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Gaza - 1 juin 2009
Par Mansour Hammad
retranscrit et traduit par Natalie Abou Shakra.
Mon nom est Mansour Hammad. Je vis à Gaza, où j’ai vécu toute ma vie. Mais originellement, je suis de N’alaya, à Majdal (près de Tibériade, ndt). Je suis réfugié à Gaza, où mes grands-parents sont arrivés au moment de la Nakba. En 1986, lorsque j’avais 16 ans, j’ai été arrêté par le Shin Bet à minuit, chez moi à Gaza. Ils sont rentrés dans la maison, très doucement, je dormais, mais ma père a répondu lorsqu’ils ont frappé à la porte. Elle a été terrifiée de voir tous ces fusils.
Je me suis réveillé avec un fusil braqué sur moi. J’étais en pyjama, les pieds nus. Ils m’ont lié les mains, et m’ont fait marché à 500m de la maison, jusqu’aux limites du camp de réfugiés de Jabalya. Là, il y avait d’autres garçons et d’autres hommes du camp qu’ils avaient arrêtés. Ils se sont mis à nous frapper. La douleur me paralysait, ma chemise était couverte de sang.
Ensuite ils nous emmenés à Saraya, à Gaza ville et ont commencé la procédure d’interrogatoire. Ils m’ont demandé d’enlever tous mes vêtements… « zay ma jabtak ammak », nu comme au moment de ma naissance.
Ils m’ont dit de mettre une combinaison bleu marine, qui était tâchée de sang, de sueur, puante et déchirée. Quelqu’un avait dû la porter pendant longtemps… Je l’ai mise. Ensuite ils m’ont rasé la tête. C’est l’endroit que les prisonniers politiques appellent le Maslakh… l’abattoir. Il remplit encore de la terreur l’âme de beaucoup d’ex-prisonniers politiques.
Ils m’ont à nouveau frappé, et je suis resté une semaine avec un minimum de nourriture et d’eau sales, et empêché de dormir.
Une semaine après, ils m’ont emmené à la prison Majdal. Je ne peux pas oublier le soldat israélien qui avait une dent en argent. Il était le pire… Il m’a fait des choses que j’ai du mal à raconter… Laisse-moi te dire… que beaucoup de jeunes gens quittent leur prison… stériles…
Ils ont constamment fait pression pour que je collabore avec eux contre mon peuple. Toutes sortes de pression. Ils m’ont dit que je passerais 8 ou 9 ans en prison.
J’ai été transféré de Majdal à Saraya, puis à ‘Askalan et à Naf’ha (photo ci-dessus).
Ensuite, j’ai été transféré dans la prison du Néguev. J’étais accusé d’appartenir au FPLP, et d’être « une menace pour l’Etat d’Israël ».
Dans la prison Naf’ha, j’ai organisé une grève de la faim de 18 jours avec les autres prisonniers politiques. Les conditions de vie en prison sont inhumaines… il est arrivé qu’ils laissent les détenus israéliens des autres prisons préparer nos repas… Tu sais ce que ça signifie ? Ca veut dire qu’ils crachent dans la nourriture, qu’il remue la soupe avec un balais… les casseroles dans lesquelles ils préparent les repas sont extrêmement sales… c’est plus que dégoutant. Nous avons demandé qu’ils nous portent une meilleure nourriture.
Pendant la grève, ils nous ont apporté du poulet, du riz et des fruits, pour nous faire craquer. La meilleure des nourritures, juste pour briser notre grève. Mais nous n’avons pas craqué, malgré la tentation, et nous avons fait18 jours de grève de la faim.
L’emprisonnement dans les années 60 était différent des années 70, des années 80, 90 et de maintenant…
Dans les années 60, ils nous arrachaient les ongles… personne ne le savait puisque les organisations pour les droits de l’homme n’existaient pas pour nous aider et propager les informations sur nos conditions de vie. Il y avait d’autres formes de torture, qui continuent jusqu’à aujourd’hui. Il y avait des périodes où ils nous mettaient Radio Israël, le programme en arabe, où ils passent tous les jours Fairuz… et nous écoutions plein de nostalgie…
La prison vous rend… différent. Moi en particulier, j’avais 16 ans et j’en suis sorti à 26. J’ai appris l’hébreu et un peu d’anglais, que j’ai pratiquement oublié aujourd’hui. Les prisonniers politiques essaient d’améliorer leurs conditions de vie, ils luttent, ils se mettent en grève… pour faire pression. C’est une guerre continue entre le prisonnier et les gardiens.
Nous leur jouions des "tours"… pas pour rire… par désespoir… Quelquefois, un homme se pendait dans sa cellule… juste par désespoir… Il choisissait le moment du changement d’équipe et de la vérification des cellules… Quand le gardien entre pour le contrôle, il devient dingue de voir qu’il y a eu un suicide… Ils ouvrent la cellule et emmènent nos camarades pour examen médical… c’était du désespoir… quelquefois pour avoir demandé un peigne… c’est idiot… mais immensément symbolique.
Est-ce que c’était courageux ou fou ? Je dirais un peu des deux… Est-ce qu’un soldat sait dans quoi il entre, à la guerre ? Non, s’il le savait, il n’irait pas. Il aurait trop peur, juste à l’idée de ce qui va arriver… C’est ça qui est fou… que vous ne pensiez pas à ce qui va arriver.
Le côté courageux, c’est que vous êtes dedans, et que vous n’en sortez pas. Vous restez dedans, et vous vous battez jusqu’à votre dernier souffle.
Source : Sabr
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