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Cisjordanie - 16 juin 2005
Par Ran HaCohen
Qu'elle est la première image qui vous vient à l'esprit au mot "Occupation" ?
Probablement une certaine sorte de violence extrême parmi les civils : les tirs mortels au milieu de la ville, des gosses terrifiés en pyjamas observant les soldats lourdement armés fouiller une maison, un hélicoptère tirant un missile au milieu de Gaza.
Toutes ces scènes violentes se produisent, mais elles ne donnent pas une image proportionnée de ce à quoi ressemble vraiment l'occupation.
Très peu de gens se rendent compte qu'Israël a transformé la vie dans les Territoires Occupés (colons israéliens exclus) en une misère absolue sans avoir besoin de tirer une seule balle.
Un regard unique et de valeur inestimable sur les mécanismes qui constituent cette occupation "calme', habituellement cachés derrière le littéral écran de fumée de la violence, est donné par le premier rapport annuel du groupe des Droits de l'Homme Machsom Watch, présenté dans une conférence de presse à Tel Aviv la semaine dernière.
Checkpoints de Cisjordanie : Les bases
Machsom – "Barrage routier" en Hébreu – représente un arsenal entier d'obstacles répandus dans tous les Territoires Occupés : les barrages routiers provisoires ou permanents, les points de contrôle gardés ou des routes fermées par de gros blocs de ciment, des portes dans le mur, des monticules de terre, des fossés, des tours d'observation.
Le fait le moins connu mais le plus significatif sur ces divers obstacles physiques est que presque tous ne sont pas des "checkpoints de frontière" situés entre Israël et les Territoires Occupés; presque tous sont placés DANS les Territoires Occupés, entravant le déplacement d'un ville ou d'un village palestinien à un autre.
Au cours des quatre dernières années – les signes étaient assez clairs début 2002 - Israël a rendu chaque déplacement de chaque Palestinien dépendant d'un permis israélien.
Incroyable, mais vrai : Un Palestiniens qui désire sortir (ou ré-entrer) de son entourage immédiat - une ville, un village, un quartier, ou juste d'une partie arbitrairement coupé d'un village - doit obtenir à l'avance un permis d'Israël et le montrer à chaque checkpoint gardé par des Israéliens.
Vous ne pouvez pas tout simplement aller travailler, faire quelques achats ou des affaires, aller à l'école, rendre visite à la famille ou aux amis, à un hôpital - vous devez d'abord passer par un ou plusieurs checkpoints israéliens.
Les chiffres sont horrifiants. Le bureau pour la Coordination des Affaires Humanitaires de l'ONU (OCHA) a compté en novembre 2004 pas moins de 719 (!) obstacles physiques dans l'ensemble de la Cisjordanie . Machsom Watch signale que moins de 70 d'entre eux ont été enlevés dans la récente période de "calme", seulement certains seront remplacés par le Mur qui progresse rapidement.
Un général de l'armée a rapporté que les 25 checkpoints centraux sous sont contrôle ont nécéssité 1.000 soldats, et jusqu'à 5.000 soldats sont employés sur des alertes spéciales (Ha`aretz, 22 juillet 2003); nul ne s'étonne que les checkpoints ne sont pas constamment gardés, ayant pour résultat des files d'attente sans fin.
Personne sur les plus de 2 millions de Palestiniens en Cisjordanie ne vit à plus de 3 kms d'un barrage routier ou d'un checkpoint. Un itinéraire court à travers la Cisjordanie vous ferait passer inévitablement par plusieurs checkpoints israéliens, certains d'entre eux situés à 5 minutes en voiture les uns des autres.
Vous avez été chanceux de passer un point de contrôle? Le prochain est juste à quelques minutes de là, où vous aurez tout à recommencer.
Les checkpoints sont fermés pendant les fêtes israéliennes, juives, musulmanes, et autres occasions publiques, paralysant la vie sociale et l'économique palestinienne.
Machsom Watch rapporte que
"De mars à mai (2004)" un bouclage a été imposé qui a inclus l'encerclement total de nombreuses régions de Cisjordanie .
Le bouclage a commencé aux vacandes de Pâques et s'est poursuivi sans interruption jusqu'au Jourde l'Indépendance israélienne (plusieurs semaines plus tard) et ensuite du référendum du parti du Likud, et a finalement été levé après la finale européenne de Basket-ball.
Aparté personnel
Quand j'avais 18 ans, j'ai reçu ma formation de base dans une unité d'infanterie israélienne bien connue pour sa férocité.
L'aspect le plus difficile des 100 jours que j'y ai passé, début 1983, n'était pas les difficultés physiques : il était assez mauvais, mais c'était du gâteau comparé au stress permanent provoqué par la politique intentionnelle et systématique de garder les nouvelles recrues dans l'incertitude totale.
Nous n'avions aucune idée de ce qui pourrait se passer quelques minutes plus tard : Serions-nous emmenés à une conférence, à un exercice physique, un repas, ou emmenés vers une base éloignée ?
Nous avons été envoyés au lit tard dans la nuit pour être réveillés seulement une demi-heure plus tard; un week-end de libre à la maison a été annoncé et annulé plusieurs fois jusqu'au vendredi après-midi; et certains soldats ont été punis sans raison claire.
