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Israël - 4 mai 2007
Par John Elmer
Jeff Halper, anthropologue, est le Coordinateur du Comité Israélien contre les Démolitions de Maisons [ICAHD – Israeli Committee Against House Demolitions]. John Elmer effectue actuellement des reportages depuis la Palestine, il est l’éditeur de http://www.FromOccupiedPalestine.org. Cet entretien a été effectué le 20 septembre 2003.
Israël n’a pas besoin de procéder à un nettoyage ethnique, à ce stade, parce qu’il est dans une situation où il contrôle la totalité de la Palestine historique.
Un Etat palestinien est une nécessité, pour Israël, parce que tant que vous n’aurez pas mis les Palestiniens dans un Etat qui leur soit propre, Israël sera réellement confronté à un danger existentiel.
Il y a trois millions et demi de Palestiniens dans les Territoires, et près d’un million en Israël, qui menacent la majorité juive. Aussi, le seul moyen pour conserver une majorité juive, c’est de contrôler l’ensemble de la Palestine historique.
C’est-à-dire, de prendre les Palestiniens, de les mettre dans ces petits îlots, et de les appeler "Etat". C’est ce qu’Israël va tenter de faire.
John Elmer : [J.E.] : Vous utilisez l’expression "matrice de contrôle" pour décrire l’occupation israélienne ? Pouvez-vous nous expliquer de quoi il s’agit, et comment cette matrice de contrôle fonctionne-t-elle ?
Jeff Halper [Halper] : Le conflit israélo-palestinien est souvent présenté en termes de territoires : la fin de l’occupation, un Etat palestinien viable, et ce que cela signifie en termes de territoires. Mais deux Etats, et la cessation totale de l’occupation, même dans le meilleur des scénarios, n’est pas la solution la plus satisfaisante.
La totalité de l’Etat palestinien n’occuperait que 22 % du pays, et il serait divisé entre la Cisjordanie et la bande de Gaza. L’Etat d’Israël, aujourd’hui, à l’intérieur des frontières de 1967, représente 78 % de la superficie du pays (= la Palestine historique, ndt).
J.E. : Ainsi, même dans la situation idéale, après la fin de l’occupation et un retrait total d’Israël à l’intérieur de ses frontières antérieures à 1967, l’Etat palestinien ne représenterait que 22 % du territoire du pays ?
Halper : Israël ne peut pas concéder plus que cela – et encore, la question se pose encore. Mais si Israël veut un Etat palestinien, c’est (uniquement) parce qu’il veut se débarrasser de trois millions et demi de Palestiniens. Les Palestiniens qui vivent, aujourd’hui, dans les Territoires occupés.
Au cas où il ne pourrait pas les expulser du pays, Israël veut tout au moins les enfermer dans un mini-Etat du type bantoustan. Ainsi, le problème est cantonné dans les considérations territoriales, et la question – fondamentale – qui est occultée est celle du contrôle de ce territoire.
Le problème est le suivant : les Palestiniens, à la fin des fins, auront-ils un Etat disposant d’un potentiel de développement économique, d’une souveraineté politique réelle, du contrôle de ses frontières, de ses ressources, comme, notamment, l’eau ?
Les Palestiniens auront-ils un Etat établi sur un territoire cohérent, à l’intérieur duquel les gens pourront se déplacer librement ?
Sera-ce un véritable Etat, même si cet Etat est petit, s’agira-t-il d’un bantoustan contrôlé par Israël ?
Et si tel est le cas, la matrice de contrôle nous indique de quelle manière Israël contrôle les Palestiniens : en incorporant la Cisjordanie à Israël proprement dit au moyen de routes, en connectant les réseaux électriques, les réseaux d’eau, les services urbains, etc.
Elle nous indique qu’Israël entend conserver le contrôle militaire, le contrôle sur certaines parties du pays, comme Jérusalem et certaines parties de la Cisjordanie , ce qui aura pour résultat, au final, de concéder aux Palestiniens des îlots non-viables.
Cette matrice de contrôle nous indique de quelle manière s’opère la planification juridique, administrative et bureaucratique afin de contrôler les déplacements, les constructions et l’activité économique des Palestiniens.
