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Palestine - 10 juin 2006
Par Jamal Juma
Jamal Juma’ est le Coordinateur de la Campagne palestinienne contre le Mur d'Apartheid
Dans le contexte de ce que nous subissons et que vous voyez clairement sur le terrain, nous ne pouvons pas comprendre que certains continuent d’en appeler à "la justice en Palestine et en Israël".
De quelle sorte d’oppression et d’injustice souffre Israël ?
Comment peut-on mettre sur un pied d’égalité la victime et le criminel ?
Les Palestiniens ont besoin de justice et Israël doit reconnaître ce besoin de justice.
Cher Amis,
De récents développements nous ont incité à écrire cette lettre pour aborder quelques questions qui persistent au sein du débat européen au sujet de la solidarité avec les Palestiniens et la Palestine.
Tout d’abord, nous souhaitons préciser que le but de cette lettre est de plaider pour que la vérité sans voile trouve un espace et d’assurer une coopération ouverte entre tous les acteurs impliqués dans le soutien au peuple palestinien.
Elle souligne des questions non résolues pour encourager la discussion et en finir avec l’actuelle impasse du conflit interne à la solidarité européenne.
Après trois années de travail avec les groupes de soutien et le mouvement social en Europe, nous voudrions attirer votre attention sur quelques points qui ont périodiquement empêché le mouvement BDS (Boycott, Désinvestissement et Sanctions) européen d’avancer.
Des discussions internes ont eu lieu sur la nature de l’Apartheid en Israël et les trois manières possibles de l’isoler : le boycott, le désinvestissement et les sanctions.
Cela a détourné l’énergie des militants du réel objectif : mettre une pression concrète et efficace sur Israël pour libérer la Palestine.
Nous avons fait l’expérience de ce que j’appellerais "une crise de compréhension" parmi certains éléments de la solidarité européenne, non seulement mais en particulier au sujet de la Palestine.
Ceci s’est accentué avec la décision de la Cour Internationale de Justice de 2004 et lors de l’appel déterminé pour une campagne globale de BDS de la part des Palestiniens, émis d’abord par la Campagne puis relancé dans un appel unitaire palestinien pour le premier anniversaire de la décision de la CIJ.
La seule et unique relation entre notre cause et l’Europe tient à son rôle dans la création de notre oppression.
Elle tient dans les relations entre l’Europe et Israël, comme fruit du colonialisme et de l’injustice subie par les Juifs en Europe et est à l’origine de l’engagement européen dans la création d’un Etat juif au cœur du Moyen-Orient, un engagement clair en faveur de sa création, de son maintien et de son avenir.
Ceci a permis deux dynamiques principales :
1. permettre à cet Etat de fonctionner en tant que tel au-dessus des lois internationales. Un Etat sur lequel personne n’ose effectuer la moindre pression pour qu’il applique les lois, les conventions internationales et les résolutions de l’ONU qui garantissent nos droits.
2. limiter le pouvoir des mouvements et organismes qui souhaitent dénoncer ou prendre position contre les crimes de cet Etat.
Le lobby sioniste vise à fixer les limites de toute critique ou action qui pourraient être entreprises par des gens comme vous, honnêtes et courageux, qui essaient de lutter contre les crimes de l’occupation, nos catastrophes (les unes après les autres, 1948, 1967, 1982 et le Mur de l’Apartheid), et pour l’application de plus de cent résolutions de l’ONU, conventions internationales et, dernièrement, la décision de la Cour Internationale de Justice.
Et c’est ainsi que même quelques-uns des plus radicaux ou éloquents des avocats des droits de l’homme, de la démocratie et de l’égalité évitent de demander comment le sionisme peut prétendre à la démocratie pour un Etat construit sur la terre palestinienne et qui maintient systématiquement la suprématie des Juifs sur les Palestiniens vivant là et nient le droit au retour pour 6 millions de réfugiés.
On peut l’appeler une "question complexe". Pourtant nos droits ne sont pas complexes mais évidents, alors que les complicités complexes avec Israël forgent le système de pouvoir qui oppresse notre peuple.
Eviter de donner des réponses claires à des questions gênantes n’aide pas et ne sert qu’à dissimuler les racines de notre oppression.
Notre lutte et notre peuple ne sont pas constitués que des territoires palestiniens occupés depuis 1967.
Ils comprennent les Palestiniens de 1948 qui, depuis 58 ans, sont supposés devenir des Israéliens avec une citoyenneté israélienne de seconde classe ou disparaître.
Ils souffrent du racisme d’Etat institutionnalisé et de la colonisation de leur terre. Ils sont soumis à une discrimination intense à travers une myriade de réglementations et de lois, et sont sans cesse menacés d’être expulsés de leur terre.
Je mentionne juste deux des dernières mesures prises : la judaïsation à grande vitesse de la Galilée et du Négev et la décision récente des tribunaux israéliens validant la loi raciste qui empêche la réunification familiale entre les Palestiniens de 67 et de 48.
