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Palestine - 30 novembre 2009
Par Abdel Sattar Kassem
Le docteur Marcy Newman est professeur associé de littérature à l’Université Al-Ahliyya, à Amman, Jordanie.
Abdel Sattar Kassem, professeur et auteur de nombreuses publications sur l’histoire palestinienne et la pensée islamique, est bien connu pour ses critiques acerbes d’Israël et de l’Autorité Palestinienne, et il a été emprisonné tant par les Israéliens que par l’AP. Récemment, l’AP a fait sauter sa voiture à l’explosif, en guise d’avertissement. Marcy Newman a rencontré le Professeur Qassem pour Electronic Intifada, chez lui, à Naplouse, en Cisjordanie occupée.
Marcy Newman : De quand date votre engagement politique ?
Abdel Sattar Kassem : A l’Université américaine du Caire, je voulais prendre part à la révolution. Je l’appelais une révolution, mais j’ai découvert plus tard que ca n’en était pas une. Je suis allé à Beyrouth trois fois, en 1970, 1971 et 1972 pour rejoindre une faction palestinienne. Chaque fois, j’ai été déçu et je suis parti sans me joindre à elle. J’ai constaté que ce n’était pas de véritables révolutionnaires. Ils conduisaient leurs voitures de façon arrogante dans les rues de Beyrouth, parlaient mal aux Libanaises dans la rue. Pour moi, ce n’était pas ça, la morale révolutionnaire. J’ai remarqué que beaucoup d’entre eux allaient dans les bars. A l’époque, j’ai toujours pensé qu’un révolutionnaire devait être un gars propre, qu’il se devait d’être un exemple éthique pour les autres. J’ai eu le sentiment que ces gens-là n’allaient pas libérer la Palestine. Ces gens-là allaient se rendre. J’ai donc passé quatre ans au Caire, déçu par la révolution.
MN : Quels étaient les héros que vous respectiez à l’époque ?
ASK : J’ai toujours pensé que George Habash était un bon leader, contrairement aux autres dirigeants qui ne voulaient qu’être des leaders. Mais il était marxiste. Je ne crois pas au marxisme, bien que je croie en un juste partage des richesses. Je pense qu’Habash aurait eu plus de succès s’il était resté un pan-arabiste. Lorsqu’il s’est tourné vers le marxisme, il a perdu beaucoup de ses partisans. Il a adopté le marxisme dans une société qui ne l’accepte pas et qui le considère avec animosité.
L’éducation contre le marxisme a commencé longtemps avant la soi-disant indépendance des pays arabes. Dans les années 1920, 1930 et 1940, les religieux et les colonialistes mobilisaient tous leurs efforts pour combattre le marxisme. Ce n’était pas facile pour les communistes et les marxistes. Ils étaient décrits comme des athées qui ne croyaient pas en Dieu. L’image globale du marxisme était si déformée que les Palestiniens, et les Arabes, éprouvait une sorte de haine du marxisme. Lorsque les pays arabes obtinrent une certaine indépendance, les régimes arabes étaient dirigés par les puissances coloniales pour combattre l’Union Soviétique et déformer l’image du marxisme et du communisme. J’ai coutume de demander à mes étudiants ce qu’ils savent sur le marxisme. Ils disent tous que Marx a nié l’existence de Dieu. C’est tout ce qu’ils savent. Je dois leur expliquer comment Marx s’est intéressé en fait à l’exploitation et à l’aliénation comme obstacles premiers de la liberté de l’homme. Marx a parlé de Dieu dans nombre de déclarations, mais il a parlé de l’exploitation dans des volumes entiers. Pourtant, j’ai dit une fois que la seule façon de libérer la Palestine était de suivre certaines des idées de George Habash.
MN : Lesquelles en particulier ?
ASQ : Il a dit que sans le reversement du régime jordanien, les Palestiniens n’arriveraient jamais à libérer leur propre pays. Lors d’une conférence à l’Université de Jordanie, où le roi est venu faire un discours devant les étudiants, il a dit : « L’un de vous dit que George Habash est le bon dirigeant palestinien. » Les services secrets lui avaient transmis la déclaration. Je pense que les régimes arabes sont les premiers ennemis de la nation arabe – puis Israël et les Etats-Unis. Nous devons les renverser. Tant qu’ils seront là, la nation arabe n’avancera pas d’un centimètre. C’est la raison pour laquelle que je dis maintenant aux gens que les Shiites dirigeront les Musulmans. Je pense qu’Hassan Nasrallah [le secrétaire général du Hezbollah] est la personnalité la plus populaire dans les pays arabes. Il y a tant de gens qui comprennent que les régimes arabes ne protègent pas l’Islam. Mais ils veulent se servir de l’argument pour instiguer la haine contre le Hezbollah et l’Iran. En Palestine, les gens qui sont contre le Hezbollah font partie de l’Autorité Palestinienne. Parce que ce n’est pas dans l’intérêt de l’AP de voir Israël vaincu. Ni d’ailleurs dans l’intérêt des régimes arabes, parce qu’Israël les protège.