En d’autres termes, ce que nous indique la matrice de contrôle, c’est qu’au-delà du problème du contrôle militaire, et parallèlement au problème territorial, Israël exerce un contrôle très serré et multiforme sur la Palestine. I
sraël contrôle l’eau, les frontières, Jérusalem, l’armée des Palestiniens, leur liberté de mouvement. Et à moins que la matrice de contrôle ne soit démantelée, nous n’aurons pas fait grand-chose.
La différence entre un Etat palestinien – fût-il minuscule – et un bantoustan, c’est précisément l’existence, ou non, de cette matrice de contrôle.
Aujourd’hui, je ne pense pas qu’il soit possible de la démanteler. Je pense qu’elle est allée beaucoup trop loin, et que l’occupation est définitive. Nous vivons dans un état d’apartheid.
Mais tout le monde n’est pas d’accord avec moi sur ce point. Uri Avnery n’est pas d’accord avec moi.
Les gens qui sont en faveur d’une solution à deux Etats persistent à penser que nous pouvons mettre un terme à l’occupation, ou que nous pouvons la rouler un peu, comme un tapis, tout juste assez pour qu’un semblant d’Etat palestinien puisse émerger…
Mais le danger, chez ceux qui se prononcent pour un Etat palestinien (et donc, pour une solution à deux Etats, ndt), c’est qu’ils ne comprennent pas les dimensions de ce contrôle israélien. En réalité, ils ne font que militer en faveur de l’instauration d’un bantoustan !
Je m’explique : Sharon, lui aussi, veut un Etat palestinien ; il veut un Etat entièrement contrôlé par Israël. Ainsi, si vous vous contentez de vous focaliser sur un arpent de territoire et que vous ignorez le problème fondamental du contrôle (israélien), vous ne faites, en fin de compte, que prôner l’instauration d’un bantoustan.
J. E. : Voyez-vous un plan politique de long terme du côté israélien ? Ou alors, s’agit-il seulement de réactions ?
Halper : Eh bien, voyez-vous, Sharon est accusé de ne pas avoir de vision politique, et de se contenter de frapper sur l’ « infrastructure terroriste », comme ils disent. Mais je pense qu’il y a bien un véritable projet politique, très précis : l’apartheid. Sharon appelle ce plan : la cantonisation.
Il consiste en la création d’un Etat palestinien sur environ 42 % de la Cisjordanie , en trois ou quatre cantons isolés, contrôlés – tous – et encerclés – tous – par Israël.
Ce plan implique d’amener les Palestiniens à se soumettre en adoptant une direction fantoche qui signera le décret de création de ce bantoustan, cette cantonisation.
Cela implique également que l’on se débarrasse de la classe moyenne palestinienne qui s’y opposera au moyen de ce qu’il est convenu d’appeler le « transfert tranquille » - c’est-à-dire en les chassant du pays en les contraignant à un habitat médiocre, à un système éducatif indigent et au marasme économique, afin de créer une masse palestinienne extrêmement malléable qui acceptera, dès lors, simplement et passivement un bantoustan.
Sharon ne dit pas cela explicitement ; il laisse les choses dans le vague, de manière délibérée, mais c’est bien ce vers quoi il se dirige.
J. E. : S’orienter vers une solution à un seul Etat, comme vous le suggérez, augmenterait-il la possibilité d’un nettoyage ethnique « traditionnel » ? Comme l’a dit Sharon, il y a déjà un Etat palestinien : la Jordanie… ?
Halper : Cela dépend du degré de la menace ressentie par Israël. Israël n’a pas besoin de procéder à un nettoyage ethnique, à ce stade, parce qu’il est dans une situation où il contrôle la totalité de la Palestine historique. Un Etat palestinien est une nécessité, pour Israël, parce que tant que vous n’aurez pas mis les Palestiniens dans un Etat qui leur soit propre, Israël sera réellement confronté à un danger existentiel.
Il y a trois millions et demi de Palestiniens dans les Territoires, et près d’un million en Israël, qui menacent la majorité juive. Aussi, le seul moyen pour conserver une majorité juive, c’est de contrôler l’ensemble de la Palestine historique. C’est-à-dire, de prendre les Palestiniens, de les mettre dans ces petits îlots, et de les appeler « Etat ». C’est ce qu’Israël va tenter de faire.