De plus, vous avez certainement eu connaissance des appels de nombreux dirigeants israéliens de renom préconisant de se débarrasser du "Triangle", à l’ouest de la Ligne Verte, dans le nord de la Cisjordanie parce que trop de Palestiniens y vivent.
Vous n’avez peut-être pas entendu les déclarations d’un professeur de l’Université Bar Ilan, sur Al Jazeera il y a quelques jours, répondant à une question de Raji Sourani sur l’élaboration des lois internationales, et lui disant qu’il devrait rentrer chez lui au Liban (Sour est une ville libanaise), son pays d’origine d’après ce professeur.
Il a continué en déclarant : "Vous, derrière le mur, vous recherchez des certificats pour obtenir 99 femmes au paradis ; nous, nous recherchons des certificats et des diplômes universitaires".
Mais vous avez certainement entendu parler des 250.000 réfugiés palestiniens de 1948 vivant sur leurs terres.
Beaucoup d’entre eux vivent à moins d’un kilomètre de leurs biens et ne peuvent pas revenir dans leurs maisons. Et enfin, notre peuple est composé des 6 millions de réfugiés éparpillés à travers le monde.
• Confiscation des terres et des ressources aquifères ;
• ghettoïsation des communautés palestiniennes ;
• création de deux réseaux routiers différents pour les colons et les Palestiniens ;
• assassinats quotidiens de Palestiniens ;
• démolitions de maisons ;
• femmes qui avortent aux check-points ;
• enfants pris pour cible et tués dans les écoles ;
• 12 communautés actuellement condamnées à l’expulsion (la plupart coincées entre des colonies ou entre le Mur et la Ligne Verte) en préparation du plan Kadima ;
• nettoyage ethnique systématique à Jérusalem et 120.000 jérusalémites isolés de leur ville et menacés de perdre leur droit de résidence dans la ville.
Voilà la réalité des Palestiniens en Cisjordanie .
D’un autre côté, les colons peuvent prendre nos terres sans qu’aucune loi ne les en empêche. Des terres palestiniennes sont quotidiennement confisquées pour l’extension des colonies, de nombreux Palestiniens sont tués par les colons et aucun de ces criminels n’a jamais eu affaire à la justice pour ses crimes.
Les soldats tuent des milliers de Palestiniens ; beaucoup d’entre eux sont des enfants. Aucun de ces criminels n’a jamais été emprisonné.
Est-ce que cela ne vous rappelle pas ce qui se passait en Afrique du Sud ?
Est-ce que ce n’est pas du racisme, de la discrimination et de l’apartheid ?
Est-ce que cela ne mérite pas boycott et isolement ?
Je pense que vous connaissez ces faits. Ce n’est qu’un rappel pour tout ceux qui veulent discuter du caractère ou non raciste colonial et d’apartheid de l’Etat, ou ceux qui veulent que nous l’oubliions.
C’est un Etat raciste qui pratique l’apartheid.
Personne ne nous convaincra qu’Israël est un Etat démocratique. De même que nous nous ne cesserons de croire et d’affirmer que notre lutte est dirigée contre le sionisme, idéologie et politique raciste à l’origine de nos catastrophes.
Depuis les dernières élections, notre peuple subit les sanctions imposées par l’occupation et le monde occidental, et nous constatons les résultats sur le terrain.
Des sanctions qui nous rappellent celles qu’a subi le peuple irakien. Elles sont présentées au monde comme des outils pour arrêter le Hamas (peut-être même "pour le bien" des Palestiniens), tentative visant à pousser les Palestiniens à rendre le Hamas responsable de la famine.
En réalité, elles visent à créer les conditions adéquates pour que le "Plan de Convergence" soit accepté et mis en application par les Palestiniens eux-mêmes. Implicitement ou explicitement, le plan est supposé recevoir le soutien des Etats-Unis et des gouvernements européens.
Néanmoins, il constitue une violation avérée de la loi internationale, de toutes les résolutions des Nations-Unies, de la décision de la Cour Internationale de Justice et de nos droits humains fondamentaux. Il écarte tous les principes palestiniens pour lesquels nous nous sommes sacrifiés et avons lutté depuis 1929.
L’auto-détermination devient "autonomie sous contrôle israélien", les "frontières nationales" des ghettos entourés de murs et Jérusalem une capitale juive où ses 230.000 habitants palestiniens seront menacés d’expulsion et de nettoyage ethnique.
Les 6 millions de réfugiés ne seront plus qu’un souvenir de notre histoire.
Dans le contexte de ce que nous subissons et que vous voyez clairement sur le terrain, nous ne pouvons pas comprendre que certains continuent d’en appeler à "la justice en Palestine et en Israël".
De quelle sorte d’oppression et d’injustice souffre Israël ?
Comment peut-on mettre sur un pied d’égalité la victime et le criminel ?
