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France -

Nicolas Sarkozy, Israël et les Arabes - Le voyage d’un «sang mêlé» dans son pays de prédilection

Par

A une semaine de son accession à la présidence de l’Union européenne, Nicolas Sarkozy se rend le 22 juin dans son pays de prédilection, le lieu de formulation du discours fondateur de sa doctrine (1), la plate-forme de sa campagne électorale, le tremplin de sa trajectoire présidentielle, le point fixe de son parcours politique avec les Etats Unis d’Amérique.

Nicolas Sarkozy, Israël et les Arabes - Le voyage d’un «sang mêlé» dans son pays de prédilection


Un pays qu’il n’a cessé de magnifier et de glorifier à chaque étape de sa conquête du pouvoir, y faisant référence jusques y compris dans les périodes les plus désastreuses pour son image, comme lors de sa guerre de destruction du Liban, en juillet-août 2006, missionnant au plus fort du conflit, dans une démarche de provocation, un réserviste de son armée, sollicitant l’avis exclusif de son ministre de la sécurité Avi Dechter pour la répression du soulèvement de la périphérie urbaine de l’Automne 2005 en France, dans une transposition symbolique du conflit israélo-palestinien sur le territoire national, se livrant enfin, périodiquement, à des incantations des «Murmures de Yad Vachem» au « Miracle du XXème siècle», au point que cet atlantiste résolu est apparu, au delà de l’attente de ses plus empressés courtisans, ses commensaux habituels des coteries du parisianisme calfeutré, comme un philosioniste exacerbé par le néo-conservatisme américain (2).

Ce pays… c’est Israël qui a célébré, le 14 mai 2008, le 60ème anniversaire de sa déclaration unilatérale d’Indépendance, dont il a voulu que la France réserve à son président la première visite d’Etat de son mandat.

Le premier président français de «sang mêlé», tel qu’il se revendique, est sans la moindre contestation possible le plus pro-israélien des chefs d’Etat de l’Histoire de France, le plus honni aussi des dirigeants français au sein de l’opinion arabe depuis Guy Mollet, l’ancien premier ministre socialiste de sinistre mémoire, l’ordonnateur via son proconsul Robert Lacoste des ratonnades d’Alger, le maître d’œuvre de l’expédition de Suez, en 1956, l’agression tripartite franco-anglo-israélienne contre Nasser, le chef charismatique du nationalisme arabe. Triste record peu enviable dont il aurait pu s’en dispenser, qu’il s’est appliqué néanmoins à gommer lorsqu’il en a pris conscience, en abritant la conférence de réconciliation interlibanaise à la Celle Saint Cloud (Juillet 2007) et la conférence des pays donateurs du futur Etat palestinien (Décembre 2007), renouant des relations avec la Syrie, ostracisée par la cécité proharirienne de son prédécesseur, entreprenant au pas de charge en un temps record des voyages officiels dans onze pays arabes, un nombre équivalent à la moitié des états membres de la Ligue arabe. Un record jamais égalé par aucun de ses prédécesseurs.

Jamais président français n’a manifesté autant d’empressement auprès des pays arabes (3), jamais pourtant président français n’a suscité autant d’aigreurs auprès des Arabes.

Significative de cet état d’esprit est sa prestation devant le conseil consultatif saoudien le 12 janvier dernier. Confondant sans doute le Conseil consultatif et l’Assemblée des Oulémas, sa dissertation sur le thème des religions a été accueillie dans une indifférence polie, alors que les Saoudiens s’attendaient à des clarifications sur la politique du nouveau président du premier pays musulman d’Europe occidentale par son importance numérique, qui fait de l’Islam la deuxième religion de France.

Plusieurs parlementaires saoudiens, selon certains témoignages, n’auraient même pas daigné mettre les écouteurs de traduction pour saisir la portée de la parole présidentielle. L’orateur français s’en est-il au moins rendu compte ? Pas évident tant il était emporté par sa fougue prédicatrice. Son entourage a-t-il eu la possibilité de l’alerter sur cette dérive ? Pas évident non plus tant il est tétanisé par la nouvelle «égocratie» présidentielle. Imagine-t-on chef d’Etat d’un pays musulman tenir pareil discours théologique devant la représentation nationale française ? A-t-on un instant imaginé le tollé que le prédicateur islamique imprudent aurait suscité en France devant une telle entorse aux usages ?

