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Algérie - 7 décembre 2011
Par Youssef Girard
Né le 5 décembre 1910 à El-Harrouch dans l’est de l’Algérie, Messaoud Boukadoum, dit Si El-Haouas, appartenait à une famille jouissant d’une position sociale relativement favorable. Bachelier et lettré en langue arabe, en 1933, il obtint une bourse pour poursuivre ses études à Paris. Là , il adhéra au premier mouvement nationaliste révolutionnaire algérien, l’Étoile Nord Africaine [ENA], dont il devint membre du Comité Directeur. Dans le même temps, il fut membre du bureau de l’Association des Étudiants Musulmans Nord-Africains [AEMNA]. Une fois ses études terminées, il rentra à El-Harrouch en septembre 1937 où il constitua une section du Parti du Peuple Algérien [PPA] qui avait succédé à l’Étoile Nord Africaine après sa dissolution par le gouvernement du Front populaire, le 26 janvier 1937. Avant la dissolution du PPA, en septembre 1939, il fut membre de la direction de la Fédération d’Algérie du Parti.
En février 1943, après le débarquement des Alliés en Afrique du Nord du 8 novembre 1942, le Manifeste du peuple algérien fut publié afin d'exposer les revendications politiques des partisans d'une remise en cause de la domination coloniale. Un an plus tard, le 14 mars 1944, les Amis du Manifeste et de la Liberté [AML] furent constitués dans le but de défendre les idées du Manifeste. Les militants du PPA clandestin adhérèrent aux Amis du Manifeste et de la Liberté et Messaoud Boukadoum devint l’un des principaux dirigeants des AML dans le Constantinois. Au cours du Congrès des AML de mars 1945, il s’illustra comme l’un des principaux défenseurs des thèses du PPA au sein du rassemblement. Arrêté durant les massacres de mai 1945, il fut condamné, en octobre 1945 par le tribunal militaire de Constantine, à dix-huit mois de prison ferme et 30.000 francs d’amende. A la suite de l’amnistie générale, il fut libéré en mars 1946.
Après le retour de Messali Hadj, qui avait été déporté à Brazzaville au printemps 1945, des discussions s’instaurèrent, au sein du PPA clandestin, sur l’opportunité de participer au processus électoral. Alors que la majorité de la direction était opposée à cette participation, Messali Hadj réussit à imposer le principe de participation aux élections législatives devant se dérouler le 10 novembre 1946. Ne pouvant pas se présenter sous l’étiquette du PPA, qui restait interdit par l’administration coloniale, les militants nationalistes révolutionnaires créèrent des listes intitulées « pour le Triomphe des Libertés Démocratiques » qui furent à l’origine de la création quelques mois plus tard du Mouvement pour le Triomphe des Libertés Démocratiques [MTLD] véritable vitrine légale du PPA. Messaoud Boukadoum fut élu député de la deuxième circonscription de Constantine avec Mohammed Lamine Debaghine et Djamel Derdour. Ahmed Mezerna et Mohammed Khider furent élus députés dans le département d’Alger.
La principale question à laquelle furent confrontés les députés du MTLD après leur élection fut celle du « Statut organique de l’Algérie ». Par principe, le PPA-MTLD contestait le droit d’une assemblée française de légiférer sur des questions propres à l’Algérie, qui était une nation occupée devant recouvrer son indépendance. Le 20 août 1947, les députés du MTLD intervinrent à la tribune de l’Assemblée Nationale française. Chacun fut chargé de traiter une question particulière relative à la politique coloniale française sévissant en Algérie : Ahmed Mezerna traita de la politique agricole des colons ; Djamel Derdour de la domination politico-administrative et de l’oppression coloniale ; Mohammed Lamine Debaghine de l’affirmation de la nation algérienne ; et Messaoud Boukadoum des atteintes à l’islam et à la langue arabe. A la suite de ces débats, avec treize autres députés algériens, le 27 août, Messaoud Boukadoum refusa de prendre part au vote sur le statut car il n'appartenait pas à une assemblée française de décider de l'avenir de l'Algérie.
