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Palestine - 8 octobre 2006
Par Jonathan Cook
Jonathan Cook, qui habite à Nazareth, est l’auteur de l’ouvrage "Sang et Religion : Il faut démasquer l’Etat "juif et démocratique"" (Blood and Religion : The Unmasking of the Jewish and Democratic State), publié par les éditions Pluto Press et disponible aux Etats-Unis auprès des University of Michigan Press Son site internet est à l'adresse suivante : www.jkcook.net
Les observateurs notent rarement qu'Israel n'a jamais reconnu le droit des Palestiniens à avoir un Etat, pas même dans les Accords d'Oslo, ni le fait de définir ses propres frontières ; il n'a, à aucun moment, renoncé à la violence contre la résistance palestinienne à l'occupation; et il a uniformément rompu ses accords, y compris en amplifiant son programme illégal de colonisation et en annexant la terre palestinienne sous couvert de la construction du Mur de Cisjordanie.
Tandis que Gaza meurt de faim, le secrétaire d'Etat américain, Condoleezza Rice, serre la main du Président palestinien, Mahmoud Abbas, alors qu'ils participent à une une conférence de presse commune dans la ville de Ramallah, en Cisjordanie - 4 Octobre 2006. (MaanImages/Fadi Arouri)
Le message fourni à Condoleezza Rice cette semaine par les responsables israéliens est que le désastre humanitaire et économique qui a lieu à Gaza a une cause simple et réversible : la capture par les combattants palestiniens d'un soldat israélien, Gilad Shalit, en juin sur une position d'artillerie qui avait bombardé Gaza.
Quand Shalit sera rendu, les négociations pourront commencer, c'est à peu près ce qu'a dit Amir Peretz, le Ministre de Défense israélien à Rice.
Si l'on devait croire Peretz et d'autres, les hommes armés auraient pu se faire une faveur ainsi qu'à 1.4 million de personnes à Gaza en exécutant tout simplement Shalit, il y a des semaines. Israël aurait sans aucun doute infligé un châtiment terrible, tel que le bombardement de la seule centrale électrique de la bande de Gaza – sauf, bien sûr qu'il l'avait déjà fait pour venger la capture de Shalit.
Mais, le soldat israélien mort, il n'y aurait eu aucun obstacle à s'asseoir pour parler.
Cependant, comme nous le savons, cette situation a déjà existé. Parce que le refus d'Israël à négocier -- et son écrasement de Gaza – date depuis bien avant la capture de Shalit.
Par exemple, le blocus économique de la bande de Gaza par la communauté internationale n'a rien à voir avec la capture du soldat ; c'était parce que les Gazéens avaient eu la témérité de voter pour les politiciens du Hamas en mars.
L'exercice par les Palestiniens de leurs droits démocratiques est également la raison pour laquelle les Palestiniens possédant des passeports américains et européens sont séparés de leurs familles dans les territoires occupés et expulsés.
Le récent taux élevé ininterrompu de morts palestiniens, des centaines de civils, n'est également pas lié à Shalit. C'est apparemment la réponse nécessaire aux roquettes artisanales Qassam tirées depuis la bande de Gaza sur Israël.
De même que les bangs supersoniques des avions de guerre israéliens au milieu de la nuit qui traumatisent les enfants de Gaza.
Et que pensez-vous du refus israélien de l'année dernière pour coordonner son désengagement de Gaza avec les forces de sécurité palestiniennes? C'était parce qu'Israël n'avait "pas de partenaire pour la paix", bien que le Président indolent Mahmoud Abbas, du Fatah, était alors seul au pouvoir.
La destruction au bulldozer par Israël de larges parties du camp de réfugiés fortement peuplé de Rafah, transformant des milliers de gens en sans-abri, n'avait rien à voir non plus avec Shalit. Cela a été lié aux armes de contrebande passant par des tunnels.
Et les exécutions extrajudiciaires des responsables politiques et militaires palestiniens, avec "les dommages collatéraux" inévitables pour les passants, ont commencé bien avant que Shalit entre pour la première fois dans une école. C'est soi-disant un composant essentiel dans la guerre interminable contre le terrorisme palestinien.