Que l’on ne s’y méprenne pas. L’animosité particulière dont gratifient les Arabes Nicolas Sarkozy tient non à ses inclinaisons politiques et affectives, mais à sa propension à l’outrage. Ses prédécesseurs pratiquaient une politique duale, une politique d’ouverture à l’égard des marchés arabes, sur le plan international, une politique de fermeture, sur le plan domestique, à l’encontre de la composante de la population issue de l’immigration. Nicolas Sarkozy se distinguera de cette duplicité par une stigmatisation permanente unilatérale et continue de l’altérité : Karcher, Racaille, égorgeant «des moutons dans les baignoires» resteront à jamais graver dans les mémoires comme la face hideuse d’une xénophobie institutionnelle véhiculée au plus haut niveau de l’Etat par un homme en charge de symboliser la concorde nationale. Le malaise est patent, le mal irrémédiable, l’activisme présidentiel inopérant quand bien même il est enrobé d’une diplomatie nucléaire.

Que l’on ne s’y méprenne pas là non plus. L’anti-sarkozysme des Arabes n’est pas symétrique de son inconditionnalité pro-israélienne. D’autres dirigeants occidentaux ont affiché un appui plus marqué dans leur soutien à Israël que ne l’est le nouveau Président français, sans susciter autant de pulsions révulsives à l’encontre de leur personne. C’est George Bush, sans doute le plus haï des présidents américains dans le Monde arabe qui aura été le premier dirigeant occidental à se rendre en Palestine, le premier à qualifier d’«occupation» la présence israélienne et de «colonies» les implantations israéliennes dans les territoires palestiniens, sans s’encombrer de préoccupations oratoires.

George Bush et non Nicolas Sarkozy, balbutiant au Caire, fin décembre 2007, les premières syllabes du mot colonie avant de se raviser pour mentionner le terme inexpressif d’«implantation». Pour le champion du parler vrai, il est des prudences qui retentissent comme des reniements ou plutôt comme des révélations.

Nicolas Sarkozy l’avoue lui-même et ne cache ni son «incompréhension» ni son «indifférence» à l’égard de l’«univers» arabe qu’il «connaît si mal» qui lui est «étranger» (4), allant même jusqu’à récuser le terme de «politique arabe». Un «non-sens», (…) «ce monde n'est pas unique». «Nous devons concevoir et mettre en oeuvre une politique adaptée à chacune des régions de ce monde et ne pas nous laisser aveugler par une unité qui n'est que virtuelle», écrivait-il en 2001 alors qu’il avait déjà exercé des responsabilités gouvernementales, notamment au Budget sous le gouvernement de M. Edouard Balladur en 1993-1995, et qu’il était donc supposé être averti du concours financier des Fonds souverains arabes au maintien de la compétitivité des entreprises françaises au 7ème rang de l’économie mondiale.

Belle illustration de l’européo-centrisme de cet habitant du «ghetto du gotha» de la ville cossu de Neuilly, concentré de toutes les droites françaises, qui s’échine à édifier une Union européenne et qui dénie dans le même temps aux Arabes de réaliser leur Unité, alors qu’il existe davantage de similitudes et de convergences culturelles, spirituelles et linguistiques entre les 20 pays membres de la ligue arabe qu’entre les 27 membres de l’ensemble européen, davantage de division entre Flamands et Wallons, «Vieille Europe» et «Nouvelle Europe» Catholiques, et Protestants en Irlande du Nord notamment, Anglophones et Francophones, davantage de division donc entre douanier corse, pêcheur maltais et plombier polonais qu’entre Chrétiens et Musulmans arabes, Sunnites et Chiites, habitants du Machreq ou du Maghreb, autant de virtualités que de ferments d’unité au Nord et au Sud de la Méditerranée. Un texte qui témoigne à tout le moins d’une ignorance déplorable des réalités géostratégiques, qui révèle une posture fondée, non sur une vision prospective, mais sur les présupposés idéologiques d’un être compulsif animé d’une pensée convulsive.

L’outrage habite cet homme-là, interdit de séjour dans la périphérie urbaine de la France, un comble pour un chef d’Etat sécuritaire. L’outrage l’habite non par défaut de jeunesse mais par marque de fabrique, qui n’a cessé tout au long de sa campagne électorale et même au-delà, de stigmatiser répétitivement, dans une sorte de gratuité jubilatoire, la composante bariolée de la société française.

