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Moyen Orient -

L’islam comme source de libération‏

Par

"Par la foi, l’action trouve sa voie, et par l’action, la foi trouve sa voie". Imam Ali

Comme toute religion, l’islam a historiquement eu une double fonction sociale : à la fois, source de libération pour les opprimés, al-moustadhafin, et instrument de domination utilisé par les dominants, al-moutakabirin. Ces interprétations antagonistes étaient portées par des groupes sociaux opposés de par leurs intérêts économiques et politiques. Le premier groupe, au nom d’une foi immanente agissant directement sur son environnement social, lutta pour l’instauration d’une justice sociale alors que le second, au nom d’une foi purement transcendante et détachée du monde, proposa une lecture fataliste de l’ordre social permettant de faire accepter toutes les injustices et toutes les forces de domination. La conception d’un islam libérateur eut un rôle particulièrement important dans les résistances à la domination coloniale.

L’islam comme source de libération‏

Dès les premières heures de la conquête, l’Occident impérialiste se heurta à la résistance des masses des nations opprimées. Puisant dans ses ressources spirituelles, dans le monde musulman, la résistance s’organisa sous l’étendard de l’islam. Les musulmans suivaient en cela le verset coranique qui affirme que « toute autorisation de se défendre est donnée à ceux qui ont été attaqués parce qu'ils ont été injustement opprimés » [1].

En Algérie, après l’invasion française l’Emir Abdelkader, Lalla Fadma N’soumeur, Mohammed el-Mokrani ou Bouamama organisèrent la résistance et luttèrent contre les forces coloniales au nom de l’islam. De même, l’Imam Chamil, dans le Caucase, prit les armes, au nom de l’islam, pour s’opposer aux colonisateurs russes.

Au Soudan, Mohammed Ahmed ibn Abdallah al-Mahdi qui menait un combat pour purifier l’islam et retourner aux sources du Coran et de la Sunna, résista aux colonisateurs britanniques. En Afrique de l’Ouest, Samory Touré qui se proclama Alamny (imam) en 1868, lutta contre la colonisation de l’actuel Mali au nom de la religion du Prophète. En Libye, Omar Mokhtar, le « Cheikh des militants », résista, avec ses moudjahiddin, aux envahisseurs italiens. Au Maroc, dans la région du Rif, l’Emir Abdelkrim el-Khattabi qui avait effectué ses études à l’université islamique Qaraouiyine de Fès, mena une active résistance à la colonisation espagnole et française. Les moudjahiddin rifains combattirent la colonisation franco-espagnole sous la bannière de l’islam.

L’islam était la référence qui permettait d’unir et de mobiliser les différentes composantes de chaque société contre les invasions occidentales conformément à la parole d’Allah qui résonnait dans l’esprit des peuples musulmans : « votre communauté que voici est une seule communauté » [2].

Ces différents exemples montrent le rôle fondamental que l’islam a occupé dans les premières résistances aux invasions occidentales. Une fois ces premières résistances vaincues et la domination coloniale installée, les populations musulmanes se réfugièrent dans leurs traditions les plus profondes pour opposer une résistance passive à l’oppression impérialiste. Dans l’ensemble du monde musulman, l’islam opposa une terrible force d’inertie à la politique de dépersonnalisation, de « viol des consciences », menée par les autorités coloniales. Mais cette résistance passive qui tendait à préserver le « capitale historique » sur lequel allait se développer une nouvelle résistance active, n’était pas à même d’impulser un véritable souffle de renouveau libérateur.

A partir de la seconde moitié du XIXème siècle, un puissant mouvement de renouveau se constitua sous l’impulsion de Jamal ed-Din al-Afghani et de Mohammed Abduh. L’objectif était la restauration de la civilisation musulmane par un renouvellement de la lecture des sources islamiques permettant de faire face à un Occident conquérant tant sur le plan politique et militaire qu’économique et culturel. Afin de relever le défit de l’impérialisme occidental, al-Afghani entendait refonder la « fraternité islamique » qui avait été disloquée depuis plusieurs siècles. Ce mouvement de renouveau islamique eut une profonde influence sur les différents mouvements de résistance à la colonisation dans le monde musulman où les idées de renouveau se diffusaient au travers de revues et de journaux.

