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Monde Arabe - 9 décembre 2012
Par Badia Benjelloun
La ménagère de cinquante ans sait depuis de nombreux mois que les armes achetées par l’Émirat du Qatar et acheminées depuis la Turquie vers la Syrie arrivent aux mains de bandes dites rebelles de nationalité équivoque. Leurs intentions politiques, outre de faire chuter le régime de Bashar Al Assad, seraient de semer les germes d’une entité d’inspiration religieuse caractérisée par l’intolérance. C’est à ce même titre que les filières sont organisées à partir du Liban. Des enregistrements de conversations téléphoniques parvenues au journal Al Akhbar, authentiquées et non contestées par le principal intéressé, démontrent la participation du parti du « Futur » de Saad Hariri dans ce flux des ustensiles militaires destinés à entretenir la guerre dans le pays voisin.
Le « Futur » s’est distingué dans le passé récent par la fabrication du mouvement Fatah al Islam, réputé ‘islamiste’, composé de centaines de combattants venant de divers pays arabes. En 2007, la lutte armée de Fatah al Islam à l’intérieur de Nahr el Bared fut le prétexte pour le bombardement, deux mois durant, de ce camp de 30.000 réfugiés palestiniens au nord du Liban, et de sa totale destruction.
Cette ménagère qui a entre quarante et cinquante ans est arabophone et moyennement lettrée. Elle regarde le monde au travers de la lucarne Al Jazeera et accède de temps à autre à l'internet, quand ses enfants se sont endormis et lui cèdent la place.
Et elle saurait donc mieux et avant Hillary Clinton, que nombre des groupes qui opèrent au titre de l’Armée Syrienne dite Libre appartiennent à une mouvance dont le modus operandi est celui de l’accumulation de victimes civiles, y compris par des attentats suicides.
Le motif libyen ayant disparu de sa lucarne, la cinquantenaire se doute fortement que les évènements actuels dans l’Ifrikya ne sont pas congruents avec le récit qu’en faisait la chaîne satellitaire quand elle diffusait ses tournages en studio de manifestations sur la place Bab Al Azizia à Tripoli.
L’exécution de l’ambassadeur étasunien à Benghazi venu inspecter une prison secrète de la CIA (octroyée pour les extraordinary renditions du temps de Kadhafi ?) ne l’a pas surprise.
Les tribus libyennes sont majoritairement et de façon irréductible contre la mise sous tutelle du pays par l’OTAN et l’ont fait savoir de cette manière. La décision par la Maison Blanche de propulser le film provocateur à l’égard des Musulmans fut prise à ce moment précis où apparaissait au grand jour l’amateurisme du renseignement étasunien, et ce fut là une piètre esquive à la critique de ce manque évident de couverture pour le déplacement d’un diplomate en pays conquis. Petraeus en fut sacrifié ! Et que le scandale lié à sa liaison émergeât d’une hôtesse d’origine libanaise de parties privées concoctées pour des militaires haut gradés épice d’un parfum levantin et peut-être phalangiste une élimination qui satisfaisait le camp néoconservateur sioniste.
La ménagère arabophone a appris que l’administration Obama serait moins niaise qu’il n’y paraissait. Les armes dispersées depuis la Libye grâce à sa diligence soutenue vers le Mali et la Syrie se retourneraient contre elle. C’est pourquoi elle envisage d’intervenir militairement et brutalement dans les conflits qu’elle a ainsi suscités. Le raisonnement déductif de la diplomatie américaine manque de rigueur logique, mais c’est un trait génétique de la première puissance que d’ajouter du désordre au désordre qu’elle impose partout où elle passe.
Pour le Mali, l’agent du FMI Alassane Ouattara, poussé par la France à la tête de la Côte d’Ivoire, joue par ses suppliques en faveur d’une solution militaire à l’ouverture plus grande aux USA de cette partie de l’Afrique, au détriment de ses parrains français.
Est-ce pour atténuer l’effet de cette reconnaissance qu’une bonne part de la rébellion syrienne financée et armée par ses soins devient inopportune par cet effet réversif aisément observable dès que s’empilent des manipulations de plusieurs officines voire de nombreux États que Clinton brandit à nouveau le thème des armes chimiques détenues par Bashar Al Assad ?