I - La France, le seul grand pays européen à l’articulation majeure des deux grands fléaux de l’Occident de l’époque contemporaine, la traite négrière et l’extermination des Juifs.

«La politique arabe de la France» qu’il a cherché à déconstruire avec le soutien actif des transfuges atlantistes, -notamment Dominique Strauss Khan, le nouveau socialiste Directeur du Fonds Monétaire International, et, Bernard Kouchner, le nouveau belliciste ministre des Affaires étrangères, ancien urgentiste des zones pétrolifères (Biafra, Kurdistan, Darfour, Gabon et Birmanie) -, a surtout consisté pour les pays arabes à voler au secours de la France, à deux reprises, au cours du XXème siècle, pour l’aider à vaincre ses ennemis, notamment en 1939-1945, en l’aidant à se débarrasser du joug nazi dont une fraction importante de la communauté nationale de confession juive en a lourdement pâti.

En contrepoint et pour prix de la contribution arabe à la libération de l’Alsace-Lorraine, la France a amputé la Syrie du district d’Alexandrette pour le céder à la Turquie, son ennemi de la Première Guerre Mondiale (1914-1918), et carbonisé au napalm les habitants de Sétif, en Algérie, (1945), après la deuxième Guerre Mondiale (1939-1945) fournissant dans la foulée à Israël la technologie nucléaire du centre de Dimona (Neguev).

Si Nicolas Sarkozy peut présider aujourd’hui un pays se rangeant dans le camp de la Démocratie, il le doit certes aux «Croix Blanches» des cimetières américains de Normandie, mais au sacrifice aussi des quelques cinq cent mille combattants du Monde arabe et africain qui ont aidé la France à se libérer du joug nazi, alors qu'une large fraction de la population française pratiquait la collaboration avec l'ennemi. Cinq cent mille combattants pour la Première Guerre mondiale (1914-1918), autant sinon plus pour la Deuxième Guerre mondiale (1939-1945), il n'était pas question alors de pistage génétique, de «test ADN» ou d' «immigration choisie» pour leur enrôlement, de «seuil de tolérance» pour leur sang versé à profusion pour une guerre qui se présentait pour eux comme «une querelle de blanc».

Justifier le refus de se livrer à un «devoir de vérité» - les Algériens n'ont jamais parlé de repentance -, au prétexte qu'il y avait des Français qui avaient aimé l'Algérie et qui y ont fait de belles choses, constitue sinon de l’ignorance, à tout le moins de la mauvaise foi, ou, plus grave, une monstruosité. S'il est vrai que des Français ont aimé l'Algérie, ils n'ont pas pour autant nécessairement aimé les Algériens. Pour preuve le Code de l'Indigénat qui s'est appliqué pendant cent ans à la population autochtone, c'est-à-dire à la population originelle du pays. De même que le «Code Noir» pour l’Afrique, le «Code de l’indigénat» la plaçait en état de servilité, avec interdiction de parler sa langue nationale. Du jamais vu dans l'histoire coloniale mondiale.

Certes les colons ont aussi fait de belles choses en Algérie. D'abord pour eux mêmes, rarement pour la population algérienne qui n'y a eu accès que d'une manière parcimonieuse. Quant aux belles réalisations : tous les dictateurs en comptent à leur actif. Hitler, de même que Mussolini, ont lancé de grands projets d'infrastructure, sans pour autant que cela ne les exonèrent de leurs turpitudes, tant sur le plan moral que politique ou juridique.

L’argumentaire sarkozien n’est donc pas recevable.

N’en déplaise aux nombreux intellectuels de cour qui gravitent dans l’orbite présidentielle, les trois grandes figures tutélaires du XXème siècle pour leur contribution à la morale universelle auront été, faut-il le rappeler, trois personnalités du tiers monde colonisé, le Mahatma Gandhi (Inde), Nelson Mandela (Afrique du Sud), et, pour l’espace francophone, le Martiniquais Aimé Césaire, trois apôtres de la non-violence, une consécration qui retentit comme un camouflet pour les pays occidentaux avec leur cortège de nazisme, de fascisme, de totalitarisme et d’esclavagisme.

