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ISM France - Archives 2001-2021

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Salfit -

"J’ai été battu sauvagement sans en connaître la raison"

Par

Malgré les assurances répétées de l'Autorité Palestinienne (AP) que la torture a été interdite dans ses locaux d’interrogatoire et d’incarcération, des histoires de sévices physiques et psychologiques continuent de faire surface en Cisjordanie. Cela soulève de sérieuses questions sur la crédibilité des engagements pris par l'Autorité Palestinienne devant les collectivités locales et les organisations internationales de défense des droits de l’homme opérant dans les territoires occupés.

'J’ai été battu sauvagement sans en connaître la raison'

Ce qui suit est la traduction fidèle du témoignage écrit de Kanaan Mustafa Said Shatat, du village de Bidya, dans le district de Salfit.

Shatat a relaté son histoire personnellement à l’auteur de ces lignes le mardi 8 décembre, racontant les mauvais traitements terribles qui lui ont été infligés par des membres des services secrets palestiniens, ou Mukhabarat, le mois dernier.

Son récit cru souligne l’anarchie rampante qui empreigne tout l’appareil sécuritaire de l’AP. Il montre également la totale impuissance du gouvernement de l’AP à faire respecter ses propres lois par les diverses agences de sécurité qui opèrent pour son compte en Cisjordanie .

« Mon nom est Kanaan Mustafa Said Shatat, du village de Bidya, dans le district de Salfit. Le lundi 9 novembre, alors que j’étais à l’intérieur de la pharmacie al-Noor, vers 19h30, pour acheter des médicaments, deux officiers du renseignement du Gouvernorat de Salfit sont entrés en trombe dans la pharmacie.

Ces deux officiers sont de Bidya : Mahmoud Mustafa Kanaa, 40 ans, marié, et Sofyan Abdul Rahman Kamel al-Dalew, 30 ans, célibataire.

Une fois entrés en force dans la pharmacie, ils m’ont sauvagement agressé, m’ont donné des coups de poing sur tout le corps avant de me traîner dehors d’une manière violente et brutale. Là, ils ont recommencé à me frapper sur le visage et la tête. Devant la pharmacie, il y avait une patrouille de police dont les membres ont aidé les deux officiers à me mettre de force dans un véhicule bleu appartenant à la Mukhabarat. Les deux officiers m’ont emmené au poste de police de Bidya.

Là, les policiers m’ont fouillé, ont pris ma carte d’identité et m’ont mis dans une pièce, seul. A ce moment là, j’ai entendu la voix de mon père, qui s’inquiétait de mon sort. Le chef de la police a dit à mon père que je n’étais pas là, ce qui m’a forcé à crier pour dire à mon père qu’ils lui mentaient. Alors, les policiers ont ouvert la porte, et un d’entre eux m’a dit de me taire, que j’étais un fauteur de trouble. Je lui ai dit que je n’en étais pas un et que je ne savais réellement pas pourquoi j’étais détenu, en particulier puisqu’aucun mandat d’arrêt n’avait été lancé contre moi.

Le chef de la police m’a dit qu’une voiture de la Mukhabarat viendrait bientêt me chercher et que la police allait me remettre à la Mukhabarat, à sa demande. Je lui ai demandé pourquoi ils allaient me remettre à la Mukhabarat. Il m’a répondu que c’était parce que la Mukhabarat voulait m’interroger sur certaines accusations.

Une demi-heure plus tard, un groupe d’officiers de la Mukhabarat m’a emmené à leur centre local, où on m’a mis dans une petite pièce, à l’entrée de l’immeuble.

Peu de temps après, pas moins d’une dizaine d’officiers du renseignement ont envahi la petite pièce, se sont ligués contre moi et ont commencé à me passer à tabac. L’attaque a duré dix minutes et j’ai eu des coupures profondes au cuir chevelu, une autre derrière l'oreille droite, et je saignais de la tête et de la bouche. Les coups étaient si durs que je pouvais à peine tenir debout. Ensuite, alors que je saignais toujours, j’ai été emmené au bureau d’interrogatoire. Ils ont commencé à me questionner sur des accusations alléguant que j’avais menacé deux officiers du renseignement (Mahmoud Mustafa Kanaan et Hasan al-Akraa). Après que j’ai nié ces accusations, ils m’ont demandé d’aller laver le sang.

En fait, ils m’ont conduit au lavabo parce que j’étais trop faible pour marcher seul. Puis ils m’ont emmené dans une autre salle d’interrogatoire. Cependant, comme ils ne pouvaient prouver les accusations portées contre moi, le chef local de la Mukhabarat, Muhammed Abdul Hamid (Abu Al-Abed) est entré dans la pièce accompagné de plusieurs officiers. Il m’a interrogé sur les accusations et je lui ai répondu que j’étais innocent. Alors le chef lui-même a commencé à me frapper alors que je saignais toujours et je n’avais rien pour arrêter le saignement, à part un petit oreiller qui était trempé de sang.

Une heure plus tard, ils m’ont emmené à la clinique de Bidya où on m’a posé des points de suture. Ils m’ont ramené au centre Mukhabarat, et le chef m’a dit que je resterai en garde à vu indéfiniment. Le sixième jour de mon incarcération, le 15 novembre 2009, ils m’ont demandé de remplir un questionnaire avec mon nom, si j’étais marié ou célibataire, mon affiliation politique et pour quel parti j’avais voté aux dernières élections. Ils m’ont aussi demandé pourquoi les Israéliens m’avaient arrêté en 2005. J’ai signé la déclaration sous serment, avec ma dénégation des accusations.

Ensuite, j’ai été emmené au bureau du procureur militaire de Salfit, Yafi Marayta, où on m’a demandé de donner mon nom, mon affiliation politique et les accusations portées contre moi. Marayta m’a averti que s’il découvrait que les accusations étaient authentiques, il me montrerait ce qu’il me ferait !

Puis il a prolongé ma détention de 15 jours. Alors qu’on me conduisait au bureau du procureur militaire, j’ai entendu un officier du renseignement, nommé Zayd, dire au procureur militaire : « Je t’emmène un détenu Hamas qui était en garde à vue chez nous. Il est têtu, apprends-lui les bonnes manières ! » Marayta lui a dit : « T’inquiète pas. »

J’ai été ensuite emmené au centre de la police de Salfit, où je suis restée incarcéré pendant 11 jours de plus, jusqu’à ce que je sois libéré sous caution le 26 novembre.

Je suis un civil et totalement innocent des accusations portées contre moi. En fait, l’appareil de la Mukhabarat ne s’est pas contenté de me tabasser, de m’humilier et de me torturer, mais ils ont aussi contacté mon employeur, la Compagnie Palestinienne des Télécommunications, demandant qu’on me vire de mon poste, apparemment pour m’appauvrir, moi et ma famille. Heureusement que la compagnie n’a pas cédé à leur tactique d’intimidation. Je ne sais vraiment pas ce qui va m’arriver ensuite, au sujet des accusations contre moi, et aussi pour mon travail.

Signature : Kanaan Shatat.

P.S. « A partir de mon enlèvement dans la pharmacie Noor, le 9 novembre, jusqu’à mon transfert dans les quartiers de la police de Salfit, les officiers de la Mukhabarat qui m’accompagnaient n’ont cessé de m’injurier et de m’insulter. Ces gens-là insultent, injurient Dieu et la religion, et se livrent à toutes sortes de blasphèmes comme ils respirent. »

Source : Middle East Online

Traduction : MR pour ISM

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