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ISM France - Archives 2001-2021

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Naplouse -

Entretien avec Tayseer Nasrallah

Par

> agendaprocheorient@yahoo.fr

Tayseer Nasrallah est Coordinateur du Comité populaire de soutien à Hussam Khadr et aux prisonniers palestiniens. Entretien réalisé à Paris le 9 novembre 2004

La question des prisonniers est politique car liée à l’occupation
Nous recherchons une solidarité avec la cause des prisonniers et non avec certains prisonniers
Taysser Nasrallah est l’un de ces Palestiniens qui vous donnent la force de la foi vécue de l’intérieur, celle d’un peuple démuni de ses droits et n’ayant d’autre choix que résister.
Simple et chaleureux, il garde un sourire constant, même quand il vous parle des souvenirs douloureux de ses propres détentions dans les prisons d’Israël.

Entretien avec Tayseer Nasrallah


Démonstration par Physicians For Human Rights de la torture infligée au Palestiniens lors des interrogatoires


Avec lui nous avons parlé de la grève des prisonniers du mois d’août, de la situation actuelle des prisonniers et du rôle que la solidarité internationale doit jouer.


La torture dans les prisons d’Israël est une pratique ancienne. Comment la situation a évolué depuis la deuxième Intifada ?

Les prisons israéliennes ont été instituées après l’occupation de 1967 quand Israël a commencé à emprisonner des centaines de militants palestiniens.

Durant cette période, ils subissaient les méthodes de torture les plus atroces pratiquées à l’interrogatoire.

Avant que le détenu soit jugé, il était soumis à une longue période d’interrogatoire qui pouvait atteindre plusieurs mois.

Beaucoup de détenus sont morts victimes de la violence physique plus couramment utilisée à cette époque que les méthodes de pression psychologique. Puis, avec la poursuite de la lutte des Palestiniens, Israël a du adapter et délimiter progressivement ces méthodes.


Durant la deuxième l’Intifada, ce dispositif a été renforcé car des milliers de palestiniens sont régulièrement détenus et interrogés. La méthode qui a été conservée et utilisée largement par Israël est le Shabeh.
Cela consiste à fixer le détenu dans une position insupportable, les mains et les pieds liés, le visage couvert par un sac, et ce pendant des heures ou des jours pour obtenir des aveux.



Avec l’invasion de l’Irak, y a-t-il un rapporchement des méthodes de torture utilisées par les Israéliens et les Américains ?
Pouvons-nous parler d’un phénomène général Abou-Ghraïb ?


Ce qui différencie les prisons israéliennes des prisons américaines en Irak est l’absence ou la présence de l’image.
Dans les prisons américaines il y a eu des appareils photos pour capter le vrai visage de l’occupation.
Dans les prisons d’Israël il n’y a ni moyens de communication ni appareils photos pour rendre compte de la réalité criminelle de l’occupation israélienne.

Je peux en témoigner car j’ai été moi même détenu 11 fois dans les prisons d’Israël et j’ai subi des méthodes qui évoquent chez moi encore des souvenirs douloureux que je tente d’oublier dans la mesure du possible.
Ces méthodes continuent à être utilisées.
Qui va empêcher Israël de le faire ? Les crimes sont de toute façon commis publiquement par l’aviation qui pratique les assassinats ciblés des Palestiniens. Que dire alors de ce qui est pratiqué dans les prisons loin des regards là où le geolier a le pouvoir absolu.

Je dis toujours que l’interrogateur israélien représente le vrai visage de l’Etat d’Israël. Il est possédé par le racisme et agit pour casser la volonté et la détermination du militant palestinien.

Il y a aussi d’autres méthodes.
Certains interrogateurs viennent nous parler de longues heures des traditions arabes, de l’Islam, de l’hisoire et de la cause palestinienne. Ils essaient d’instaurer une relation chaleureuse avec les détenus.
C’est une méthode ancienne utilisée dans ce que nous appelons les "cellules du déshonneur".
Certains prisonniers parlent des "cellules des oiseaux"…



Des oiseaux ?

