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Palestine - 13 septembre 2004
Par Todd May
Todd May enseigne la philosophie à l’Université Clemson. On peut le contacter l’adresse e-mail suivante : TKDRJMAY@aol.com
Dernièrement, le débat sur la question israélo-palestinienne a pris un nouveau cours. L’idée d’un seul Etat démocratique en Palestine historique, que l’on croyait morte et enterrée, a émergé en tant qu’option digne d’examen. Pour certains, l’idée d’un seul Etat est une question de réalisme. Ainsi, Tony Judt affirme, dans la New York Review of Books, que l’intégration (à « Israël », ndt) de la Cisjordanie est peut-être d’ores et déjà irréversible et il suggère l’idée qu’un unique Etat binational représente sans doute la seule alternative à l’épuration ethnique.
Plus récemment, Noah Cohen a critiqué le parti adopté par Noam Chomsky en faveur d’une solution à deux Etats. Pour Cohen, nous devons penser la Palestine sur le modèle de l’Afrique du Sud et rechercher une solution consistant en la création d’un Etat démocratique pour tous ceux qui y vivent.
Comme beaucoup de gens, j’ai été très longtemps en faveur d’une solution à deux Etats. Cela me semblait la meilleure d’un ensemble de solutions au problème que pose la coexistence entre deux peuples vivant côte à côte sur un territoire réduit.
Aujourd’hui, je pense que j’avais tort : la solution à deux Etats n’est ni morale, ni réaliste.
La seule approche politiquement et éthiquement viable du problème israélo-palestinien est le soutien à un Etat unique démocratique et laïque qui assure l’égalité des droits à tous ses citoyens. J’ajoute que j’ai même al conviction que notre incapacité à reconnaître cette donnée de fait a contribué à l’acceptation de certaines des politiques parmi les plus ineptes d’Israël.
Jusqu’ici, la raison principale de cette situation n’a pas été suffisamment étudiée, me semble-t-il. C’est ce que je me propose de faire dans ce papier.
Beaucoup de Palestiniens ont avancé l’idée que la création d’Israël avait équivalu, en quelque sorte, à solutionner les problèmes de l’Europe sur le territoire des Arabes. Regardons d’un peu plus près en quoi cette « solution » a consisté : un seul peuple est considéré – au nom de sa religion – avoir la précellence sur cette terre. D’autres gens y vivent ?
Des droits de second ordre leur seront concédés ! (Bien qu’Israël prétende que ses citoyens palestiniens jouissent de droits égaux, cette affirmation est ridicule : il est bien connu que les Palestiniens ne peuvent former de coalitions parlementaire avec des partis juifs qui les rejettent unanimement, qu’ils ne reçoivent pas financements étatiques pour leurs localités, qu’ils sont dépossédés de leurs terres, que le droit égal à l’éducation leur est dénié, etc, etc).
Il ne s’agit pas simplement d’un problème moral. Il ne s’agit pas non plus d’un simple problème historique. Il s’agit des deux à la fois. Et c’est cet aspect fondamental de la question qui a été négligé par les partisans d’une "solution" à deux Etats.
Privilégier un seul peuple sur une terre où en vivent plusieurs, cela revient à créer, en même temps, deux problèmes mêlés. Premièrement, cela revient à accorder une valeur morale supérieure à ce peuple.
Nous, qui vivons aux Etats-Unis, devrions en avoir une conscience viscérale, étant donné notre histoire, notamment vis-à-vis des autochtones indiens et des Américains d’origine africaine (= descendants d’esclaves "importés", ndt).
Ensuite, concéder cette supériorité morale fait disparaître les limites morales que toute personne, ou tout peuple, ne saurait en aucun cas dépasser en empiétant sur la liberté d’autrui. Une fois arasées ces limites morales, la porte est ouverte pour des abus, tels ceux dont regorge, hélas, l’histoire d’Israël.
Pensons, par exemple, au problème du terrorisme, ô combien d’actualité. Nous sommes nombreux à qualifier de terrorisme les attentats suicides, mais pas la destruction de maisons dont les habitants sont encore à l’intérieur, ni le blocus de villes et de villages réduits à la famine, ni encore les tirs aveugles contre des manifestants non-violents.
Ce déséquilibre caractérisé n’est jamais très loin et même ceux qui, parmi nous, soutiennent les Palestiniens, se trouvent sur la défensive. Toutefois, nous, qui avons soutenu une "solution" à deux Etats, nous avons repris à notre compte, négligemment, le contexte du problème qui permet que ceci advienne.
