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Article lu 1953 fois

Israël -

L’Homme qui en savait trop - Le calvaire de Mordechai Vanunu

Par

> lmomarseille@wanadoo.fr

Article paru dans The Independent (quotidien britannique) du vendredi 26 mars 2004. Traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier

Tout Israélien ayant acheté le quotidien Yedioth Ahronot du 16 février a pu penser que c’est un homme véritablement diabolique qu’on s’apprête à libérer de la prison d’Ashkelon. A l’en croire, il n’y aurait eu un seul attentat suicide à l’annonce duquel le prisonnier ne se soit bruyamment réjoui. Pire, s’il est possible, le quotidien affirmait que le détenu – jadis détenteur des secrets nucléaires d’Israël – a la ferme intention de continuer à mettre son pays en danger après son élargissement. « Il m’a raconté », affirmait le journal, citant un de ses anciens codétenus, « qu’il a des preuves supplémentaires et qu’il va révéler d’énormes secrets… »

Doit-on s’étonner, après ça, que ce même prisonnier, supposé avoir salué le massacre d’innocents tout en s’apprêtant à trahir encore une fois son pays, est titulaire d’une collection de distinctions de diverses associations pacifistes européennes, du Sean McBride Peace prize (Prix Sean McBride de la Paix) et d’un doctorat honoris causa de l’Université de Tromso ?

En 2000, l’Eglise de l’Humanisme lui a dit : « Vous êtes honnête, courageux et vous avez des motivations morales élevées. Puisse le grand sacrifice que vous avez fait servir à protéger non seulement les habitants d’Israël, mais tous les peuples du Moyen-Orient et peut-être même du monde entier. »

C’est ce même homme dont le nom a été évoqué pour l’attribution du Prix Nobel de la Paix.

Mordechai Vanunu, semble-t-il, suscite les passions. Soit vous l’aimez, soit vous le détestez.

Face à l’ancien ingénieur nucléaire israélien, l’indifférence est impossible. Il est, en effet, celui qui, en 1986, révéla au Sunday Times toute l’histoire des usines secrètes de fabrication d’armes nucléaires, à Dimona, dans le désert du Néguev.

Un histoire complète, avec le nombre total des bombes à fission nucléaire sophistiquées qui s’y trouvaient déjà – deux cents, à l’époque – et, plus gênant encore, une histoire illustrée de photos ! Il révéla qu’Israël avait la maîtrise de la fusion thermonucléaire et qu’il disposait sans doute d’un certain nombre de bombes thermonucléaires prêtes à l’emploi.

Après quoi il fut attiré par une vamp, sur un vol de Londres à Rome, où il fut kidnappé, drogué et réexpédié en Israël par des agents des services secrets israéliens.

Mais c’est désormais dans six semaines, tout juste, après dix-huit années d’emprisonnement – dont douze passées en quartier d’isolement total – que le vendeur de mèche le plus célèbre au monde doit en principe être libéré.


Israël – pour ne pas parler du monde entier – retient son souffle.

Mordechai va-t-il divulguer de nouveaux secrets sur Dimona – à supposer qu’il en détienne encore de croustillants, après ses dix-huit années d’incarcération – ou bien va-t-il se contenter de maudire le pays dont il est un des citoyens, bien qu’il se soit converti au christianisme avant son arrestation, et qu’il désire émigrer aux Etats-Unis ?
Va-t-il émerger, tel un homme dompté, désireux seulement de demander pardon pour la terrible trahison qu’il a infligée à son pays ?
Ou bien encore, va-t-il, comme l’espèrent ses amis, ses supporters et ses parents adoptifs américains, devenir un apôtre de la paix, l’un des plus grands prisonniers de conscience de sa génération, l’homme qui aura tenté de débarrasser le monde de la menace de la vitrification nucléaire ?

Le gouvernement israélien n’a toujours pas décidé quel comportement adopter pour la libération de Vanunu, le 21 avril prochain.