L’intervention de Messaoud Boukadoum était un réquisitoire implacable contre la politique coloniale française vis-à -vis de l’islam et de la langue arabe en Algérie. Le député nationaliste, qui luttait pour la libération de son pays, dénonça le non-respect par la France des traités relatifs au respect de la religion musulmane. Il évoqua aussi les mosquées détruites ou leur transformation en églises, la politique d’Évangélisation des musulmans soutenue par la République « laïque » et l’ingérence de l’administration coloniale dans la gestion du culte musulman. Concernant la langue arabe, Messaoud Boukadoum s’attaqua à la politique coloniale visant à lutter contre l’enseignement de cette langue qui avait été déclarée étrangère en Algérie.
Les thématiques évoquées par Messaoud Boukadoum n’étaient pas propres à son discours, même s'il était, certainement, particulièrement attaché à leurs défenses. Comme l'ensemble des thématiques développées par les députés du MTLD, les idées défendues par Messaoud Boukadoum appartenaient de manière collective au discours nationaliste révolutionnaire algérien. Les problèmes dénoncés participaient directement de la politique d’oppression du peuple algérien. D'ailleurs, ses différentes interventions servirent de base à la rédaction d’une série de brochures qui furent publiées par le MTLD en 1951 afin d'exposer ses idées.
Poursuivant son engagement pour la libération de l’Algérie, Messaoud Boukadoum s’engagea dans le FLN à la suite du déclenchement de la Révolution algérienne en novembre 1954. Après une vie de militantisme et d’engagement, Messaoud Boukadoum est décédé le 26 décembre 2007 et a été enterré au cimetière de Bir Stal, près d’El-Harrouche.
Monsieur Boukadoum : Mesdames, Messieurs, la colonisation française ne s’est pas contentée de s’approprier toutes les richesses économiques de l’Algérie et de les exploiter à son unique profit. Elle s’est attaquée également au patrimoine moral et intellectuel de notre peuple. Le peuple algérien a, en effet, une personnalité propre qui s’est forgée au cours de siècles, personnalité qui vient de son unité linguistique, historique, religieuse et de son unité de mœurs.
Monsieur Serre : C’est tout à fait inexact.
Monsieur Boukadoum : C’est votre opinion, je n’ai pas l’intention d’être toujours d’accord avec vous.
Monsieur Maurice Violette : Les populations berbères et les populations arabes constituent deux populations très différentes.
Monsieur Boukadoum : C’est votre opinion. Je dis, moi, qu’il n’y a plus aucune différence entre les populations arabes et berbères ; il y a aujourd’hui un seul peuple arabo-berbère, un seul peuple algérien [Applaudissement sur certains bancs à l’extrême-gauche]. C’est cette personnalité que la colonisation a voulu détruire, car elle pensait qu’un peuple vaincu par les armes, asservi économiquement et, de surcroit, privé de sa personnalité, deviendrait vite une véritable poussière d’individus, sans âme collective, et prêt à toutes les métamorphoses et à toutes les servitudes. Le peuple algérien est de religion musulmane, vous ne l’ignorez pas, et de langue arabe. Ce sera donc à ces deux éléments constitutifs principaux de la personnalité algérienne que la colonisation va s’attaquer. Elle commencera par mettre sous sa dépendance directe l’organisation de la religion musulmane, en s’emparant des biens habous au mépris d’ailleurs de la convention du 5 juillet 1830. Le habous est une institution du droit musulman, d’après laquelle le propriétaire d’un bien le rend inaliénable, pour en affecter la jouissance à une œuvre pieuse ou d’utilité générale. Les biens habous sont en général constitués par des terres et des immeubles. Fondés dans une intention essentiellement pieuse et charitable, leur caractère principal est d’être inaliénable : l’œuvre est irrévocable et soustraite à toute transaction commerciale ; de plus, l’héritage ne peut être invoqué à son sujet.
Cette institution, qui était très répandue en Algérie avant la conquête, comportait de grands avantages ; elle permettait de soulager toute la classe des malheureux et des indigents, réduisait considérablement la misère ; elle allégeait d’une façon considérable les charges de l’État ; celui-ci n’avait pas à subvenir aux dépenses du culte.
Le 5 juillet 1830, la convention signée entre le général de Bourmont et le dey d’Alger, engageait la France à respecter la liberté de toutes les classes d’habitants, leur religion et leur propriété.
