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Grande Bretagne - 18 septembre 2006
Par Norman G. Finkelstein
Le dernier livre de Norman Finkelstein est Beyond Chutzpah: On the misuse of anti-Semitism and the abuse of history [Au-delà de la Chuzpah : du mésusage de l’accusation d’antisémitisme et de la distorsion de l’histoire] (University of California Press). Adresse URL de son site : http://www.NormanFinkelstein.com
Une des thèses centrales de mon livre Beyond Chutzpah [Au-delà du culot monstre], c’est que, dès lors qu’Israël est confronté à une débâcle dans ses relations publiques, ses apologues sonnent l’alarme afin d’avertir qu’une énième forme de "nouvel antisémitisme" vient de nous arriver.
Aussi, conformément à l’attente, juste après qu’Israël se soit trouvé confronté à un nouveau problème d’image en raison de sa destruction meurtrière du Liban, un groupe multipartidaire du Parlement britannique, sous la houlette du député travailliste Denis MacShane, ci-devant champion notoire d’Israël, a publié un énième rapport alléguant une résurgence d’antisémitisme (Report of the All-Party Parliamentary Inquiry Into Antisemitism, Septembre 2006).
A en juger d’après les témoins (David Cesarani, Lord Janner, Oona King, Emanuele Ottolenghi, Melanie Phillips) et les sources (MEMRI, Holocaust Education Trust) cités dans le corps du texte, beaucoup de temps et d’argent auraient pu être épargnés eût ce rapport été tout simplement soumissionné au Ministère israélien des Affaires étrangères.
(L’affirmation contenue dans ce rapport selon laquelle "nous n’avons reçu aucune preuve du fait que l’accusation d’antisémitisme aurait été en quoi que ce soit utilisée de manière abusive par les organisations et les dirigeants reconnus de la communauté juive britannique" traduit sans doute plus le soin apporté à la sélection des témoins que la réalité).
La seule nouveauté de ce rapport, constitué pour l’essentiel de réchauffé des allégations spécieuses auxquelles nous avons déjà fait un sort dans Beyond Chutzpah, ce sont les paliers inexplorés d’idiotie qu’il franchit.
Prenons la méthodologie mise en œuvre pour démontrer ce soi-disant "nouvel antisémitisme". Le rapport définit comme incident antisémite toute occasion "perçue" comme antisémite par la "communauté juive".
Nous avons affaire à cette école de pensée selon laquelle il pleut, quand bien même n’y aurait-il pas la moindre précipitation, parce que j’ai l’impression qu’il pleut !
On a affaire, ici, à la philosophie rêvée pour des paranoïaques, et en particulier des paranoïaques rationnels, pour lesquels une victimitude alléguée est politiquement expédiente.
Ce rapport place sous la rubrique des incidents antisémites non seulement des actes violents et des discours incendiaires, mais aussi les "conversations, discussions ou déclarations faites tant publiquement qu’en privé, qui franchissent la ligne rouge de l’acceptabilité", ainsi que "le ton et l’humeur entourant des propos portant sur les juifs".
Le miraculeux, dans cette affaire, étant qu’il n’ait pas recensé y compris les fantasmes libidineux antisémites répréhensibles.
Dans la catégorie des déclarations intrinsèquement antisémites, le rapport inclut le fait d’"établir des comparaisons entre la politique israélienne actuelle et la politique des Nazis" (seules les comparaisons entre la politique arabe actuelle et celle des Nazis sont autorisées…) et les "théories au sujet de l’influence juive et / ou sioniste sur la politique extérieure des Etats-Unis" (que les organisations juives et sionistes s’en vantent, ça n’est apparemment pas une raison !)
La plupart des soi-disant "preuves" d’un antisémitisme britannique omniprésent requièrent de véritables trésors de crédulité.
La seule occurrence listée – sous la sous-rubrique (de très mauvais augure) de "Diffamations sanglantes" [« The Blood Libel »] – est une série télévisée syrienne, "que des téléspectateurs disposant de l’équipement idoine de réception des retransmissions satellitaires auraient pu voir au Royaume-Uni".
