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Naplouse - 26 mars 2004
Par Kole
Ce témoignage est celui d'un militant de l’ISM et concerne la détention arbitraire et les tortures infligées à 7 Palestiniens âgés de 13 à 18 ans, le 23 mars 2004 par les autorités de l’armée israélienne de la Base 202, près de la colonie israélienne d’Ellon Morah.
L’auteur de ce témoignage aimerait qu’on l’aide à trouver le moyen de signaler ces faits aux organisations des droits de l’homme appropriées (y compris les ONG israéliennes et internationales et le rapporteur aux Droits de l’Homme des Nations Unies).
Les noms des enfants ont délibérément été modifiés mais peuvent être obtenus sur demande ainsi que le contact auprès duquel s'informer)
Mardi 23 mars deux militants d¹Amérique du Nord venant de l’ISM de Naplouse sont allés à Salem, un village près de Naplouse pour accompagner des amis palestiniens dans leurs oliveraies sur le « mauvais » côté de la route de contournement des colons qui relie la colonie d¹Ellon Moreh à celle d¹Itamar. La route de contournement n¹est qu¹un des éléments dans ce que Jeff Halper appelle « la matrice de contrôle » et que l¹armée israélienne a déployé en Cisjordanie pour contrôler la circulation palestinienne et ghettoïser toutes les communautés.
Aux abords Est du gouvernorat de Naplouse ce système de contrôle prend la forme :
d¹une route qui sépare Naplouse d¹Azmut,
d'une autre route militaire qui sépare Azmut des villages de Deir-al-Hatab et de Salem,
d'une grande tranchée longée par une route de contournement qui sépare tous ces villages de leurs terres, des villages voisins de Beit Furik et Beit Dajan
ainsi que les colonies d¹Elon Moreh et d¹Itamar qui cernent du nord au sud ces communautés palestiniennes de l¹intérieur.
Une collection de checkpoints, de tours de contrôles, de tout-terrain « tracterones » et de patrouilles militaires sert à compléter ce système complet de surveillance et de contrôle militarisés. Ce système est déployé pour « protéger » une poignée d¹avant-postes coloniaux illégaux au regard de la loi internationale.
Nous sommes arrivés à Salem après avoir négocié les sentiers de traverse qui mènent du Camp d’Askar aux hauteurs de Naplouse, passé au-dessus d’une route militaire, traversé une vallée étroite qui court le long d’un conduit d¹eaux usées, monté au village d¹Azmut par ses oliveraies, traversé une autre route militaire de l’autre côté du village et entré dans Deir al-Hatabb et finalement à Salem : un voyage lourd de danger à cause de l¹armée, celui que font quotidiennement les Palestiniens qui vont voir leurs parents, se rendent à l¹école, à leur travail ou à l¹hôpital.
Vers 13h45, après un petit déjeuner généreux, avec du thé, des « pommelons » et des choses sympathiques, un moment conversations drôles à l¹ombre des oliviers, nous avons finalement réussi à aller aux champs de nos deux jeunes amis .
Depuis les précédentes campagnes, Fadi (18 ans) et son frère Shadi (17 ans) sont bien connus des ISM. Avec eux sont venus certains de leurs amis du village dont Omar (14 ans), Enad (14 ans), Moshin (16 ans) Tayseer (13 ans) et Aysar (13 ans). L¹un de ces garçons, Moshin redoutait de traverser la route de peur que leur groupe de garçons ne soit pris pour cible par les colons ou d’être repéré par les postes d¹observation improvisés sur la colline proche.
Dès que nous avons pu franchir l¹autre côté de la route des colons, les garçons se sont mis à travailler aux oliviers de la famille de Fadi et Shadi, taillant les branches et sarclant autour des troncs avec des outils agricoles, retournant la terre et enlevant les mauvaises herbes.
Bientôt, pourtant, notre activité s¹est arrêtée et tous les neufs nous nous sommes rapidement esquivés pour nous protéger derrière des buissons parce qu¹un tout-terrain de l¹armée israélienne s'était arrêté sur le bord de la route et admonestait un vieux berger palestinien qui s¹approchait de la route avec ses moutons. La troupe de soldats n'a pas mis longtemps à repérer notre groupe et nous avons été apostrophés depuis l¹autre côté du ravin qui nous séparait d¹eux.
