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Grande Bretagne - 23 février 2005
Par John Docker
Londres, Conférence internationale sur la Palestine, SOAS le 5 décembre 2004 : "La résistance à l’apartheid israélien : stratégies et principes" - Intervention de John Docker, Australie
C’est en avril 2002 que nous avons lancé, en Australie, une campagne pour le boycott universitaire d’Israël : l’appel, d’un commun accord, était signé par un Australien arabe, Ghassan Hage, du département d’Anthropologie de l’université de Sidney, bien connu pour ses publications sur le nationalisme et les identités tant ethnique que culturelle en Australie, et par un australien juif de Canberra, moi-même.
Les résultats ne furent certes pas décisifs, mais la protestation symbolique peut être puissante, comme nous l’a appris Gandhi, grâce à la transformation invisible et silencieuse de l’opinion sur un enjeu.
Lorsque Mme Hanan Ashrawi se rendit en Australie en 2003 pour recevoir le Prix Sydney de la Paix, elle fut reçue chaleureusement, au grand dam de la communauté sioniste d’Australie, qui avait essayé, par tous les moyens sournois imaginables, de l’empêcher de prendre la parole en différents lieux, tels que le grand amphithéâtre de l’Université de Sidney, ou à l’Hôtel de Ville de Sidney.
Quand ces interventions et pressions sionistes en coulisse furent connues, il y eut beaucoup de commentaires hostiles sur les sionistes et leurs actions de sabotage, dans un esprit anti-démocratique, loin des regards du public.
Il fut vite évident que certains dans la communauté juive de Sidney étaient gênés, et ils avouèrent qu’ils avaient subi des pressions pour tenter de salir la réputation du professeur Hanan Ashrawi et le caractère de sa visite.
C’est bien sûr l’histoire de l’Australie en tant que colonie de peuplement, comme d’autres ex-colonies britanniques, la Nouvelle - Zélande, le Canada, les Etats-Unis eux-mêmes, que nous avons en tête, pour qualifier Israël de colonie de peuplement ; nous en revenons toujours à l’analyse classique de Maxime Rodinson, publié pour la première fois en 1967, Israël : A Colonial Settler State ? Les années passant, je considère sa critique prudente et fine comme plus pertinente que jamais, à condition de la relier à la théorie récente du génocide.
Je suis pleinement d’accord sur l’idée qu’Israël a créé des conditions d’apartheid qui peuvent être comparées à celles des bantoustans sud-africains.
Mais personnellement, j’ai le sentiment que l’ "Apartheid" israélien n’est qu’un thème secondaire, très cruel, certes, mais à l’intérieur d’un projet plus vaste, celui du génocide tel qu’il existe, historiquement, en rapport étroit avec la colonisation de peuplement dans le monde entier.
Rappel : comment définir le génocide ?
Habituellement, depuis les années 1970, jusque dans les années 1990, le génocide a été défini comme un épisode dévastateur de meurtre massif, et l’exemple extrême et saisissant en est l’Holocauste. Mais les réflexions sur le génocide des dernières années tiennent désormais compte d’une conception bien plus large du génocide, une conception qui n’est pas centrée sur l’Holocauste ; et c’est une question qui évolue très vite.
Ainsi, les réflexions sur le génocide en sont revenues à la définition originale du génocide donnée par Raphaël Lemkin en 1944 dans son livre Axis Rule in Occupied Europe. À ce moment, au chapitre IX, Lemkin définit le génocide comme un phénomène complexe et divers : cela suppose un plan d’actions coordonnées en vue de la destruction des fondements essentiels de l’univers vital pour un groupe opprimé.
Ce genre d’actions peut inclure le meurtre de masse, mais ce n’est pas indispensable. Il y a des manifestations économiques, politiques, culturelles, sociales, légales, intellectuelles, spirituelles, biologiques, physiologiques, religieuses et morales.
Ces actions comportent des considérations sur la santé, la nourriture, l’approvisionnement. Et les attaques génocidaires impliquent une atteinte à l’honneur et à la dignité d’un peuple.
Lemkin est allé plus loin dans sa définition : il a également conçu le génocide comme un processus de destruction du modèle national et de l’environnement vital pour un groupe opprimé, assorti du processus d’imposition de l’exemple national de l’oppresseur : "Cette imposition, en retour, peut s’exercer sur la population opprimée autorisée à rester, ou sur le seul territoire, après qu’on en a fait fuir la population, de façon à permettre la colonisation de la région par les ressortissants de la nation opprimante."