On pense qu’ils envisagent – ou qu’ils ont déjà arrêté – « certains moyens de supervision » et « certaines mesures appropriées » afin de « lui la boucler ». Dans la deuxième quinzaine de janvier, le Premier ministre Ariel Sharon a rencontré Menachem Mazuz, le Procureur général d’Israël, et le ministre israélien de la Défense, Shaul Mofaz : ensemble, ils ont débattu de la question de savoir s’il fallait refuser un passeport à Vanunu. Vanunu serait libre d’aller prendre un bain de soleil sur les plages de Tel Aviv, mais il ne pourrait pas faire le tour du monde pour y faire le « marketing » de la puissance nucléaire israélienne…

Il suffit, pour démontrer à quel point l’administration israélienne redoute l’approche du jour de la libération de cet homme, de mentionner que Sharon avait aussi convoqué à cette conférence l’ainsi dite « Unité de la Sécurité du Ministère de la Défense » dirigée par un certain Yehiel Horev : elle est composée des services de renseignement tant interne qu’externe – le Shin Bet et du tout aussi surestimé Mossad – ainsi que d’un représentant du Comité Israélien de l’Energie Atomique…

Horev, ont le sait aujourd’hui, voulait aller beaucoup plus loin que Sharon. Il proposa de coller un ordre de détention administrative à Vanunu – c’est la manière classique, pour Israël, de traiter les Palestiniens qu’il considère comme des « terroristes » - bien que la réunion, apparemment, se fût conclue par l’avis que cela ne ferait que renforcer la réputation de martyr de la paix mondiale de Vanunu. Bien entendu, il existe aussi un autre moyen, pour faire taire Vanunu…

Il peut être libéré pour la galerie et puis – dès lors qu’il commencera à parler de son travail en tant que technicien dans le nucléaire – il pourrait être à nouveau jugé et jeté à nouveau dans la prison d’Ashkelon – plus exactement, dans la prison de Shikma, comme l’appellent aujourd’hui les Israéliens.

Mais le vrai problème posé par Vanunu, c’est qu’il rappellera au monde, en un moment extrêmement critique pour l’histoire du Moyen-Orient, qu’Israël est une puissance nucléaire et que ses têtes nucléaires sont prêtes à être mises à feu, dans le désert du Néguev.

Il rappellera aussi au monde que les Américains, tout en faisant incursion en Irak afin d’y détruire les armes de destruction massives totalement inexistantes d’un Saddam Hussein, continuent à accorder leur soutien politique, moral et économique à un pays qui a amassé, dans le plus grand secret, un énorme magot d’armes de destruction massive.

Comment le Président Bush peut-il continuer à se taire au sujet du pouvoir nucléaire d’Israël, dès lors que non seulement il a envahi illégalement un pays arabe qui aurait – prétend-on – détenu des armes nucléaires, et condamné l’Iran pour des ambitions semblables, mais aussi tressé des couronnes de laurier, avec le gouvernement de Tony Blair, au Colonel Kadhafi de Libye, lequel a renoncé à ses prétentions nucléaires ?

Si les pays arabes se font « tailler les griffes » - à supposer qu’ils aient eu quelque moment des griffes – pourquoi Israël ne serait-il pas « dénucléarisé » ?

Pourquoi les Etats-Unis ne pourraient-ils pas appliquer les mêmes standards à Israël qu’aux pays arabes ?

Autrement dit : pourquoi, en l’occurrence, Israël serait-il incapable de s’imposer à lui-même les mêmes exigences que celles qu’il a vis-à-vis de ses ennemis arabes ?

C’est là le débat que les gouvernements israélien et américain veulent étouffer. Aux Etats-Unis, où toute discussion au sujet des relations israélo-américaines qui dérogerait quelque peu aux plates banalités est condamnée, classiquement, en raison de son caractère subversif ou « antisémite », le débat autour de la puissance nucléaire d’Israël n’est pas particulièrement le genre de conversation que Washington apprécie de suivre sur les écrans de télévision à l’occasion des débats du dimanche soir.

Vanunu, disons-le d’emblée, a pleinement conscience de tout ça : de sa propre importance personnelle – infiniment plus grande que celle qui était la sienne tandis qu’il n’était qu’un jeune technicien à Dimona – ainsi que de celle du rôle que des dizaines de milliers de militants anti-nucléaires espèrent lui voir jouer dans le monde.

Souvent, par l’intermédiaire d’amis et de ses propres frères, Vanunu a dit qu’il ne détient pas de secrets nucléaires, mais qu’il a le droit de s’opposer aux armes nucléaires, en Israël, ou dans n’importe quel autre pays. « Tout ce que je demande, c’est d’aller en Amérique, de me marier et de commencer une nouvelle existence », dit-il.


