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Palestine - 2 avril 2013
Par Ibrahim Hewitt
Article original en anglais publié sur MEMO le 24 mars 2013.
Tous les principaux lobbyistes pro-israéliens, y compris Barack Obama il y a quelques jours, ont utilisé le terme de "délégitimisation" pour condamner les critiques contre l’Etat d’Israël et les politiques qu’il mène. Début mars, Ed Miliband, chef du Parti Travailliste britannique, s’est ouvertement affiché comme sioniste lors d’un discours à la Chambre des Députés des juifs britanniques, en mettant sur le même plan l’antisémitisme odieux et la "délégitimisation d’Israël", comme si les deux n’étaient qu’une seule et même chose, ce qui n’est pas le cas. Quasiment toute personne ayant un jour critiqué les activités illégales d’Israël, et condamné ses abus et violations de la législation et des conventions internationales en matière de Droits de l’homme, s’est aussitôt vue accusée d’essayer de "délégitimiser" l’Etat. Le lobby pro-israélien ne peut pas accepter, et n’acceptera jamais, l’idée selon laquelle critiquer Israël ne signifie pas nécessairement vouloir détruire son Etat.
Haïr les actes, et non les personnes qui les commettent, est une devise que j’enseigne à l’école, à des jeunes gens en proie à la confusion quand ils voient des personnes telles qu’Obama, et en Angleterre, David Cameron et Miliband, se revendiquer comme avocats de la paix et de la justice, et pour autant, proclamer régulièrement leur soutien à un pays qui affiche toutes les caractéristiques d’un Etat voyou, à quasiment tous points de vue.
Un certain nombre de documents clés sont souvent cités comme donnant une légitimité à Israël, dans sa forme actuelle. Le premier est bien sûr la Bible : Dieu a choisi les Enfants d’Israël et leur a promis la terre. C’est l’argument qu’utilisent les Sionistes pour justifier la revendication israélienne moderne sur la terre de Palestine et ce, bien que "le père fondateur du Sionisme", Theodor Herzl, dont la tombe a accueilli l’hommage du Président Obama le 22 mars 2013, ait été un athée notoire. De plus, "Israël" n’était à l’origine ni un Etat, ni une nation ; les Enfants d’Israël étaient les descendants du Prophète Jacob, ou "Israël". La "promesse", ou le pacte, était conditionnée au fait que ses descendants respectent les Commandements Divins et observent les Lois Divines.
Dans son ouvrage "L’invention du peuple juif", Shlomo Sand a démoli « les mythes centraux concernant l’origine primitive d’une nation merveilleuse ayant émergé du désert, conquis une terre spacieuse et construit un glorieux royaume ». Sand clame que de tels mythes « ont été une bénédiction pour développer le nationalisme juif et la colonisation sioniste ». Les mythes ont été « ébranlés » mais, « bien que la société israélienne ne soit plus dans le besoin de la légitimation historique qui fut le socle de sa création et de son existence même, elle a eu du mal à accepter les analyses novatrices » parues à la fin du XXème siècle.
Il semblerait pourtant qu’elle ait un écho auprès de certains membres du lobby pro-israélien. Des groupements juifs, comme l’ultra-orthodoxe Neturei Karta, qui se définissent eux-mêmes comme des « juifs de la Torah », écrivent : « Tous les grands rabbins qui, en accord avec la Loi juive, se sont opposés dés le début au sionisme, ne l’ont pas tant fait en considération des modes de vie laïcs des leaders sionistes de l’époque, ou encore de leur opposition à l’héritage de la Torah et de leur rejet de ses valeurs et pratiques, qu’en raison du fait que le concept même d’Etat juif est en conflit direct avec de nombreux fondamentaux du Judaïsme sur lesquels l’Etat d’Israël a été bâti. »
Neturei Karta est généralement rejeté par le lobby, considéré comme un "groupe minoritaire" et des "extrémistes", mais le raisonnement basé sur la Torah sous-tendant la position de ce groupe vis-à-vis d’Israël, est rarement, si jamais, relevé par les juifs laïcs qui, paradoxalement et en dépit de leur laïcité et de leur mode de vie séculier, utilisent un texte religieux comme fondement de la création de l’Etat d’Israël.