Lorsque Lemkin réussit à quitter l’Europe nazie et trouva refuge aux Etats-Unis en 1941, il assembla les matériaux nécessaires à sa recherche pour aboutir à son livre de 1944, mais il commença en même temps à écrire les chapitres d’un second livre, sur l’histoire du génocide, qui resta inédit jusqu’à sa mort, en 1959.
Dans ces manuscrits inédits, Lemkin cherchait les liens historiques entre le génocide et le colonialisme de peuplement, qui inclut la colonisation des Amériques après 1492, dont sa nouvelle patrie en Amérique du Nord.
Dans sa définition originale, et dans ses écrits non publiés, Lemkin relie de façon constitutive et inhérente, le génocide et la colonisation.
Si l’on s’en tient à sa définition large du génocide –c’est lui qui inventa le terme, rappelons-le– il est clair qu’Israël poursuit avec constance, et jour après jour, la finalité du génocide contre tous les aspects de l’univers vital palestinien. Et ces actions peuvent inclure des formes d’apartheid, tout comme l’assassinat direct de Palestiniens.
Quelles peuvent être, alors, les conséquences de la reconnaissance du fait que nous sommes bien en présence d’un Etat génocidaire, pour une stratégie de soutien au peuple palestinien ?
Il faudrait d’abord contribuer à casser l’image d’Israël comme pays normal, et l’isoler. J’appelle à un changement d’outils conceptuels pour écrire l’histoire du sionisme comme celle d’une idée génocidaire.
Pour citer Sven Lindqvist dans son livre Exterminate all the Brutes (Exterminez tous les sauvages), livre qui a trait principalement à la colonisation européenne de l’Afrique, il est temps d’en tirer des conclusions et de faire des comparaisons avec ce que nous savons d’ores et déjà des caractéristiques historiques du sionisme comme projet génocidaire.
Dans ses travaux, Lemkin a mis au point une méthodologie des situations de génocide, ce qui incluait l’analyse du groupe génocidaire, les divergences à l’intérieur du groupe génocidaire, les réponses des victimes du génocide, et les réponses et actions d’autres groupes.
Toutes ces catégories sont pertinentes, s’agissant d’Israël, particulièrement en ce qui concerne les dissidents en Israël et dans la diaspora juive mondiale, et quant au soutien des Etats-Unis.
Observation finale : il peut sembler bizarre et insensible d’accuser les juifs d’Israël de génocide, dans la mesure où ce sont des juifs qui ont été victimes de l’Holocauste. Il faut ici rappeler que le sionisme postérieur aux années 1890, en tant qu’idée européenne et projet de colonie de peuplement, a toujours eu un potentiel colonial.
Appel pour un boycott australien des liens universitaires et culturels avec Israël
Les universitaires et les intellectuels ont un rôle à jouer dans l’essor d’un mouvement non-violent à l’intérieur de la société civile. Nous supplions nos collègues de refuser de participer à des congrès en Israël, de faire pression sur leurs universités pour suspendre tout accord de jumelage ou de partenariat, et pour refuser de relayer l’information universitaire en provenance d’Israël.
En effet, tandis que quelques universitaires et intellectuels en Israël affrontent leur gouvernement, et sont, dans certains cas, actifs dans des projets de recherche conjointe israélo-palestinienne, la plupart des universitaires israéliens ont ou bien soutenu les massacres de l’armée israélienne, ou bien prouvé leur inefficacité pour élever une protestation significative contre ceux-ci.
Le boycott que nous proposons aura inévitablement aussi des effets négatifs pour ceux qui ne le contestent pas, et nous le regrettons.
Mais nous demandons à nos collègues et amis israéliens de se plier avec nous à la solidarité.
Ils savent aussi bien que nous que ce qu’ils auront à subir à cause de notre boycott est minime, en comparaison de ce que le peuple palestinien et ses universitaires subissent continuellement.
Comme pour les boycotts contre l’apartheid en Afrique du Sud, il faut maintenant une action internationale pour mettre un terme au génocide, au sens le plus large, du peuple palestinien.
Contributions des autres intervenants à cette conférence :
Ilan Pappe (Israël),
Victoria Brittain, (Grande Bretagne)
Lisa Taraki (Palestine),
Mona Baker (Grande Bretagne),
Ben Young (Grande Bretagne),
Hilary Rose (Grande Bretagne),
Lawrence Davidson (USA),
Betty Hunter (Grande Bretagne),
Haim Bresheetsh (Grande Bretagne),
Omar Barghouti (Palestine)
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