Après avoir dépensé beaucoup de temps pour pouvoir passer de l¹autre côté, il était 14 h. Un colon armé qui était apparu avec un 4x4 blanc donné par une quelconque organisation caritative américaine du New Jersey, a commencé à nous interroger sur ce que nous venions faire dans cette région et à nous informer qu¹une voiture avait été caillassée tôt le matin. Ils n¹avaient aucun preuve pour faire penser que les gamins avec nous en étaient responsables, personne n¹avait été blessé, et pourtant le militaire insistait pour que nous soyons arrêtés. Au bout d¹environ vingt minutes d¹attente et de violence verbale intermittente sans oublier les injures proférées par un soldat portant un casque décoré des mots « Né pour tuer », ( comme celui dans le film Full Metal Jacket), on nous a regroupés dans un autre véhicule Humvee et emmenés à la Base 202 au pied de la colline qui abrite la colonie d¹Elon Moreh.
A trois heures, nous étions en train d¹attendre au soleil près du checkpoint d¹Azmut, sans eau, après avoir été emmenés là pour des raisons qu¹aucun de nous ne s¹expliquait. Les soldats israéliens qui nous détenaient ont, une fois de plus, refusé de nous donner les raisons précises de notre détention, sauf de vagues allusions selon lesquelles les gamins avec lesquels nous étions étaient « suspectés » d¹avoir « caillassé » une voiture. Ils n¹ont pas donné de précision sur le type de voiture, si elle avait été ou non touchée, si quelqu¹un avait été blessé, s¹il y avait eu des témoins, etc .. pourtant, nous n’avons pas cessé de poser ces questions à tous les soldat.
Les soldats ont bien voulu nous donner une seule réponse, de temps à autre, en nous assurant que « les gamins palestiniens avaient auparavant tué des enfants juifs avec des pierres et c¹est notre devoir de protéger les gens qui vivent ici » ( en montrant du doigt la direction d¹Ellon Moreh).
Là encore, on ne nous a fourni ni moment, ni lieu, ni date précis. Assez tristement, c¹est une histoire que j¹ai déjà entendue dans la bouche de la droite en Amérique du Nord avant que je n¹arrive en Palestine et j¹ai rencontré les mêmes arguments chez les colons d'Hébron quand ils justifient le meurtre, la détention et la torture d'enfants palestiniens.
J'ai pourtant obtenu des noms, des dates ou des lieux où cet incident (ou ces incidents ?) sont supposés avoir eu lieu. Même si un tel incident avait vraiment existé, ça ne justifierait en rien les arrestations et la détention arbitraires, la torture des enfants qui n'ont rien à voir avec cette histoire.
Passons sur le meurtre de quelques 450 enfants palestiniens depuis le début de cette intifada.
La Convention des Nations unies contre la Torture (1987) est instructive quant à sa définition de la torture.
Selon cette Convention, le terme "torture" désigne tout acte par lequel une douleur ou des souffrances aiguës, physiques ou mentales, sont intentionnellement infligées à une personne aux fins notamment d'obtenir d'elle ou d'une tierce personne des renseignements ou des aveux, de la punir d'un acte qu'elle ou une tierce personne a commis ou est soupçonnée d'avoir commis, de l'intimider ou de faire pression sur elle ou d'intimider ou de faire pression sur une tierce personne, ou pour tout autre motif fondé sur une forme de discrimination quelle qu'elle soit, lorsqu'une telle douleur ou de telles souffrances sont infligées par un agent de la fonction publique ou toute autre personne agissant à titre officiel ou à son instigation ou avec son consentement exprès ou tacite. Ce terme ne s'étend pas à la douleur ou aux souffrances résultant uniquement de sanctions légitimes, inhérentes à ces sanctions ou occasionnées par elles.
La définition est importante pour ce qui va suivre.
