Envoyer cet article
Palestine - 24 juin 2005
Par Mark Biskeborn
Mark Biskeborn, professeur de littérature comparée.
Les "kamikazes" sont-ils différents des autres personnes qui se suicident ?
Tirent-ils leurs motivations des mêmes sources ?
Quand le jeune célibataire Mahmoud Marmash s’est fait exploser près de Tel Aviv en 2001, il a emmené avec lui plusieurs juifs, peut-être dans le même au-delà que lui, ou peut-être pas. "Je veux venger le sang des Palestiniens."
Issu d’un milieu pauvre— il a grandi où beaucoup de gens vivent dans la misère et le désespoir—l’acte de Mahmoud est trop dur à comprendre pour beaucoup d’entre nous, et nous nous demandons ce qui peut pousser quelqu’un à un acte aussi extrême.
Cependant, un examen du phénomène du suicide nous montre que le suicide pour raisons politiques n’a rien de nouveau. Il apparaît plus de sept fois dans l’Ancien Testament ; vous souvenez-vous de Samson dans Juges 16 : 29-30 ? Pour échapper au désespoir né de l’oppression romaine, ce martyr est courant dans le Nouveau Testament. De nombreuses motivations du même genre poussent à d’autres types de suicide.
Contrairement à ce qui est souvent affirmé, une analyse attentive nous enseigne que les auteurs d’attentats suicides tirent leur motivation de la même source. En tant que gens civilisés, nous devrions pouvoir faire bien mieux que de renoncer à comprendre et de dire, il n’y a rien à faire que les tuer tous. Nous pouvons diagnostiquer cette maladie et identifier ses causes dans le but de les réduire, et ainsi éviter tant de violence.
Le suicide à la fondation de la sociologie
Au début du XX ème siècle, le sociologue Emile Durkheim a étudié et classé les raisons de se suicider. Il vivait durant le pic de la Révolution Industrielle, que Mark Twain appelait l’Age d’Or, alors que la richesse était extrêmement concentrée parmi la classe possédante, et que les mouvements ouvriers appelaient à l’émeute. C’était une époque de grands bouleversements sociaux et économiques ; peut-être cela explique-t’il à la fois les théories de Durkheim sur le suicide, et son intérêt pour le sujet.
Après une analyse attentive, Durkheim a trouvé que c’était le lien que l’individu entretient avec la société qui peut déterminer s’il est ou non susceptible de se suicider, et il décrivit quatre types différents de ces liens :
Altruiste : Durkheim expliquait qu’une intégration sociale trop poussée mène au sacrifice de soi pour la société, le patriotisme, l’honneur ; l’altruiste, tel que le pilote Kamikaze de la seconde guerre mondiale, s’engage pour un but qui va au-delà de sa personne, et considère que le monde est un obstacle et un fardeau.
Egoïsme : une intégration sociale trop faible mène à l’aliénation, à la solitude ; l’égoïste ne discerne aucun but pour lequel s’engager, et se sent ainsi inutile et sans objectif.
Anomique : A chaque fois qu’une économie manque de régulation, les phénomènes du chômage et de la distribution inégale des richesses se font jour. Selon Durkheim, c’est le rôle de la société que de réguler l’économie, et il voit un rapport entre le taux de suicide d’une société donnée et sa manière de remplir cette importante fonction régulatrice.
Fataliste : Quand la société impose des attentes économiques trop grandes, les individus qui n’atteignent pas ces niveaux peuvent perdre tout sens de valeur personnelle.
Les croyances culturelles peuvent directement influencer chacun de ces types de suicide. Les trois derniers types énoncés par Durkheim semblent s’appliquer de manière variée à presque tout type de culture, y compris la société américaine.
.Le suicide en Amérique
La culture et le système économique américains génèrent souvent d’énormes inégalités financières la misère et les privations, menant au suicide. En volume proportionnel, les Etats Unis sont parmi les quarante pays au monde ayant les plus hauts taux de suicide, et sont neuvième parmi les pays industrialisés.
Pourquoi « le pays le plus riche du monde » devrait-il avoir un rang si élevé, plus que la plupart des pays du Tiers Monde ?
Les vicissitudes de l’économie américaine laissent une vaste majorité d’individus à désespérer devant le chômage et une distribution inégale des richesses. Dans de telles situations, les individus sont exposés à au moins deux des motivations de Durkheim pour le suicide : l ‘anomique et la fataliste.
Durant les années 1980, des études ont montré qu’aux Etats-Unis chaque augmentation de 1% du taux de chômage correspondait à une augmentation des suicides de 360 par an .
Les USA n’offrent que peu d’infrastructures sociales pour les chômeurs. Cela amène souvent des motivations anomique et fataliste de se suicider, ainsi qu’à plus de délinquance et de criminalité.
