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USA - 7 octobre 2007
Par Ray McGovern
Ray McGovern a servi dans l'US Army de 1962 à 1964 comme officier des renseignements puis a été analyste à la CIA pendant 27 ans (de John Kennedy à George H. W. Bush).Au début des années 80, il était l’un des rédacteurs du President’s Daily Brief. En janvier 2003, lui et quatre autres de ses collègues ont fondé le Veteran Intelligence Professionals for Sanity, une association d'anciens officiers de renseignement opposés à l'instrumentalisation des services secrets par le pouvoir politique.
Qui a peur du Lobby pro-israélien ? Pratiquement tout le monde : Les Républicains, les Démocrates – les Conservateurs, les Libéraux.
Le facteur de crainte est non-partisan, peut-on dire, et palpable.
Le American Israel Public Affairs Committee (AIPAC) se vante qu'il est le Lobby le plus influent sur la politique étrangère sur la Colline du Capitole, et l'a démontré maintes et maintes fois - et non seulement sur la Colline du Capitole.
Photo archives de la US Navy : l'USS Liberty
Le pouvoir du Lobby a rarement été aussi clairement démontré dans sa capacité à supprimer la terrible vérité que le 8 juin 1967, pendant la Guerre des Six Jours :
* Israël a délibérément attaqué l’USS Liberty – un navire de collecte de renseignements, en sachant parfaitement que c'était un bateau de la Marine américaine, et ils ont fait tout ce qu'ils pouvaient pour le couler et ne laisser aucun survivant ;
* Les Israéliens auraient réussi s'ils n'avaient pas interrompu l'attaque en apprenant, d'après un message intercepté, que le commandant de la 6ème flotte des États-Unis avait lancé une escadrille de chasseurs sur les lieux ; et
* À ce moment-là, 34 membres de l’USS Liberty avaient été tués et plus de 170 avaient été blessés.
De nombreux analystes des Renseignements et des hauts responsables sont au courant depuis des années. Que pratiquement tous d'entre eux aient gardé ce silence effrayant pendant 40 ans est la preuve de la très large crainte d'aborder ce sujet tendu.
Pire encore, l'Agence de Sécurité Nationale (NSA) a apparemment détruit les enregistrements de voix et les transcriptions vues et entendues par de nombreux analystes des Renseignements, le matériel qui prouvait sans aucun doute que les Israéliens savaient exactement ce qu'ils faisaient.
La terrible vérité
Mais la vérité sortira, un jour.
Dans ce cas, il faut seulement qu'un journaliste courageux (une espèce en voie de disparition) écoute les survivants de l'équipage et fasse un peu de recherches de base, sans avoir peur d'appeler cela des crimes de guerre et sans laisser les hauts responsables américains, du président au plus bas niveau, supprimer – ou même détruire – les preuves accablantes des communications israéliennes interceptées.
Les médias traditionnels ont maintenant publié des révélations basées en grande partie sur des interviews de ceux qui ont été les plus intimement impliqués.
Un long article du lauréat du Prix Pulitzer, le journaliste d'investigation John Crewdson, est paru dans le Chicago Tribune et le Baltimore Sun le 2 octobre intitulé "Nouvelles révélations dans l'attaque du navire-espion américain."
On peut donner au sous-titre le prix de l'euphémisme de l'année : "Les vétérans, les documents suggèrent que les États-Unis, Israël n'ont pas raconté toute la vérité sur l'incident mortel de 1967."
Mieux vaut 40 ans plus tard que jamais, je suppose. Bon nombre d'entre nous qui connaissions l'incident et l'ont couvert pendant très longtemps, ont tenté de le révéler et d'en parler pour en tirer les leçons.
Cependant, il s'est montré beaucoup plus facile d'obtenir la publication d'un article dans la rubrique des chiens écrasés qu'un article avec l'importance et la nature explosive de cette histoire sensible.
Un marin se lève
Le soir du 26 septembre 2006, j'ai présenté un exposé sur l'Irak devant une foule de 400 personnes dans l'Eglise de la National Avenue à Springfield, Missouri.