En d'autres termes, Israël a toujours trouvé des raisons pour opprimer, détruire et tuer à Gaza, quelles que soient les circonstances.
N'oublions pas que l'occupation israélienne a commencé il y a quatre décennies, bien avant que qui que ce soit ait entendu parlé ou rêvé du Hamas.
Les destructions israéliennes à Gaza ont continué de façon inchangée, bien que la branche armée du Hamas se soit abstenue de représailles aux provocations israéliennes et ait maintenue un cessez-le-feu depuis plus d'un an et demi.
En ce qui concerne Israël et son sponsor américain, toute résistance palestinienne à l'occupation illégale de Gaza et de la Cisjordanie est inacceptable
Shalit est le prétexte actuel, mais il y a une foule d'autres prétextes qui peut être adoptée si le besoin s'en fait sentir. Et c'est parce que pour Israël et son sponsor américain, toute résistance palestinienne à l'occupation illégale de Gaza et de la Cisjordanie est inacceptable.
Quoi que les Palestiniens fassent – sauf se soumettre de façon volontaire à l'occupation et renoncer de manière permanente à leur droit à une patrie – tout est justification pour des "représailles" israéliennes.
Une absolue inactivité politique et militaire est la seule option approuvée pour les Palestiniens, parce que cela implique l'acceptation de l'occupation et parce qu'alors, le monde pourra oublier tranquillement la souffrance à Gaza et en Cisjordanie . D'autre part, toutes sortes d'actions palestiniennes -- et en particulier, la poursuite d'objectifs comme la libération nationale -- doivent être punies.
Pile je gagne, face vous perdez.
Tout cela fournit le contexte pour décoder les derniers événements se déroulant à Gaza, alors que les combattants rivaux du Fatah et du Hamas se confrontent violemment dans les rues.
C'est le moment qu'Israël attendait depuis longtemps, depuis qu'un gouvernement du Likud dont faisait partie Ariel Sharon avait commencé à se mêler sérieusement de la politique interne des Palestiniens en aidant à établir l'organisation des Frères Musulmans qui est devenue plus tard le Hamas.
Israël avait espéré qu'un parti Islamiste serait un rempart à la popularité croissante du parti en exil, le Fatah de Yasser Arafat et de son nationalisme palestinien laic.
Les choses, naturellement, ne se sont pas déroulées comme prévu.
Pendant le premier Intifada qui a éclaté en 1987, le Hamas avait adopté le même ordre du jour absolu de Libération nationale palestinienne (avec des règles islamiques en plus) que le Fatah. Les deux objectifs des groupes se complétaient plus qu'ils n'étaient en conflit.
Plus tard, après qu'Israël ait finalement autorisé Arafat à revenir dans les Territoires Occupés en vertu des Accords d'Oslo, le président palestinien a évité autant que possible d'accomplir les demandes israéliennes qui étaient de faire tomber le Hamas, comprenant que cela risquerait d'engendrer une guerre civile qui détériorerait la société palestinienne et affaiblirait les chances d'un éventuel Etat.
De même, le successeur d'Arafat, Mahmoud Abbas, a résisté à toute confrontation avec le Hamas presque aussi studieusement qu'il a évité de défier les diktats israéliens. Au lieu de cela, au moins jusqu'à récemment, nous avons vu des combattants du Hamas et du Fatah à Gaza coopérer dans plusieurs attaques contre des positions militaires.
Mais les heurts de cette semaine à Gaza sont les premiers signes qu'Israël pourrait réussir ses desseins de détourner la résistance palestinienne de son objectif commun qui est la libération nationale -- pour obtenir un Etat -- en réorientant ses énergies dans une guerre fratricide.
Ou comme l'observait Ze'ev Schiff, un ancien commentateur de Haaretz avec des contacts exceptionnels dans l'armée : "Leçon numéro 1 : c'est que le siège financier et économique international du gouvernement du Hamas, qui est mené par les Etats-Unis, est en train de réussir."