MN : Comment cette sorte de collusion avec le régime israélien se répercute-t-elle en Palestine ?
ASK : En 1990, j’étais interrogé dans la prison al-Fara’a [une ancienne prison israélienne près de Naplouse]. A la fin de l’interrogatoire, j’ai dit : « Que voulez-vous ? Nous avons terminé l’interrogatoire. » Il a dit : « Oui, je veux quelque chose de vous. » J’ai dit : « Quoi ? » Il m’a répondu : « Que pensez-vous de faire de vous un dirigeant palestinien ? Qu’est-ce qui est le mieux, pour vous ? Sortir de prison – personne ne vous attend à part ta femme. Ou que 20 caméras de télévision vous attendent ? » J’ai dit : « Eh bien, 20 caméras de TV, c’est mieux. » Il a dit : « D’accord, on organisera ça pour vous quand vous sortirez de prison. » J’ai dit : « Et après ? » Il m’a répondu : « Après ça, nous nous concentrerons sur vous dans les médias. Le professeur Qassem est allé à…, le professeur Qassem a mangé…, le professeur Qassem a rencontré…, a fait un discours ici et là, et ainsi, dans quelques semaines, vous serez un dirigeant palestinien. » J’ai dit : « Et que voulez-vous en échange ? » Il a dit : « Je ne veux rien. Nous avons tant d’espions partout. Tout ce que je veux, c’est que vous fassiez des discours enflammés. Parlez de la libération d’Haifa et de Jaffa, mais rentrez chez vous et dormez. Ne faites rien. » J’ai dit : « D’accord, je vais y réfléchir et je vous donnerai ma réponse. » Je n’y ai jamais réfléchi et je n’ai jamais donné de réponse. Mais c’est comme ça qu’ils font les dirigeants. Tant de nos leaders – ils parlent trop, ils font des discours véhéments et les gens croient qu’ils sont nationalistes ! Ce sont des collaborateurs.
En 1991, un ami de Jérusalem m’a appelé. Il m’a dit : « Le Consul américain veut venir te rencontrer. » Je lui ai dit : « Pourquoi ? Le Consul américain – il y a des pays qui lui font des courbettes, et il veut me rencontrer ? Non, je ne veux pas qu’il vienne me voir. S’il vient chez moi, ce sera une tâche jusqu’à ma mort. S’il te plaît, maintiens-le à l'écart. » Eh bien, un ou deux jours après, il m’a rappelé. Il m’a dit : « Le Consul américain veut venir te voir. Ne sois pas stupide. Tant de gens veulent le voir, et toi, tu dis non ? » Je lui ai dit : « Oui. Pourquoi exactement veut-il me voir ? » Il m’a dit : « Il veut te rencontrer pour te convaincre de faire partie de la délégation palestinienne à la Conférence de Madrid. » J’ai dit : « Je ne veux pas aller à Madrid. Je ne crois pas aux négociations avec les Israéliens. Et si le Consul américain vient chez moi, je n’aurais pas assez de toute la Méditerranée pour me laver d’une telle tache. »
Deux jours après, le gouverneur militaire israélien de Tulkarem m’a convoqué. Il m’a dit : « Pourquoi ne voulez-vous pas aller à Madrid ? » J’ai dit : « Qu’avez-vous à voir avec ça ? Ce n’est pas vos affaires. » Il a dit : « Non, ce n’est pas mes affaires. » « Pourquoi ? » ai-je demandé. Il m’a répondu : « Si tu vas à Madrid, vous obtiendrez quelque chose de bon pour votre peuple. » Je lui ai dit : « Pourquoi ne me donnez-vous pas ces choses bonnes ici ? Pourquoi devrais-je aller à Madrid si vous vous intéressez aux intérêts de mon peuple ? »
Deux jours après, il m’a à nouveau convoqué. Il m’a dit : « Vous devez aller à Madrid avec la délégation palestinienne. » J’ai dit : « C’est un ordre militaire ? » Il a dit : « Oui. » J’ai répondu : « Bon, alors je n’irai pas. »
C’est une indication de la manière dont notre délégation a été formée. Bien sûr, leur intérêt pour que j’aille à Madrid était une manœuvre pour me faire taire. Si j’y étais allé, je n’aurais plus pu parler franchement. C’est la raison pour laquelle j’ai tout fait pour rester indépendant.
MN : Quel est le rôle d’un intellectuel en prison ?
ASK : En prison, l’enseignement est généralement organisé par faction. Chaque faction politique donne des cours à ses propres partisans. Chaque unité de la prison du Néguev est constituée de huit tentes. C’est une sorte d’enseignement partisan – dire aux gens que leur faction est la meilleure, il n’y a qu’eux qui combattent les Israéliens, les autres ne sont pas sur le bon chemin.