Maintenant, cela risque de ne pas très bien marcher, à cause, par exemple, de la communauté internationale, qui n’acceptera pas l’idée d’un bantoustan – comme cela s’est passé en Afrique du Sud – ou encore à cause de la résistance palestinienne, ou du développement d’un mouvement en faveur d’un seul Etat, ou encore des réfugiés, qui peuvent manifester fortement leur volonté de retourner chez eux – c’est précisément, dans ce type de situation où Israël se sentirait démographiquement – et par conséquent, de manière existentielle- menacé, qu’il pourrait avoir recours au transfert, en désespoir de cause.
J. E. : Commentant l’option de l’expulsion (des Palestiniens), David Ben-Gourion a écrit, dans les années 1930 :
« Ce qui est inconcevable en temps ordinaire devient possible dans un contexte révolutionnaire ; et si, aujourd’hui, l’opportunité est manquée et si ce qui est possible, en ces heures historiques n’est pas mené à bien – c’est un monde entier qui serait perdu. » Les assassinats (ciblés) qu’effectue actuellement Israël aujourd’hui sont-ils, à votre avis, une tentative de créer les conditions de « temps révolutionnaires », de manière très semblable à la façon dont les bombardements du Sud Liban, en 1981 et au début 1982 visaient à provoquer les inévitables représailles qui fourniraient le prétexte de l’invasion du Liban, en 1982 ?
Halper : Ces assassinats sont, en partie, une tentative de détruire toute direction nationale palestinienne authentique. Israël a besoin d’un Quisling, d’un dirigeant fantoche et collaborateur – comme ceux des bantoustans en Afrique du sud – afin d’assurer la bonne marche de son plan d’apartheid.
J’ai demandé à un ami palestinien, récemment : "Regarde, Abou Mazen (Mahmoud Abbas), cela n’a pas marché, Abu Ala (Ahmed Qureï) ne semble pas marcher mieux ; n’y a-t-il donc aucun dirigeant palestinien qui tienne la route ?
Il m’a répondu : "Non, en effet : Israël les a tous tués !".
A l’instar d’Abu Jihad (Khalil al-Wazir), chef de l’aile militaire de l’OLP, assassiné à Tunis en 1988, les dirigeants palestiniens déterminés ont été assassinés par Israël. Et aujourd’hui, Israël menace de s’en prendre à Arafat.
Le jeu, pour Israël, consiste à éliminer les dirigeants qui pourraient réellement lui tenir tête, et à ne laisser en vie que ceux des dirigeants palestiniens susceptibles de signer le marché de dupe permettant l’émergence des bantoustans qu’Israël leur réserve.
Je pense que cela fait partie de la stratégie israélienne. Israël est convaincu de pouvoir vaincre les Palestiniens militairement, qu’il peut les soumettre. Il doit donc briser les Palestiniens militairement.
J. E. : Y a-t-il une solution militaire ?
Halper : Sharon est convaincu qu’il y en a une. Le gouvernement israélien et l’armée israélienne travaillent à partir de l’hypothèse qu’il s’agit d’une situation gagnant-perdant : nous pouvons vaincre, et ils (les Palestiniens) peuvent perdre, pensent-ils.
D’ailleurs, le chef d’état-major de l’armée israélienne, Moshe Ya’alon, a déclaré au quotidien Yediot Ahronoth, il y a environ deux mois, que nous avions gagné, et que nous ne faisons pas autre chose, aujourd’hui, que le ménage.
Les assassinats s’inscrivent dans la guerre menée par Israël afin d’écraser les Palestiniens, et ils font aussi partie du processus politique consistant à éliminer les dirigeants qui n’accepteraient pas l’option « bantoustan ».
J. E. : Pouvez-vous nous décrire et expliciter ce que vous avez appelé le « paradigme panique » à l’intérieur de la société israélienne – et comment le simple fait que Sharon ait serré la main à Arafat à Oslo a profondément ébranlé le paradigme « les Arabes sont nos ennemis » ?
Halper : Des années 1920 jusqu’en 1993, toutes les générations d’Israéliens successives ont grandi dans la notion que « les Arabes sont nos ennemis ».
Nous sommes les gentils ; ils sont les méchants : ils sont des terroristes, ils ne veulent qu’une chose : nous tuer ; ils ne veulent rien d’autre que nous « jeter à la mer » - il n’y a pas de solution politique.