Deux mois après cette proclamation, l’arrêté du 8 septembre 1830 décrétait en son article 1ier : « Toutes les maisons, tous les magasins, boutiques, jardins, terrains et autres établissements quelconques occupés précédemment par le Dey, les Beys et les Turcs sortis de la Régence d’Alger ou gérés pour leur compte, ainsi que ceux affectés à quelque titre que ce soit à la Mecque et à Médine, rentrent dans le domaine public et sont régis à son profit ».
C’est le premier acte séquestrant les biens qui étaient affectés aux villes saintes. Quelques mois après, tous les habous, sans exception, subissaient le même sort.
L’article premier de l’arrêté du 7 décembre 1830, en réunissant au domaine de l’État tous les biens religieux, déclarait que ces biens « seront à l’avenir régis, loués ou affermés par l’administration des domaines ».
Alors que le droit musulman déclarait formellement que tout bien habous est inaliénable et ne doit faire l’objet d’aucune transaction commerciale, l’État français, en violation flagrante du traité de capitulation, s’empara de tous ces biens. Il s’attribuait ainsi le bénéfice d’immenses richesses.
Les pauvres, les veuves, les orphelins, les institutions de bienfaisance, furent privés de leurs moyens d’existence. Des centaines de milliers de personnes furent expropriées. A la suite de cet arrêté, le nombre de mendiants s’accrut rapidement.
Profitant de cet état de choses, les colons et les spéculateurs étrangers accouraient en Algérie pour devenir propriétaires. Ils achetaient à vil prix des terres et des immeubles de grande valeur.
Pour mettre ces nouveaux enrichis à l’abri d’éventuelles réclamations soulevées par les Algériens, une ordonnance du 1ier octobre 1844 spécifia que l’Européen possesseur de biens habous ne pouvait être inquiété pour le motif que ces biens étaient inaliénables aux termes de la loi musulmane. Il ne restait plus qu’une fiction de habous qui devait être finalement aboli par la loi du 26 juillet 1973 et soumis au droit français.
Une institution vieille de treize siècles et qui répondait aux besoins profonds et aux mœurs des habitants venait de cesser d’exister. Les conséquences qui en résulteront pour la population musulmane seront désastreuses. Les revenus habous, qui contribuaient puissamment à faire prospérer la communauté musulmane, économiquement et socialement, sont détournés de ce but initial et versés purement et simplement au profit de l’État français.
Mais l’une des conséquences les plus graves de l’abolition des habous fut le passage des mosquées sous la dépendance directe de l’administration coloniale. Ces établissements religieux, qui couvraient les besoins de leur entretien et de leur personnel grâce aux revenus habous, constituaient une personnalité propre. Le personnel ne dépendait pas de l’État, était relativement libre et le culte formait une organisation autonome.
Désormais, c’est l’État français qui subvient à ces dépenses ; les ministres du culte sont payés par lui, c’est donc l’administration qui les désigne. Évidemment, elle les choisit parmi les éléments les plus dociles et les plus favorables à sa cause. Le culte musulman a perdu son autonomie. Le principe de la séparation des églises et de l’État proclamé par la République française laïque est applicable à l’Algérie pour les cultes catholique, protestant et israélite. Il fait exception pour le culte musulman.
Les autres cultes sont également salariés par l’État. Il est à remarquer d’ailleurs que le culte musulman reçoit un crédit équivalent au tiers de celui des autres cultes pour un nombre de fidèles dix fois plus élevé.
Après avoir maintenu le culte musulman dans un état d’infériorité manifeste vis-à -vis des autres cultes, la colonisation a soumis les mosquées à une surveillance étroite. Elle veille notamment aux paroles des imams et des muftis et leurs prédications sont soumises à la censure de la préfecture.
Non seulement le peuple musulman a été dépossédé de ses mosquées, mais encore une grande atteinte à la liberté du culte lui fut portée. Seul le clergé officiel, à la solde de l’administration, peut diriger les offices ; la liberté de prêche dans les mosquées est supprimée pour toutes les personnes étrangères au service du culte officiel. La fermeture des mosquées aux docteurs non officiels de la loi musulmane contribua également à répandre l’analphabétisme, devenu une des plaies de l’Algérie, car en pays d’Islam les mosquées sont non seulement des lieux de prières, mais encore des lieux où les docteurs de la loi musulmane viennent donner des cours publics et faire l’éducation des masses.