Les Palestiniens ont besoin de justice et Israël doit reconnaître ce besoin de justice.
Nous savons que notre conflit va durer encore longtemps. C’est la raison pour laquelle nous devons profondément enraciner notre lutte dans nos droits inaliénables et nous devons construire sur des bases solides de justice. Ce qui implique qu’il est important pour nous de décrire la réalité dans laquelle nous vivons.
Nous faisons l’expérience de l’occupation sur le terrain et nous en avons les cicatrices sur la peau.
C’est pourquoi nous, les Palestiniens, sommes ceux qui peuvent discuter et décider comment nous nous présentons, nous, nos droits et notre oppression, comment nous en parlons et quels arguments nous utilisons.
Nous savons exactement comment la décrire et comment en parler.
Nos amis, nos camarades et nos soutiens peuvent la présenter de la manière la plus appropriée à leur contexte de travail, sans toutefois faire de concessions sur l’essence de la question elle-même.
Nous respectons les droits de l’homme mais, jusqu’à aujourd’hui, nous n’avons pas vu leur application sur le terrain – en particulier pour ce qui concerne la Palestine et Israël Apartheid.
Nous devons libérer ces lois et les organismes des Nations Unies des griffes des pouvoirs coloniaux aux Etats-Unis et dans l’Union Européenne de manière à ce que nous, et tous les autres peuples oppressés de par le monde, puissions les constater sur le terrain et en bénéficier.
Le problème, une fois encore, ce n’est pas nous, les Palestiniens, ni notre manière de nous présenter ou de nous représenter, mais c’est le monde et la manière dont il veut nous voir et nous traiter. Nous sommes les victimes des fautes des autres.
L’application et la mise en œuvre de la loi internationale prônées par les campagnes populaires pour la justice trouvent un exemple impressionnant d’efficacité dans le cas de l’Afrique du Sud.
Il est primordial de trouver comment cela peut être possible dans le cas de la Palestine et comment la société civile peut devenir le moteur de ce processus.
La société civile et la base sont, par définition, les acteurs qui peuvent contribuer directement à l’application des lois au moyen de diverses formes de boycott, y compris le désinvestissement. Ceci nécessite de construire le fondement nécessaire pour des changements politiques au niveau gouvernemental et, ensuite, appliquer des sanctions.
La Campagne a établi cette stratégie simple pour que la loi internationale soit appliquée dans différents contextes, partout dans le monde, y compris le Colloque ECCP sur l’appel à sanctions européen. Les actions de boycott et de désinvestissement entreprises au niveau mondial et leur début de succès constituent la toile de fond de cette vision.
Nous connaissons très bien les dynamiques et divergences entre les forces sociales en Europe concernant la Palestine et les difficultés rencontrées par certains pour comprendre que les campagnes de boycott sont un moyen d’isoler Israël.
Ces discussions et divisions n’existent heureusement pas dans d’autres régions du monde, en particulier parmi ceux qui souffrent du racisme et du colonialisme.
Mais nous ne pouvons créer un "cas spécial" pour l’Europe car notre peuple et le monde ont besoin de cohérence dans la manière dont nous nous présentons et nous représentons notre oppression.
De plus, nous ne souhaitons pas nous tenir aux côtés de l’un ou l’autre des "courants" européens, mais nous continuerons à présenter nos positions comme étant les réalités du terrain qui nous sont imposées.
Nous apprécions la discussion et le dialogue. Nous sommes heureux de travailler avec quiconque est intéressé. Mais ce n’est pas à l’Europe de nous dicter notre terminologie et nos appels.
Nombre des objections qui limitent le déploiement tout azimut du mouvement BDS en Europe viennent à l’évidence du positionnement de certains groupes européens.
Nous apprécions ce sens de la diplomatie. Mais il est triste de voir que parfois, les préoccupations des organisations palestiniennes semblent moins importantes.
Nous apprécierions que l’urgence à dire la vérité telle qu’elle est soit prise en considération, plutôt que le souci de quelques-uns à dire et à entendre des mots clairs.
En fait, les positions "deux poids-deux mesures" des gouvernements se reflètent malheureusement dans les points de vue de certains mouvements sociaux.
Alors que le droit des Palestiniens à énoncer la vérité peut être ouvertement attaqué, après trois années de travail extensif et intensif dans les mouvements globaux, nous avons appris qu’il est généralement considéré comme tabou de critiquer fermement les organisations qui refusent de dire la vérité et défendent le racisme derrière le "caractère juif" d’Israël et du sionisme.
Dans cette situation européenne difficile, nous apprécions et respectons tous les courageux militants, en incluant évidemment les juifs anti-sionistes, qui organisent quotidiennement la solidarité en Europe et sont désireux de dire la vérité. Ils sont les vrais partisans des droits de l’homme.
La diplomatie est importante mais elle ne peut pas être marchandée avec la vérité. Le peuple que vous soutenez a lui aussi besoin de diplomatie et de respect.
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