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Palestine -

La disparition d’Arafat : la solution à deux Etats est morte avec lui

Par

Article en version originale sur CounterPunch, 13 – 14 novembre 2004 Egalement diffusé en français sur Quibla.net

Comme l’ont montré les images de marée humaine, les supporters d’Arafat n’ont pas été les seuls à le pleurer. Les plus de cent mille personnes qui ont convergé à l’enterrement de Ramallah incluaient beaucoup d’opposants à sa ligne politique, à des degrés divers. Même ceux qui étaient catégoriquement opposés à son idiosyncrasie politique du « la-am », c’est-à-dire du « non-oui » (en arabe) se sont vus communier au sentiment collectif de perte et de tristesse.
Arafat était plus que simplement un leader. Sans aucun doute, il incarnait un phénomène palestinien emblématique dont le remplaçant ne sera pas trouvé de si tôt.

Au-delà de la vénération des symboles, phénomène bien connu, Arafat avait un autre attribut qui lui conférait son statut révéré dans les esprits et les cœurs d’une majorité de Palestiniens : il assumait le rôle de cadre de référence politique.

Ce qu’Arafat faisait était, la plupart du temps, perçu comme quelque chose de lié à un plan visant à la libération et la justice. Les gens plaisantaient, voire se moquaient, parfois, de ses tactiques, mais il représentait le plus petit commun dénominateur entre les différentes factions politiques palestiniennes.

Il était au plus près de l’analyse que le citoyen moyen faisait de la situation : émotif, pas toujours rationnel, laissant libre cours à une exigence d’autonomie, parfois exagérée, mais largement populaire.
Un jour, un réfugié palestinien a exprimé cela de cette formule : « Il parle comme nous, sans ces mots grandiloquents qui ne veulent absolument rien dire, pour nous. Il est vraiment l’un des nôtres. »



Et, quand vous êtes le point de référence, vous pouvez vous permettre de changer de position à volonté. Plus ou moins.

C’est la raison pour laquelle Arafat, et lui seul, était capable d’échanger des poignées de mains et de signer des accords pas seulement intérimaires avec des dirigeants israéliens de tous poils – y compris des criminels de guerre patentés – sans pour autant se voir accuser sérieusement de trahison. Il jouissait, en permanence, du bénéfice du doute, auprès du peuple.

C’est précisément pour cela que seul, Yasser Arafat a pu vendre la solution à deux Etats mentionnée par de nombreuses initiatives de paix.

Une telle solution, de par sa nature même, ne saurait satisfaire aux exigences minimales de justice pour les Palestiniens.

En plus d’avoir largement dépassé sa date de péremption, cette solution n’a, de toute façon, jamais été morale.

Dans le meilleur des cas, si la résolution 242 était méticuleusement mise en pratique, elle ne satisferait au plus gros des droits légitimes que de moins d’un tiers, au maximum, des Palestiniens, sur moins d’un cinquième de leur terre ancestrale.

Plus des deux tiers des Palestiniens, réfugiés et citoyens d’Israël, ont été dûment et aveuglément expurgés de la définition de ce que sont les Palestiniens pour rendre cette « solution » possible.

Une telle exclusion ne saurait garantir autre chose que la perpétuation du conflit.



Et même ça, ça n’a pas été proposé par quiconque. Israël, avec le soutien total et indéfectible des Etats-Unis, s’est entêté à bantoustaniser les territoires palestiniens, étendant fébrilement les colonies juives, déniant avec entêtement toute responsabilité dans la Nakba (catastrophe de la dépossession palestinienne, en 1948), et avec elle, le droit des réfugiés palestiniens à retourner chez eux, refusant même de reconnaître que la bande de Gaza et la Cisjordanie (y compris Jérusalem) sont des territoires occupés, comme l’affirme pourtant le droit international.

Ce qu’Israël exigeait, c’était la capitulation. Rien de moins. Arafat n’était pas prêt pour signer sur la ligne en pointillés : il a donc été sévèrement puni. Il a emporté avec lui dans la tombe le legs mémorable du refus de la reddition.