Et, pour douloureuse qu’elle puisse être pour notre amour propre national, force nous est de relever que la France, en contrechamps, aura été le seul grand pays européen à l’articulation majeure des deux grands fléaux de l’Occident de l’époque contemporaine, «les penchants criminels de l’Europe démocratique» (5), la traite négrière et l’extermination des Juifs, contrairement à la Grande-Bretagne qui a pratiqué la traite négrière exclusivement, sans aucunement participé à l’extermination des Juifs, contrairement même à l’Allemagne qui a conçu et réalisé, elle, la solution finale de la question juive, mais sans participation à la traité négrière.

Le devoir de vérité ne constitue donc pas, selon une analyse chauvine, une pantalonnade assimilable «aux sanglots de l’homme blanc» (6) mais un devoir de courage moral.

Dans ce contexte, il convient d’admettre que si la question juive revêt une importance particulière en Europe, c’est principalement en raison du fait que les deux pays qui passaient pour les plus civilisés de l’époque -l’Allemagne et la France- ont massacré leurs propres concitoyens du fait de leur origine ethnico-religieuse.

Osons l’affirmation : si les Juifs avaient été des Iroquois d’Amérique du Nord, des Aztèques, des Incas, des Guaranis d’Amérique latine, ou encore des Zoulous, des Bassas-Bamilékés, des Songhaïs ou des Soninkés d’Afrique voire même des Arabes, particulièrement des Palestiniens, gageons que l’Occident n’aurait jamais sanctuarisé ce problème. L’orchestration d’une concurrence mémorielle sur des sujets de grandes souffrances ne relève pas de la victimologie.

Elle révèle la pathologie de son auteur.

Tout au long de cette séquence, la France a été médiatiquement pro-arabe, mais substantiellement pro-israélienne (7). Les courbettes des dirigeants français devant les princes arabes ne doivent pas faire illusion. Fussent-elles d’un «cheval fougueux», elles sont de peu de poids face à Dimona, le symbole de la supériorité technologique et le gage de l’hégémonie militaire absolue israélienne sur l’espace national arabe depuis 60 ans.

II - L’Union Méditerranéenne: un dérivatif. La diplomatie nucléaire: un leurre

Nicolas Sarkozy a voulu célébrer le premier anniversaire de son entrée en fonction comme 6ème Président de la Vème République Française en le couplant d’un voyage officiel en Israël au moment des célébrations du 60ème anniversaire de la déclaration d’indépendance de l’Etat hébreu, afin de conférer un relief particulier à cet évènement et signifier par là sa véritable rupture avec la traditionnelle position de la diplomatie française.

Programmé à l’apogée de sa carrière pour constituer une apothéose à son pouvoir, ce voyage intervient toutefois au périgée de sa popularité, alors que le paysage est de surcroît particulièrement chahuté avec le nouveau revers diplomatique du camp pro-occidental au Liban, les rebuffades essuyées par George Bush du fait des dirigeants d’Arabie Saoudite et d’Egypte lors de sa dernière tournée au Moyen-orient, le 14 mai dernier, et les rebondissements judiciaires concernant le premier ministre israélien Ehud Olmert.

Ce voyage a même été décalé d’un mois pour éviter un télescopage dans l’opinion entre son hommage à l’indépendance d’Israël et la dépossession palestinienne, dont une large fraction de l’opinion mondiale aussi bien dans le Monde arabe, qu’en Afrique, en Asie, en Amérique latine et en Europe, en rendent responsables les pays occidentaux.

Court-circuité dans la stabilisation de la situation libanaise et l’amorce de pourparlers syro-israéliens, Nicolas Sarkozy paraît comme en voie de marginalisation, en panne d’inspiration, à la recherche d’un second souffle, son projet phare de l’Union euro - méditerranéenne battu en brèche, son équipe frappée de désuétude devant le nouveau cours de l’histoire de la politique régionale. Son déplacement perd de ce fait de son éclat au point d’apparaître comme caricaturalement encombrant de par la sollicitation excessive de cette amitié tant pour le pays hôte que pour le visiteur, voire même un handicap pour la diplomatie du meilleur ami français d’Israël.

