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Palestine - 10 novembre 2012
Par Tariq Shadid
Tariq Shadid, connu aussi sous le pseudonyme de "Doc Jazz", est un chirurgien/musicien palestinien qui vit dans le Golfe arabique. Il est connu pour son style de jazz-pop et les textes engagés de ses chansons dont la plupart sont consacrées à la cause palestinienne. On peut en écouter une centaine sur son blog, The Musical Intifada, créé en 2001, ainsi que lire ses articles sur la Palestine.
Vous souvenez-vous des jours anciens, avant les accords d'Oslo, quand nous savions tous ce que cela signifiait d'être pro-palestinien ? A cette époque, il n'y avait pratiquement aucun désaccord sur ce que devaient être les objectifs de la lutte : un Etat démocratique pour tous qui ne ferait aucune discrimination basée sur l'origine ethnique ou la religion, avec Jérusalem pour capitale, et le retour des réfugiés palestiniens chez eux. Cette formule impliquait automatiquement que l'Etat sioniste, qui accorde l'exclusivité aux Juifs, serait démantelé et remplacé par un gouvernement qui représenterait tous les habitants de la Palestine historique.
De nos jours, certains ont donné un nouveau sens au concept d'être "pro-palestinien". Il englobe ceux qui croient que les Palestiniens devraient avoir leur propre Etat seulement en Cisjordanie et dans la Bande de Gaza, ceux qui tiennent l'Etat sioniste en haute estime mais critiquent ses pratiques continues de colonisation par l'expansion des colonies, et même ceux dont la seule position est que les Palestiniens méritent un niveau important d'auto-détermination, pas un Etat. Il inclut maintenant ceux qui reconnaissent l'Etat d"'Israël' dans les "limites de 1967" non déclarées, et ferment les yeux sur ce qui s'est passé en 1948 pendant la création de l'Etat sioniste. Ces points de vue, et d'autres formes variées de négation de la Nakba, sont tellement répandus qu'ils semblent être maintenant considérés comme légitimes dans les rangs des mouvements pro-Palestine.
La Nakba ? Oui nous l'avons fait, mais pas de façon suffisamment poussée
Dans les années 90, les "nouveaux historiens" israéliens ont publiquement contesté et démenti la version israélienne officielle fondée sur des mythes célèbres comme "une terre sans peuple pour un peuple sans terre", les sionistes ont "fait fleurir le désert" et les Palestiniens ont "volontairement quitté la Palestine à l'appel des dirigeants arabes". Ces mythes se contredisaient les uns les autres et il était impossible de les conserver. Benny Morris, un de ces nouveaux historiens, a reconnu comme fait historique que l'expulsion de 800.000 Palestiniens (la Nakba) était le résultat direct de l'agression sioniste, faisant ainsi voler en éclats tous les mythes fondateurs de l'Etat sioniste. Toutefois, tout en admettant que ce fut un acte de nettoyage ethnique, son point de vue était que les sionistes auraient dû amplifier le travail et expulser tous les Palestiniens en une seule fois.
Benny Morris
Ce furent les premières fissures historiques dans la vision occidentale dominante fermement établie fondée sur une négation de la Nakba. Les efforts palestiniens considérables pour discréditer les mythes et les mensonges sionistes au cours des décennies précédentes n'avaient pas atteint de façon efficace un nombre important de penseurs occidentaux, mais les révélations des nouveaux historiens ont eu un effet beaucoup plus puissant. Ce qui illustre l'orientalisme profondément enraciné qui hante les rangs des occidentaux, y compris chez ceux qui s'engagent dans l'activiste pro-palestinien. Cependant, il n'explique pas pourquoi la négation de la Nakba reste aussi répandue, malgré la responsabilité sioniste évidente et rarement contestée de nos jours du nettoyage ethnique massif de la Palestine.
La reconnaissance de l'Etat sioniste et la négation de la Nakba
Tout d'abord, il y a un facteur palestinien que nous ne pouvons nier. Le processus d'Oslo et la reconnaissante inhérente de l'Etat sioniste doivent être considérés comme les facteurs principaux qui ont libéré la négation de la Nakba parmi les sympathisants de la cause palestinienne. Certains Palestiniens - en fait ceux qui sont considérés comme leurs représentants - semblent disposés à couvrir le nettoyage ethnique de Palestine 48 en reconnaissant l'entité sioniste qui a émergé de ce crime de masse. Par conséquent, il ne faut pas s'étonner que des gens en Occident, qui ont été endoctrinés par les principes du rêve sioniste, mais qui en même temps abhorrent les violations des droits de l'homme par l'occupation, embrassent cette Autorité palestinienne collaborationniste comme une "voix de la raison" lorsqu'elle appelle à une "solution" à deux Etats.