Dans les prisons on parle des oiseaux pour désigner ceux qui "volent" d’une cellule à l’autre, cottoyant tel militant après tel autre, dans le but de leur soustraire des informations.



Ce sont donc des collaborateurs…

Il y a maintenant des cellules spéciales pour ces collaborateurs. Il y a même des sections. Notre lutte est dure. Certains s’effondrent, soit pendant l’interrogatoire ou en dehors de la prison, et ils sont introduits alors dans ces cellules qui leur sont dédiées.
Le militant, à qui on annonce que l’interrogatoire est terminé, est envoyé dans l’une de ces cellules où il croit être parmi d’autres militants qui lui parlent de la révolution et de la lutte.
Un d’eux vient l’aborder et lui demande de raconter son histoire et savoir ce qu’il a avoué et ce qu’il n’a pas avoué.
Certains prennent confiance et parlent. Ils sont alors renvoyés à l’interrogatoire.



Parlons de la grève de la faim du mois d’août.
Cette grève, qui est la plus importante dans l’histoire du Moyen-Orient, a montré la forte détermination des prisonniers palestiniens.
Peut-on dire aujourd’hui qu’ils sont devenus une nouvelle force motrice de l’Intifada ?


C’est une force influente et motrice, oui. Ils sont des leaders de l’Intifada. Les prisons ont forgé des grands leaders du peuple palestinien et ce dans toutes les formations et partis politiques.

La grève qui a commencé le 15 août 2004 a été une réponse aux conditions difficiles vécues par les prisonniers et prisonnières. Israël offense la dignité du militant palestinien, par la fouille à nu, par l’humiliation quotidienne, par la rareté et la mauvaise qualité de la nourriture, aussi par les amendes excessifs imposées pour la moindre erreur (500 shekels en général).

A cela s’ajoute la mise en isolement des dizaines des détenus. C’est une méthode pratiquée à l’encontre des chefs de l’Intifada. Ils sont mis dans des cellules qui ne dépassent pas 1m50 sur 2m pour une longue période. Il y a plus de 50 prisonniers qui vivent ces conditions difficiles de l’isolement. Ils n’ont aucun contact avec leur frères et camarades.

Lorsque le détenu va dans la cour, il a les mains et les pieds liés, il y est conduit seul pour une heure, puis retourne à sa cellule, il y mange, boit et dort ainsi sans aucun contact avec le monde extérieur. La plupart des leaders et symboles de l’Intifada, des différentes formations politiques, sont aujourd’hui dans les prisons d’Israël.



Est-ce que depuis les prisons ils peuvent avoir un rôle pour conduire l’Intifada ?

Oui, la grève de la faim est une forme de lutte qui est une sorte de confirmation de soi. Pour dire, malgré les prisons et l’isolement, nous sommes enocre capables de mener l’Intifada. Cette grève a redonné à l’Intifada la popularité qu’elle avait perdue.

Le Mur raciste construit par Israël, malgré les dangers qu’il représente, n’a pas autant mobilisé la rue palestinienne.

La grève de la faim, qui a été initiée par 1600 prisonniers, qui a duré 19 jours, et qui a été suivie par 4000 prisonniers, a mobilisé l’ensemble des Territoires Occupés et provoqué des réactions de solidarité partout comme ici en France, au Liban, et dans les autres pays arabes...

Donc les prisonniers sont capables de faire réagir et ont prouvé aux yeux du monde qu’ils demeurent des leaders pour leur peuple.

C’est pour cela qu’Israël tente de les isoler dans des cellules pour qu’ils n’aient aucun contact entre eux, avec leurs parents, avec leurs avocats ou avec les médias.



Pendant la grève, les Palestiniens ont à plusieurs reprises fait appel à la Croix Rouge, à l’Organisation Mondiale de la Santé et à d’autres institutions.
Y a-t-il eu des réactions de leur part ?