Afin de déblayer la voie à ce voyage et reconquérir le terrain perdu dans le Monde arabe, à tout le moins atténuer les critiques quant à son alignement outrageusement inconditionnel sur la politique israélienne, Nicolas Sarkozy s’est appliqué à faire une visite-éclair au Liban, début juin, et à envoyer son premier ministre François Fillon signer un accord de coopération dans le nucléaire civil, à Alger, le 21 juin, soit la veille de sa visite en Israël. L’accord franco-algérien prévoirait la livraison à l’Algérie de réacteurs nucléaires par le groupe Areva et la formation de personnels du centre nucléaire d’Alger et comporte un deuxième volet sur la défense.

Pour tenter de calmer le courroux arabe, la France a fait savoir en outre que Nicolas Sarkozy se rendra «quelques heures» en Palestine, sans doute pour une photo avec poignée de main avec le président palestinien Mahmoud Abbas, une opération « PO and PR: photo opportunity and public relations», opération de compensation bien connue des voyagistes américains destinée à la galerie et visant à établir un faux équilibre de traitement. Grâce lui soit donc rendu.

La France n’est pas l’Amérique. Première puissance continentale de l’Europe, au début du XXème siècle, à un moment où l’Europe était le centre du monde, la France n’est plus qu’au 7ème rang des puissances mondiales au début du XXIème siècle. Cette relégation est sans doute imputable à la montée en puissance des grands ensembles (Chine, Inde), à la perte de son empire, mais aussi et autant aux déboires français de l’expédition du Mexique (1861-1867), à l’expédition de Suez (1956) et du désastre de Sedan (1870), au désastre de 1940, au désastre de Dien Bien Phu (1954).

Au vu de ce bilan, le devoir de modestie est une mesure de salubrité publique, le devoir de lucidité un impératif de survie d’autant plus nécessaire que les coups de menton répétitifs et les déclarations pétaradantes paraissent rétrospectivement pathétiquement dérisoires sur un sujet de grande sensibilité où toute la responsabilité n’est pas exclusivement imputable aux Arabes et nulle injustice jamais infligée au peuple palestinien, à en juger par les déclarations prémonitoires des pères fondateurs de l’Etat juif qui mesuraient pleinement les conséquences de leurs actes.

« Si j’étais un dirigeant arabe, je ne signerais jamais un accord avec Israël. C’est normal : nous avons pris leur pays. Il y a eu l’antisémitisme, les Nazis, Hitler, Auschwitz, mais était-ce leur faute ? Ils ne voient qu’une seule chose : nous sommes venus et nous avons volé leurs terres. Pourquoi devraient-ils accepter cela ? » avertissait déjà David Ben Gourion, le premier chef du gouvernement, le 18 juillet 1948, dans les semaines qui suivirent la déclaration unilatérale d’indépendance de l’Etat Hébreu (8).

«Ma perception de la conjoncture israélienne reste subordonnée à une autre à laquelle je suis encore plus sensibilisée ; celle qui se produisit il y a quelques siècles, de l’autre côté du monde, quand d’autres persécutés et opprimés vinrent s’établir sur des terres occupées depuis des millénaires par des peuples plus faibles encore et qu’ils s’empresseront d’évincer. Je ne puis évidemment pas ressentir comme une blessure fraîche à mon flanc la destruction des Peaux Rouges et réagir à l’inverse quand les Arabes Palestiniens sont en cause», lui répondra en écho l’anthropologue Claude Lévy-Strauss, dans une réplique à Raymond Aron (9) et au-delà, à tous les inconditionnels de l’activisme pro-israélien.

Facteur aggravant, ce fâcheux concours de circonstance survient au moment où la France s’apprête à prendre la présidence de l’Union européenne et que Nicolas Sarkozy, prenant le relais des Etats-Unis, s’emploie à dépasser le clivage israélo-arabe au profit d’un front commun anti-iranien au sein d’une Union méditerranéenne. Dans ce contexte, le projet d’Union Méditerranéenne apparaît comme un dérivatif au combat visant à sécuriser l’espace national arabe, de la même manière que l’Afghanistan a détourné les Arabes de leur principal champ de bataille, le combat pour la libération de la Palestine et des autres territoires arabes (Golan, Sud-Liban) de l’occupation israélienne.

