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Israël - 3 décembre 2003
Par Azmi Bishara
Dr. Azmi Bishara, membre de la Knesset, et président du Rassemblement national démocratique - Nazareth
Il s'agit d'un accord hypothétique. Les deux parties s'imaginent, d'après cet accord, qu'elles sont deux parties, et ensuite elles parviennent à un accord. Est-ce qu'il s'agit d'une comédie, d'une sorte de joute, du genre de ce que font actuellement des départements d'universités, nommé "Conflict résolution" (résolution des conflits) où les étudiants appliquent, par le jeu de rôles, un conflit devant les autres étudiants ? La réponse est évidemment non.
Le journal Haaretz a publié aujourd'hui, jour de la publication de la déclaration de Genève, une caricature montant deux Israéliens se rencontrant près de la cafétéria à l'aéroport de Lod, dénommé aéroport Ben Gourion, tous les deux en route vers Genève.
L'un d'eux demande à l'autre, en hébreu : "Est-ce ta première conférence de paix" et en arabe "est-ce que c'est la première conférence de paix à laquelle tu assistes ?"
Nul doute que la production, la mise en scène et la répartition des rôles de cet accord hypothétique qui a été proclamé à Genève sous le titre : "l'engagement public envers l'accord de Genève" font partie des traditions entourant la fabrication des dialogues européens connus, et auxquelles l'Europe fait appel pour compenser l'absence de critique efficace d'Israël, construisant un pont par-dessus l'abîme, entre "les deux parties" grâce au dialogue.
Il ne fait aucun doute que la riche Europe a investi des dizaines de millions, voire des centaines de millions de dollars dans cette question au cours des deux dernières décennies. Nous avons assisté récemment à une concurrence effrénée entre les capitales européennes pour accueillir des dialogues encourageant les négociations.
Très bien alors, une ancienne gauche européenne à travers des institutions de soutien chrétiennes, civiles et gouvernementales, une ancienne gauche palestinienne et une gauche israélienne sioniste dont la position a viré vers une position acceptable, comme solution moyenne. Mais en réalité, une solution à mi-chemin entre la gauche sioniste et la situation "officielle" palestinienne, ce qui peut devenir pour les gouvernements israéliens une simple base de départ pour de nouvelles négociations, et un marchandage sur ce qui reste.
Malgré la colère du Likoud à cause de l'utilisation par la gauche sioniste de forces étrangères pour dénoncer son gouvernement, il ne peut en fait que se lécher les babines de façon involontaire et avec appétit : "s'ils ont concédé le droit au retour pour Yossi Beilin, qu'est-ce qu'ils pourraient nous concéder à nous ? "
Les critiques de cette initiative prétendent que les Palestiniens ont concédé le droit au retour. Mais certains participants à l'initiative, actifs médiatiquement, prétendent, en arabe :
Il n'y a pas eu de signature. Bon, il n'y a pas eu de signature, mais "un engagement public envers l'accord", comme cela a été nommé lors de l'invitation officielle, ce qui signifie une signature publique.
Deuxièmement, ils prétendent qu'ils ne sont pas revenus sur le droit au retour, mais d'autre part, ils affirment que c'est la seule possibilité. Nous n'avons pas compris ce qui était la seule possibilité, est-ce la concession sur le droit au retour ou le maintien du droit au retour ? Il est clair qu'ils signifient la concession.
C'est ce que précisent beaucoup, que ce soit en chuchotant ou en l'affirmant clairement, ils prétendent que tous savent que le droit au retour est inapplicable. A travers l'engagement public envers cet accord hypothétique, ils se sont appuyés sur la résolution 194 pour l'expliquer comme un droit aux compensations au lieu d'un droit au retour et aux compensations.
Evidemment, le droit au retour est conservé pour celui qu'Israël accepte. Cela, les lecteurs peuvent l'écouter et considérer qu'ils ne l'ont pas entendu, car Israël déclare qu'il n'accepte pas le droit au retour, il cherche plutôt les moyens de réduire le nombre et la citoyenneté et l'appartenance des Arabes vivant (en Israël) et ceux qui y sont citoyens.
En réalité, l'abandon du droit au retour ou plus précisément la pratique du droit au retour, ou le droit à pratiquer le droit au retour, a été l'objet des principales initiatives politiques qui se sont développées comme des champignons ces derniers temps, et la présente initiative a été précédée par d'autres moins talentueuses du point de vue de la production et de la mise en scène, probablement parce que leurs auteurs sont un ancien membre des services israéliens de sécurité et un conférencier dans une université palestinienne, et ces derniers ne maîtrisent pas la gestion des relations avec les forces libérales juives dans le monde et notamment en Europe et aux Etats-Unis.