La main mise de la colonisation sur les biens habous a été, d’une part, une monstrueuse spoliation des Musulmans qu’elle a considérablement appauvris et, d’autre part, elle a porté un coup très rude à la religion musulmane, malgré le principe de la laïcité proclamé sans cesse par l’État français.
La juridiction musulmane, elle-même n’a pas été respectée. Ce fameux statut personnel des Musulmans, dont on parle tant, surtout lorsqu’il s’agit de démontrer, dans un but de propagande, le respect que la colonisation française porte aux institutions islamiques, est, en fait aboli depuis 1834.
En effet, une ordonnance prise à cette date, fait que le juge musulman, le cadi, ne statue qu’en premier ressort, le tribunal français devant infirmer ou confirmer la décision du cadi.
Bien mieux, l’ordonnance du 23 novembre 1944 accorde au juge de paix français laïque le droit de se prononcer même en matière de statut coranique.
D’ailleurs, le fait que le pèlerinage de la Mecque ne soit pas libre et que le service soit obligatoire pour les Musulmans algériens, qui peuvent être ainsi amenés à combattre contraints et forcés d’autres Musulmans, comme cela s’est produit pour le Maroc et la Syrie, montre clairement que sous la domination française, le statut personnel musulman des Algériens n’est qu’un vain mot.
Dans ce domaine, le colonialisme ne s’est pas arrêté là . Il a même essayé d’évangéliser l’Algérie, de façon à détacher les Algériens de la Communauté islamique et je n’aurais pas insisté sur ce sujet si des orateurs qui m’ont précédé n’avaient parlé avec tant d’insistance de l’œuvre admirable des Pères blancs.
L’idée d’évangéliser les Musulmans fait partie d’ailleurs des motifs de la conquête de l’Algérie.
Le gouvernement de Charles X, en entreprenant cette conquête, voyait dans les Musulmans de la Régence des ennemis de sa religion qu’il fallait abattre pour venger l’injure faite à la chrétienté. Dans sa politique musulmane, la France demeurait donc toujours animée de « l’esprit des croisades » envers les Musulmans.
A peine débarqué à Alger, le général de Bourmont, s’adressant aux aumôniers militaires au cours d’une cérémonie religieuse, déclarait : « Vous venez de rouvrir avec nous la porte du christianisme en Afrique. Espérons qu’il y viendra bientôt faire refleurir la civilisation chrétienne qui s’est éteinte ».
Le commandant en chef des troupes françaises ne cache pas sa volonté de voir l’Afrique devenir chrétienne, malgré ses engagements de respecter l’Islam.
Aussi commença-t-on par s’attaquer aux mosquées et aux édifices religieux. Beaucoup de mosquées furent détruites, parmi lesquelles Djemaa Es-Seïda, du XIIIème siècle, où les rois d’Alger avaient coutume de faire la prière du vendredi. La plus belle mosquée d’Alger, Djemaa Kechaoua, fut affectée au culte catholique et est actuellement la cathédrale Saint-Philippe. Et Djamaa Betchin, devenue l’église Notre-Dame-des-Victoires, et Djemaa El Kasbah, devenue église Sainte-Croix, est-ce vrai ou non ? Et également à Constantine, Djemaa Souk el-Ghezel, datant de 1730, transformée en cathédrale. Mais je n’insiste pas.
M. Louvel : Cela vaut mieux.
Monsieur Boukadoum : Surtout pour vous. Quand on vous dit la vérité, cela vous choque. Je le conçois. Nous sommes venus ici, non pour faire des déclarations de loyalisme, mais pour dire ce que nous pensons. Enfin, d’autres mosquées et des médersas furent détruites par l’armée française ou occupées par elle.
Telle est la première phase de l’attitude des Français à l’égard de l’Islam en Algérie.
Cependant, les armées françaises progressaient et le champ d’expansion qu’elles ouvraient à l’impérialisme devenait de plus en plus vaste. Le problème politique de l’Algérie se posait déjà aux conquérants.
Qu’allait-on faire de l’Algérie et des autochtones qui avaient montré une résistance acharnée à la conquête ?