Nous endossons un "droit à l’existence" qui semble en apparence s’appliquer à une nation particulière mais qui, en réalité, ne s’applique qu’à un peuple particulier à l’intérieur de cette nation : le peuple juif. De plus, ce droit (à l’existence) s’exerce au détriment d’autres personnes dont on exige qu’elles conquièrent (achètent ?) leurs droits, comme l’administration
Bush ne cesse de nous le rappeler, en renonçant à leur lutte contre l’occupation (rebaptisée, pour l’occasion, "terrorisme", ndt).
Le cœur du problème est là.
Privilégier politiquement un seul peuple, c’est creuser les fondations de tous les abus subséquents. Ceci ne revient pas à dire que ces abus découleraient pour ainsi dire ontologiquement du privilège ainsi accordé. Ni que ces abus étaient historiquement inévitables.
Plutôt, cela revient à dire que la lutte contre ces abus doit nous amener à reconnaître ce qui, dès l’origine, n’aurait pas dû être : à savoir qu’un certain privilège n’aurait jamais dû être accordé "légitimement" aux juifs israéliens.
Il nous faut donc dénier ce privilège, et tous ses corollaires. Un de ces corollaire serait, notamment (si, par malheur, nous l’acceptions, ndt), une « solution » à deux Etats, dans laquelle des juifs jouiraient de certains privilèges dans l’un de ces deux Etats (et, peut-on présumer, où des non-juifs jouiraient de certains privilèges dans l’autre).
Il nous faut soutenir ce que nous aurions dû, depuis toujours, soutenir : un Etat unique, qui ne privilégie personne ; un Etat où la considération première d’un quelconque de ses membres à l’égard d’un autre est celle de la citoyenneté. Je suis conscient du fait que cette approche peut sonner faux aux oreilles de bien des gens.
Il y a un certain nombre d’objections que d’aucuns peuvent élever à son encontre. Permettez-moi un court préliminaire, après quoi je leur répondrai, espérant conférer un minimum de plausibilité à une thèse qui tranche, sur la toile de fond des multiples idées reçues.
Une première objection par exemple, consisterait à faire appel à la nécessité qu’il y aurait à reconnaître (puisque, pour des raisons historiques, il ne saurait plus être désormais question, hélas, de la nécessité de le constituer) un Etat juif.
Pour beaucoup de gens, l’Holocauste a apparemment apporté la preuve que les juifs n’étaient nulle part en sécurité et qu’ils avaient besoin d’un endroit où ils pourraient se barricader pour se prémunir contre l’histoire de génocides à laquelle ils ont été confrontés. Quoi de plus naturel, pour se protéger, qu’un Etat juif ?
Cette objection ne tient pas. En Europe, les juifs furent, en effet, bien souvent menacés. Ils ne l’étaient pas autant aux Etats-Unis, ni en Palestine (jusqu’à l’apparition du sionisme).
Que l’Holocauste prouve que les juifs européens doivent être protégés contre toute une histoire de haine à leur encontre, voilà qui est indéniable. Il n’en découle nullement que devait leur échoir un Etat où ils seraient privilégiés vis-à-vis d’un autre peuple. Cette idée a beaucoup plus à voir avec le nationalisme du dix-neuvième siècle qu’avec l’internationalisme plus proprement contemporain.
De plus, l’histoire a montré les effets du privilège ainsi accordé. Je relèverai au passage qu’en répondant à cette objection, je n’entends pas écarter la possibilité d’un unique Etat binational, c’est-à-dire d’un Etat qui, à l’instar de l’Afrique du Sud ou du Canada, reconnaît(rait) les droits collectifs de toutes ses populations et veille(rait) à les protéger.
Toutefois, je ne considère pas (comme le fait le professeur Noam Chomsky) qu’une solution à deux Etats soit susceptible de représenter une phase préliminaire, transitoire, sur la voie du binationalisme.
Pour les raisons que j’ai dites, j’en suis venu à considérer que les privilèges dont j’ai parlé rendent sans objet toute hypothèse de binationalisme, et même, a priori, d’une « solution » à deux Etats.
La seconde objection souvent soulevée consiste à dire qu’il serait irréaliste d’attendre des Palestiniens et des juifs qu’ils acceptassent de vivre côte à côte sans acrimonie. Les choses seraient allées trop loin : la haine serait désormais trop profonde pour que l’on s’attende à autre chose qu’à un cycle ininterrompu de violence et de représailles.
Même si, entre les juifs israéliens et les Palestiniens, la haine est incontestablement palpable, on n’en a pas moins quelque raison de douter de sa durabilité.