Déjà fin août 2012, à l’occasion du massacre découvert à Deraya dans la banlieue de Damas où entre trois cents et cinq cents civils ont été massacrés, à l’évidence les victimes n’avaient pas subi de bombardement, les deux parties se rejettent encore la responsabilité du crime, les dirigeants occidentaux avançaient l’éventualité que l’armée légaliste risquait d’employer l’arme chimique pour réduire les opposants. Les hypothèses de la détention et de la probabilité de l’emploi de cette bombe du pauvre devenaient dès lors le corps de l’argument d’une intervention militaire occidentale pour réorganiser la Syrie selon leurs vœux.
Pour la mère au foyer arabophone, arabe donc car est arabe celui dont la langue l’est, d’éducation académique restreinte mais réelle car au lendemain des indépendances le service public assurait un enseignement gratuit de qualité, ces menaces lui rappellent immanquablement les allégations de Bush et Blair, fausses à première vue et largement démenties par la suite qui justifièrent l’occupation de l’Irak.
05.02.2003 - Le secrétaire d'Etat US Colin Powell brandit la "fiole" prouvant la soi-disant présence d'armes de destruction massive en Irak au Conseil de Sécurité des Nations Unies
Certes, le substrat fictionnel et le développement du scénario ont subi des déformations infligées par l’évolution de cette histoire irako-kafkaienne.
L’inventivité reste cependant limitée.
Une invasion massive étasunienne et britannique est désormais impossible. La récession économique a pris sa source dans les montages de dettes intriquées au sein de ces deux entités financières, elle les prive de cette liberté d’attaquer quand elles veulent et où elles peuvent. Cette liberté est d’autant plus amputée qu’elle est limitée par l’expansion des pays émergents à l’éminence inversement proportionnelle (1) à l’enfoncement dans la dépression du mode de production occidental.
Ainsi, les rudiments d’une mise en scène en harmonie avec le contexte d’un printemps arabe sont posés. Une guerre civile plongera le pays de Sham dans sa libanisation voire sa somalisation. Le tout désastre sera assaisonné d’un embargo qui fera fléchir la plus autonome des économies incarcérées de force dans le libre-échange international.
Les allégeances de cette poussière d’États qui ont résulté de la chute de l’Empire ottoman sous les poussées des appétits impériaux aiguisés et rivaux parachèveront l’affaire. La Jordanie, annexe américano-israélienne, offre une base opérationnelle à l’armée française.
La Turquie a renoncé à sa neutralité affichée dans la conquête de l’Irak et espère bien se payer de l’annexion de quelques sandjaks contigus supplémentaires. Le principe de zéro problème avec les voisins, qui a gouverné jusque-là sa politique étrangère pour protéger la projection commerciale de ses industries de transformation en développement, a cédé car le chaos destructeur de l’Irak l’implique dans la répression de sa minorité kurde militante.
La comptine pour enfants attardés de la démocratie imposée par les armées occidentales volant au secours des peuples en lutte contre des dictateurs n’a pas de prise sur la ménagère mère et grand-mère et voisine de martyrs qui ont vécu dans leur chair la mise en forme et le soutien indéfectible par ces puissances des dictateurs qui les ont opprimés, affamés, emprisonnés et assassinés.
Le monde a changé certes.
Mais un invariant subsiste.
Jamais, au grand jamais -le souvenir du sang arrivé à hauteur de poitrail des chevaux à Jérusalem lors de la dernière croisade est encore vivace- les armées occidentales ne sont intervenues pour libérer les peuples de cette partie de l’Asie (intitulée, selon la distance à parcourir par leurs navires, par les Compagnies anglaises de l’Inde Orient Moyen car relais important entre l’Extrême et Londres).
En Syrie, lieu d’invention de l’alphabet, se joue une confrontation entre la Russie renaissant du choc qu’elle a subi dans les années quatre-vingt-dix et l’Occident croulant sous les inventions mortifères de sa dernière industrie aux produits d’une toxicité qui lui garantissent son propre anéantissement.
Les personnages secondaires de ces péripéties condamnés à en être les exécutants aveugles peuvent à tout moment revendiquer et assumer les premiers rôles.
Notre ménagère, sa petite et sa grande famille, le proclame déjà au travers de son apparente passivité.
Badia Benjelloun
8 décembre 2012
(1) cette équation qui relie de façon inverse la montée des économies des BRICS et celles des pays occidentaux se vérifie jusqu’à un certain point en raison de leur interdépendance très étroite, imposée par la mondialisation.
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