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Palestine -

La liberté universitaire en contexte.

Par

Article paru dans Al-Ahram hebdo du 16-22 juin 2005 - Omar Barghouti est chercheur indépendant. Lisa Taraki enseigne la sociologie à l’université de Birzeit. Ce sont les membres fondateurs de la Campagne Palestinienne pour le Boycott Universitaire et Culturel d’Israël.

L’Association des Professeurs d’Université de Grande Bretagne est revenue sur sa décision du 22 avril dernier de boycotter les universités israéliennes.
Si la désinformation, l’intimidation et les menaces faisaient partie des tactiques utilisées par les opposants à ce boycott, l’outil employé de la manière la plus persistante pour arriver à ce résultat, a été l’affirmation que le boycott universitaire empiète sur la liberté de l’université.

La liberté de faire avancer la connaissance et les idées, et de les échanger, a été estimée sacro-sainte, quelles que soient les conditions qui prévalent.

Dans cet argument, deux fautes-clés . Il est partial de façon inhérente—considérant que seule la liberté universitaire des Israéliens a de la valeur.

Le fait que les Palestiniens se voient refuser les droits fondamentaux ainsi que leur propre liberté universitaire à cause de l’occupation militaire d’Israël ne compte pas pour ceux qui en sont les perroquets. Et privilégier la liberté de l’université en tant que valeur suprême au-dessus de toutes les autres libertés est à l’opposé des fondements même des Droits de l’Homme.

Le droit de vivre, et la liberté de tout assujettissement ou occupation coloniale, parmi d’autres, doit prendre le dessus sur la liberté de l’université.

Si cette dernière contribue d’une manière quelconque à la suppression des premiers, droits plus fondamentaux, elle doit céder la place.
Et si la lutte nécessaire pour atteindre les premiers demande une restriction des seconds, alors qu’il en soit ainsi.



La liberté de l’université et les droits humains les plus fondamentaux s’excluent-ils mutuellement ?

Dans la plupart des cas, non, quoique dans des situations d’oppression persistante et de non respect durable des lois internationales soutenus—implicitement ou explicitement—par les institutions universitaires, la réponse est un oui des plus sonores.

Vers la fin de l’époque de l’Apartheid, lorsque le monde entier boycottait les universitaires sud-africains, parmi le régime général de sanctions et de boycotts endorsés par les Nations Unies, la liberté universitaire a été violée à un certain degré.

Cela fut accepté par la communauté internationale, prix raisonnable à payer pour contribuer à la défaite de l’Apartheid et à l’accès à des libertés plus fondamentales refusées aux Sud-Africains depuis des générations.

Etre libéré du racisme et du joug colonial était alors perçu comme ayant plus d’importance que les effets secondaires non désirés subis par la liberté de l’université et autres libertés des universitaires individuels opposés à l’Apartheid.



Dans le contexte israélien, ce que les opposants au boycott défendent n’est pas seulement l’accès illimité des universitaires israéliens à la communauté mondiale des savants et leur participation à un libre échange des idées, mais aussi aux privilèges matériels et symboliques de la vie universitaire.

Dans ce cas, rejeter le boycott des universités dans le but de préserver la liberté et les privilèges des universitaires israéliens tout en ignorant les droits et libertés plus vitaux des Palestiniens—qu’ils soient universitaires ou non—est un cas flagrant de deux-poids-deux-mesures.



Le contexte de la liberté universitaire a été utilisé abusivement par les opposants au boycott, et mal compris par beaucoup d’autres. Dans les sociétés démocratiques, on voit d’un très mauvais œil les universitaires dont les écrits et les activités peuvent être interprétés comme incitant à la haine raciale.

Par exemple, des universitaires américains et européens qui avaient nié que l’holocauste se soit produit, ou qui en ont mis en doute la véracité, ont dû subir de sévères mesures disciplinaires de la part des universités, et la censure de leurs collègues et de leurs associations professionnelles.

En Israël, cependant, où le racisme anti-Palestinien et anti-Arabe est une caractéristique du discours et de la pratique quotidiennes, le concept de liberté universitaire est tellement élastique qu’il inclut la liberté de mettre en avant des théories racistes et d’inciter à la haine, de soutenir le nettoyage ethnique, et bien pire encore.