Vers 3h30, nous étions de retour à la Base 202. La journée semblait terminée pour la plupart des parachutistes et les soldats sur place. Ils nous ont dépassés alors que nous étions détenus près d'un portail blanc métallisé, avec une image de monstre conduisant un véhicule Humvee sur le côté Alors que nous pensions que nous allions être libérés, les derniers responsables de notre détention ont fait monter le niveau de la répression. Soudain les soldats se sont mis à attacher et à bander les yeux des enfants qui étaient avec nous après avoir pris des menottes en plastique et des bandeaux dans une petite trousse en métal posée près du portable.
A intervalles réguliers des bus rouges, gigantesques, subventionnés par l'Etat d'Israël, passaient par la base, presque tous étant complètement vides.
Comme nous protestions contre les liens et les bandeaux imposés aux enfants que nous accompagnions, nous avons été séparés d'eux. Nous avons essayé à plusieurs reprises de faire donner aux enfants de l'eau et de les faire libérer.
Nous avons souligné que les enfants étaient soumis à la torture, la circulation sanguine au niveau des mains de la plupart d'entre eux était gravement coupée (le réflexe capillaire des mains de l'un deux n'était plus que de 12 secondes, quand le réflexe "AVG" est de deux secondes), certains pleuraient de peur sans pouvoir se contrôler, et d'autres se contentaient de souffrir en silence mais en vain.
Les soldats n' ont pas cessé de dire que les enfants "avaient besoin d'une bonne leçon", que la situation était une situation de guerre, et que, dans ces circonstances, les enfants doivent être punis (pourquoi ? Parce qu'ils vont dans leurs oliveraies sur leur terre occupée ?)
"D'ailleurs " a poursuivi un soldat "ce que vous voulez me faire faire, j'en suis d'accord et je vous comprends, mais ce sont les ordres du commandant".
De nouveau, la Convention contre la Torture est instructive à ce propos en ce qu'elle spécifie à l'article 2 que :
1. Tout Etat partie prend des mesures législatives, administratives, judiciaires et autres mesures efficaces pour empêcher que des actes de torture soient commis dans tout territoire sous sa juridiction
2. 2. Aucune circonstance exceptionnelle, quelle qu'elle soit, qu'il s'agisse de l'état de guerre ou de menace de guerre, d'instabilité politique intérieure ou de tout autre état d'exception, ne peut être invoquée pour justifier la torture.
3. L'ordre d'un supérieur ou d'une autorité publique ne peut être invoqué pour justifier la torture.
Les autorités d'occupation israéliennes sur le terrain ont clairement violé les trois points de cette convention, et c'est une bonne raison pour croire que, par leurs actions, ils ont aussi violé la loi israélienne.
Selon le PASSIA (Palestinian Academic Society for the Sutdy of International affairs), la Cour suprême israélienne dans une décision importante de septembre 1999 a déclaré illégale la torture arbitraire telles que les méthodes d'interrogation" bien que ça n'aille pas jusqu'à l'interdiction absolue de la torture et des mauvais traitements exigée par la loi internationale.
L'appareil de sécurité israélien a été plus tard condamné en 2001 pour avoir repris la torture systématique contre les détenus palestiniens.
Selon le soldat prétendument ouvert à nos arguments - mais toujours impliqué dans la torture infligée à ces enfants puisqu'il refusa de désobéir aux ordres qu'il avait reçus - "le commandant a donné l'ordre de détenir les enfants de cette façon. Au passage, son nom est Itmar".
Les agissements des soldats suggèrent qu'ils étaient finalement moins soucieux d'établir les faits, la plupart admettaient qu'ils ne pensaient pas que le groupe des enfants était responsable de quoi que ce soit mais ils trouvaient beaucoup plus intéressant de "donner une leçon à ces enfants " comme les officiers supérieur assistant à la scène l'expliquaient.
