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USA - 12 avril 2006
Par William Rivers Pitt
William Rivers Pitt écrit pour New York Times.Il est l’auteur de deux best-sellers mondialement connus : "War on Iraq: What Team Bush Doesn't Want You to Know" [La guerre en Irak : tout ce que l’équipe Bush ne veut pas que vous sachiez] et "The Greatest Sedition Is Silence" (La pire des conspirations est celle du silence).
Hier soir, j’ai eu une discussion avec mon boss au sujet de l’article terrifiant de Symour Hersh, dans le New Yorker, exposant les plans d’attaque contre l’Iran de l’administration Bush, qui pourraient comporter le recours à l’arme nucléaire.
Du coup, mon boss a lu l’article de Hersh. Il en a été tourneboulé, ce que je comprends parfaitement.
Il m’a décrit ses réactions en des termes évoquant l’éblouissement de Saint-Paul sur le chemin de Damas.
"Et dire que c’est ce qu’ils vont faire !…" a-t-il commenté.
Moi, j’ai dit à mon patron que je ne pouvais pas me résoudre à croire que l’administration Bush ferait ça. J’ai passé en revue toutes les raisons pour lesquelles une attaque contre l’Iran, a fortiori avec une arme nucléaire, quel qu’en soit le type, serait de la folie pure.
Contrairement à l’Irak, l’Iran a une armée formidable. Les Iraniens ont la haute main sur le golfe persique et ils ont déployé des batteries de missiles tout au long des chaînes montagneuses qui dominent la côte.
Ces batteries de missiles, lui ai-je dit, comportent des missiles Sunburn, qui peuvent voler à plus de Mach 2 [c’est-à-dire à plus de deux fois la vitesse du son, ndt] et sont capables de se jouer des systèmes de radar Aegis. Tout navire de guerre américain dans le Golfe, y compris les porte-avions qui y sont aujourd’hui déployés, seraient des cibles aussi faciles que des canards nageant dans un étang.
Les répercussions, en Irak, seraient immédiates et catastrophiques, lui ai-je rappelé. La majorité chiite irakienne, qui bénéficie de son alliance avec l’Iran, deviendrait totalement cinglée et attaquerait quiconque et quoi que ce soit arborant les étoiles et les rayures du drapeau américain [« stars and stripes »].
La Syrie, qui a signé un pacte de défense mutuelle avec l’Iran, et dont on pense qu’elle dispose d’importantes capacités en matière d’armes chimiques et biologiques, ne manquerait pas d’entrer dans la danse.
La Chine, qui a signé un contrat de partenariat en matière pétrolière avec l’Iran, pour plusieurs millions de dollars, pourrait entrer dans le conflit si elle considérait que ses nouvelles ressources pétrolières étaient menacées.
La Russie, qui s’est auto-convaincue que les ambitions nucléaires de l’Iran ne viseraient que des buts pacifiques, pourrait être entraînée, elle aussi, dans le conflit.
Blair et la Grande-Bretagne ne veulent rien avoir à faire avec une attaque contre l’Iran, Berlusconi a perdu les élections, en Italie, et l’Espagnol Aznar est déjà "out". "Si l’administration mettait ses menaces à exécution", ai-je dit à mon patron, "ses responsables se retrouveraient immédiatement tout seuls et dans le froid".
"Quant à l’option nucléaire", ai-je précisé à mon boss, "elle comporte des possibilités encore plus cauchemardesques. La réaction à une attaque contre l’Iran au moyen d’armes conventionnelles serait déjà bien assez catastrophique.
Si nous laissions tomber une bombinette, la réaction serait exponentiellement pire, et elle mettrait sur la table le scénario suprême du cauchemar : une conflagration embrasant toute la région, qui atteindrait jusqu’au Pakistan, où le président Pervez Musharraf s’efforce actuellement de contenir les fondamentalistes avec les deux mains.
Si les Etats-Unis lâchent une bombe nucléaire sur l’Iran, il est possible que les fondamentalistes, au Pakistan, se soulèvent et renversent Musharraf, prenant ainsi le contrôle de l’arsenal nucléaire de ce pays.
D’un seul coup, d’un seul, ces armes nucléaires deviendraient incontrôlées, et l’Inde entrerait dans un état de folie collective."
Mon argumentation, pleine de bon sens, fut convaincante. Mon patron sembla ébranlé, et nous nous quittâmes en nous souhaitant le bonsoir. Dix minutes plus tard, je recevais un e-mail de mon patron.
Il m’envoyait le dernier éditorial de Paul Krugman, dans le New York Times, intitulé : "Oui : il [Bush] en est capable". Cet édito commence ainsi :
"Mais non ; il ne ferait tout de même pas ça ! ?"
C’est exactement ce sentiment qui a permis au président Bush de précipiter l’Amérique dans la guerre en Irak et d’écarter les questions gênantes sur les raisons de cette guerre, jusqu’après les élections de 2004. Beaucoup de gens ne veulent tout simplement pas croire qu’un président américain pourrait délibérément tromper la Nation sur des questions de guerre et de paix.
"Mais non ; il ne ferait quand même pas ça ! ?", disent ces gens, qui se croient raisonnables.
Toutefois, sachant ce que nous savons concernant les origines de la guerre en Irak, il ne serait pas raisonnable d’écarter la possibilité que M. Bush entame une nouvelle guerre mal ficelée et inutile. Ce serait se bercer d’illusions. » Génial !