D’où le déversement d’émotions sincères, par des masses de Palestiniens désemparés lui disant adieu. « Il a préféré la mort à la capitulation », disaient beaucoup d’entre eux, en se lamentant.



Tout remplaçant d’Arafat, à l’avenir, bénéficiera de moins bien de tolérance de la part d’un électorat recru de coups, appauvri, et néanmoins encore déterminé.

Par définition, il sera privé de l’aura historique unique d’Arafat, il fédèrera moins de soutiens politiques et bénéficiera de moins bien de soutien populaire ; par conséquent, il sera fort vulnérable face à la colère populaire au cas où il déciderait ne serait-ce que d’assumer les compromis d’Arafat.

Quand à offrir des concessions supplémentaires à Israël, comme cela sera exigé de lui pour être considéré « dans la course » par le club israélo-américain – n’en parlons pas !

Qui oserait le faire ?



Quand Israël se réveillera de son euphorie illusoire, causée par la disparition d’Arafat, il prendra conscience qu’il a perdu sa toute dernière opportunité d’imposer sa propre conception de la paix aux Palestiniens.

Bien loin d’accepter un quelconque règlement dans l’espoir que leur leader de confiance l’utilisera en guise de tremplin pour obtenir des succès plus importants, les Palestiniens vont dorénavant reconnaître dans toute paix déconnectée de la justice ce qu’elle est en réalité : moralement répréhensible et politiquement inacceptable.

Résultat : cette « paix » serait pragmatiquement, également peu intelligente. Elle pourrait subsister pendant un certain temps, mais seulement après avoir été dépouillée de son essence, devenant une simple stabilisation d’un ordre oppresseur, ou de ce que j’appelle personnellement la paix « maître-esclave », où l’esclave n’a ni le pouvoir, ni la volonté de résister et où, par conséquent, il se soumet aux diktats des maîtres, passivement, avec obéissance, sans la moindre apparence de dignité humaine.
Cela, aussi longtemps que l’esclave n’a ni le pouvoir, ni la volonté de résister.

Mais seulement jusque-là, et pas au-delà.



Avec l’enterrement d’Arafat, la solution à deux Etats mordra la poussière. Personne n’osera révéler cette nouvelle ; trop de gens auraient trop à perdre, s’ils l’admettaient. Mais Israël devra compter avec des Palestiniens de plus en plus nombreux, qui en appellent à un Etat démocratique unitaire, où les juif israéliens et les Arabes palestiniens partagent des droits et des devoirs égaux, après en avoir terminé avec l’oppression coloniale, la suprématie raciale et l’apartheid, et après que les réfugiés aient été autorisés à retourner chez eux.

Et si l’Afrique du Sud peut nous éclairer la voie, une lutte de cette nature peut très bien exclure toute résistance armée, et lui préférer des moyens non-violents.

Comme Israël va-t-il se mettre à contrer un appel de cette nature sur la scène mondiale ?

En insistant sur l’exclusivité ethno-religieuse juive, il ne fera que renforcer l’image d’un Israël Etat anachronique, paria, réincarnation de l’apartheid, dans l’opinion publique mondiale.

L’évocation de l’Holocauste est susceptible d’aider Israël à détourner pour un temps toute prise en considération sérieuse de cette alternative démocratique, mais cette posture est vouée à craquer, sous la pression de nombreux partenaires intéressés par l’obtention d’une paix durable et juste dans cette région éprouvée du monde.



Les Palestiniens ont conscience du fait qu’une phase transitoire de chaos, d’indécision et peut-être de luttes intestines risque de leur tomber dessus après qu’Arafat ait quitté la scène, mais nulle naissance ne s’opère sans qu’il y ait des contractions.

Celles-ci sont fort vraisemblablement les prémisses de l’ère nouvelle : la lutte pour un Etat démocratique et laïc dans la Palestine historique.



Omar Barghouti est un analyste politique palestinien indépendant.
Son article « 9.11 Putting the Moment on Human Terms » a été choisi parmi le « Best of 2002 » (Meilleurs articles publiés en 2002) par The Guardian.
Il est joignable à l’adresse e-mail suivante : jenna@palnet.com

Source : www.counterpunch.com/

Traduction : Marche Charbonnier

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