Dans l’entourage du maréchal Bugeaud, on partageait l’idée de les évangéliser et de les attacher plus facilement, et d’une manière qui serait définitive, à la France.
Louis Veuillot qui fut secrétaire du maréchal Bugeaud, écrivait : « Les Arabes ne seront à la France que lorsqu’ils seront Français et ils ne seront Français que lorsqu’ils seront chrétiens ». Ce n’est pas moi qui le dis. Puis le maréchal Bugeaud commença par rassembler quelques orphelins arabes dont les pères étaient morts en combattant l’armée française. Il disait au père jésuite Brumault : « Tachez, père, d’en faire des Chrétiens ; si vous réussissez, ceux-là au moins ne retourneront pas dans la brousse pour nous f… des coups de fusil ».
L’orphelinat de Ben Aknoun fut alors créé, puis celui de Boufarik. En 1850, ce dernier comptait 250 orphelins musulmans appelés à être christianisés. Mais le père Brumault, après quinze années d’efforts, renonça à son projet.
Son œuvre fut reprise par les évêques d’Alger, Dupuch et Pavy et n’eut guère plus de succès.
Mais c’est Lavigerie, nommé archevêque d’Alger en 1867 qui entreprit avec le plus de méthode et de persévérance l’évangélisation des Musulmans d’Algérie.
1867 a été une année terrible pour l’Algérie. La famine et le typhus sévissaient parmi la population musulmane et causaient des ravages terribles. On voyait partout, dans les villes et dans les campagnes, des hommes, des femmes, des enfants déguenillés et squelettiques, errer en quête d’une nourriture introuvable et tomber frappés par la maladie et la faim. Les statistiques officielles citent le chiffre de 500.000 morts au cours des calamités sans nom. C’est dans ces conditions particulièrement tragiques que Lavigerie débarque en Algérie. Il comptait sur l’immense désastre qui avait frappé les Musulmans et sur leur profonde détresse pour leur imposer sa religion. Voici comment il définissait son programme : « Faire de la terre algérienne le berceau d’une nation grande, généreuse, mais chrétienne, d’une autre France en un mot ; répandre autour de nous les vraies lumières d’une civilisation, mais dont l’Évangile doit être la source et la foi ; les porter au-delà du désert jusqu’au centre de ces immenses continents encore plongés dans la barbarie ; relier, enfin, l’Afrique du Nord et l’Afrique centrale à la vie des peuples chrétiens, telle est dans le dessein de Dieu notre destinée providentielle ».
Le cardinal Lavigerie commença par fonder la Société des Pères Blancs. Elle avait pour but de faire pénétrer la religion chrétienne dans les masses musulmanes et de recruter au fur et à mesure un corps de prêtres parmi les autochtones, susceptible de former une église indigène à qui reviendrait la tâche de poursuivre l’évangélisation de l’Algérie.
Les Pères Blancs essayèrent de catéchiser les petits orphelins de 1867 qui avaient survécu à la grande tourmente, mais la révolution de 1870 devait disperser leur groupe.
En 1892, à la mort du cardinal Lavigerie, la république française très démocratique et très laïque, lui a fait des funérailles nationales en récompense des services rendus à la chrétienté. Il reçut des recrues de Belgique, de Hollande et du Canada.
Les efforts des Pères Blancs pour attirer les Algériens à la foi chrétienne furent immenses. L’Administration trouvait là un essai heureux d’assimilation des « indigènes ». L’amiral de Gueydon, gouverneur général de l’Algérie, affirmait que c’était la seule voie possible de l’assimilation.
En 1939, se tint à Alger le congrès eucharistique qui reçut l’appui officiel du gouvernement laïc. Alger n’est pas une ville chrétienne, c’est une ville musulmane. Je vais vous rappeler les déclarations qui ont été faites à ce congrès. Je ne suis pas chrétien, je suis musulman. N’ai-je pas le droit de défendre ma religion ? Vous ne voulez pas qu’on attaque les Chrétiens, mais vous acceptez que les colons assujettissent l’Islam ! Ce n’est pas à Lourdes ou dans toute autre ville chrétienne d’Europe que les hommes d’église pensèrent tenir leur congrès ; ce fut Alger, ville musulmane, qui attira leur choix. Ils entendirent ainsi humilier l’Islam et lui faire sentir douloureusement sa défaite.