En même temps, la publicité fait croire que tout le monde aura droit à un morceau du gâteau s’il travaille dur. Quand une culture crée de telles attentes que certains individus ne peuvent atteindre, le désespoir peut engloutir même l’individu le plus brillant.
Parfois, nos propres leaders politiques contribuent au sentiment de disparité économique. L’administration Bush a récemment mis en avant les USA comme étant un phare de la prospérité née de l’économie de marché, une nation privilégiée choisie par Dieu pour répandre la richesse démocratique. Bush s est servi de cette image, la dernière sortie parmi ses nombreuses ruses, pour justifier son attaque préemptive en Iraq. Cependant, comparés aux nations démocratiques du monde, les Etats-Unis cultivent actuellement un des plus profonds fossés entre riches et pauvres : un pour cent de la population jouit de 40% de la richesse, alors que 50% de la population survivent avec 3% de la richesse.
Les pauvres s’appauvrissent, les riches s’enrichissent. Le désespoir fataliste et les espoirs brisés croissent, parmi ceux qui restent en arrière, tandis que les gagnants des cycles économiques souffrent parfois du vide que génère leur route égoïste vers le succès.
Ces fossés économiques intensifient les privations et difficultés sociales et représentent les principales raisons du suicide en Amérique, les trois derniers motifs de Durkheim : anomique, fataliste et égoïste.
Sur le plan international, le gouvernement américain exerce une influence énorme sur des pays dont il protège le régime par son soutien militaire. Nous appelons ces pays comme l’Iraq, l’Arabie Saoudite et le Koweït des "états clients.
Dans ces pays, les Etats-Unis soutiennent des dirigeants autocrates, comme l’ancien Shah d’Iran, Reza Pahlavi, la famille royale des Saoud, et même Saddam Hussein à ses débuts, parmi d’autres. Ces dictatures maintiennent des fossés économiques entre l’élite gouvernante et les classes travailleuses bien plus profonds encore qu’aux USA. Les cultures islamiques dures et autocratiques exacerbent le fossé entre la classe possédante riche, telle la famille royale des Saoud, et les pauvres. Elles poussent certains groupes à une conduite extrême, comme les attentats suicides.
Cette crise a mis longtemps pour éclater, à cause des échecs sociaux et économiques musulmans, qui durent depuis des générations. La liste des humiliations continue jusqu’à aujourd’hui par la domination américaine dans des territoires musulmans, sans parler des décennies de colonisation européenne après la destruction de l’empire ottoman.
Le Moyen Orient—terreau de kamikazes
Dans de nombreux pays musulmans, le taux de chômage est élevé, et la richesse générée par les revenus du pétrole s’évapore comme l’eau dans le Sinaï. « Parmi les Arabes, la pauvreté et le chômage sont des raisons fondamentales pour l’extension du terrorisme », a déclaré un prince saoudien à l’ouverture d’une conférence, dans un reportage de l’AFP.
L’Arabie Saoudite demeure un pays du Tiers Monde en terme de pauvreté, bien que ses revenus pétroliers lui apportent un PIB par habitant bien plus élevé que, par exemple, le Texas.
Les possédants de cette richesse la distribuent parmi les membres de la famille royale (19 000 personnes), alors que la population, comme en Iraq, égale celle du Texas (22 millions). "La production-même de pétrole dans des sociétés sous-développées biaise souvent l’économie locale—déversant de vastes richesses au profit de quelques-uns, et intensifiant ainsi l’antagonisme préexistant entre les possédants et les non-possédants.".
Et alors que les trois dernières raisons énoncées par Durkheim abondent au Moyen Orient, la religion fondamentaliste ajoute la motivation "altruiste" au mélange, le tout créant dans certaines sociétés islamistes un cocktail apocalyptique.
Dans les pays musulmans, on trouve les kamikazes pour qui les quatre motivations de Durkheim semblent fonctionner en même temps.
Le reporter le la National Public Radio Christopher Joyce cite un psychiatre palestinien "La plupart d’entre eux (les kamikazes) sont très gentils, timides, introvertis, ont eu des problèmes avec l’autorité dans leur enfance,…des expériences personnelles comprenant des événements traumatiques vécus…témoins de l’impuissance de leur père."
Joyce remarque que les groupes terroristes se servent de rites religieux pour créer un lien rituel entre les kamikazes.
Dans un article de USA Today, le journaliste Jack Kelley présentait les kamikazes jordaniens comme jeunes, frustrés sexuellement et "frustrés par la contrainte économique et politique…"
Les musulmans sont aliénés de leur culture s’ils ne vont pas à la mosquée. Parfois, les familles soutiennent le martyr comme un accomplissement réussi de la foi.
