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Moyen Orient - 31 août 2008
Par Wassim Al-Adel
Wassim Al-Adel est un blogger syrien installé à Londres et est en maîtrise de philosophie.
Alors qu'en Occident les campagnes de boycott et désinvestissement se sophistiquent et se répandent, le très ancien boycott d'Israël par le monde arabe est miné par les gouvernements, les compagnies et les hommes d'affaire arabes. Cette tentative de normalisation sans concession avec Israël doit être combattue par tous ceux qui oeuvrent pour la justice en Palestine. La récente campagne d'Adalah-New York contre le milliardaire israélien Lev Leviev jette la lumière sur les relations naissantes entre les gouvernements arabes et les affaires, en Israël.
La prolifération de chaînes de restauration rapide comme McDonald's au Moyen Orient est un indicateur de la collusion entre les gouvernements et les grandes entreprises arabes aux dépens du mouvement de boycott et de résistance à l'occupation israélienne (photo Matthew Cassel)
Au début de l'année, la coalition Adalah-NY basée à New-York a été le fer de lance d'une campagne visant à empêcher Leviev d'ouvrir une succursale de sa chaîne de diamants à Dubai. Leviev est le président de Africa Israël Investments, qui construit des colonies illégales exclusivement juives dans le voisinage du village palestinien de Jayyous par l'intermédiaire de sa filiale Danya Cebus.
Une combinaison d'exposition médiatique et de tollé général a forcé les autorités des Emirats à nier que le joaillier s'était vu accorder la moindre autorisation. Ce fut une victoire pour ceux qui souhaitent voir la fin de l'occupation israélienne.
Le succès de la campagne d'Adalah-NY suggère deux réflexions aux militants : d'abord, il y a une culture grandissante de torpeur et de complicité envers Israël et ses soutiens financiers, cultivée aux plus hauts niveaux des gouvernements arabes. Ensuite, ces mêmes gouvernements sont susceptibles de faire pression lorsque l'étendue de cette collusion est manifeste.
Il est décevant d'apprendre que, alors que les protestations publiques et l'attention médiatique ont de fait empêché Leviev d'ouvrir sa boutique à Dubai, d'autres sociétés qui ont des liens avérés avec Israël continuent d'y travailler librement. Le géant de la distribution, Marks & Spencer, est tout en haut de la liste de boycott de la plupart des groupes pro-palestiniens, et pourtant il vient d'ouvrir un de ses plus grands magasins à Dubai avec un investissement d'environ 3,9 millions de dollars et il envisage de s'implanter dans toute la région.
Après fait l'objet en 2000 de félicitations particulières de l'ancien ambassadeur israélien au Royaume Uni Dror Zeigerman, on estimait, au début du millénaire, que Marks & Spencer importait pour près de 440,88 millions de dollars de produits et marchandises israéliens par an. Entre temps, en 1988, le Prince héritier et Ministre de la Défense Sheikh Mohammad bin Rashid al-Maktoum, qui est aujourd'hui Emir de Dubai, premier ministre et vice-président des Emirats Arabes Unis, a honoré de sa présence l'inauguration du premier magasin à Dubai.
Etant donné l'importance des soutiens sionistes de Marks & Spencer, il est difficile d'imaginer que al-Maktoum ait pu ignorer les liens de la compagnie avec Israël. Il est vrai que les Etats du Golfe ont été des observateurs notoirement versatiles du boycott pan-Arabe d'Israël. C'est pourquoi il n'est pas surprenant qu'à un niveau institutionnel, un discours qui aurait été considéré comme tabou il y a juste dix ans soit maintenant diffusé sans vergogne.
L'annonce récente de "Silk City" au Koweït en est un exemple. Projet de 132 milliards de dollars actuellement en développement, Silk City a pour objectif de connecter le Koweït à Baghdad, Damas, et jusqu'en Iran, puis ensuite en Chine. Un des buts du projet est aussi, selon les dires du chef de projet, Sami al-Faraj, de "se connecter à Israël" (Khaleej Times Online, 22 juillet 2008). Al-Faraj, qui est aussi président du Centre d'Etudes Stratégiques de Koweït et conseiller du Conseil de Coopération du Golfe, qualifie les critiques de son projet de "obsolètes".
Il n'est pas surprenant que les responsables koweïtiens soient restés silencieux sur la question, un silence qui est souligné par l'assentiment aux demandes occidentales et israéliennes de normalisation. Pour l'Arabie Saoudite, membre de l'Organisation Mondiale du Commerce, qui interdit le boycott des autres états membres, dont Israël, cela signifie que la politique officielle saoudienne de boycott des produits israéliens est aussi en lambeaux, bien qu'elle n'ait pas encore été officiellement abandonnée.
Le boycott arabe est essentiellement à trois niveaux : le premier concerne principalement le boycott direct des produits israéliens ainsi que de toutes relations avec des individus et des sociétés israéliens. Le deuxième implique le boycott des compagnies qui travaillent ou ont des relations en Israël, alors que le troisième couvre les compagnies qui traitent avec celles du deuxième niveau. Ce boycott est maintenant limité au premier niveau, et, comme démontré dans l'affaire Leviev, même celui-ci s'effrite régulièrement.
Pour avoir une idée de la façon dont le boycott arabe a fléchi, il suffit de regarder la situation en Syrie, le quartier général de ce qui fut jadis l'Office Central de Boycott, à l'influence primordiale. Depuis 2000, les changements sont étonnants, et nous voyons des produits et des compagnies qui auraient été carrément bannis il y a seulement quelques temps maintenant largement disponibles. Ceci est dû en partie à la lente mais régulière libéralisation de l'économie.
A Damas, l'horizon est balafré par un énorme hôtel Four Seasons, construit par le Prince milliardaire saoudien Walid bin Talal, avec des filiales partout dans le monde – dont Jérusalem.
Dans le quartier branché d'Abu Roumaneh, le premier Kentucky Fried Chicken officiel du pays a été ouvert, et c'est le rendez-vous favori des riches damascènes (en contraste frappant avec son image en Occident de chaîne de restauration rapide pour les classes laborieuses à faibles revenus). C'est l'énorme groupe koweïtien Americana qui s'est occupé du lancement de KFC, groupe qui gère d'autres chaînes de restauration rapide dans toute la région et accentue la puissante influence du Golfe derrière ce travail d'érosion du boycott. Le fait que KFC ait été jadis boycotté par l'Office Central de Boycott semble être commodément oublié aujourd'hui. Dans les deux exemples, nous voyons une collusion silencieuse entre le gouvernement et le gros "business" arabe aux dépens du boycott et de la résistance à l'occupation.
La liste des exemples peut continuer presque indéfiniment, mais le problème central demeure : il y a un besoin urgent d'enquêter et de documenter cette tendance qui cherche à saper le boycott du monde arabe contre Israël et les chances de succès de la résistance à son occupation de la Palestine.
Les gouvernements arabes ne peuvent plus, s'ils l'ont jamais été, être considérés comme des champions fiables du boycott.
L'expérience récente de groupes comme Adalah-NY et la Campagne de Boycott des Produits Israéliens a aidé à révéler les relations de pouvoir qui sous-tendent la collaboration économique des compagnies et des états occidentaux et arabes avec Israël. Elles ont également servi à mettre ces gouvernements arabes dans l'embarras, les forçant à maintenir la pression sur Israël. Sinon, négliger cette tendance pourrait conduire à une sape des campagnes actuelles et futures de boycott contre Israël lancées par l'Occident.
Source : Electronic Intifada
Traduction : MR pour ISM
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