Quelqu'un a demandé ce que je pensais de l'étude de John Mearsheimer de l'Université de Chicago et de Stephen Walt de Harvard intitulé "Le Lobby pro-israélien et la politique étrangère américaine".
L'étude avait été à l'origine commandée par The Atlantic Monthly. Cependant, quand le manuscrit est arrivé, des cris de "Lépreux !" ont été entendus à The Atlantic.
La revue mensuelle n'a pas perdu de temps pour dire merci mais non merci, et l'étude pestiférée est alors allée à la recherche d'une maison d'édition, sans en trouver aucune parmi les éditeurs américains.
Plus tard, le London Review of Books l'a publiée en mars 2006.
J'ai lu l'article avec attention et j'ai trouvé que c'était un acte de courage et d'érudition peu commun.
C'est ce que j'ai répondu à celui qui m'avait interrogé, mais en ajoutant que j'avais deux problèmes avec l'étude :
D'abord, il me semblait que les auteurs se trompaient en attribuant pratiquement toute la motivation derrière l'attaque des États-Unis contre l'Irak au Lobby pro-israélien et aux prétendus "néoconservateurs" qui dirigent notre politique et nos forces armées.
Est-ce qu'Israël était un facteur important ? En effet.
Mais selon moi, le facteur pétrole et ce que le Pentagone appelle maintenant la "résistance" des bases militaires en Irak étaient d'une même importance dans la décision de la Maison Blanche et du Pentagone sur la nécéssité pour les États-Unis de dominer cette partie du Moyen-Orient.
En second lieu, j'étais intrigué par le fait que Mearsheimer et Walt ne faisaient aucune mention de ce que je pense être, si ce n'est la preuve connue la plus parlante et peut-être la plus sensationnelle du pouvoir que le Lobby peut exercer sur notre gouvernement et le Congrès.
En résumé, en juin 1967, après avoir délibérément utilisé des avions bombardiers et des vedettes lance-torpilles pour attaquer l'USS Liberty pendant plus de deux heures afin de tenter de le couler et de tuer l'ensemble de son équipage, et avoir ensuite obligé le gouvernement américain, la Marine et le Congrès à dissimuler ce qui s'était passé, le gouvernement israélien a appris qu'il pouvait - littéralement – faire ce qu'il voulait.
Je me suis retrouvé alors face à 400 regards ébahis.
L'USS Liberty ? Et donc j'ai demandé combien de personnes dans la salle avaient entendu parler de l'attaque contre l'USS Liberty du 8 juin 1967. Trois mains se sont levées ; J'ai invité le monsieur le plus près de moi à prendre la parole.
Il s'est levé :
"Monsieur, sergent Bryce Lockwood, Corps des Marines des Etats-Unis, à la retraite. Je suis un membre de l'équipage de l'USS Liberty, monsieur."
Reprenant ma respiration, je lui ai demandé s'il serait disposé à nous raconter ce qui s'était passé.
"Monsieur, je n'ai pas été capable de le faire. C'est dur. Mais cela fait presque 40 ans, et je voudrais essayer de le faire ce soir, monsieur."
Pendant les 15 minutes suivantes, on pouvait presque entendre une mouche voler, alors que Lockwood nous faisait son exposé personnel de ce qui lui était arrivé ainsi qu'à ses collègues, et à son bateau dans l'après-midi du 8 juin 1967.
C'était un linguiste affecté à la collecte d'informations de communications depuis l'USS Liberty, qui était parmi les bateaux les plus laids - et les plus facilement reconnaissables - de la flotte avec des antennes jaillissant dans toutes les directions.
Lockwood a raconté les événements de cette journée fatidique, en commençant par la surveillance maritime et aérienne de six heures du Liberty exercée par la Marine et l'Armée de l'Air israéliennes au matin du 8 juin.