Certainement que le blocus économique n'a rien à voir avec le fait de sécuriser le retour de Shailt, comme l'indiquait cette semaine un haut gradé de l'armée israélienne et soi-disant "expert anti-terrorisme".
"En raison des heurts entre les deux côtés [Hamas et Fatah], la libération du soldat n'est pas en vue" déclarait le colonel Moshe Marzouk sur le site internet du quotidien israélien, le Yediot Aharonot.
Au lieu de cela, l'étranglement économique de Gaza a été le catalyseur du conflit palestinien interne. Inévitablement, les liens sociaux se développent faiblement et sont fragiles, et même sont déchirés, quand près de la moitié de la population est sans emploi et que plus des trois quarts vivent dans la pauvreté.
Si les enfants ont faim, les parents envisageront de s'opposer à leur gouvernement -- même s'ils sont d'accord avec ses objectifs -- pour mettre de la nourriture sur la table.
Mais le plongeon dans la misère de Gaza n'explique pas, à lui seul, pourquoi les heurts ont lieu, ou ce qui motive les factions.
Il ne s'agit pas seulement de qui obtiendra les restes de la table du maître, ou même une lutte entre les deux partis – le Hamas et le Fatah -- pour le contrôle du gouvernement. Ce n'est maintenant pas moins qu'une bataille pour l'âme du nationalisme palestinien.
Ce n'est pas une coïncidence si la communauté internationale, à la requête d'Israël, avait fait trois demandes au gouvernement de Hamas qui justifient soi-disant l'étranglement de l'économie de Gaza.
Les conditions sont maintenant bien connues : reconnaître Israël, renoncer à la violence, et respecter les précédents accords.
Mettons de côté le pire échec d'Israël – en tant que partie la plus forte – qui est d'honorer l'une de ces conditions.
Les observateurs notent rarement qu'Israël n'a jamais reconnu le droit des Palestiniens à avoir un Etat, pas même dans les Accords d'Oslo, ni le fait de définir ses propres frontières ; il n'a, à aucun moment, renoncé à la violence contre la résistance palestinienne à l'occupation; et il a uniformément rompu ses accords, y compris en amplifiant son programme illégal de colonisation et en annexant la terre palestinienne sous couvert de la construction du Mur de Cisjordanie .
Mais plus étrangement, les observateurs n'ont également pas noté que le Fatah, d'abord sous Arafat et puis sous Abbas, était d'accord sur chacune des trois conditions depuis des années et que le respect par le Fatah des demandes israéliennes n'ont jamais aidé à faire avancer d'un pouce la lutte pour un Etat.
Arafat et l'OLP ont reconnu Israël vers la fin des années 80, et le leader palestinien a mis sa signature à cette reconnaissance encore une fois dans les Accords d'Oslo.
Contre son retour dans les Territoires Occupés en tant que chef de l'Autorité Palestinienne, Arafat a également renoncé à la violence contre Israël. Il a dirigé les nouvelles forces de sécurité dont le travail était de combattre la dissidence palestinienne, de ne pas répondre aux nombreuses provocations de l'armée israélienne ou de ne pas combattre l'occupation.
Et naturellement, Arafat et le Fatah, à la différence d'Israël, avaient toutes les raisons de vouloir que les accords précédents soient honorés : ils ont cru, par erreur, que c'était leur meilleur espoir d'obtenir un Etat. Ils n'avaient pas pris en compte la mauvaise foi israélienne, et sa poursuite et son intensification du projet de colonisation.
Donc, les leçons que le Hamas a appris des années que le Fatah a passé au pouvoir, c'est que ces conditions étaient et sont seulement un piège, et qu'elles ont été imposées par Israël pour gagner l'obéissance des Palestiniens à l'occupation, et non une libération nationale.
Pendant les années d'Oslo, les bénéfices d'une acceptation des conditions israéliennes se sont transformés non pas en un dividende de paix qui a mené à un Etat palestinien mais en récompenses qui ont découlé de la collaboration avec l'occupation, une corruption discrète qui a enrichi plusieurs des responsables du Fatah et a maintenu à un niveau de vie normal ses partisans parmi la grande bureaucratie du gouvernement.