Après Oslo, on constate un petit changement. A Oslo, le monde entier nous regardait. Sur tous les écrans de la télévision, en Israël, on a pu voir Yitzhak Rabin, un militaire, serrant la main de Yasser Arafat.
Peut-être y aura-t-il un Etat palestinien, peut-être plus d’occupation, peut-être plus de problème de réfugiés : en voilà assez pour créer une véritable panique, que j’ai appelée le « paradigme panique ». Ainsi, par exemple, on pouvait voir en Israël un autocollant, sur les pare-chocs des bagnoles, après Oslo, affirmant : « Cette paix est un cauchemar ! ».
Mais, en 1994 et en 1995, il y eut une petite fenêtre d’opportunité où il semblait que le vieux paradigme était en train de changer. Mais cela a cessé, net, avec l’élection de Benjamin Netanyahu, en 1996.
Les attentats du Hamas contre des autobus, en 1996, suffirent à donner à Netanyahu cette fraction de pour cent des voix qui lui permirent de battre Pérès aux élections – et cela, bien entendu, aboutit à l’effondrement total de l’ensemble du processus d’Oslo. Avec Netanyahu, vous avez un retour au vieux paradigme, et cet état d’esprit-là est encore plus fort, chez les Israéliens, aujourd’hui.
E. J. : Norman Finkelstein a fait ce commentaire : les Israéliens renvoient toujours tout à plus tard, en l’attente d’un « miracle ». Il cite plusieurs exemples :
i) la déclaration Balfour de 1917, à laquelle personne ne pouvait s’attendre ;
ii) l’URSS et les Etats-Unis tombant d’accord, en 1947, sur la fondation d’un Etat juif ;
iii) au cours d’une très sérieuse crise économique, dans les années 1960, ce fut le « miracle » de la guerre de juin 1967 qui se produisit et, enfin,
iv) le "miracle" de l’immigration d’un million de juifs soviétiques, juste au moment où la "bombe démographique"» était des plus menaçante.
Pouvez-vous commenter cette vision des choses ?
Halper : C’est vrai. Nous attendons. Mais nous attendons en étant en position de pouvoir. Dans tous ces cas, que vous avez mentionnés, même si nous avons connu des problèmes, nous étions tout de même la partie dominante.
Aujourd’hui, aussi, nous attendons, parce que les Israéliens ne pensent pas qu’il y ait une quelconque solution. Et les Israéliens sont aussi terriblement désabusés ; nous avons un système politique qui donne réellement tout le pouvoir aux partis.
Vous votez pour des partis politiques, vous ne votez pas pour des candidats, en Israël, si bien qu’il y a un fossé énorme entre les partis et l’électorat.
Aucun parti politique, dans toute l’histoire d’Israël, n’a jamais obtenu une majorité à la Knesset, pas une seule fois, si bien qu’il a fallu, pratiquement toujours, créer des gouvernements de coalition, avec des partenaires que votre propre électorat n’admet pas nécessairement de gaîté de cœur.
Comme l’a indiqué Avi Shlaim dans son ouvrage Le Mur de fer, lorsque Nasser proposa sa célèbre négociation à Ben Gourion, en 1954, Ben Gourion déclina son offre. Il lui dit que les Arabes finiraient, tôt ou tard, par faire la paix avec "nous" (les Israéliens), parce que "nous" sommes les plus forts.
Les Arabes seront toujours demandeurs de paix, aussi nous n’avons aucune raison de nous précipiter. D’abord, laissez-nous obtenir tout ce que nous voulons. Vous voyez bien : ce n’est pas une attente passive !
Vous créez une situation qui vous permet de sélectionner vos opportunités, et vous êtes en situation de bondir.
La guerre de juin 1967 fut un miracle en ce sens qu’elle était totalement imprévisible. D’un autre côté, quand cette guerre a éclaté, Israël était on ne peut plus prêt, et il savait exactement ce qu’il allait faire.
En deux semaines, furent appliqués successivement le plan Dayan (installation de juifs dans des zones arabes densément peuplées, comme à Hébron), le plan Alon (création de colonies servant de "buffers", de tampons territoriaux, dans des régions stratégiques… Et voilà : Israël n’a pas eu besoin de plus de deux semaines pour prendre le contrôle de la moitié de la Cisjordanie .