Durant la période Oslo, bien qu’Israël continuât systématiquement à voler les terres des Palestiniens et à y implanter des colons juifs, il y eut de nombreux actes, en particulier de coopération économique, entre Palestiniens et juifs israéliens. Cette coopération est restée largement dans l’ombre des médias, si bien qu’elle n’a pratiquement pas été prise en compte.
Mais elle n’en a pas moins bel et bien eu lieu. De fait, il n’y a là rien d’étonnant. L’opportunité d’améliorer son niveau de vie a toujours constitué une puissante motivation, tout au long de l’histoire de l’Humanité.
Il n’y a aucune raison de s’attendre à ce qu’une coopération économique, en particulier si elle est soutenue et aidée, sombrerait fatalement dans un océan de haine.
Et, de fait, tout indique que l’on puisse s’attendre à ce que ce soit l’inverse qui se produise.
La dernière objection, enfin, est sans doute la plus convaincante (mais cela tient essentiellement au fait qu’elle est la plus la plus intégrée).
Tout le discours portant sur un Etat unique, pourraient arguer d’aucuns, n’est que rêve, que considérations oiseuses. Israël ne permettra jamais que cela advienne, car cela signifierait sa fin en tant qu’Etat et la fin du sionisme en tant qu’idéologie. Bref : cette proposition ne tiendrait, tout simplement, pas debout.
Pour répondre à cette dernière objection – massue, nous devons tout d’abord reconnaître que ce qu’il est (ou que ce qu’il n’est pas) « réaliste » de soutenir dépend des options offertes.
A première vue, l’alternative la plus réaliste est celle de la "solution" à deux Etats. Mais, plus réaliste, l’est-elle réellement ?
L’ensemble de l’histoire israélienne s’élève en faux contre cette assertion. Il n’y a pas un seul moment, dans toute l’histoire (de l’Etat) d’Israël, et en particulier de l’occupation par Israël de la Cisjordanie , de la bande de Gaza et de Jérusalem Est, où Israël fût prêt à reconnaître un Etat palestinien indépendant et viable, existant au long de ses frontières. [La proposition Barak, à Camp David, est souvent citée comme contre-exemple.
Toutefois, je ne vois pas en quoi un "Etat palestinien" démilitarisé, sans aucun contrôle sur ses frontières, son espace aérien ni ses zones phréatiques et la plupart de ses principales voies de communication, pourrait être considéré « viable ». Si on recherche les inepties – en voilà une, et de taille !]
Il n’y a aucune raison de penser qu’Israël pourrait être contraint à accepter une solution à deux Etats, si bien que la question se résout, ceci étant posé, au choix entre les deux (seules) options auxquelles cet Etat devra être (et sera) confronté.
D’aucuns objecteront, toutefois, qu’Israël cèderait plus aisément à cette confrontation, dût-elle avoir une implication moins grande que la fin du sionisme.
Je l’ai pensé très longtemps : je ne le pense plus.
C’est précisément le privilège accordé aux juifs, privilège auquel le sionisme est voué, qui renforce l’idée que les Israéliens seraient justifiés dans les exactions terrifiantes qu’ils infligent aux Palestiniens. C’est donc bien, en l’occurrence, la doxa qu’il faut absolument réfuter.
Nous ne devons absolument pas chercher à accueillir Israël dans la communauté des nations, mais bien au contraire, chercher à accueillir les juifs dans la communauté des peuples.
Le premier projet implique l’idée d’un exceptionnalisme juif, tandis que le second implique une intégration qui est ce à quoi tout un chacun a droit, et ce en quoi tout un chacun (je dis bien : tout un chacun, quand bien même serait-on palestinien) doit trouver la protection à laquelle il a légitimement droit.
Le combat en vue d’un Etat unique [en Isratine, ndt] sera longue ; ne rêvons pas. Mais la lutte pour deux Etats dure depuis déjà fort longtemps, et ses résultats, jusqu’ici, sont tout, sauf prometteurs.
Ce que je suggère ici, c’est l’idée que la raison de ces maigres résultats tient dans une large mesure au cadre à l’intérieur duquel nous avons, pour la plupart d’entre nous, réfléchi à ce problème. Je n’entends pas dénier qu’il puisse y avoir, en politique, des moments où un compromis moral est nécessaire afin d’éviter un sort encore bien plus funeste.
Il est devenu de plus en plus évident que le moment que nous vivons n’est pas un de ceux-ci.
La politique, en Palestine, requiert de nous que nous enlevions nos œillères morales, non pas afin d’atteindre à une plus grande pureté morale dans notre approche d’une solution juste au "problème palestinien", mais bien, tout simplement, afin de trouver une voie qui débouche sur une solution, et non sur une impasse.
Source : www.counterpunch.org/
Traduction : Marcel Charbonnier
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