Envoyer cet article
France - 28 septembre 2004
Par Gilles Kepel
… En 1993, Samuel Hutington, professeur à Harvard, publie dans la revue Foreign Affairs sont célèbre article sur le « clash des civilisations », qui suscitera des débats passionnés et sera suivi d’un livre homonyme, immédiatement best-seller mondial.
Le thème devient dès lors une ritournelle qu’entonnent grands et petits, doctes et profanes, à longueur de colloques et d’articles, pour s’en faire les chantres ou en condamner les thèses.
Sans entrer dans le détail de celles-ci, on notera qu’elles font de l’Islam – flanqué du confucianisme –l’autre par excellence de l’Occident, un autre hostile que ramasse la formule fameuse de l’auteur : « Le monde de l’islam, en forme de croissant, a des frontières sanglantes. »
L’adéquation entre la représentation cartographique (approximative) de l’extension territoriale supposée de l’Islam et son symbole sur les étendards des armées du Jihad est une manière de littérature à l’estomac. De fait, le croissant est devenu l’ordinaire du petit déjeuner européen d’abord, universel ensuite, aux lendemains de la défaite ottomane devant Vienne en 1683, qui marqua la fin du Jihad d’expansion vers l’ouest du sultan – calife d’Istanbul, et le coup d’envoi du ‘roll-back’ qui devait lentement emporter son Empire.
Les pâtissiers autrichiens célèbrent la victoire en confectionnant la viennoiserie qui permet à chacun, aujourd’hui encore, de dévorer le symbole de qui espérait les asservir – en un rite qui évoque l’ingurgitation de l’ennemi vaincu dans les tribus primitives, même si l’individu qui trempe un croissant dans son café a perdu la mémoire du moment fondateur.
La célébration n’est complète qu’à la condition que ce café soit un cappuccino : les Viennois, en pillant le camp abandonné des Turcs en déroute, découvrirent des sacs pleins d’un grain inconnu. Torréfié en un breuvage trop amer à leur goût, ils l’édulcorèrent de lait et de sucre, baptisant ce mélange « cappuccino » en hommage à la coule brun clair du capucin Fra d’Aviano, prêcheur infatigable de la croisade anti-ottomane triomphant devant Vienne, dont les sermons raffermissaient les cœurs et les esprits dans la certitude de la victoire de la croix sur le croissant. Le capucin sera béatifié par Jean-Paul II en 2002. […]
Fitna : Guerre au cœur de l’Islam.
Par Gilles Kepel, NRF Gallimard, 2004, ISBN 2-07-071297-4, 23,50 Euros
[Avec les attentats du 11 septembre 2001, Ben Laden et son mentor le Dr Zawahiri visaient à enrayer le déclin du jihad qui avait échoué pendant les années 1990 – en Egypte, comme en Bosnie, en Arabie saoudite ou en Algérie. En frappant l’ « ennemi lointain » américain, ils espéraient galvaniser leurs partisans et faire triompher l’islamisme radical dans le monde entier. Cette provocation advint au moment où la seconde Intifada enfonçait Israéliens et Palestiniens dans le chaos.
Pendant ce temps, à Washington, l’influent lobby néo conservateur repensait les intérêts stratégiques traditionnels des Etats-Unis au Moyen-Orient : la sécurité simultanée de l’Etat d’Israël et des approvisionnements pétroliers. Mêlant aspirations démocratiques et réaffirmations hégémoniques, la « guerre contre la terreur » ouvrir en définitive la boîte de Pandore dans l’Irak occupé. Les sévices infligés aux prisonniers irakiens, les prises d’otages occidentaux exécutés ou égorgés par les jihadistes illustrent l’impasse dans laquelle sont précipités la politique américaine et surtout le monde musulman.
Le chaos met en péril le Moyen-Orient, menace ses lieux saints et déchire le tissu social : c’est la hantise séculaire des oulémas, docteurs de la Loi – ils l’appellent fitna, la guerre au cœur de l’islam.
Face à cela, c’est en Europe, parmi les millions de musulmans qui y vivent désormais, que se joue la bataille pour l’évolution de l’islam – elle oppose la régression communautaire et la fusion avec la modernité. L’islam d’Europe est aujourd’hui à l’avant-garde de ce combat, le modèle sur lequel ont les yeux fixés les musulmans du monde qui aspirent à vivre libérés des régimes autoritaires comme des fantasmes sanglants des jihadistes.]
Afin d'assurer sa mission d'information, ISM-France fait appel à votre soutien.
L'ISM a pour vocation la diffusion d'informations relatives aux événements du Proche Orient. Les auteurs du site travaillent à la plus grande objectivité et au respect des opinions de chacun, soucieux de corriger les erreurs qui leur seraient signalées.
Les opinions exprimées dans les articles n'engagent que la responsabilité de leur auteur et/ou de leur traducteur. En aucun cas l'ISM ne saurait être tenu responsable des propos tenus dans les analyses, témoignages et messages postés par des tierces personnes.
D'autre part, beaucoup d'informations émanant de sources externes, ou faisant lien vers des sites dont il n'a pas la gestion, l'ISM n'assume aucunement la responsabilité quant à l'information contenue dans ces sites.
9 novembre 2021
Le fait d'être désigné comme "terroristes" par Israël illustre le bon travail des ONG en Palestine9 novembre 2021
L’Art de la guerre - Les nouvelles armes financières de l’Occident5 novembre 2021
Israa Jaabis : De victime à criminelle, du jour au lendemain3 novembre 2021
La normalisation est le dernier projet pour éradiquer la cause palestinienne1 novembre 2021
Kafr Qasem reste une plaie béante tandis que les Palestiniens continuent de résister à l'occupation30 octobre 2021
Voler et tuer en toute impunité ne suffit plus, il faut aussi le silence14 octobre 2021
Tsunami géopolitique à venir : fin de la colonie d’apartheid nommée ’’Israël’’12 octobre 2021
La présentation high-tech d'Israël à l'exposition de Dubaï cache la brutalité de l'occupation9 octobre 2021
Pourquoi le discours d'Abbas fait pâle figure en comparaison du fusil d'Arafat à l'ONU6 octobre 2021
Comment la propagande israélienne s'insinue dans votre divertissement quotidien sur Netflix : La déshumanisation et la désinformation de FaudaFrance
Histoire
28 septembre 2004