Aujourd’hui, les Israéliens disent qu’il n’y a pas de solution, mais nous bénéficions du soutien des Américains, du soutien des Européens, nous sommes très forts militairement, aussi, il va bien falloir que quelque chose craque, quelque part, d’une manière ou d’une autre.
Et quand cela arrivera, nous sommes fins prêts afin d’en retirer le maximum d’avantages. Pour l’instant, nous pouvons continuer à attendre…
J. E. : Noam Chomsky a dit qu’Israël est, avant tout, une base militaire américaine avancée. Quelle fonction stratégique Israël remplit-il dans l’empire américain, et qu’est-ce que cela entraîne, pour le militantisme à l’intérieur des Etats-Unis, en termes d’exigence de fin de l’occupation ? Cela rend-il l’action militante aux Etats-Unis tout aussi importante, voire même plus importante, qu’en Israël, voire même en Palestine ?
Halper : Je ne suis pas entièrement d’accord avec Chomsky – je pense qu’il sous-estime le caractère proactif d’Israël, et à quel point Israël manipule les Etats-Unis. En un sens, si vous désirez une analyse rationnelle, vous pouvez dire que le soutien américain à Israël est contre-productif, pour les Etats-Unis.
Ce soutient met l’ensemble du monde arabe en ébullition, il a des conséquences fâcheuses pour les approvisionnements pétroliers, et nous avons aujourd’hui l’occupation américaine de l’Irak, qui ne peut manquer d’amener l’opinion à faire des comparaisons avec notre occupation en Palestine.
L’alliance entre l’Amérique et Israël avait une raison d’être à l’époque de la guerre froide.
Nous avions, en Israël, une plaisanterie qui consistait à dire que nous étions le plus grand porte-avions américain au monde. Peut-être cela avait-il un sens, à l’époque, mais : aujourd’hui ?
La clé dont tout le monde a besoin, bien que Chomsky l’ait piquée, parce que c’est précisément son domaine de recherches, c’est le fait qu’Israël s’est placé délibérément, du point de vue stratégique, au centre du réseau mondial des industries d’armement.
Les armes sophistiquées israéliennes et les logiciels militaires israéliens sont très importants pour le développement militaire, aux Etats-Unis. Israël est également devenu le principal sous-traitant des Etats-Unis en matière d’industries militaires.
L’année dernière, tout juste, Israël a signé un contrat de formation et d’équipement de l’armée chinoise. Il a signé un autre contrat similaire, portant sur plusieurs milliards de dollars, avec l’armée indienne.
Avec quoi Israël équipe-t-il l’armée indienne ? Je vais vous le dire : avec des armes américaines. D’un côté, Israël joue un rôle crucial, du fait de la sophistication de ses industries high-tech et de ses capacités commerciales.
En revanche, de l’autre, il n’y a en Israël aucune contrainte éthique, ni morale : il n’y a pas le Congrès, il n’y a aucune préoccupation en matière de droits de l’homme, il n’y a aucune loi qui interdise de toucher des pots-de-vin – le gouvernement israélien peut faire absolument tout ce qu’il veut.
Ainsi, vous avez un pays voyou très sophistiqué – non pas un état voyou à la libyenne, mais un état voyou high-tech, expert en développement militaire. Et ça, il faut bien le dire, c’est terriblement utile, tant pour l’Europe que pour les Etats-Unis.
Ainsi, le Congrès américain impose des restrictions aux ventes d’armes à la Chine, en raison des atteintes aux droits de l’homme perpétrées dans ce pays.
Alors, que fait Israël ? Il bricole des armes américaines juste assez pour les maquiller en armes israéliennes, et voilà qui permet de court-circuiter le Congrès des Etats-Unis !
Pour la part essentielle de ses activités en la matière, Israël sert de couverture aux ventes d’armes américaines aux pays du « Tiers Monde ».
Il n’y a de régime sanguinaire – Colombie, Guatemala, Uruguay, Argentine, Chili à l’époque des colonels, Birmanie, Taiwan, Zaïre, Liberia, Congo, Sierra Leone – qui n’ait des relations militaires primordiales avec Israël.
Les dealers d’armement israéliens se trouvent dans ces pays, où ils se comportent en mercenaires – le type, derrière Noriega, était Michael Harari, un Israélien, qui a pu se tirer à temps du Panama.