Nul ne peut douter de la conviction de Vanunu. Né en 1954 dans une famille juive religieuse, au Maroc, il a immigré en Israël à l’âge de neuf ans. Il a effectué son service militaire au milieu des années soixante-dix, et il a commencé à travailler à Dimona en novembre 1976, tout en poursuivant des études de philosophie et de géographie.

C’est sans doute au cours de ses voyages en Thaïlande, en Birmanie, au Népal et en Australie, au début de 1986, qu’il a pris conscience de son devoir moral de parler des armes nucléaires d’Israël. Cette même année, il reçut le baptême dans une église anglicane de Sidney.

Vanunu était, à l’évidence, profondément anxieux face à la puissance nucléaire croissante d’Israël, lorsqu’il décida d’entrer dans les bureaux de journaux britanniques, en septembre 1986, dans l’espoir de pouvoir dire au monde entier la vérité sur Dimona.

Il se rendit tout d’abord au Daily Mirror, de Robert Maxwell : il tendit les clichés qu’il avait pris des installations nucléaires, et il attendit une réponse. A l’insu de Vanunu, Maxwell envoya les photos à l’ambassade d’Israël à Londres afin qu’ « on y jette un coup d’œil », soi-disant pour « confirmer » la véridicité, ou non, de cette histoire. Il semble vraisemblable que Maxwell ait eu des motifs autres que la déontologie journalistique, pour trahir Vanunu de la sorte.

Après sa disparition en mer, en 1991, Maxwell, qui avait volé des millions de livres économisées par des retraités qui avaient acheté des fonds de pension, eut droit à des funérailles nationales en Israël, au cours desquelles Shimon Pérès fit l’éloge des "services" qu’il avait rendus à l’Etat (juif).

Le Daily Mirror de Maxwell publia une histoire « tordue », le 28 septembre, afin de vilipender Vanunu, sous le titre : « L’étrange affaire d’Israël et du Conspirateur nucléaire ».

Quant au Sunday Times, il publia toute l’histoire – mais trop tard : Vanunu avait déjà disparu. Pris dans les rets d’une espionne du Mossad, il avait été entraîné à prendre un vol British Airways pour Rome, et il fut promptement kidnappé. Il semble, en effet, qu’il l’ait été dans l’aéroport même de Rome – Fiumicino. Incapable de parler aux journalistes, il écrivit avec soin les détails de ce qui lui arrivait sur la paume de sa main, qu’il plaqua sur la vitre du fourgon de la police qui l’emmenait au tribunal. « Rome ITL 30:9 :86 2100 – Arrivé Rome par BA 504 », y avait-il écrit.
Il avait été kidnappé à neuf heures du soir, le trente septembre, à l’aéroport international de Rome.
Les autorités italiennes étaient-elles impliquées dans son kidnapping ?
Etaient-elles présentes lorsqu’on s’était saisi de lui ?
Sans doute Vanunu pourra-t-il nous le dire…


Une chose est sûre : Vanunu est un homme endurant. Une fois, au cours de ses douze années d’isolement carcéral, les responsables de la prison l’ont libéré accidentellement pour qu’il prenne de l’exercice, avant que des prisonniers arabes qui se trouvaient dans la cour de la prison ne soient rentrés dans leurs cellules. Tout de suite, Vanunu alla les rejoindre.

L’un des Arabes, un Libanais, emprisonné pour introduction d’armes de contrebande en Cisjordanie , fut parmi les premiers étrangers à révéler la réapparition de Vanunu au monde extérieur. « Vanunu marcha vers nous, il nous sourit, et il nous fallut un certain temps avant de réaliser qui nous avions devant nous », raconta plus tard le Libanais à The Independent.
« Il nous a dit que cela lui faisait plaisir d’être avec nous, et nous sentîmes qu’il était un homme bon. Puis les gardes se rendirent compte de leur erreur, et ils nous éloignèrent de lui, en nous poussant brutalement dans nos cellules. »