Le rapport relève aussi le cas (non circonstancié) "d’un maître assistant d’université, juif, qui a fait l’objet d’une tirade antisémite de la part d’un étudiant, au beau milieu d’un cours, et dont il aurait été par la suite exigé qu’il expliquât aux autorités universitaires pour quelle raison il aurait (lui, la victime) provoqué l’étudiant en question."
Et se demander s’il s’agissait d’un vieux chnoque, c’est aussi de l’antisémitisme ?
Ensuite, le rapport cite la mise en garde du Groupe conservateur de l’Assemblée municipale de Londres, contre le fait qu’il "existe un risque que, dans certains milieux politiques, "des opinions sur certains événements internationaux puissent, fût-ce de manière subconsciente, conduire à de subtils changements d’attitudes envers (et à de subtils niveaux d’engagement aux côtés de) divers groupes minoritaires…""
Dites-moi : votre nouvel antisémitisme doit avancer sacrément de traviole, pour que les conservateurs britanniques se mettent à parler comme Lacan !
Enfin, il est jugé antisémite, pour des syndicats étudiants, de prôner un boycott des produits israéliens, car cela aurait pour effet de "limiter la disponibilité d’aliments cachère sur les campus".
Ne pourrait-on pas demander à Israël d’organiser un "pont aérien style Berlin années cinquante" en vue d’assurer un approvisionnement des campus en carpes farcies ?
Tout en jurant ses grands dieux que, dans la lutte contre l’antisémitisme "aucune des personnes qui ont témoigné n’a manifesté le moindre désir de voir porter atteinte à la liberté d’expression", et que "seulement dans des circonstances extrêmes serions-nous partisans d’une intervention de la justice", le rapport recommande que les autorités universitaires "prennent une part active dans la lutte contre des actes, des discours, une littérature et des manifestations susceptibles de causer de l’anxiété ou une certaine inquiétude chez leurs étudiants juifs".
Il note aussi une certaine inquiétude, causée par le fait que des "œuvres antisémites classiques et contemporaines sont en libre accès, prêtes à être commandées, sur le site ouèbe de la librairie en ligne Amazon.com" et que "les Etats-Unis, en particulier, ont été particulièrement lents à agir" afin de contraindre à fermer "des sites ouèbes antisémites".
C’est dans des moments comme ceux-là que même la moins patriotique des âmes peut légitimement se sentir fière d’être américaine !
* Les données de la police concernant l’augmentation des incidents antisémites ne prouvent pas grand-chose en elles-mêmes car, comme le concède le rapport, la pointe dans le graphique peut être attribuée au fait qu’une proportion plus importante d’incidents a fait l’objet d’un dépôt de plainte ainsi qu’au durcissement de la vie britannique en général, ainsi qu’au "débordement" (en France, la notion d’"importation" est plus souvent invoquée, ndt) du conflit israélo-palestinien.
De plus, il y a très peu de preuves au sujet d’agressions antisémites "organisées" et "politiquement motivées" ; il n’y en a aucune non plus que les auteurs de telles attaques aient été musulmans dans une mesure disproportionnée et la plupart des suspects, dans les incidents rapportés, étaient des adolescents.
Pour l’année 2005, le rapport cite deux ou trois incidents "potentiellement" mortels.
Il ne cite aucune donnée comparative concernant d’autres minorités en Grande-Bretagne, tout en reconnaissant tacitement que le "niveau des préjugés et des discriminations attribuables aux juifs de Grande-Bretagne demeure très inférieur", ce qui est un euphémisme considérable.
Dans une note à ce sujet, le rapport déplore que « moins d’un incident antisémite dénoncé à la police sur dix ait abouti à la mise en accusation d’un suspect », mais il ne cite aucune donnée de comparaison qui pourrait permettre de vérifier le caractère aberrant d’un tel ratio.]
Source : http://www.counterpunch.org/
Traduction : Marcel Charbonnier
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