Leur volonté est peut-être bien de protéger "Israël" non seulement contre les efforts des antisionistes, mais aussi pour ne pas être en contradiction avec les principes du droit international et en particulier ses interprétations dominantes. Il n'y a pas de reconnaissance internationale de l'annexion de Jérusalem, ni de l'occupation de la Cisjordanie , de Gaza et des Hauts du Golan.
C'est de cette manière que le "sionisme doux" pénètre les rangs des militants anti-occupation, qui est l'autre cause principale de la présence continue des négationnistes de la Nakba parmi les critiques de l'Etat sioniste. Ils ne cherchent pas nécessairement la justice, mais plutôt une "solution" qui garantisse à "Israël" une existence stable et reconnue au Moyen-Orient. Beaucoup de ces champions sont d'origine juive, comme Noam Chomsky et Norman Finkelstein, qui jouissent d'une popularité de rock-star parmi les militants occidentaux anti-occupation. Mais est-cela la cause palestinienne ?
Peut-être que reformuler la question peut clarifier les choses. La cause palestinienne est-elle la même cause que l'opposition à l'occupation israélienne ?
S'opposer à l'occupation, mais nier la Nakba
Jetons un coup d’œil rapide à la réalité du peuple palestinien. La majorité des Palestiniens dans le monde sont expulsés et bannis, pas occupés. La racine de la tragédie est la Nakba, pas l'occupation. En fait, l'occupation de 1967 est simplement une extension de cette même Nakba, à qui on a donné le nom de "Naksa" (défaite), même si cette terminologie est peu utilisée de nos jours. Elle fut considérée comme une défaite de la lutte continuelle contre une entité sioniste qui n'a vu le jour que par l'expulsion violente de 800.000 Palestiniens, la destruction de plus de 450 villages et l'expropriation de vastes étendues de terre. Le fait que cette Nakba soit un processus continu est illustré par l'expropriation permanente de terres palestiniennes pour l'expansion coloniale, la destruction des terres palestiniennes arables et la judaïsation de Jérusalem par des tactiques de nettoyage ethnique qui obligent les Palestiniens Jérusalémites à quitter la ville et les villages environnants.
L'essence de la négation de la Nakba n'est donc pas simplement le fait de réfuter ou de reconnaître les faits historiques qui lui sont liés. Depuis les années 90, la discussion a évolué bien au-delà, même si les démagogues sionistes continuent de piocher de temps en temps dans les vieux mensonges historiques, lorsqu'ils sentent que leur public est tellement mal informé qu'ils peuvent lui faire gober ce qu'ils veulent. Après tout, ne disent-ils pas : "Si vous ne pouvez pas les convaincre, embrouillez-les" ?
La reconnaissance de l'Etat sioniste en elle-même est une forme moins explicite mais non moins flagrante de négation de la Nakba, pas nécessairement en niant le crime historique lui-même, mais en acceptant ses conséquences avant d'exiger une sanction, un châtiment ou une rectification. C'est ainsi que ceux qui prennent ce chemin se retrouvent avec les mains tachées du sang des victimes de la Nakba, et avec la complicité du vol de terre et du nettoyage ethnique pur et dur. C'est la raison pour laquelle un négationniste de la Nakba ne peut pas être considéré comme un véritable militant de la cause palestinienne, pour la raison simple que vous ne pouvez pas faire partie du crime et en même temps de la campagne contre ce crime.
On ne doit faire aucun crédit à ceux qui reconnaissent "Israël" -un Etat raciste et expansionniste qui n'a pas déclaré ses frontières, et qui n'a toujours pas reconnu les droits des Palestiniens- pour leurs soi-disant efforts "pro-palestiniens". Ils peuvent se dire "pragmatiques" mais en réalité, ils sont les acolytes du sionisme, même si certains d'entre eux ne s'en rendent pas compte. Leurs efforts barrent la route au droit des millions de Palestiniens expulsés et éparpillés dans le monde à revenir dans leur patrie. Si vous choisissez, pour votre militantisme pro-palestinien, en fonction d'où les Palestiniens vivent aujourd'hui, tout en sachant que la plupart d'entre eux ont dû quitter leur pays par la force, vous ne pouvez pas prétendre être un partisan de la justice, ni un militant de la cause palestinienne.
Chomsky, une vision idéalisée du sionisme et la négation de la Nakba
Ceux qui donnent à tort du pouvoir à des voix comme celles de Norman Finkelstein ou Noam Chomsky évacuent le fait qu'amplifier ces voix étouffe l'appel de millions de Palestiniens de par le monde qui exigent la justice et le retour dans leur patrie. Qu'est-ce qui fait qu'une voix palestinienne a moins de valeur qu'une voix "juive progressiste" ? Le mouvement anti-apartheid contre le racisme sud-africain n'a-t-il pas fait de son mieux pour mettre en avant les voix des noirs opprimés ? Les avez-vous vus présenter les dissidents blancs dans le monde entier ? Non, le monde a entendu les impressionnantes voix noires contre l'apartheid, et était en admiration devant elles. Cependant, quand il est question de la version juive de l'apartheid, on ne donne pas aux victimes cette prérogative.