Si ces institutions avaient un poids auprès des Israéliens les prisonniers n’auraient pas eu recours à la grève. La Croix Rouge qui connaît la souffrance des prisonniers, qui rend des visites régulières aux prisonniers et qui rédige des rapports, n’a pas pu imposer son autorité à la direction des prisons israéliennes.
La grève de la faim est le moyen ultime auquel un être humain a recours.
C’est un rapport avec la mort puisque la grève est illimitée et c’est donc un choix difficile pour lequel les prisonniers n’ont opté qu’après avoir épuisé tous les autres recours. Les inistitutions internationales n’ont aucun moyen de pression sur les directions de prisons.
Pendant la grève, comme avant la grève, ces institutions n’ont pas joué pleinement leur rôle.



Qu’est-ce qu’ils devaient faire qu’ils n’ont pas fait ?

Ils devaient suivre la situation au jour le jour, communiquer les informations en urgence à leurs dirigeants et à leurs instances et soulever le fait qu’Israël ne répondait pas aux revendications des prisonniers.

Nous avons toujours demandé à la Croix Rouge de faire face à ses responsabilités. Ils n’ont pas fait des pressions sur Israël pour accéder aux revendications et améliorer les conditions de détention.
C’est normalement leur devoir, mais ils sont impuissants.



Peut-on avoir un exemple de cette impuissance ?

Oui, je veux donner un exemple personnel. C’était pendant l’une de mes incarcérations. Un jour, un officier de la prison est venu me chercher.
J’ai été frappé violemment avec des cables de téléphone sur les différentes parties de mon corps. Puis j’ai été ramené à la cellule.

Le lendemain, un représentant de la Croix Rouge rendait une visite à la prison. Il me connaissait personnellement depuis la période de mes études à l’université. Il m’a demandé de l’accompagner dans sa visite pour parler aux autres prisonniers qui ont témoigné des coups dont ils sont régulièrement victimes. Il a demandé qu’on lui donne un exemple précis.
Je lui ai alors expliqué que tout le monde craint de montrer les coups subis, car après son départ, la direction de la prison recommence l’agression par vengeance.
Il a dit qu’il parlera au directeur de la prison pour obtenir des garanties.
Après quelques heures, ils m’ont convoqué pour témoigner.

J’ai précisé le nom de l’officier qui m’a agressé et commencé à montrer les traces de coups que j’ai subis. Je suis reparti avec les garanties de ne pas être victime d’une vengeance mais je savais pertinemment ce qui allait m’arriver.
La nuit, je change de place pour qu’ils ne me trouvent pas, mais l’officier en question est venu avec une bande et ils m’ont cherché dans toute la prison.
Ils ont fini par me trouver et m’ont conduit dans une cellule isolée, et là j’ai été à nouveau frappé par des cables électriques.

Ils répétaient à chaque coup : Où est donc la Croix Rouge pour te protéger ?
Puis ils ont voulu éviter le scandale et ils ont pris des mesures rapides pour me sortir de la prison.
Le lendemain, lorsque le représentant de la Croix Rouge est venu me rendre visite, ils lui ont dit que j’ai été libéré. Il est venu me voir à la maison et a enregistré ma plainte.
Celle-ci se trouve toujours dans les tiroirs de la Croix Rouge. Je n’ai eu aucune suite.



Parlons de la fin de la grève de la faim. Comment ca s’est terminé ? Y a-t-il eu des erreurs dans la conduite ce cette grève ? A-t-elle atteint ses objectifs ?

Depuis le début une direction interne de la grève coordonnait les actions des prisonniers. Elle était composée de 13 prisonniers. L’administration pénitentiaire israélienne a identifié cette direction, l’a mis à l’isolement et a tenté d’établir d’autres contacts avec les prisonniers.

Au 10ème jour de la grève, il y a eu la décision des prisionniers d’Ashkelon de suspendre la grève. Cela a été une première brèche à la grève et a suscité la colère de prisonniers grévistes car la grève était en progression.
Il y a 8 000 prisonniers palestiniens.
La grève devait progressivement être suivie par tout le monde.
Elle a commencé dans les prisons centrales qui ont été suivies par d’autres prisons.
Les centres de détention et d’interrogatoire devaient aussi rejoindre le mouvement.

Certains responsables palestiniens portent la responsabilité de cette brèche car ils ont fourni des informations erronées aux prisonniers. Ils ont mené des négociations avec les prisonniers alors que ce n’était pas leur rôle.
Etant donné que la direction de la grève avait été isolée, ces responsables devaient attendre pour connaître la décision de cette direction.