La situation a atteint un degré vraiment critique, aux Etats-Unis, dès lors que la première question que vous devez vous poser en matière de guerre et de paix, ou de vie et de mort est la suivante : "Quel degré de folie ces gens ont-ils atteint ?"
Toutes les estimations laissent entendre que les capacités nucléaires de l’Iran ne deviendront pas une réalité avant dix ans, ce qui laisse ouvertes une bonne douzaine d’options diplomatiques et économiques, quant au traitement de la situation. Il n’y a aucune raison valable pour attaquer ce pays. En revanche, il y en a des tas de mauvaises.
La pire, bien entendu, serait le fait qu’une attaque contre l’Iran changerait l’ambiance à Washington, à l’approche des élections de mi-mandat, en 2006. Tous les sondages indiquent que Bush et ses alliés au Congrès sont actuellement à peu près aussi populaires que la gale.
Si la tendance actuelle n’est pas modifiée ni remise en cause, janvier 2007 pourrait voir l’accession du Représentant démocrate John Conyers Junior à la Présidence de la Commission Juridique de la Chambre, ce qui lui confèrerait le pouvoir d’assignation [contre Bush, dans le cadre d’une procédure d’ "empeachment", ndt].
"Comme l’a fait observer récemment Joseph Cirincione, de la Fondation Carnegie pour la Paix Mondiale", poursuivait Krugman dans son édito, "l’administration (Bush) semble suivre exactement le même script, concernant l’Iran, que celui qu’elle a suivi en Irak :
"Le vice-président des Etats-Unis prononce un discours fondamental consacré à la menace provenant d’un pays riche en pétrole du Moyen-Orient.
Le Secrétaire d’Etat déclare devant le Congrès des Etats-Unis que ce même pays représente pour nous le défi le plus sérieux au plan mondial.
Le Secrétaire à la Défense qualifie ce pays de principal soutien du terrorisme mondial. Le Président l’accuse d’organiser des attaques contre les troupes américaine (en Irak)" ".
Pour le moment, une différence significative avec le script irakien a été le fait que l’administration Bush ait démenti véhément qu’une attaque contre l’Iran, a fortiori nucléaire, serait une option actuellement envisagée.
Bush lui-même a qualifié l’article de Seymour Hersh de "spéculation sauvage" et l’attaché de presse de la Maison Blanche, Scott McLellan, a déclaré carrément que les Etats-Unis restaient "partisans de la voie diplomatique".
Gary Sick, un expert ès questions iraniennes, cité par l’éditorialiste Jim Lobe dans un récent article, semble penser que la réputation d’avoir des comportements irrationnels et dangereux dont jouit l’administration Bush est utilisée, en ce moment, en guise de levier psychologique.
"Ils sont connus pour ça", a dit ce M. Sick, "si bien qu’ils n’ont pas besoin d’inventer leur réputation de toutes pièces. S’ils peuvent l’utiliser pour déstabiliser l’Iran – ou n’importe qui d’autre – pourquoi pas ?"
Mais alors : pourquoi cette sensation de froid, au creux de mon estomac ? Julian Borger, qui écrit dans le quotidien britannique The Guardian, a décelé autre chose :
"Vincent Cannistraro", écrit Borger, "ancien chef des opérations anti-terroristes de la CIA, a dit que M. Bush n’avait pas encore pris sa décision, en ce qui concerne le recours à une intervention militaire directe contre l’Iran.
"Il y a une bataille en cours, pour gagner l’âme de Bush, sur cette question", a-t-il expliqué, ajoutant que Karl Rove, le principal conseiller politique du président, est fondamentalement opposé à l’idée d’une intervention armée.
Toutefois, M. Cannistraro a indiqué qu’une action militaire clandestine, sous la forme de forces spéciales identifiant des cibles et aidant des groupes (iraniens) dissidents, est d’ores et déjà en cours.
"Elle a reçu le feu vert, et elle pourrait aller jusqu’à causer un certain nombre de pertes en hommes. Des gens ont déjà été tués, dans ce cadre."
Une bataille pour l’âme de Bush ? Des gens ont déjà été tués ? C’est un jour étrange, aujourd’hui, dans ce Monde du Bizarre où je me retrouve en accord total avec… Karl Rove ! C’est le flou qui entoure tout ça, qui rend la situation véritablement terrifiante. Aucune personne saine d’esprit n’entreprendrait une action aussi lourde de périls…
Mais, si nous avons appris quelque chose, ces dernières années, c’est bien que la santé mentale a toujours tendance à s’asseoir derrière, quand cette administration se lance dans un de ses rodéos automobiles dont elle a le secret.
J’ai pris un café, ce matin, à la cafétéria au coin de ma rue, qui en fait d’excellent. Cette cafétéria est tenue par une Iranienne. Je lui ai demandé, à brûle-pourpoint ce qui se passerait dans son pays, au cas où nous déciderions effectivement de l’attaquer. Elle a repoussé cette possibilité d’un revers de la main :
"J’ai lu l’article de Krugman", m’a-t-elle dit. "Mais ils ne feront jamais ça ! Il faudrait qu’ils soient complètement fous !"
Certes. Vraiment dommage, qu’on n’ait pas encore pu les arrêter…
Source : http://www.truthout.org/
Traduction : Marcel Charbonnier
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