La Déclaration Balfour de 1917 est également citée par les lobbyistes pour "prouver" la légitimité de leur revendication sur la terre de Palestine. Or, cette Déclaration n’était à l’origine que quelques lignes figurant dans une lettre adressée à Lord Rothschild, par le Secrétaire des Affaires étrangères, Arthur James Balfour. Elle a été écrite pendant la Première Guerre Mondiale, avant que la Grande-Bretagne n’ait une quelconque responsabilité envers la Palestine, ou même une simple autorité sur elle. « Le gouvernement de sa Majesté considère favorablement l’établissement en Palestine d’un foyer national pour le peuple juif, et mettra tout en œuvre pour faciliter la réalisation de cet objectif, » a écrit Balfour, « étant clairement entendu que rien ne devra être fait qui puisse porter préjudice aux droits civils et religieux des communautés non-juives vivant en Palestine, et aux droits et au statut politique dont jouissent les juifs dans n’importe quel autre pays. » La seconde clause est souvent négligée par le lobby et le gouvernement d’Israël.
Le texte de la lettre fut « soumis et approuvé par le Cabinet », mais il ne fut jamais soumis pour débat aux Chambres du Parlement. Il aurait très bien pu devenir une politique du gouvernement, mais n’a jamais constitué un document ayant force de loi. En fait, il a même été qualifié de « nul, dénué de sens moral et mal intentionné » parce que « le consentement des populations indigènes et souveraines… ne fut jamais demandé et obtenu. » La Turquie, souverain légal de la Palestine en 1917, « n’y a pas consenti » ; et selon l’avocat Henry Cattan (1), « Cette lacune fondamentale n’échappa pas à l’attention de Chaim Weizmann, le principal négociateur sioniste de la Déclaration Balfour, puisqu’il insista auprès du gouvernement britannique sur "l’importance d’inclure la Déclaration Balfour dans le Traité de Paix avec la Turquie." »
La Déclaration fait référence à l’appui du gouvernement britannique pour un « Foyer National Juif », et non pour un Etat juif. Sir Herbert Samuel, le premier Haut Commissaire britannique pour la Palestine, dont les avis sont supposés avoir influencé le contenu de la lettre, déclara à la Chambre du Parlement en 1917, qu’« il n’existait pas de promesse d’un Etat juif » visée par la Déclaration Balfour. Comme Cattan l’indique dans "The Palestine Question", à l’époque de la rédaction de la Déclaration, « le gouvernement britannique, une puissance étrangère au regard de la Palestine, ne possédait pas, et n’avait même jamais possédé, une quelconque souveraineté, droit de disposition, ou juridiction sur la Palestine, qui l’autorise à accorder quelque droit qui soit, politique ou territorial, à un peuple étranger, sur le territoire de la Palestine. »
En 1922, lorsque la Chambre des Lords a participé au débat relatif au mandat sur la Palestine, à la Société des Nations, des membres se sont opposés à l’inclusion de la Déclaration Balfour dans les modalités du mandat. « Lord Islington, » a écrit Cattan, « fit remarquer que le mandat proposé violait les engagements pris par le gouvernement de sa Majesté vis-à-vis du peuple de Palestine. » D’après Lord Sydenham, lors du même débat, « le mal causé par le débarquement d’une population étrangère sur un pays arabe… [est un mal] auquel on pourrait ne jamais remédier… Ce que nous avons fait, par des concessions faites, non pas au peuple juif, mais à une section extrémiste sioniste, est d’initier une véritable plaie à l’Est, et personne ne peut dire jusqu’où s’étendra cette plaie. » Cette "plaie" est bien entendu apparue de manière très évidente aux Palestiniens, qui pourraient répondre très brièvement à son Excellence qu’elle a détruit leur pays, leurs vies et très vraisemblablement, leur futur.
L’autre document majeur utilisé par les supporters d’Israël est la Résolution passée par les Nations-Unies en 1947 pour la partition de la Palestine. Sir Herbert Samuel s’y opposa, ainsi qu’apparemment, « les juifs religieux indigènes de Palestine » qui étaient « fermement opposés au sionisme politique », parmi lesquels Neturei Karta. Bien entendu, le peuple de Palestine, représenté aux Nations-Unies par le Haut Comité arabe dont le porte-parole était Henry Cattan, s’opposa également à la partition de leur pays. Leurs craintes se révélèrent fondées avec la Résolution 181 (II) de l’Assemblée Générale qui accorda 57 % de la Palestine aux juifs pour leur Etat, alors qu’ils ne possédaient que 6 % des terres à l’époque.