Les mercenaires israéliens en Sierra Leone contournent les boycotts de l’ONU, imposés à ce que nous appelons les diamants sanglants ; il en va de même en Angola.
Israël était très impliquée en Afrique du Sud, bien entendu, comme on sait, au temps de l’apartheid.
Aujourd’hui , Israël développe un système de missiles avec l’Angleterre, un nouveau type d’avion de chasse avec la Hollande, et il vient d’"acheter" trois sous-marins nucléaires sophistiquées l’Allemagne. On le voit : Israël joue dans la cour des grands !
Les trafiquants d’armes israéliens sont très à l’aise, ils sont comme des poissons dans l’eau, dans des pays rudes et troublés où les Américains se feraient bouffer tout crus : l’Ouzbékistan, le Kazakhstan, la Russie, la Chine, l’Indonésie sont des pays où les Américains ne peuvent absolument pas opérer, d’une part en raison des pratiques du business qui y prévalent, d’autre part parce que des contraintes politiques (du Congrès) et juridiques les en empêchent. C’est là précisément le chaînon manquant.
Si vous consultez le site ouèbe de l’AIPAC (American Israël Public Affairs Committee), le principal lobby pro-israélien aux Etats-Unis, vous verrez une rubrique : "Coopération stratégique".
Les Etats-Unis et Israël ont conclu un traité officiel, scellant une alliance officielle, en vertu duquel Israël a accès à pratiquement toutes les données ultra-secrètes sur la technologie militaire américaine.
Lorsque l’Aipac vend Israël au Congrès américain, il ne va pas voir les membres du Congrès pour leur demander de soutenir Israël parce qu’il est judéo-chrétien, ou parce qu’il s’agirait de la seule démocratie au Proche-Orient, ou je ne sais pas quoi (bien que l’Aipac fasse aussi cela !).
Non, son argumentaire commercial est beaucoup plus direct : "Vous êtes membre du Congrès des Etats-Unis, et il est de votre responsabilité de soutenir Israël, car de nombreuses entreprises, dans votre Etat, ont des liens d’affaires avec Israël, et c’est grâce à cela que de nombreux ingénieurs en recherche-développement effectuent leurs recherches dans les universités de votre Etat, dont beaucoup d’emplois dépendent des industries militaires et de défense".
Et ils appliquent ce discours de manière circonstanciée aux spécificités de chacun des parlementaires, lesquels tirent très vite la conclusion qui s’impose : s’ils votent contre Israël, ils votent contre la poule qui pond les œufs d’or !
Dans la plupart des districts électoraux des Etats-Unis, les membres du Congrès dépendent énormément du secteur de l’armement. Plus de la moitié de l’emploi industriel, en Californie, est peu ou prou lié à la défense. Israël est très bien situé, il occupe une position centrale, en la matière.
Et c’est de là qu’il tire l’essentiel de sa force.
Et lorsque nous (le Comité israélien contre la démolition des maisons, par exemple) allons voir un membre du Congrès des Etats-Unis, nous lui parlons de droits de l’homme, de l’occupation, des Palestiniens.
Alors, il nous regarde, et il nous dit : "Voyez-vous, je sais tout ça. Je lis les journaux, je ne suis pas idiot, mais ce n’est pas sur ces bases-là que je détermine mon vote. La base sur quoi je vote, c’est ce qui est bon pour mon électorat".
Aussi, en matière de militantisme, lorsque vous envisagez une campagne d’opinion internationale, il est extrêmement important de dénoncer les implications d’Israël dans les industries de la défense, dans la production d’armes, et le soutien qu’apporte Israël à des régimes odieux et aux violations des droits de l’homme dont ils sont responsables, et quelles en sont les conséquences pour le monde entier.
Si vous voulez parler de l’Empire, bien qu’Israël soit un tout petit pays, il est un élément clé de l’Empire.
Si vous consultez le site ouèbe de l’Aipac, ils vous disent noir sur blanc que la mission d’Israël est de protéger les intérêts économiques américains au Moyen-Orient. Ils disent que nous développons des armes au laser fonctionnant depuis l’espace afin de protéger les intérêts américains. Tout est dit clairement et effrontément.
Israël se perçoit, avec beaucoup de fierté, comme un élément essentiel de l’Empire américain. Là où Israël dispose d’un énorme avantage, en matière de relations publiques, c’est qu’il sait se faire passer pour une victime.