Est-ce la seule différence ? Evidemment non.
La principale différence est que cette initiative ne se contente pas de principes généraux, mais vise à instaurer une solution hypothétique au moindre petit détail et à la plus petite forme, pour prouver une chose, que la solution en soi est possible, et non seulement l'accord sur les principes d'une solution, et que tout ce qui n'a pu être réglé à Camp David ou à Taba peut être réglé à Genève.
Il s'agit d'un accord hypothétique. Les deux parties s'imaginent, d'après cet accord, qu'elles sont deux parties, et ensuite elles parviennent à un accord. Est-ce qu'il s'agit d'une comédie, d'une sorte de joute, du genre de ce que font actuellement des départements d'universités, nommé "Conflict résolution" (résolution des conflits) où les étudiants appliquent, par le jeu de rôles, un conflit devant les autres étudiants ? La réponse est évidemment non.
La partie palestinienne participante est une partie réelle, semi-officielle, accompagnée de parties arabes fatiguées du conflit, ou voulant jouer un rôle "positif et constructif" dans la paix, au vu des Etats-Unis.
Les Américains, comme on le sait, sont très sélectifs concernant la question de la démocratie.
Les Arabes et les Palestiniens sont réels, et ils ont transformé la position arabe en un outil aux mains de la gauche sioniste, variable selon le besoin de cette dernière pour s'adresser à l'opinion publique israélienne. On suppose que cette dernière est la principale scène du conflit.
La partie israélienne est une partie hypothétique qui n'a pas eu de pouvoir de décision, même à Camp David ou Taba, comme si elle était l'expression de son propre état, et elle est l'expression de notre état hypothétique, comme elle est supposée l'être actuellement, elle dit : « si j'avais eu le pouvoir de décision à Camp David, nous serions arrivés à ce qui suit". Il est bon de le savoir. Mais elle n'avait pas pouvoir de décision du temps de Barak, et elle n'a pas actuellement de pouvoir de décision, et elle nous abandonnera à la garde de Sharon.
Certains affirmeront qu'il s'agit d'une initiative des sociétés civiles, et l'ambiance était effectivement une ambiance de "sociétés civiles", telle que la connaissent les organisations non-gouvernementales, et qui peut égaler la Suisse pour diffuser cette ambiance accompagnée d'artistes, de fins locuteurs, avec tout le "politiquement correct" possible et évidemment, de la musique occidentale et orientale, pourquoi pas ?
Mais en réalité, ce n'est pas vrai. Seule la mise en scène est du style société civile. La partie palestinienne est officielle, ainsi que les gouvernements arabes et occidentaux hôtes et protecteurs. Il ne s'agit donc pas d'une initiative de la société civile. La partie israélienne est non-officielle. Donc, l'initiative non plus n'est pas officielle. Elle n'est ni société civile, ni gouvernementale.
Est-ce qu'il y a eu concession sur le droit au retour en contrepartie de toutes les autres questions ? Non.
Il y a eu "engagement public" de concéder le droit au retour sans fixer les autres questions.
Il y a eu, en acceptant de maintenir les grandes colonies situées le long de la ligne verte, une autre concession sur le principe du démantèlement des colonies construites sur les terres occupées en 1967.
La concession sur un principe même avant une négociation officielle signifie qu'il n'y a pas eu de négociation sur le principe encore, mais sur le nombre de colonies qui seraient annexées à Israël.
Qui peut affirmer que même un gouvernement travailliste s'engagerait à suivre la position de Beilin ?
L'initiative entraîne les parties arabes participantes, en protégeant, en signant ou en soutenant, à "s'engager publiquement" à reconnaître Israël en tant qu'Etat Juif, et avec une couverture palestinienne. Cette question qu'avait refusée la partie palestinienne d'y souscrire, même lors du discours du sommet d'al-Aqaba, mais qu'Israël avait insisté à rappeler aux Etats-Unis, au moins lors du discours officiel de son Président.
Comme nous le savons, l'article 17 de la loi de principe de la Knesset établit que le parti voulant participer aux élections en Israël doit reconnaître qu'Israël est un Etat Juif et démocratique.
Les Arabes ont-ils l'intention de participer aux élections ou de parvenir à un règlement avec Israël ?
Est-ce qu'il s'agit d'un traité historique avec le sionisme ou d'un règlement avec l'entité qu'il a créée ?