Les prisonniers ont malgré tout continué jusqu’au 19ème jour avant que la grève ne soit suspendue. Là il y a eu des positions contradictoires.

On a annoncé, au ministère des affaires des prisonniers, et par Nadi El-Assir, que les prisonniers ont obtenu leurs revendications.

En réalité, la direction de la grève menait des négociations avec l’administration pénitentiaire.

Dans cette grève, la position annoncée par l’ensemble de l’appareil israélien, depuis le premier ministre, jusqu’à l’administration des prisons, consistait à laisser les prisonniers mourir de faim.
Mais nous savions qu’Israël menait des négociations sécrètres avec la coordination de la grève.

Lorsqu’il y a eu la brèche dans la grève, il n’était plus possible de la poursuivre jusqu’au bout. Israël a annoncé aux prisonniers qu’il allait examiner les revendications et promis la satisfaction de la plupart d’entre elles à l’exception de celles que Israël considère liées aux questions de sécurité, comme la suppression de la vitre lors de la visite, ou l’arrêt de l’isolement.

La grève a été supspendue avec ces promesses et dans l’espoir que les négociations permettent de réaliser les revendications.



Quel bilan ?

Il y a une amélioration concernant certaines revendications, en ce qui concerne par exemple la qualité de la nourriture, le droit de visites dans certains prisons, mais les principales revendications n’ont pas été satisfaites.

Actuellement, les prisonniers continuent la lutte par des actions de protestation symboliques dans les différentes prisons. Ils font aussi une évaluation continue des résultats, des points forts et des points faibles de la dernière grève.

La lutte pour l’amélioration des conditions de détention continue, mais nous disons que la principale revendication du mouvement national palestinien est la libération des prisonniers, et nous appelons le mouvement de solidarité international à soutenir cet objectif.

Nous recherchons une solidarité avec la cause des prisonniers, et non avec certains prisonniers, car il s’agit d’une question politique de premier ordre : Israël arrête et incarcère des militants palestiniens parce qu’ils résistent à l’occupation.

Ils sont prisonniers au titre de cette résistance.



Nous savons que l’occupation est illégale, et comme vous dites, il y a des prisonniers palestiniens parce qu’il y a occupation.
Ne peut-on dire que la détention des prisonniers palestiniens est de ce fait elle-même illégale ?


D’un point de vue juridique, Israël est une puissance occupante, ce qui est une transgression des différentes décisions de l’ONU et du droit international.
Quand il y a occupation il y a, pour nous, un devoir de résistance.
Comme l’occupation est illégale, la résistance est tout à fait légitime. Elle doit se poursuivre jusqu’à la fin de l’occupation.

Le monde doit réaliser que les accords de paix qui ont été signé ont donné l’illusion que le peuple palestinien a obtenu ses droits.

Le peuple palestinien est toujours en lutte pour ses droits nationaux : le droit à l’auto-détermination, la libération de ses prisonniers, le demantèlement des colonies et du mur, le retour des refugiés, l’établissement d’un Etat palestinien avec Jerusalem pour capital, le retrait de l’armée israélienne des territories occupées.

Si cela se réalise, alors le monde peut considérer que nous avons obtenu nos droits.

D’ici là, la lutte continue.


Propos recueillis et traduits de l’Arabe par Nazem Ghemraoui
Article à paraître dans l’Agenda du Proche-Orient
Lettre d'information et journal
Inscription : agendaprocheorient@yahoo.fr



Membre du Conseil National Palestinien, Tayseer Nasrallah est un réfugié du camp de Balata à Naplouse.
Avec le député Hussam Khadr, actuellement emprisonné par Israël depuis 20 mois, il a fondé le Comité de défense des droits des réfugiés.
Depuis l'arrestation de Husam Khader, il assume la responsabilité du Comité populaire de soutien créé pour défendre les droits des prisonniers politiques palestiniens et maintenir sur le devant de la scène l'exigence de leur libération.
Taysseer Nasrallah anime aussi le centre culturel Yafa, implanté au cœur du camp de Balata.

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