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Europe - 1 septembre 2005
Par Tom Segev
in Haaretz, 01.09.2005
Golda Meir aurait dit d’Andreas van Agt qu’il s’agissait d’"un grand ami d’Israël", ce qu’à ne pas douter il était… jusqu’à il y a deux ou trois ans.
En 1982 – il était alors Premier ministre de la Hollande – il avait prononcé un discours enthousiaste qui absolvait Israël de toute responsabilité dans les massacres de Sabra et Chatila...
"Ce Premier ministre, à l’époque, quel imbécile c’était !", a déclaré voici quelques jours Agt (qui a tendance à parler de lui-même à la troisième personne…)
Soixante-quinze ans, cheveux argentés, nez aquilin et médaille d’honneur royale sur le revers de son veston, moitié croisé passionné, moitié pince sans rire, il est plus que ravi qu’on l’interviewe au sujet du changement radical qui l’a affecté : Hanan Ashrawi, la Golda Meir palestinienne, à qui il a rendu visite en début de semaine, a vu en lui "un grand ami des Palestiniens" !
Tous les quotidiens hollandais, et même CNN se sont intéressés à cette histoire, cette semaine, et entre deux verres de schnaps et deux bouffées de cigare hollandais, il ne se lasse pas de la re-raconter.
Il était professeur de droit pénal, et sa sympathie pour Israël reflétait son désir de perpétuer l’image gratifiante du bon peuple hollandais qui sauva des juifs durant la Seconde guerre mondiale.
En tant que catholique, van Agt partageait également un sentiment de culpabilité pour le comportement du pape Pie XII durant l’Holocauste.
Une génération de nouveaux historiens, apparus en Hollande, a fait voler en éclats le mythe du sauvetage des juifs : beaucoup de Hollandais ont collaboré avec les nazis, généralement par couardise. Résultat : la sympathie pour Israël en a été renforcée : elle était fondée, cette fois-ci, sur un sentiment de culpabilité. Comme de juste, Israël a tiré deux fois les marrons du feu…
Van Agt a fait encore et encore des discours "bla-bla-bla…" (comme il le dit lui-même) en faveur d’Israël. Lui aussi, il a un secret embarrassant, qu’il porte avec lui, et voici que, pour la première fois, il en parle : durant la guerre du Yom Kippur [1973], alors qu’il était vice-Premier ministre, il a fermé les yeux quand le ministre de la Défense hollandais a autorisé les avions américains qui apportaient dare-dare de l’aide militaire à Israël à faire escale sur l’aéroport de Schipöl, sans que les autres ministres du gouvernement n’en sachent rien.
Eh oui… Honte à ce vice-Premier ministre félon !
Sur ces entrefaites, une foultitude de bouquins sur Pie XII ont été publiés et, aujourd’hui, ce pape ne paraît pas avoir été aussi lamentable qu’on a bien voulu le dire ; van Agt n’est plus très sûr, désormais, que tout ce qu’il pensait au sujet du « Député » fût exact…
En février 2002, van Agt a lu un article, publié par l’International Herald Tribune, au sujet des motivations des kamikazes, sous la plume d’un journaliste palestinien, Lamis Andoni. C’est alors que c’est arrivé : il a été secoué jusqu’au plus profond de son être.
Il n’oubliera jamais le gros titre : "Donnez aux jeunes Palestiniens une raison de vivre !". C’est à peu près à ce moment-là qu’il a appris qu’Israël construisait de plus en plus de colonies en Cisjordanie , en violation des accords d’Oslo. Cela outragea le juriste qui veillait en lui : un accord, c’est un accord, O.K. ? Et c’est ainsi qu’il devint un grand ami des Palestiniens…
Il n’a rien contre l’existence d’Israël, à l’intérieur des frontières de 1967 ; il condamne le terrorisme, mais il comprend qu’il prend sa source dans l’occupation. Il pourrait vivre avec le mur de séparation, s’il était construit à l’intérieur du territoire israélien. Ce avec quoi il n’est pas d’accord, c’est le fait que ce mur soit construit à l’est de la Ligne verte.
Le retrait de Gaza a le don de ne pas l’impressionner : l’un dans l’autre, Israël n’a fait que ce qui pouvait le servir. Pas la peine de le remercier pour ce qu’il a fait…
Et l’oppression des Palestiniens continue. Cette semaine, à Hébron, il a vu de ses propres yeux une femme colon lancer une bouteille sur une femme palestinienne qui passait par là .
Les repentants ont très souvent tendance à être très zélés. Van Agt analyse les changements qu’il a connus en termes psychologiques, aussi : il est en colère contre lui-même, et il en arrive même à se mépriser. comment a-t-il pu autant se tromper au sujet d’Israël ?
Et plus il est en colère contre lui-même, plus il est en colère contre Israël. L’Europe est pleine de gens comme lui, en ce moment ; depuis le début de l’été, les territoires ont été inondés de diverses délégations de paix.
Van Agt est venu ici, lui aussi, dans le cadre d’une de ces délégations ; son amitié pour les Palestiniens l’amène à revenir très souvent. C’est la troisième fois qu’il leur rend visite, depuis le début de l’année…
Source : Haaretz
Traduction : Marcel Charbonnier
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