On trouve un exemple de ce qui peut se passer quand vous donnez trop de crédit au "chomskyisme" dans les propres commentaires de Chomsky lors d'un entretien de 2011 avec Independant Jewish Australian Voices, dans lequel il parle de son passé d'Animateur de la Jeunesse sioniste. Dans une démonstration typique de blanchiment du sionisme, il soutient que "jusqu'à 1942, il n'y avait pas d'engagement officiel d'organisations sionistes pour un Etat juif. Et on était au milieu de la Seconde guerre mondiale." Vous n'avez même pas besoin d'être un scientifique ni un historien pour voir derrière cette absurdité flagrante. Excusez-moi, mais c'est parce qu'il ne prévoyait pas un Etat juif que le père fondateur du sionisme, Théodore Herzl, a appelé son livre “Der Judenstaat” (L'Etat des Juifs, 1899) ?
Trouvez-vous la moindre mention de la Nakba ou autres atrocités sionistes dans l'entretien ? Ne vous semble-t-il pas également qu'en définitive, il accuse "le nationalisme palestinien" d'avoir détruit son doux rêve d'un Etat binational fédéraliste, qu'il présente comme si c'était la direction désirée vers laquelle le nouvel "Israël" se dirige ? Comment cette distorsion ridicule de la réalité résiste-t-elle au fait avéré que dans ces mêmes années, le Premier ministre israélien Goda Meir disait : "Il n'y a rien de tel qu'un peuple palestinien... Ce n'est pas comme si nous étions arrivés, que nous les aurions jeté dehors et que nous aurions pris leur pays. Ils n'existaient pas" ? Est-ce ça le Chomsky que tant d'amis de la Palestine célèbrent comme leur champion ?
Pour moi, en tant que Palestinien, cet entretien se lit comme un horrible viol de l'histoire. S'il avait été signé "Shimon Peres", personne n'aurait remarqué la différence. Ce type d'idéalisation du sionisme détourne l'attention du nettoyage ethnique soigneusement planifié et de l'exclusivisme ethno-religieux qui est à la racine du rêve sioniste. Donner cette vision trompeuse de l'histoire est une forme inexcusable de négation de la Nakba, en ce qu'elle donne à croire que le nettoyage ethnique de la Palestine fut un tragique et malheureux concours de circonstances plutôt que le résultat d'une stratégie planifiée de longue date par une idéologie fondée sur des principes racistes.
Mettez fin à l'orientalisme, contrez la négation de la Nakba
Il est temps de s'opposer haut et fort à la négation de la Nakba, sous toutes ses formes. Il est temps de mettre en avant les voix des Palestiniens qui n'ont pas renoncé à leur droits inaliénables. Il est temps de remplacer le faux pragmatisme par d'authentiques appels à la justice, et de contrer, ou du moins d'ignorer, ceux qui cherchent à créer et à propager l'acceptation et la reconnaissance du sionisme.
Donner du pouvoir aux voix non-palestiniennes tout en étouffant celles des Palestiniens dans la diaspora ou ailleurs est une forme d'orientalisme qui contredit toute prétention à rechercher l'égalité des droits. Avant que des droits égaux soient établis dans un cadre politique, ils doivent faire partie intégrante du tissu idéologique de ceux qui s'en font les partisans. Quel sens y-a-t-il à préférer les voix juives "progressistes" à celles des Palestiniens, et à continuer à clamer que votre objectif est d'établir l'égalité des droits ?
Avoir de la sympathie pour les Palestiniens emprisonnés dans leur propre terre et privés de leur indépendance et de leur auto-détermination n'est pas suffisant. Le Droit au Retour est le cœur de la cause palestinienne, imbriqué dans elle comme il l'est dans la naissance sanguinaire de l'Etat sioniste.
C'est magnifique que nous trouvions tant de gens montant aux barricades quand l'Etat sioniste crache sa haine et sa violence meurtrière sur la population de Gaza, qui n'a pas d'abri où se cacher ni d'artillerie antiaérienne pour se défendre. Nous apprécions hautement cette solidarité. Toutefois, n'oublions pas que la majorité de ceux qui vivent à Gaza sont des réfugiés, expulsés par les sionistes qui ont pris leurs maisons et leurs terres. Ils ne sont pas seulement les victimes de la violence israélienne d'aujourd'hui ; ils sont les victimes de la Nakba. Si leur quête pour la justice vous importe vraiment, soutenez-les sans nier, sans minimiser, sans blanchir le crime originel qui les a mis en premier lieu là où ils sont maintenant. Il n'y a pas de place pour les négationnistes de la Nakba dans la cause palestinienne.
Source : The Musical Intifada
Traduction : MR pour ISM
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