Ainsi, par leur martyr altruiste, les terroristes gagnent sur plusieurs tableaux : ils obtiennent ce qui est perçu comme un bénéfice pour toute la communauté, assurent leur propre salut éternel ainsi que la satisfaction sexuelle des 72 vierges promises qui les attendront au paradis ; ils y trouvent aussi la revanche aux injustices subies de la part des infidèles à travers l’histoire, comme la présence militaire américaine, ou la colonisation européenne. Ils atteignent la notoriété dans leur communauté, grande amélioration sur leur misère pleine de désespoir.
Le Jihad défensif est légitime, et, pour beaucoup, c’est le devoir de tout musulman lorsque les infidèles empiètent sur les terres de l’Islam.
Au Moyen Orient, les cultures musulmanes favorisent souvent les quatre motivations de Durkheim simultanément. La distribution inégale de la richesse amenant souvent de forts taux de chômage, couplée à des écoles fondamentalistes, ces éléments à eux seuls créent une culture qui encourage les attentats suicides et la résistance armée contre toute intrusion occidentale, infidèle, sur les territoires islamistes.
Des solutions pacifiques
Par leur fondamentalisme, certaines cultures musulmanes ont tendance à intensifier toutes les motivations de suicide de Durkheim, pour créer les martyrs musulmans. En comprenant les motivations économiques, sociales et religieuses de kamikazes, nous en apprenons les causes.
En examinant celles-ci de près, nous pouvons apprendre à les supprimer pour résoudre le problème à ses racines, pacifiquement.
Jusqu’à présent, les Etats-Unis ont soutenu des régimes dictatoriaux et fascistes dans ses "états-clients" du Moyen Orient. Nous devons changer cette situation économique et politique dans le but d’en finir avec les martyrs terroristes.
Nous pouvons aussi apprendre des leçons dans ces motivations de se suicider, et voir qu’elles sont présentes et expliquent les forts taux de criminalité et de suicide dans notre propre pays.
Dans l’Ancien Testament, Samson commet un acte de suicide terroriste lorsqu’il fait s’écrouler le temple philistin et tue des milliers de ses oppresseurs. La situation était des plus désespérée. Dans le Nouveau Testament, le Christ subit volontairement, avec des milliers d’autres Juifs, le martyr de la crucifixion en défi contre l’oppression de l’Empire Romain.
Ils avaient peu d’alternatives. De même, au Moyen Orient, le désespoir économique et social amène des gens au martyr terroriste parce qu’on ne leur laisse aucune lueur d’espoir de vivre avec dignité et respect.
Source : http://www.interventionmag.com
Traduction : Traduction de Jean-Luc Mercier : mercier.j.l@wanadoo.fr
Afin d'assurer sa mission d'information, ISM-France fait appel à votre soutien.
L'ISM a pour vocation la diffusion d'informations relatives aux événements du Proche Orient. Les auteurs du site travaillent à la plus grande objectivité et au respect des opinions de chacun, soucieux de corriger les erreurs qui leur seraient signalées.
Les opinions exprimées dans les articles n'engagent que la responsabilité de leur auteur et/ou de leur traducteur. En aucun cas l'ISM ne saurait être tenu responsable des propos tenus dans les analyses, témoignages et messages postés par des tierces personnes.
D'autre part, beaucoup d'informations émanant de sources externes, ou faisant lien vers des sites dont il n'a pas la gestion, l'ISM n'assume aucunement la responsabilité quant à l'information contenue dans ces sites.
9 novembre 2021
Le fait d'être désigné comme "terroristes" par Israël illustre le bon travail des ONG en Palestine9 novembre 2021
L’Art de la guerre - Les nouvelles armes financières de l’Occident5 novembre 2021
Israa Jaabis : De victime à criminelle, du jour au lendemain3 novembre 2021
La normalisation est le dernier projet pour éradiquer la cause palestinienne1 novembre 2021
Kafr Qasem reste une plaie béante tandis que les Palestiniens continuent de résister à l'occupation30 octobre 2021
Voler et tuer en toute impunité ne suffit plus, il faut aussi le silence14 octobre 2021
Tsunami géopolitique à venir : fin de la colonie d’apartheid nommée ’’Israël’’12 octobre 2021
La présentation high-tech d'Israël à l'exposition de Dubaï cache la brutalité de l'occupation9 octobre 2021
Pourquoi le discours d'Abbas fait pâle figure en comparaison du fusil d'Arafat à l'ONU6 octobre 2021
Comment la propagande israélienne s'insinue dans votre divertissement quotidien sur Netflix : La déshumanisation et la désinformation de FaudaPalestine
Résistances
24 juin 2005