Les gens du Fatah ne sont pas instruits. Le Front Populaire l’est. Ils ont une meilleure instruction – ou du moins ils l’avaient. Les gens du Hamas limitent leur instruction à quelques enseignements islamiques. Si vous n’avez pas d’instruction dans différents domaines, c’est une sorte d’inculture. A l’époque où j’étais en prison, l’enseignement ne se faisait pas par faction parce que les factions palestiniennes n’avaient pas le temps. J’ai eu l’opportunité, pendant au moins quatre mois, de faire cours à tous les prisonniers et ils participaient. Dans chaque unité, il y a environ 220 personnes ; j’en avais 150 à chaque cours. Je leur enseignai l’histoire de la Palestine, l’histoire des Arabes, l’éthique d’un révolutionnaire.
MN : Comment cette séparation par faction vous a affecté, à l’extérieur de la prison ?
ASK : Un après-midi, alors que j’allais de l’université à chez moi, quelqu’un m’a tiré dessus et j’ai été touché par quatre balles. Ce fut le premier incident. C’est ce que faisait le défunt leader palestinien Yasser Arafat au Liban. C’est qu’il faisait en Jordanie. Il voulait me faire taire. J’avais écrit un article intitulé : « La démocratie est sous le président » dans lequel je disais : « Nous n’avons pas de démocratie. Arafat l’a placée sous lui. Il portera préjudice à la démocratie comme une poule assise sur ses œufs. » Il a envoyé quelqu’un me tirer dessus, mais il ne m’a pas réduit au silence. En 1996, l’Autorité Palestinienne m’a arrêté pendant plusieurs nuits, et puis ils m’ont relâché.
En 1999, j’ai écrit « La Déclaration des Vingt ». Nous étions 20 personnalités de Cisjordanie et de Gaza qui avions signé une pétition dans laquelle nous accusions Arafat de corruption. Je me suis acharné à accuser Arafat dans cette déclaration parce que si nous ne l’avions pas fait, aucun d’entre nous n’aurait été en prison. Si nous n’allions pas en prison, personne n’aurait entendu parler de notre déclaration. C’était le prix. Deux d’entre nous ont passé 40 jours en prison à Jéricho, les autres 15 jours.
En 2005, ils ont incendié ma voiture. En 2007, ils ont tiré une soixantaine de balles sur ma voiture. Ils m’ont arrêté pendant une nuit en 2008. Ils ont incendié ma voiture en janvier 2009. Dernièrement, j’ai passé trois jours en prison. Je continue à avoir beaucoup de difficultés avec l’Autorité Palestinienne. Mais je ne peux pas rester silencieux pendant que l’AP viole ma terre, mon pays et mon peuple. Ils collaborent avec les Israéliens. Ils se coordonnent sur les questions sécuritaires. Ils arrêtent des Palestiniens pour défendre la sécurité d’Israël.
MN : A propos de l’impérialisme américain ? Comment change la dynamique de la résistance avec le Général Keith Dayton qui entraîne les forces de l’AP ?
ASK : Aujourd’hui, nous avons la république de l’Américain Dayton. Dayton est le Haut Commissaire de la Palestine. Il a le contrôle. Les Etats-Unis dépensent tant d’argent à recruter tous ces Palestiniens pour servir la sécurité israélienne et les intérêts américains.
Ils recrutent des gens à l’horizon très étroit. Ils ne savent que recevoir et obéir à des ordres. Ils dépendent de ce genre de personnes. Certains d’entre eux comprennent la situation, mais ils ont une énorme pression économique. Mais tellement d’entre eux ne comprennent pas. Que puis-je faire d’autre que de soutenir ces gens financièrement ? Je ne peux pas demander aux gens de laisser leurs familles mourir de faim pour le principe de la libération de la Palestine. Ils me diront : « Ecoute, ma famille est bien plus importante que la Palestine. » Les gens préfèrent-ils mourir de faim ou être libres ? Les gens veulent d’abord remplir leur estomac. Ensuite, ils peuvent penser à la liberté. Les Américains et les Européens ont donc joué ce jeu-là : maintenir en permanence les Palestiniens au bord de la famine. Maintenant, la situation est différente et ils pensent qu’ils mourront de faim si les Américains et les Européens ne nous donnent pas d’argent. Quelqu’un comme moi leur dira qu’ils ne nous laisseront pas crever de faim parce que cela mettrait la sécurité israélienne en danger. Ils autoriseront qu’on nous apporte de l’argent, de la nourriture. Ce n’est pas convaincant parce qu’ils ne peuvent faire de relations dialectiques. Les Israéliens, pendant la première Intifada, ont décidé de couper le gaz et l’électricité pendant plusieurs semaines. La communauté internationale a commencé à protester contre la situation. « Que faites-vous avec ces Palestiniens ? » Il y a plusieurs facteurs avec lesquels nous pouvons jouer. Mais rester là et dire : « Si les Américains ne nous paient pas, nous allons mourir de faim, » entraîne la conclusion : nous devons faire ce que les Américains veulent.
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