Avec la constitution des mouvements politiques nationalistes, forme renouvelée des premières résistances à la colonisation, l’islam fut intégré à un projet de libération nationale et de renaissance nationale-culturelle. Au Maghreb, les mouvements nationalistes tunisiens, algériens et marocains puisaient une part importante de leur identité dans la religion du Prophète. En Tunisie, le fondateur du Destour, Abdelaziz Thaalbi, était un ‘alim de l’université Zitouna de Tunis. De même au Maroc, le fondateur de l’Istiqlal, Allal el-Fassi, était un ‘alim de l’université Qaraouiyine de Fès. Etant issus de deux grands centres du savoir islamique au Maghreb, tous deux avaient été profondément marqués par les idées de renouveau professées par Jamal ed-Din al-Afghani et Mohammed Abduh.

En Algérie, l’islam était au cœur de l’identité de l’Etoile Nord Africaine. Le programme élaboré lors de l’assemblée générale de mai 1933 affirmait : « Pour notre salut, pour notre avenir, pour occuper une place digne de notre race dans le monde, jurons tous sur le Coran et par l’Islam de travailler avec acharnement pour sa réalisation et pour son triomphe final ». Cette place centrale de l’islam dans le projet du mouvement national algérien fut clairement énoncée par les fondateurs du FLN dans l’article premier de la déclaration du 1ier novembre 1954 lorsqu’ils posèrent la revendication d’un « Etat souverain, démocratique et social dans le cadre des principes islamiques ».

En Palestine, rappelant le rôle qu’avait joué l’islam dans la résistance à la colonisation sioniste, Khalil al-Wazir (Abou Jihad) (photo ci-dessus), dans la dernière interview qu’il donna avant son assassina le 15 avril 1988, expliquait : « La tendance religieuse est de toute évidence la tendance authentique de notre peuple que l'histoire a protégé de tomber dans le fanatisme ou le sectarisme. La révolution palestinienne est essentiellement un mouvement de Jihad militant. C'est une révolution continue contre l'occupation qui est elle-même vaine ».

Durant la révolution algérienne dans une lettre écrite à Ali Shariati, Frantz Fanon qui avait compris le rôle que pouvait jouer l’islam dans les luttes de libération nationale, écrivait : « L’islam a pris les devants, en Asie et en Afrique, dans la lutte contre le colonialisme et l’occident ; pourquoi ? Parce qu’il a été la cible dans ces deux continents des campagnes du colonialisme et de l’occident… Je ne porte pas envers l’islam les mêmes sentiments que toi, mais je suis d’accord avec toi et je confirme tes paroles, avec insistance, et j’irai même plus loin, je dirai que l’islam est, dans le tiers-monde, l’élément social et idéologique le plus puissant pour faire face à l’occident… J’espère de tout cœur que les intellectuels authentiques dans vos pays sauront s’attacher à cette arme formidable, cette réserve immense de richesses morales et culturelles, qui gît dans les profondeurs des sociétés musulmanes. Il s’agit d’une nécessité vitale pour éveiller les consciences et relever les masses, afin d’affronter et de résister aux invasions de l’Europe et de se protéger des idées, des règles et des suggestions venant d’Europe qui se développent insidieusement dans vos pays. L’attachement à l’islam est nécessaire pour mener cette bataille défensive et pour instaurer les bases de la société nouvelle et construire l’homme nouveau et la nouvelle civilisation » [3].

Les indépendances politiques, « formelles », ne marquèrent pas la fin de l’hégémonie occidentale qui se redéploya sous la forme d’un néo-colonialisme économique et d’un impérialisme culturel non moins agressif et dominateur. Dans un ouvrage paru après l’indépendance du Maroc, Allal el-Fassi écrivait : « L’une des causes de cet état de choses est l’influence qu’exerce l’impérialisme intellectuel sur certains responsables gouvernementaux du pays. […] De plus, eu égard aux liens matériels et aux intérêts personnels qui unissent certains d’entre eux à des étrangers, ils ne se font aucun scrupule de se poser en défenseurs des séquelles du colonialisme » [4]. Face à la perpétuation de la domination occidentale malgré les indépendances politiques, Allal el-Fassi mettait en avant l’islam comme source de libération nationale et sociale : « seul l’islam est en mesure de nous délivrer de l’hégémonie du capitalisme, de son matérialisme athée et de nous mettre sur la voie d’un véritable mouvement de la justice sociale et vers un régime qui convienne à nos besoins, à nos aspirations et à la pérennité de notre existence, ce dernier terme étant pris dans sa pleine acception » [5].