Sceller une Union transméditerranéenne sur la base d’une division raciale du travail, «l’intelligence française et la main d’œuvre arabe», selon le schéma esquissé par Nicolas Sarkozy dans son discours de Tunis le 28 avril 2008, augure mal de la viabilité d’un projet qui signe la permanence d’une posture raciste au sein de l’élite politico-médiatique française, une posture manifeste à travers les variations séculaires sur ce même thème opposant tantôt «la chair à canon» au «génie du commandement» forcément français lors de la première guerre Mondiale (1914-1918), tantôt «les idées du génie français face au pétrole arabe» pour reprendre le slogan de la première crise pétrolière (1973) : «Des idées, mais pas de pétrole».

Substituer de surcroît l’Iran à Israël comme le nouvel ennemi héréditaire des Arabes viserait à exonérer les Occidentaux de leur propre responsabilité dans la tragédie palestinienne, en banalisant la présence israélienne dans la zone au détriment du voisin millénaire des Arabes, l’Iran, dont le potentiel nucléaire est postérieur de soixante ans à la menace nucléaire israélienne et à la dépossession palestinienne. Dans cette perspective, la diplomatie nucléaire de Nicolas Sarkozy apparaît comme un leurre. Elle se présente comme une offre pour mineurs frappés d’incapacité, dont la capacité nucléaire sera maintenue ad vitam sous tutelle, dont l’objectif caché est d’éponger le surplus monétaire généré par les pétrodollars, de la même manière que les gros contrats d’armements des décennies 1980-1990 avaient ponctionné les trésoreries des pétromonarchies.

L’Algérie ne s’y est pas trompée. Sur les dix centrales qu’elle projette de construire sur son territoire, elle a déjà engagé une coopération avec les Etats-Unis dans ce domaine, et projette de le faire aussi avec la Chine et la Russie, sans passif colonial dans la zone, n’assignant à la France qu’une portion congrue du marché. Il en est de même de l’Arabie, qui n’a conclu aucun accord militaire d’envergure avec la France depuis dix ans, malgré les incroyables contorsions de Nicolas Sarkozy et auparavant de Jacques Chirac l’ami personnel du poulain des Saoudiens, l’ancien premier ministre libanais assassiné Rafic Hariri.

Sans le Qatar, les Emirats arabes unis et le Royaume saoudien, qui achètent massivement à la France, respectivement des avions et des missiles, des chars et des missiles, des navires, l'industrie française de l'armement perdrait plus du tiers de ses commandes, et, partant, serait réduite au niveau de l'Italie ou de l'Allemagne alors qu'elle reste au troisième niveau mondial après les Etats-Unis.

A l’image de sa diplomatie, la France est en perte de vitesse constante sur le plan des exportations militaires en raison principalement de la défaillance sytémique de son dispositif d'intelligence économique, de la corrosive rivalité entre l’ancien président français Jacques Chirac et son successeur Nicolas Sarkozy à propos du contrat saoudien Miksa (Ministry of Interior Kingdom of Saudi Arabia) et des préventions que nourrit chez les Etats arabes la vassalisation de la diplomatie française au néo-conservatisme américain.

III- Le pari de Nicolas Sarkozy sur George Bush et Ehud Olmert, «le pari d’un tricard sur deux tocards».

Le zèle néophyte manifesté par Nicolas Sarkozy à l’égard du Liban ne doit pas faire illusion. L’escapade de Beyrouth ne dissipe pas, loin s’en faut, la tenace suspicion générée par son attitude outrageusement pro-israélienne dans la guerre de destruction menée par Israël contre le Liban, en juillet 2006. Beaucoup à Beyrouth, Paris, Alger, Damas, Le Caire, Khartoum, Rabat, Sana’a, Tunis, Téhéran, Islambad, Kaboul et ailleurs se souviennent du soutien sans faille qu’il a manifesté au premier ministre Ehud Olmert, contre un pays jadis considéré comme un «protégé» de la France, fustigeant le Hezbollah de «mouvement terroriste» mais ne soufflant mot ni sur la disproportion de la riposte, ni sur les importants dégâts infligés aux infrastructures civiles et à l’écologie libanaise, ni enfin aux violations répétées du Droit Humanitaire International et aux lois de la guerre par l’usage d’armes prohibées notamment des armes à fragmentations et à sous munitions.

Le nouveau tropisme arabe de Nicolas Sarkozy ne doit pas faire illusion, non plus. Il ne résulte pas d’un libre choix, mais d’un choix contraint, un choix par défaut, largement conditionné par le désaveu de l’Irlande au projet de traité européen de Lisbonne dont il a été l’un des grands artisans, la rebuffade de son nouvel ami libyen sur la coopération transméditerranéenne et la déconfiture de ses deux meilleurs alliés, les coqueluches des médias occidentaux, les parangons de la civilisation atlantiste, le Président américain George Bush et le Premier ministre israélien Ehud Olmert.