Après les attaques aériennes comprenant du Napalm et des bombes de 500 kgs, trois vedettes lance-torpilles de 60 tonnes se sont alignées comme un peloton d'exécution, en pointant leurs tubes lance-torpilles sur la coque droite du Liberty.
Lockwood avait reçu l'ordre de jeter l'équipement de cryptographie extrêmement sensible par dessus bord et il venait juste de marcher au delà du bastingage séparant l'unité des renseignements de la NSA du reste du bateau quand, s'est-il souvenu, il a senti un gros objet noir, une énorme explosion, et un rideau de flammes. La torpille avait heurté le point mort dans l'espace de la NSA.
Lockwood a repris conscience grâce à l'eau froide et huileuse. Autour de lui, 25 de ses collègues étaient morts ; mais il entendait des gémissements. Trois étaient encore vivants ; l'un des camarades de Lockwood a fait sortir un survivant par l'écoutille.
Lockwood a pu mettre les deux autres, un par un, sur son épaule et les sortir par l'écoutille. Sinon, cela signifiait frapper sur l'écoutille pour que quelqu'un l'ouvre et nager pour sortir son camarade de l'eau de peur qu'il disparaisse dans la mer par le trou d'1,20 mètre de large fait par la torpille.
A ce moment-là, Lockwood s'est arrêté de parler. C'était suffisant. Dur, très dur - même après presque 40 ans.
Que savons-nous d'autre ?
L'article méticuleusement documenté de John Crewdson, ainsi que les 57 pages que James Bamford a consacré à l'incident dans son livre "Body of Secrets" et les récentes confessions de ceux qui ont joué un rôle dans l'étouffement de l'affaire, décrivent une image que les survivants de l'équipage de l'USS Liberty ne peuvent trouver qu'exaspérante.
Les preuves de l'intention délibérée des Israéliens, d'après les communications interceptées ainsi que des témoignages, sont inattaquables, bien que les Israéliens continuent à décrire l'incident comme une simple terrible erreur.
Crewdson fait référence au Capitaine Ward Boston, qui était l'avocat de la Navy désigné comme conseiller auprès de l'Amiral Isaac C. Kidd, nommé par l'Amiral John S. McCain (le père du Sénateur John McCain) pour "enquêter sur tous les faits et circonstances."
Le fait qu'ils n'aient eu qu'une semaine pour rassembler les preuves et qu'ils aient été interdits de contacter les Israéliens fait hurler au "complot".
Le Capitaine Boston, maintenant âgé de 84 ans, a signé une déclaration officielle le 8 janvier 2004 dans laquelle il se décrit lui-même comme "scandalisé par les efforts des apologistes d'Israël dans ce pays qui affirment que cette attaque était une affaire de "confusion d'identité".
Boston poursuit :
"Les preuves étaient claires.
L'Amiral Kidd et moi croyons avec certitude que cette attaque… était un effort délibéré pour couler un bateau américain et assassiner l'ensemble de son équipage…
Non seulement les Israéliens ont attaqué le bateau avec du napalm, des tirs, et des missiles, mais les bateaux lance-torpilles israéliens ont tiré à la mitrailleuse sur trois bateaux de sauvetage qui avaient été envoyés pour tenter de sauver les blessés les plus graves : un crime de guerre…
Je sais d'après des conversations personnelles j'ai eues avec l'amiral Kidd que le Président Lyndon Johnson et le Secrétaire de la Défense Robert McNamara lui ont donné l'ordre de conclure que l'attaque était une affaire de "confusion d'identité" malgré les preuves accablantes qui démontraient le contraire."
Pourquoi les Israéliens ont-ils décidé de prendre la mesure draconienne de couler un bateau de la Marine américaine reste une question ouverte aux spéculations.
Une opinion est que les Israéliens ne voulaient pas que les États-Unis découvrent qu'ils amassaient des troupes pour prendre les Hauteurs du Golan à la Syrie, et ils voulaient priver les États-Unis de l'occasion de contester une telle initiative.