Aujourd’hui, les musulmans, notamment ceux qui vivent en Occident, refusent parfois d’affronter la réalité du monde social qui les entoure et choisissent de se réfugier dans les mirages d’une spiritualité désincarnée. De source de résistance à l’hégémonie impérialiste et de renaissance nationale-culturelle du monde musulman, l’islam devient une sorte d’« opium du peuple » servant à endormir la population musulmane dans un œcuménisme béat. Instrumentalisé par les dominants, al-moutakabirin, l’islam est utilisé à des fins de contrôle et de pacification sociale. La religion musulmane qui, par le truchement du mouvement de renouveau islamique, était en passe de retrouver l’efficacité sociale du souffle de ses origines, se transforme en ritualisme formelle incapable d’agir sur son environnement social. La foi est devenue centripète, individualiste, c’est-à-dire « la foi de l’individu désintégré de son milieu social » [6]. L’islam devient uniquement la voie d’un bien être moral et d’un salut individualiste faisant échos à l’individualisme consumériste et hédoniste de la civilisation capitaliste.

Rentrant dans la logique du capitalisme, cette conception de l’islam s’insère dans la dynamique mondiale d’accumulation du capital et de marchandisation du monde. L’islam lui-même est transformé en marchandise par la création d’un « marché islamique » qui n’est qu’une fraction du marché global. On commercialise un paraître « islamique », une image de l’islam, par la création de marques ou de labels vendant toute sorte de produits, des aliments aux produits bancaires en passant par les vêtements ou les loisirs, et faisant référence à la religion du Prophète. Ces signes, ces symboles, ces attitudes, sortis de leur contexte original et redéployés dans la sphère marchande, ne peuvent que servir à la promotion de l’inauthentique et du falsifié.

S’élevant au niveau conceptuel cette conception de l’islam, cette « islam de marché », produit un discours islamique singulier, une sorte de version musulmane de la « théologie de la prospérité ». Celle-ci défend un rapport « décomplexé » à la richesse et à l’argent car perçus comme des dons de Dieu. Les prédicateurs de cet « islam de marché » présentent la richesse comme « un cadeau du ciel » et le « musulman fortuné » comme « le favori de Dieu » [7]. La réussite sociale et l’enrichissement individuel deviennent des piliers de cette « théologie islamique de la prospérité » dont les préceptes font échos au verset coranique mettant en garde contre « la passion des richesses » qui « ne cessera de vous dominer que le jour où vous serez, dans vos tombes, enterrés » [8].

Contre cet « islam de marché » défini par les dominants, al-moutakabirin, les exemples des musulmans qui ont luttés activement contre l’impérialisme et le colonialisme pourraient servir de modèles édificateurs aux nouvelles générations de musulmans qui vivent sous la coupe du capitalisme et de l’hégémonie occidentale : « dans leurs récits, il y a certes des leçons pour les gens doués d’intelligence » [9]. L’histoire permet de transmettre les expériences des générations passées et d’en tirer des enseignements pour l’action présente ayant pour but de participer à l’édification de l’avenir.

Cet avenir ne se construira que par et dans l’action car « Allah ne modifie point l’état d’un peuple, tant que les [individus qui le composent] ne modifient pas ce qui est en eux-mêmes » [10]. Cette action doit permettre à l’islam de retrouver le rayonnement social qui fut le sien, en faisant de la foi une source d’énergie libératrice pour les musulmans et pour l’ensemble des opprimés, al-moustadhafin.

Youssef Girard

[1] Coran 22 : 39
[2] Coran 23 : 52
[3] Préface de Shariati Ali, Construire l’identité révolutionnaire, Ed. Al-Bouraq, Beyrouth, 2010, pages 16-17
[4] El Fassi Allal, Défense de la loi islamique, Casablanca, 1977, page 23
[5] Ibid., pages 6-7
[6] Bennabi Malek, Vocation de l’Islam, Ed. Seuil, Paris, 1954, page 49
[7] Cf. Haenni Patrick, L’islam de marché, L’autre révolution conservatrice, Ed. Seuil, Paris, 2005, pages 64-67
[8] Coran 102 : 1-2
[9] Coran 12 : 111
[10] Coran 13 : 11

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