Le pari de Nicolas Sarkozy sur ces deux personnalités en fin de mandat piteux s’est révélé être à l’usage «le pari d’un tricard sur deux tocards» pour reprendre l’expression argotique puisée du jargon national. Au point que l’hypothèse du report du voyage de ce sang mêlé dans son pays de prédilection est envisagée pour la deuxième fois depuis le début de son mandat. Au point que le président syrien Bachar el Assad, si vilipendé par ailleurs mais dont la présence au sommet euro-méditerranéen de Paris est néanmoins ardemment souhaitée, apparaît, paradoxalement, et contre toute attente, comme le sauveur de la diplomatie sarkozienne en plein naufrage.

Rien ni personne ne saurait occulter cette réalité d’une cruauté amère. Pas plus l’exhibition des symboles de sa diversité, que l’affichage des belles amazones de sa garde rapprochée médiatique, pas plus le froufroutement vestimentaire de Rachida Dati, sa Garde des sceaux, que le tourbillonnement catabolique de Rama Yade, sa secrétaire d’Etat aux Droits de l’Homme, ou le verdoyant langage de sa transfuge beur préférée Fadela Amara (10). Sous couvert de langage de vérité, l’homme, d’un seul élan, a décrié les Arabes, outragé les Musulmans et dénigré les Africains, ces spécialistes de la «répétition».

Quoiqu’il fasse, quoi qu’il dise, désormais, quand bien même il aura réussi à grappiller quelques contrats nucléaires ici, un trempolino militaire là, la rupture est consommée entre Nicolas Sarkozy et les Arabes bien avant son entrée en fonction. La désinvolture méprisante qu’il leur aura témoignée ne lui sera pas pardonnée car impardonnable un tel comportement de la part d’un chef d’Etat (11), de la part de ce chef d’Etat que les Arabes «indiffèrent» mais qu’il sollicite néanmoins, le Qatar pour lubrifier les difficiles négociations sur la libération des infirmières bulgares de Libye, en juillet 2007, et le Roi de Jordanie pour le transport amoureux de sa nouvelle dame de cœur anciennement à gauche, en janvier 2008.

L’homme du renouveau est porteur d’un discours anachronique. L’homme de la rupture aura été l’homme de la brisure des illusions dont se berçaient les Arabes et les Africains sur le rôle alternatif de la France au sein du leadership occidental, comme contrepoint à l’hégémonie américaine. Sous l’effet d’une «démocratie de l’émotion», une politique d’affichage de démagogie médiatique, la magie de la «Patrie des Droits de l’homme» s’est dissipée, la France est démasquée : la présidence sarkozienne est une présidence cupide, le sarkozysme, un combat d’arrière-garde, une mystification, un anachronisme cathartique, nécessaire mais salutaire, une parenthèse de l’Histoire de France.

La suite appartiendra au prochain Président qui devra, lui, faire face à la nouvelle multipolarité induite par la consolidation du BRIC (12) sur la scène internationale, et, renouer, pour ce faire, avec l’Afrique et le Monde arabe, aujourd’hui, les principales destinations des «charters de la honte», demain, les principaux gisements de la Francophonie du 21ème siècle, à l’effet sinon de prévenir à tout le moins d’amortir le choc de la relégation inexorable de la France au 10ème rang de l’économie mondiale.

Notes

1- Discours fondateur de Herzlia prononcé en Décembre 2005

2- Cf. à ce propos «Le Candidat» de Jean Cau - Editions Xénia 2007 (Vevey - Suisse) dans lequel l’auteur, ancien secrétaire particulier du Philosophe Jean Paul Sartre dresse un portrait acide des intellectuels français, de leurs moeurs et de leur rituel empesé.

3- En huit mois (Mai 2007-Janvier 2008), Nicola Sarkozy a visité dix pays arabes : Algérie, Tunisie, Maroc, Egypte, Jordanie, Arabie saoudite, les Emirats Arabes Unis et Qatar, recevant en grande pompe à Paris, le Colonel Mouammar Kadhafi (Libye) et le président Mahmoud Abbas (Palestine).