Le grand mufti d’Alger, qui ne représentait que l’autorité qui l’avait délégué, fut alors forcé de rendre visite au cardinal Verdier. Cela, vous l’ignorez sans doute ? Et dans son discours aux congressistes, le cardinal Verdier déclarait : « Si vous êtes venus tenir ici vos assises eucharistiques, c’est surtout, vous ne l’ignorez pas, afin d’y célébrer le centenaire d’un évènement à jamais mémorable pour l’Église et pour la France. En 1839, Alger, la ville blanche, dressait ses terrasses sur la mer comme un défi aux peuples chrétiens. Voici que sur un de ses minarets, s’élève la croix du Christ, et Alger devint soudain la porte lumineuse par où pénétra, chaque jour plus rapidement jusqu’au cœur du continent noir, le flambeau de la révélation ».
Devant le congrès, l’Église n’a d’ailleurs pas caché son dessein de détruire l’Islam. Son programme figurait sur un tract où l’on pouvait lire en gros caractère, ce titre : « La lutte contre l’Islam ». Peut-être faut-il également rappeler ici que les armoiries de la ville d’Alger sont représentées par la croix au-dessus du croissant renversé ? Ce symbole prenait tout son sens durant ce congrès. Devant cette véritable provocation qui blessait leur sentiment national et religieux, les Algériens durent refouler au fond de leur cœur leur indignation et leur mépris. Parallèlement à ces tentatives d’évangélisation du peuple algérien, une politique de désarabisation systématique a été entreprise. Son caractère principal se manifeste dans la lutte contre la langue arabe.
La langue arabe est le parler naturel de 10 millions d’Algériens. C’est la langue de leur culture, de leur histoire, de leur religion. Les écoles musulmanes où l’enseignement de cette langue est donné ont été soumises à des formalités rigoureuses. Même les écoles où le modeste taleb apprend le Coran par cœur suivant des méthodes archaïques n’échappent pas à cette formalité.
La loi du 24 décembre 1904 stipule : « Aucun maître musulman ne peut prendre la direction d’une de ces écoles sans une autorisation du préfet ou du général de division. Le fait d’ouvrir une école sans autorisation constitue une infraction au code de l’indigénat ». Mais pour la langue arabe, on ne donne jamais l’autorisation, parce qu’elle est considérée comme une langue étrangère. On interdit l’enseignement de l’arabe en Algérie.
Dans son « Traité sur la législation algérienne », Larchel écrit : « Les mêmes autorités peuvent retirer à temps ou définitivement l’autorisation d’enseigner aux maîtres de langue arabe par mesure de police générale ».
Une circulaire, dite « circulaire Michel » de la préfecture d’Alger et, un peu plus tard, le décret du ministre Chautemps en date du 8 mars 1938 proclament que la langue arabe est une langue étrangère et son enseignement interdit.
Enfin, le « Journal Officiel » du 20 juillet 1945 a publié l’arrêté du 12 juillet 1945 imposant aux maîtres d’écoles arabes la connaissance obligatoire du français.
La quasi-totalité de ces maîtres ignorant le français, cette mesure a entraîné immédiatement la fermeture de toutes les médersas et écoles coraniques.
De l’examen de tous ces faits que nous venons de vous signaler, il résulte que la politique de désislamisation et de désarabisation a été le fait principal de la colonisation dans notre pays.
Le fait qu’elle n’ait pas réussi, malgré l’importance des moyens mis en œuvre, ne peut signifier qu’une chose, c’est que la personnalité algérienne, formée par des siècles d’histoire, est trop fortement constituée pour pouvoir être détruite par l’oppression et l’obscurantisme du colonialisme.
Plus que jamais, le peuple algérien demeure lui-même. Il ne saurait donc être question de légiférer pour lui. Il réclame le droit de se donner lui-même une constitution.
La seule solution logique et humaine du problème algérien est de permettre au peuple algérien de s’exprimer librement et d’opter pour le régime qui lui plaît par une Constituante souveraine algérienne élue au suffrage universel, sans distinction de race, ni de religion.
* in. Djamel Eddine Derdour, De l’Étoile Nord-Africaine à l’indépendance, Ed. Hammoud, Alger, 2001, pages 143-151
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