Une autre théorie : James Bamford, dans Body of Secrets," apporte des preuves, y compris le reportage d'un journaliste israélien qui était témoin et d'un historien de l'armée israélienne, du massacre de prisonniers de guerre égyptiens dans la ville côtière d'El-Arish dans le Sinai.
Le Liberty patrouillait directement en face d'El-Arish dans les eaux internationales mais à une distance d'où il était facile d'obtenir des informations sur ce qu'il s'y passait. Et les Israéliens étaient très bien au courant.
Quant au pourquoi, bien, quelqu'un pourrait au moins contacter les Israéliens impliqués et leur demander, non ?
La chose importante ici n'est pas de confondre ce qui est connu (la nature délibérée de l'attaque israélienne) avec l'objectif caché derrière, qui demeure un sujet de spéculation.
Autres sujets de honte
Sous une pression intense de la Marine, la Maison Blanche a accepté d'attribuer au Capitaine du Liberty, le capitaine William McGonagle, la médaille de l'honneur….mais pas à la Maison Blanche, et pas par le président (comme c'est la coutume).
Au lieu de cela, le Secrétaire de la Marine a donné la récompense au Washington Navy Yard sur les rives de la rivière Anacostia.
Un officier de la Marine impliqué dans la cérémonie de récompenses a déclaré à l'un des membres de l'équipage du Liberty : "Le gouvernement est assez nerveux au sujet d'Israël… le Département d'Etat a même demandé à l'ambassadeur israélien si son gouvernement avait une objection à la remise de médaille à McGonagle."
Ajoutant l'insulte aux blessures, les membres de l'équipage du Liberty qui ont survécu assez bien pour réclamer une enquête indépendante ont été frappés de l'accusation, vous l'a devinée, d'anti-sémitisme.
Maintenant qu'une partie de la vérité émerge de plus en plus, d'autres montrent plus de courage pour parler.
Dans un récent email, l'un de mes associés qui a suivi les choses au Moyen-Orient pendant presque 60 ans, a envoyé ce qui suit :
"Le chef des analystes des Renseignements étudiant à l'époque la région arabo-israélienne m'a parlé des messages interceptés et il a dit très catégoriquement et fermement que les pilotes disaient voir le drapeau américain et ont répété leurs demandes de confirmation de l'ordre d'attaque.
Des sections entières de l'armée américaine ont vu ces interceptions. Si la NSA dit maintenant qu'elles n'existent pas, alors quelqu'un leur a ordonné de les détruire."
Laisser la destruction de preuves sans une enquête est une invitation ouverte à la répétition de l'action dans l'avenir.
Plus largement, en visitant Israël l'été dernier, on m'a constamment dit que l'Egypte avait forcé Israël à entrer en guerre en juin 1967.
Cela ne colle pas avec les paroles irréfléchies de Menachem Begin en 1982, quand il était Premier Ministre d'Israël. Il a admis publiquement :
"En juin 1967, nous avions le choix. Les concentrations de l'armée égyptienne dans les environs du Sinai ne prouvaient pas que (le président égyptien) Nasser était vraiment sur le point de nous attaquer. Nous devons être honnêtes avec nous-mêmes. Nous avons décidé de l'attaquer."
En fait, Israël était bien préparé militairement et avait lancé des provocations contre ses voisins, afin de provoquer une réponse qui pourrait être utilisée pour justifier une expansion de ses frontières.
La confiscation des terres par Israël et son contrôle illégal pendant 40 ans sur les territoires occupés et le soutien des États-Unis (en particulier le soutien partial de l'actuelle administration américaine) permettent d'expliquer pourquoi 1.3 milliard de Musulmans "nous détestent".
A lire également sur le sujet :
L'excellent dossier sur Palestine1967.site.voila.fr
Acheter le livre de John Mearsheimer et Stephen Walt : "Le Lobby pro-israélien et la politique étrangère américaine" paru aux Editions La Découverte sur Amazon.com
Source : http://www.antiwar.com/
Traduction : MG pour ISM
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Histoire
Ray McGovern
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