4- Cf. à ce propos «Libre», Nicolas Sarkozy – Editions Pocket 2001.

5- «Les penchants criminels de l’Europe démocratique», Jean Claude Milner - Editions Verdier 2003.

6- «Les sanglots de l’homme blanc», Pascal Bruckner- Seuil-1983.

7- Citons pour l’exemple deux illustrations du soutien subliminal et multiforme de la France à Israël, sans mentionner les interventions duCRIFauprès des pouvoirs publics pour s’opposer à la nomination de figures prestigieuses de la diplomatie française à des postes de responsabilités gouvernementales sous la présidence Sarkozy, en l’occurrence Hubert Vedrine, jugé, non pas «pro-arabe», ce qu’il n’est pas plus que de raison, mais carrément «arabe», ce qu’il n’est absolument pas.

Deux sites prestigieux de Paris sont dédiés à la Mémoire de l’ancien premier ministre israélien Itzhak Rabin assassiné par un militant de l’extrême droite israélienne : la Place Fontenoy, face à l’UNESCO et les Jardins de Bercy et une résolution de principe a été adoptée par le conseil municipal de Paris dédiant une rue de la capitale française à Théodore Herzl, le père du sionisme et théoricien de l’Etat juif, alors qu’en contrechamps pas le moindre site dédié à un dirigeant du tiers monde arabe, asiatique ou africain, pas même le co-Prix Nobel de la Paix de Rabin, Yasser Arafat, le dirigeant palestinien. La plaque commémorative de Mehdi Ben Barka, dans le VIè arrondissement de Paris, de même que la place dédiée à Mohamad V devant le parvis de l’Institut du Monde Arabe constituent au premier chef des actes de réparation de la France pour ses forfaits : la disparition du chef de l’opposition marocaine, en 1965 avec la complicité des services français et l’exil du Souverain Marocain durant le combat pour l’Indépendance du Maroc. Sans la moindre protestation contre la colonisation rampante de Jérusalem et la Cisjordanie ni contre l’emprisonnement arbitraire de près de dix mille Palestiniens, la France s’est d’autre part mobilisée pour la libération de M. Gilad Shalit, un bi national franco-israélien, capturé par les Palestiniens alors que ce caporal israélien servait dans une armée d’occupation dans un territoire occupé contre un pays ami de la France, tandis que, parallèlement, l’armée israélienne est autorisée, régulièrement, à lever des fonds dans les grandes villes de France «pour le bien être de l’armée israélienne».

8- «Israël et ses tribus : l’Etat Hébreu fête ses 60 ans». Cf. Courrier international N° 913 du 30 Avril au 6 Mai 2008.

9- «Un candide en Terre Sainte », Régis Debray (page 128) – Gallimard - Janvier 2008.

10– Cf. à ce propos «De l’identité nationale et de quelques beurs de droite» in La trempe de Magyd Chérif – Actes sud juillet 2007, une analyse sans concession de l’instrumentalisation de la question immigrée à des fins d’affichage électoraux.

11- Cf. ce propos «SARKOZY, Le ‘choc des civilisations’ et les Musulmans », compte-rendu du correspondant du quotidien français Libération à Bruxelles où le président français fait part à ses collègues européens de sa crainte d’une présence massive musulmane de l’Europe. Source : http://bruxelles. Blogs.liberation.fr/coulisses/

12- BRIC représente, au niveau économique, l’alliance constituée par les puissances émergentes du 21ème siècle (Brésil, Russie, Inde et Chine), prolongée sur le continent africain par l’Afrique du Sud, qui devrait constituer un pôle de référence à l’effet de faire contrepoids à l’hyper puissance américaine. D’ici 2025, le produit intérieur du BRIC représentera en effet la moitié du PIB combiné du G6 (Etats-Unis, Japon, Allemagne, France, Italie et Royaume Uni), l’ensemble des économies du BRIC devant dépasser celui du groupe des pays industrialisés occidentaux vers 2050. A cette date, le classement des puissances devrait s’établir comme suit : Chine, Etats-Unis, Inde, Japon, Brésil et Russie, les Etats-Unis étant relégués à la 2ème place et le Japon à la 4ème, alors que la France, l’Allemagne et le Royaume uni se situeront au bas du tableau des dix premiers de classe.

Source : Blog René Naba

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