Ce qui est intéressant, lorsque les lobbyistes pro-israéliens citent la Résolution 181 des Nations-Unies comme base de la légitimité de l’Etat, est que :
a/ les Résolutions de l’Assemblée Générale des Nations-Unies ne sont pas contraignantes,
b/ la Résolution « était probablement ultra vires [cad. hors de la compétence des Nations-Unies] » dans tous les cas,
et c/ l’Etat d’Israël en train de naître s’étalait au-delà des frontières fixées par les Nations-Unies, en dépit de leur promesse d’appliquer la Résolution 181 qui par ailleurs, visait à faire de Jérusalem un corpus separatum destiné à être administré par les Nations-Unies. Et Israël réclame évidemment la totalité de Jérusalem comme "sa capitale éternelle et indivisible".
Lorsqu’Israël se porta candidat pour rejoindre les Nations-Unies en 1948, sa demande fut rejetée. Il renouvela sa candidature en février 1949, qui fut conditionnée au fait qu’Israël se conforme à la Résolution 181 des Nations-Unies « concernant le territoire des Etats arabe et juif, la ville de Jérusalem, les Lieux Saints et les droits des minorités », ainsi que la Résolution 194 (en date du 11 décembre 1948) « se rapportant au rapatriement des réfugiés [palestiniens] et Jérusalem ». Israël n’a jamais respecté ces résolutions, comme il ne s’est d’ailleurs jamais conformé à quelque autre Résolution des Nations Unies qui lui demandait de prendre des mesures qui auraient entraîné le retour des réfugiés palestiniens sur leurs terres, ou pour fixer ses frontières conformément à la Résolution 181. Etonnamment, Israël est le seul Etat membre des Nations Unies qui n’a jamais déclaré ce que ses frontières sont réellement ; ce qui lui a très opportunément permis de s’emparer régulièrement de toujours plus de territoires palestiniens, au fil des années, dans sa surenchère à vouloir créer le "Grand Israël", "le rêve sioniste" selon les propres mots du Président Obama.
En général, on peut dire qu’Israël ignore les Résolutions des Nations-Unies, à moins qu’agir autrement ne serve ses ambitions politique et territoriale. Il est également juste de dire qu’il n’a jamais été blâmé pour cet abus flagrant du statut de membre des Nations-Unies, qui exige à tout pays de respecter les termes de la Charte des Nations-Unies.
Pour ce qui est des Conventions relatives aux Droits de l’homme, Israël ne respecte pas la IVème Convention de Genève, en toute impunité. La construction des colonies israéliennes, à travers toute la Cisjordanie occupée, est l’exemple le plus flagrant de cet abus. Elles sont supposées être illégales au regard du Droit international qui interdit l’acquisition de territoires par la guerre, et le transfert de la population de l’occupant, par delà la frontière, à l’intérieur du territoire occupé. Israël – oh, quelle surprise ! – ne veut pas en convenir, mais il est le seul pays à agir de la sorte. Et c’est pourquoi il est affligeant d’entendre des personnes comme Barack Obama insister sur le fait que les Palestiniens devraient retourner à la table des négociations autour de laquelle peut être discutée la question des colonies. Depuis quand les criminels sont-ils autorisés à "négocier" leurs crimes ? Quel type de droit le Président des Etats-Unis a-t-il étudié à Harvard ?
La liste est longue, des crimes de guerre et des crimes contre l’Humanité perpétrés par Israël, et va du transfert de prisonniers depuis leur pays sous occupation vers des prisons situées à l’intérieur de la force occupante, à l’utilisation de bombes au phosphore sur des zones occupées par des civils durant l’opération "Plomb durci", comme en témoignent les photos spectaculaires prises lors de l’attaque contre une école des Nations Unies de la bande de Gaza. De telles atrocités ont toujours existé, de l’infâme massacre de Deir Yassin en 1948, en passant par le massacre de Qibya en 1953, Sabra et Shatila en 1982, à l’offensive d’Israël contre la population civile de Gaza, majoritairement non armée, en 2008/9, et à nouveau en 2012.