Comme mon officier nous l'a dit plus tard, l'idée était de "nous casser en tant que des civils afin de nous reconstruire en tant que soldats.", au moins la première partie a été réalisée avec succès:
Le stress insoutenable a causé à bon nombre d'entre nous de graves dégâts d'ordre mental, comme le choc, l'identification avec l'agresseur, ou des syndromes post-traumatiques.
Apparemment, l'encadrement abusif n'a pas été épargné non plu s: plusieurs années après, l'officier que je viens juste de citer a émigré aux Etats-Unis, a été "adopté" par un vieux couple de riches Juifs-Américains enchanté par le robuste combattant israélien, et il est maintenant en prison à vie pour les avoir abattu tous les deux, espérant hériter de leur richesse.
A travers le Checkpoint
Les activistes de Machsom Watch disent qu'ils ont vu l'idée derrière la politique des checkpoints réellement écrite dans un document militaire : Garder la population palestinienne sous incertitude permanente.
Précisément le même principe, utilisé alors pour "casser" les recrues pendant la formation de base, est appliqué à une population entière, des enfants et des adultes, des femmes et des hommes, des malades et des personnes âgées.
Les checkpoints sont au coeur de cette politique.
Au moment où vous commencez un voyage à travers la Cisjordanie , vous n'êtes plus le maitre de votre temps. Vous ne savez pas si vous allez pouvoir le faire, ni même à peu près combien de temps cela prendra.
En raison des "checkpoints surprises" et des checkpoints gardés seulement pendant certaines heures, vous ne pouvez pas même dire combien de checkpoints vous aurez à traverser.
N'importe quel checkpoint peut être fermé à tout moment, sans préavis ni indication si et quand il rouvrira. Vous pouvez passer trois checkpoints sur votre chemin, et n'être arrêté qu'au quatrième.
Passer un checkpoint peut prendre des minutes ou des heures, en raison des files d'attente imprévisibles. L'armée peut également tout à coup imposer le bien connu "Stop All Life Procedure" - un gel total de tout mouvement qui dure pendant des heures.
Détention
Même lorsqu'un checkpoint est ouvert, des individus sont exposés au despotisme et à l'incertitude extrêmes. Avoir un permis est une condition nécessaire pour passer le checkpoint, mais pas suffisante.
Avec un geste à peine visible de son doigt, un soldat de 19 ans peut décider que votre document a besoin "d''inspection" et vous détenir.
Une telle détention peut prendre 20 minutes; mais elle peut également prendre plusieurs heures, durant lesquelles vous devez attendre dans Jora ("trou" en arabe, "trou de vidanges" en hébreu) sans toit, où vous pouvez recevoir l'ordre de rester debout, ou de vous asseoir sur le sol face au mur.
Si vous êtes un chauffeur de bus, tous vos passagers devront attendre avec vous.
Votre document peut être envoyé pour inspection immédiatement; mais il peut devoir attendre jusqu'à 20 ou 30 autres documents qui sont accumulés et envoyés ensemble.
Quand il revient avec un OK, vous pouvez circuler; mais certains documents sont souvent perdus dans le processus.
Qui est détenu?
Voici quelques réponses que les activistes de Machsom Watch ont obtenues des soldats des checkpoints :
• "Toute personne qui semble stressée" (dans ces circonstances, qui ne le serait pas);
• "chaque neuvième homme";
• "Tous ceux qui s'appellent Mohammed";
• "Toute personne qui veut passer par mon checkpoint"
La tyrannie incarnée.
Beaucoup de soldats se réfèrent à la détention aux checkpoints comme un genre de punition ou de "mesure éducative", et même commandent à ceux qui en sont responsables : "Détient ce type pendant un long moment."
Climat anglais
Derrière ce système, il y a des myriades d'êtres humains avec des histoires parfois déchirantes - le malade des reins arrêté, l'étudiant battu.
Certaines de ces histoires tombent franchement sous l'abus.
L'efficacité d'Israël à transformer la vie des Palestiniens en enfer disparaît quand des plaintes doivent être traitées : sur 100 plaintes envoyées en 2004 par Machsom Watch à plusieurs bureaux de l'armée et de l'Etat, 87 pour cent ont été ignorées ou ont reçues des réponses insuffisantes.
Il y a deux ans, l'armée a admis que sur 1.200 demandes de renseignements sur des plaintes de checkpoints, seulement 18 avaient mené à des enquêtes de la police militaire; les autres - 98,5% - avaient été enterrées (Ha`aretz, 22 juillet 2003).
Mais il est important de ne pas laisser les cas d'abus se distraire de la routine "normale" : La vie quotidienne des Palestiniens est insoutenable même les jours, comme les appellent les activistes de Machsom Watch, de "climat anglais", c.-à-d., un jour habituel sans événement exceptionnel.
Si les racines de la frustration, du désespoir, et de la violence palestiniens – "le terrorisme" si vous voulez - doivent être cherchées, le système des checkpoints est un excellent endroit pour commencer.
Source : http://antiwar.com/hacohen/
Traduction : MG pour ISM
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16 juin 2005