C’est un pays entouré par un océan d’Arabes, et les Arabes, c’est bien connu, n’est-ce pas, sont tous des « terroristes », de même que tous les musulmans sont des « fanatiques »…
J. E. : … et jouer le rôle de la victime éternelle devient un outil politique, à l’instar de l’ « antisémitisme »… ?
Halper : Exactement. L’antisémitisme se nourrit de l’idée qu’Israël serait une victime. Le ministère israélien des Affaires étrangères a inventé une nouvelle forme d’antisémitisme, depuis quelques années, qu’il appelle le « nouvel antisémitisme ».
Après quoi, ses technocrates ont trouvé quelques universitaires complaisants et très empressés à donner à cette notion un semblant de crédibilité académique.
Le « nouvel antisémitisme », qui est aujourd’hui répandu dans le monde entier, dit que toute critique d’Israël est de l’antisémitisme. Point barre. Et pour ce qui est de marcher, cela a marché !
Un membre du Congrès américain nous dira, désormais : « en plus de voter dans l’intérêt de mes mandants, je dois aussi être réélu, et la dernière chose dont je puisse avoir besoin, c’est bien que quelqu’un vienne dire que je suis « antisémite » ».
Ce complexe est très puissant, il permet à Israël d’échapper à toute responsabilité – on ne saurait appliquer la loi internationale à Israël, on ne peut contraindre Israël à respecter les droits de l’homme, on ne saurait demander à Israël des comptes sur ses agissements, car nous sommes les victimes, nous sommes les faibles, nous ne faisons que nous défendre ! ! !
Vous ne pouvez en aucun cas nous critiquer : nous sommes juifs, et vous nous avez persécutés. Ce complexe est impénétrable, et il permet à Israël de faire des pieds de nez au monde entier.
Par exemple, le 19 septembre dernier, l’Assemblée générale de l’Onu a adopté à 133 voix contre 4 une résolution contre la menace israélienne d’expulser Arafat. Les quatre pays ayant voté contre ?
Israël, les Etats-Unis, la Micronésie et les Iles Marshall. Et ça fait des années que ça dure : c’était déjà le cas, dans les années 1970 !
A l’époque, les Israéliens s’interrogeaient : "La Micronésie ? C’est où, ça, la Micronésie ?"
Alors ils ont envoyé un journaliste du Yediot Ahronot, muni d’une carte précise, en Micronésie !
Il est parti, et il a trouvé ce minuscule pays, où pas un seul journal n’est publié, et il leur a demandé : "Pourquoi soutenez-vous Israël ?"
On lui a répondu : "100 % de notre budget national proviennent des Etats-Unis, alors, vous comprenez : on fait ce que les Etats-Unis nous disent de faire… Le reste, on s’en fout."
Voilà donc comment Israël a conquis sont grand Allié du Pacifique – la Micronésie !
Mais c’est bien le cœur du problème. Le monde entier peut être opposé à la position des Etats-Unis sur ces questions, et les Etats-Unis peuvent continuer à s’en moquer éperdument : le vote des seuls Etats-Unis fait plus que contrebalancer ceux des 133 pays restants. Aussi, il faut absolument changer cette image d’Epinal, selon laquelle Israël serait une "victime".
En d’autres termes, nous devons recadrer les choses. Israël présente le problème d’une certaine manière, que nous connaissons, et si nous nous contentons de simplement réfuter ses arguments, nous ne gagnerons jamais.
C’est celui qui définit le cadre du conflit qui gagne – toujours – c’est celui qui définit le cadre de la discussion qui l’emporte, parce que les conclusions que tirent les gens découlent de la manière même dont vous exposez les problèmes.
Nous devons, par conséquent, dénoncer Israël en sa qualité de superpuissance régionale et de composante indispensable à l’Empire américain, chose qu’Israël est indubitablement, il faut le savoir.
L’économie israélienne pèse trois fois plus lourd que celles de l’Egypte, de la Palestine, de la Jordanie, de la Syrie et du Liban prises ensemble.
Non ; Israël n’est en aucun cas le petit David du Moyen-Orient. Bien au contraire, il en est le Goliath.
Source : http://www.FromOccupiedPalestine.org
Traduction : Marcel Charbonnier
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