaliser nos efforts visant à sauver un semestre, voire une année universitaire entière.
Je me souviens avoir enseigné un séminaire sur la révolution iranienne dans la cuisine d'un appartement vide, à Ramallah. Je me rappelle aussi m'être déplacée à Gaza afin d'aider un étudiant en maîtrise, soumis à l'assignation domiciliaire, à effectuer ses démarches d’inscription (ce voyage, comme le premier, à Jérusalem, n'est plus concevable, et nous ne recevons plus aucun étudiant originaire de Gaza).
Où étaient les chercheurs israéliens durant les longues années où l'enseignement supérieur palestinien était en état de siège ? Mis à part une poignée de chercheurs progressistes, le milieu universitaire israélien a observé un silence ssourdissant.
'Business as usual' ; tel fut pour lui l'ordre du jour, durant près de quarante ans.
Pratiquement tous les universitaires israéliens ont continué à effectuer leur service de réservistes dans l'armée israélienne et, partant, ils ont perpétré les nombreux crimes commis par leur armée, ou dans le meilleur des cas, ils en ont été passivement les témoins.
Que pouvons-nous faire d'autre que boycotter ?
Les centres mondiaux de pouvoir ont soutenu Israël sans défaillir tandis qu'il semait la dévastation dans la vie et l'avenir des Palestiniens.
Notre seul espoir réside dans les pressions de la société civile internationale. Et cette société civile inclut les chercheurs. Nous voulons que nos collègues, à l'étranger, sachent qu'avec chaque conférence à laquelle ils assistent, dans une université israélienne, avec chaque article qu'ils écrivent à la demande d'une institution israélienne, ils contribuent, malgré eux, à perpétuer ce système d'injustice.
Le boycott universitaire a pour but de faire en sorte que les Israéliens prennent conscience du fait qu'il y a un prix à payer pour la complicité, la complaisance et le silence.
Milson est peut-être parti à la retraite. Mais ses successeurs continuent à jouir des fruits de la liberté académique au sein de l'université israélienne. Quant aux autres, ils sont indifférents.
Source : The Times Higher Education Supplement
Traduction : Marcel Charbonnier
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