Depuis des dizaines d’années, les institutions universitaires israéliennes sont complices de la politique coloniale et raciste d’Israël.
Subventionnées par le gouvernement, elles ont contribué de manière consistante et organique à l’establishment militaro-sécuritaire, et donc à perpétuer ses crimes, son non-respect des droits humains des Palestiniens, et son propre système d’Apartheid.



Contrairement à l’image—habilement crée et "marketée" par Israël et ses apologues, y compris les universitaires—de l’Université israélienne présentée comme un bastion des Lumières et une base solide pour l’opposition à l’occupation,

L’Université israélienne participe en fait de la "propagande officielle israélienne", selon Ilan Pappe, un des principaux "nouveaux historiens" israéliens qui ont dénoncé le nettoyage ethnique systématique des Palestiniens durant la Nakba.


Non seulement les universitaires israéliens défendent la narration coloniale de leur Etat, mais ils jouent aussi un rôle plus actif dans le processus d’oppression.

Tous, ou presque, servent dans les forces de réserve de l’armée d’occupation, par là-même participant, ou au moins en étant des témoins muets, aux crimes commis en tout impunité contre les civils palestiniens.

Pendant les 38 ans d’occupation illégale, peu d’entre eux se sont déclarés objecteurs de conscience quant au service militaire dans les territoires occupés. Ceux qui s’opposent politiquement à la colonisation des terres palestiniennes demeurent une minorité tristement minuscule.



On exagère grossièrement la liberté académique des campus. Elle est limitée par des contraintes choisies par l’Establishment sioniste, et les dissidents qui osent défier ces bornes sont soumis à l’ostracisme.



La proposition de boycott des universités a un autre but, celui de "fournir un moyen de transcender les limites publiques du débat", comme le dit Oren Ben-Dor, universitaire britannique d’origine israélienne. "Cette liberté est précisément ce qui manque en Israël," ajoute-t-il.

De ce point de vue, le boycott est considéré comme générateur de liberté universitaire réelle.

"L’idéologie sioniste stipulant qu’Israël doit garder sa majorité juive est une donnée qui ne se discute pas dans le pays—et le fondement du refus d’autoriser le retour des réfugiés palestiniens. Les quelques (très peu) intellectuels qui osent mettre la vache sacrée en question sont traités d’"extrémistes".
Ben-Dor attaque les membres de la "gauche" israélienne qui se sont opposés au boycott comme des "complices sophistiqués de l’étouffement du débat."



Sans parler de la responsabilité individuelle des universitaires israéliens, un examen judicieux et méthodique de la culpabilité des institutions universitaires israéliennes dans les crimes perpétrés contre le peuple palestinien mettra à jour une abondance de preuves accablantes.

Même Baruch Kimmerling, universitaire israélien renommé, opposé au boycott, écrit : "Je serai le premier à reconnaître que les institutions universitaires israéliennes sont une partie intégrante de l’Etat israélien oppressif qui a… commis de graves crimes contre le peuple palestinien."


La réaction israélienne hystérique à la possibilité de boycotts—qui s’est récemment manifestée lorsque Benjamin Nethanyahou a été chargé de la tâche de combattre le boycott universitaire—et le profond débat mondial qui a suivi l’occupation illégale et d’autres formes d’oppression montrent que la possibilité de présenter Israël comme susceptible d’être boycotté a touché un nerf à vif.

En gagnant ce round dans le processus de boycott, Israël a encore prouvé ce qui est largement reconnu : le lobby israélien possède assez d’influence dans les médias et dans l’Université pour éviter d’accomplir les obligations d’Israël par rapport aux lois internationales.

Cependant, sur le terrain, les faits demeurent. Le mur colonial, ses colonies sans cesse en expansion, le vol inflexible des terres et de l’eau, et les atteintes aux droits humains des Palestiniens sont bien trop réels pour être ignorés de la communauté internationale.



Comme dans le cas de l’Afrique du Sud, un régime complet de boycotts, de désinvestissement et de sanctions demeure non seulement la stratégie la plus efficace politiquement, mais aussi une stratégie moralement saine et non-violente pour forcer Israël à se plier aux lois internationales.



Lire l'appel lancé par la Campagne Palestinienne pour le Boycott Universitaire et Culturel d’Israël


Lire tous nos articles sur le thème : Boycott

Source : Al-Ahram hebdo

Traduction : Jean-Luc Mercier

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