Ainsi, il y avait bien eu décision arbitraire de détenir ces enfants jusqu'à la tombée de la nuit, ligotés, les yeux bandés, et forcés à s'asseoir dans des conditions inconfortables pendant des heures. Les soldats qui passaient provoquaient les enfants de temps à autre en leur chantant "un petit indien, deux petits indiens" et en riant, un autre leur disait qu'ils iraient rejoindre bientôt le Sheik Yassine, et un troisième donnaient aux sept enfants une seule tasse d'eau pour boire après que nous ayons protesté à plusieurs reprises parce qu'ils se déshydrataient sous un soleil souvent torride.
Les deux de l'ISM, témoins de la scène ont été finalement libérés de la base à 5h30 de l'après-midi après avoir continuellement tenté d'assurer la libération des enfants. A ce moment des appels désespérés ont été adressés à Hamoked, le bureau de presse de l'ISM et aux autres groupes de droits de l'homme pour faire pression sur le DCO pour qu'il relâche les enfants.
A la tombée de la nuit, à 18h, les enfants ont finalement pu partir. Pourtant, Aysar (13 ans) a été détenu presque deux heures de plus et a été rejoint par son frère Haytam (15 ans) qui était venu à la base avec la mère du garçon pour obtenir des informations sur l'enfant qui avait disparu.
Haytam a alors été arrêté par les soldats et séparé de sa mère qui a été forcée de revenir chez elle sans aucun de ses fils.
J'ai ramené le premier groupe de gamins à Salem pendant qu'un autre militant de l'ISM attendait dans le noir, sur le bord d'une route militaire à ses risques et périls, que deux autres garçons soient relâchés.
Après coup (J'imagine des lecteurs de droite, pleins de suffisance en lisant ces lignes et déclarant avec morgue que ce n'est "pas la faute de l'armée israélienne si les Palestiniens engagent leurs propres enfants dans le terrorisme" tandis qu'un défenseur libéral de l'armée israélienne d'occupation dira que cet incident est bien malheureux mais que "compte tenu des circonstances", il vaut mieux être sain et sauf que désolé.
Le problème avec ces arguments c'est qu'ils sont fondamentalement racistes, en ce que l'objet de la torture n'est pas de nous concevoir comme des êtres humains mais comme des "terroristes" potentiels. C'est la vision du monde des Anglais en Malaisie, des Français en Algérie, des Américains en Afghanistan, etc.
Le terme de "terrorisme" a depuis longtemps rejoint cette catégorie de mots comme "barbare", "non civilisé", "bandit", "criminel" etc employés au cours des siècles par les élites de ce monde pour justifier l'assujettissement et l'oppression des gens en raison de la pigmentation de leur peau ou de leur rang socio-économique subalterne.
Et ainsi l'image fantaisiste du "garçon-avec-sa-bombe" est balancée dans tous les masse media sous des couleurs sensationnelles pour confirmer que la manière dont on les traite est justifiés, puisque ce n'est arrivé que deux fois ces deux dernières semaines près de Naplouse.
Dans les deux cas, pourtant, les médias ne se sont pas beaucoup intéressés au fait que ces garçons ne comprenaient rien à ce qui arrivait, à la condamnation généralisé que les journaux provoquent parmi les Palestiniens de toute la région de Naplouse ni à la couverture des autres tragédies humaines, comme l'assassinat d'un jeune de 17 ans qui partait de chez lui avec sa soeur, ou le meurtre d'un jeune journaliste de 22 ans dans le camp de réfugiés de Balata par les forces israéliennes au contrebas de la ville;
De plus, ils se focalisent sur des cas pareils pour prouver les stéréotypes racistes tels que leurs : "ils utilisent même des enfants pour promouvoir la terreur", mais le fait est qu' un groupe représentatif d'intellectuels et de leaders palestiniens ont appelé cette semaine à abandonner la lutte armée pour la résistance, ne s'est pas retrouvé dans les Unes trompeuses des média.
Les tabloïds et les publications pro israéliens sont évidemment plus soucieux de préserver l'image raciste des Palestiniens qu'ils entretiennent collectivement pour leur dénier le droit à l'auto-détermination, que d'examiner la véritable tragédie de l'occupation.
Source : www.palsolidarity.org/
Traduction : CS pour ISM-France
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