Un journaliste israélien venu rendre visite à un autre prisonnier eut la stupéfaction de voir Vanunu. « Pendant un court instant, je vis une scène bucolique », écrivit-il : « J’étais comme captivé par une réalité toute différente : un homme serein, assis sur un banc, dans un jardin, et lisant Nietzsche en anglais. Je m’approchai, et lui tendis la main. Heureux de faire votre connaissance. Mon nom est Ronen », dis-je. « Je suis Motti, le prisonnier le plus isolé de l’Etat d’Israël », me répondit-il. Avant que nous ayons eu l’opportunité d’engager la conversation, des gardes s’étaient rués sur lui, en hurlant, et ils l’avaient emmenés au loin. »


Un ancien prisonnier, Yossi Harush, a donné un autre aperçu sur le prisonnier Vanunu dans les années qui ont suivi son isolement carcéral. « Durant la journée », a déclaré Yossi Harush au Yedioth Ahronot, « au cours des promenades, il rencontre les gens et il leur parle. J’ai beaucoup parlé, avec ce Vanunu. Nous étions amis. Il venait dans ma cellule… Il bénéficie de bonnes conditions… Il peut quitter sa cellule quand il le veut, mais il est bien sûr limité à la prison. J’ai peint moi-même – car je travaillais, dans cette prison – la ligne rouge, sur le sol, qu’il lui était formellement interdit de franchir. Si je l’ai fait, c’est parce qu’on m’en avait donné l’ordre. Néanmoins, cela a jeté un froid entre nous… »


Un prêtre anglican, Dean Michael Sellors, rendait visite régulièrement à Vanunu : c’est lui qui lui a fait remarquer que le jour de sa libération coïncidait avec l’anniversaire de la Reine d’Angleterre. Vanunu lui a répondu que, dans ce cas, il devait acheter un ticket et aller, en personne, la féliciter…

Vanunu s’est également intéressé aux actions de l’Association pour les Droits civiques en Israël, organisation plutôt conservatrice, qui a néanmoins affirmé que « toute sanction contre Mordechai, après sa libération de prison, serait immorale et illégale ».

Un forum de discussion sur le site en hébreu du quotidien israélien Maariv montre que les jeunes israéliens voient en Vanunu plus un héros qu’une menace.
Mary Eoloff, une enseignante américaine à la retraite, qui a, avec son mari, adopté Vanunu dans l’espoir qu’il puisse obtenir la citoyenneté américaine et être relâché, fut la première personne à révéler que lorsque les responsables de la sécurité israélienne lui ont proposé de le libérer un an avant l’expiration de sa période de dix-huit ans de prison, Vanunu déclina leur offre. « Il croit dur comme fer en la liberté d’expression », expliqua-t-elle.

Israël accordera-t-il à Vanunu la liberté de parole qu’il affectionne ? Cela reste à voir. Horev, un responsable du ministère de la Défense qui assistait à un meeting de Sharon, récemment, a évoqué la menace que le technicien nucléaire incarne à ses yeux, menace qui semble relever plus de l’ambiguïté que des secrets nucléaires. Horev compare cette ambiguïté à de l’eau, dans un verre. « Ma tâche est de m’assurer que l’eau ne débordera pas du verre », a-t-il récemment déclaré. « Jusqu’à l’affaire Vanunu, l’eau, dans le verre, était à un niveau très bas. L’affaire a fait s’élever le niveau de l’eau de manière significative, causant un grand dommage à Israël, mais l’eau n’a néanmoins pas débordé. Si nous laissons faire certaines personnes, que je ne nommerai pas, dans cette affaire, l’eau va déborder, c’est sûr. »


Le journaliste israélien Raanan Shaked a été encore bien plus cynique, lorsqu’il a évoqué ce sujet sur la chaîne israélienne de télévision Channel 10. « Quelle est la plus grande menace pour Israël ? » a-t-il demandé.
« Bien entendu, c’est Mordechai Vanunu ! C’est lui, le grand danger. La démocratie israélienne ne peut tout simplement pas supporter l’impact que peut avoir cet homme lorsqu’il dit ce que tout enfant de quatre ans sait : nous avons des armes nucléaires ! »

Le 21 avril, lorsque Vanunu sera libéré, nous verrons si l’eau débordera du verre – et si Vanunu pourra franchir la ligne rouge, tracée avec tant de soin sur le sol, sur l’ordre des autorités israéliennes.


Article paru dans le point d’information Palestine n° 234 du 7 avril 2004 diffusé par La Maison d’Orient
Pour s’y abonner, envoyez un mail à : lmomarseille@wanadoo.fr

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