Le document est une proposition pour un traité historique avec le sionisme. Ceci n'a jamais été réclamé dans aucun accord de paix. C'est la principale réalisation de la gauche sioniste avec laquelle elle est revenue de l'accord de Genève.
Nos revendications concernant la transformation de cette entité en un Etat pour tous ses citoyens et la lutte en faveur de ce but suscitera probablement le sourire de cette gauche sioniste dont la haine envers les forces arabes éclairées dépasse tout autre facteur qui, par leur adoption du discours démocratique, provoquent la contradiction inhérente à l'Etat juif, entre sionisme et démocratie.
Après la fin de la cérémonie diffusée par les médias arabes en direct sous l'appelation "cérémonie de la signature de l'accord de Genève entre les Palestiniens et des Israéliens" - remarquez le "les" - les Palestiniens reviendront à la monotonie de l'occupation, des invasions, du mur de l'Apartheid, ils reviendront à Sharon, au marasme interne de la gauche sioniste après Genève et sa tentative de convaincre de la véracité des concessions arabes relatives au droit au retour.
La droite sioniste traduira et relèvera les déclarations des Arabes qui rejettent la concession du droit au retour, en arabe. Nous reviendrons à un dialogue entre les groupes (palestiniens, ndlt). Ni accord ni rien du tout. Nous savons seulement dès à présent ce qui était connu, au sujet de la position de Beilin et de ses confrères, et nous savons aussi ce qui n'était pas connu, que la position officielle palestinienne est actuellement un "engagement public".
Est-ce que l'accord a prouvé qu'il y avait un partenaire palestinien pour un accord de paix ? J'avais déjà écrit dans un article précédent que pour la gauche sioniste, c'était le but à atteindre, contre Barak précisément.
Cette idée est devenue le drapeau des "favorables à Genève", mais avec une autre explication et une autre justification, se résumant au fait qu'il contribue à convaincre la société israélienne qu'il y a un partenaire palestinien. Comme s'il était écrit que les Palestiniens devaient faire des concessions politiques, l'une après l'autre, non pour un règlement mais pour leur permettre de négocier. L'idée dans son ensemble n'est pas vraie.
La question n'est pas l'inexistence d'une partie palestinienne apte à négocier, mais l'inexistence d'une partie palestinienne sérieuse acceptant les idées de la société israélienne actuelle.
Barak avait prétendu qu'il n'y a pas de partie palestinienne pour un accord de paix accepté, au minimum, du point de vue israélien, à la manière de Camp David.
Quant à Sharon, il n'a même pas prétendu qu'il n'y avait pas de partie palestinienne, car il n'a rien à proposer pour une solution globale, ou parce qu'il est réaliste et il sait qu'il ne trouverait pas de Palestinien acceptant ce qu'il propose pour une solution globale. Sharon avait appelé à négocier avec l'ancien et le nouveau premier ministre palestinien et d'autres. Il est prêt à négocier sans fin, mais il n'y a rien sur quoi négocier, avec Sharon.
Même le retrait jusqu'aux lignes du 28 septembre, qui est le seul pas réaliste à son époque selon les termes de la "feuille de route" nous le trouvons assorti de mille conditions.
Il est possible effectivement d'arriver à un règlement avec Yossi Beilin au temps de Sharon, mais il n'est pas possible de parvenir à un règlement avec Sharon au temps de Sharon. C'est pourquoi il faut que la stratégie palestinienne soit à long terme, s'appuyant sur le maintien de l'unité nationale palestinienne et la formulation d'un discours politique national et démocratique que cette unité pourra présenter au monde.
Le document de Genève ne met pas Sharon dans une impasse, l'impasse dans laquelle il se trouve existe avant Genève, Londres et d'autres. Elle est issue de l'échec de sa politique sécuritaire à réaliser une "solution", de la stagnation économique, de l'échec de sa politique médiatique sur le plan international.
La définition des moyens de la lutte palestinienne et sa limitation à ce qui est nécessaire le mettront encore plus dans l'impasse, ainsi que le maintien du cessez-le-feu à l'intérieur de la Ligne Verte, la construction de l'unité de la société palestinienne, la mise en ordre de la situation sociale et civile pour une résistance sans concession d'aucun droit fixé sur le plan international.
Le document de Genève ne contribue pas à renforcer l'unité nationale et ne répond à aucune autre tâche réclamée dans une phase où aucune perspective pour un règlement relativement juste ne se profile.
Source : www.amin.org
Traduction : R. Ousseiran
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