A chaque fois, et sans exception, les exactions israéliennes sont présentées comme des "réponses" au "terrorisme" palestinien. Le plus grand succès du lobby a été de persuader les gouvernements occidentaux, s’il y en avait encore eu un à convaincre, que la légitime résistance palestinienne contre l’occupation militaire israélienne équivaut à du "terrorisme". Une légitimité à laquelle fait référence, par exemple, la Résolution 2787 des Nations Unies, en date du 6 décembre 1971.
Au vu de l’exigence de se conformer au Droit international pour les signataires des Conventions de Genève, et donc d’appréhender les accusés de crimes de guerre et de crimes contre l’Humanité, il est étonnant de voir ensuite que des personnes comme Barack Obama peuvent se rendre en Israël et faire l’éloge d’un tel Etat et gouvernement criminel. Il est tout aussi étonnant de constater qu’un gouvernement comme celui de la coalition britannique a amendé sa législation nationale de manière à permettre aux Israéliens tenus pour responsables de crimes de guerre de se rendre au Royaume-Uni sans crainte d’arrestation.
Tout cela amène la question évidente suivante : comment les opposants aux activités illégales d’Israël et à ses politiques peuvent-ils être encore accusés de chercher à "déligitimiser" l’Etat ? Assurément, et de manière générale, Israël s’est de lui-même délégitimisé à partir du moment où il a accepté de respecter les termes de la Charte des Nations Unies, de par son statut de membre de l’ONU, et les exigences qui en découlent – parmi lesquelles permettre le droit au retour des réfugiés palestiniens et accepter de donner un statut international à Jérusalem – et qu’au contraire, il fait tout ce qu’il peut non seulement pour ignorer ces obligations, mais travaille activement à les saper. Israël ne peut pas jouer sur les deux tableaux ; s’il revendique tirer sa légitimité d’un document précis, il n’a pas d’autre choix que de se conformer à ses termes et obligations.
Le lobby pro-israélien et ses laquais devraient être présentés pour ce qu’ils sont vraiment, non pas comme les supporters d’un Etat démocratique luttant pour survivre tel un « avant-poste de civilisation contre la barbarie », comme l’a dit Herzl, mais comme les partisans vociférants d’un Etat-voyou qui cherche à tout prix à interpréter les lois et les conventions internationales de manière à ce qu’elles concordent avec son propre objectif malfaisant, consistant à s’emparer de toujours plus de terres palestiniennes, avec le moins possible de Palestiniens dessus.
Parler de paix sans parler de justice, et sans traîner en justice ceux qui ont traité les normes internationales de comportement, avec le plus grand mépris et au prix de la vie de milliers de Palestiniens, devrait appartenir au passé. La paix, avec la justice, est une chose bénéfique pour tous au Proche-Orient ; et c’est pourquoi toutes les personnes de bonne volonté doivent poursuivre d’arrache pied dans cette voie.
Alors, est-ce qu’Israël tire sa légitimité de son accomplissement des commandements bibliques auquel il est tenu par la revendication de ses racines bibliques, le "foyer historique du peuple juif" ? Ou la tient-il des Nations-Unies qui lui ont offert le tremplin pour sa création ? Ou la tire-t-il du respect d’Israël pour la Charte des Nations-Unies et des Résolutions de l’ONU ? Ou encore de son respect pour les lois et les conventions internationales, auxquelles chacun de nous autres est tenu d’adhérer ? Ou finalement d’aucune de ces raisons ?
La prochaine fois que nous entendrons que des personnes sont accusées de vouloir "déligitimiser" Israël simplement parce qu’elles l’ont appelé à respecter le droit international ou à en assumer les conséquences, comme c’est le cas pour les autres pays et gouvernements, nous devons penser à demander aux porte-paroles du lobby pro-israélien de nous expliquer clairement d’où est-ce qu’ils estiment que provient la légitimité de leur Etat préféré. Le monde mérite d’en être informé.
(1) Henry Cattan (1906-1992), né à Jérusalem, juriste palestinien, auteur, notamment, de The Palestine Question, Croom Helm, Londres-New-York, 1988. (Wikipedia)
- Lire, en français, le texte d'une Conférence de Henry Cattan prononcée en 1970 : "Le partage de la Palestine du point de vue juridique".
Source : Middle East Monitor
Traduction : CR pour ISM
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