La libération a été repoussée pour le prix plus immédiat d'une rémunération
Après le soulèvement du deuxième Intifada, une majorité d'électeurs ordinaires palestiniens ont commencé à comprendre comment la complicité du Fatah avec l'occupation était devenue nuisible.
Par exemple, quand les activistes palestiniens, israéliens et internationaux ont tenté de manifester contre la construction du mur israélien en Cisjordanie , et contre l'annexion consécutive de larges bandes de terres palestiniennes à Israël, les protestataires ont trouvé en permanence des obstacles placés en travers de leur route par le parti au pouvoir, le Fatah.
Ses leaders ne voulaient compromettre leurs contrats de vente de ciment et de construction avec Israël en mettant fin à la progression du Mur. La libération a été repourssée pour le prix plus immédiat d'une rémunération.
En signant les mêmes conditions que le Fatah, le Hamas n'aurait plus qu'à abandonner son objectif de libération nationale, ainsi bien qu'à abandonner la majorité des électeurs qui ont réalisé que la relation corrompue du Fatah avec Israël devait se terminer.
Le Hamas se serait auto-détruit, ce qui est une raison suffisante pour qu'Israël fasse des demandes aussi énergiques à la communauté internationale pour forcer le Hamas à se soumettre.
"Les Palestiniens ont besoin d'un gouvernement qui puisse subvenir à leurs besoins et accepte les conditions du Quartet", a déclaré Rice cette semaine, en ajoutant qu'elle voulait renforcer "les modérés" comme Abbas.
La lutte dans les rues de Gaza est un moment décisif, un moment qui peut, par la suite, décider si un véritable gouvernement d'unité nationale -- un gouvernement recherchant un Etat palestinien -- est possible.
La question est : Est-ce que le Fatah forcera le Hamas à céder aux demandes israéliennes et à l'admettre, ou est-ce que le Hamas forcera le Fatah à abandonner sa collaboration et à revenir sur son chemin originel d'une libération nationale ?
Les enjeux ne peuvent pas être plus élevés.
Si le Hamas gagne, alors les Palestiniens auront la chance de redonner de l'énergie à l'Intifada, de lancer un véritable combat consensuel pour mettre fin à l'occupation, un combat qui unira les laics et les religieux, et de tenter de faire cesser l'intimidation de la communauté internationale. Comme dans la plupart des luttes nationales de libération, le prix en vies et en souffrance est susceptible d'être dur.
Si le Fatah gagne et que le Hamas tombe, nous reviendrons alors au processus d'Oslo d'une collaboration officielle des Palestiniens avec Israël et nous consentirons à la ghettoisation de la population -- cette fois derrière des murs.
Un tel arrangement peut être fait sous la direction du Fatah ou, plus probablement, sous une option privilégiée par la communauté internationale d'un gouvernement de technocrates palestiniens, vraisemblablement contrôlé par Israël et les Etats-Unis.
Il n'est pas difficile de deviner les conséquences.
Si les espoirs des Palestiniens ordinaires pour une libération nationale sont une nouvelle fois brisés, si le Hamas hésite juste comme l'a fait avant lui le Fatah, ces énergies populaires frustrées referont surface, en trouvant une nouvelle sortie qui aura probablement un ordre du jour différent de ceux du Hamas ou du Fatah.
Si le but d'établir un Etat palestinien ne peut pas être réalisé, alors le danger est que de nombreux Palestiniens regarderont ailleurs pour leur libération, pas nécessairement au niveau national mais plus largement, en termes régionaux et religieux.
Le composant islamique de la lutte -- à l'heure actuelle une apparence, même pour le Hamas, qui est toujours un mouvement de libération nationale -- grandira et s'approfondira. La libération nationale prendra un siège arrière vers un Jihad religieux.
Est-ce qu'Israël et les Etats-Unis ne comprennent pas cela ? Ou peut-être, comme les tueurs en série qui ne peuvent pas se détourner du chemin du crime, ils sont tout simplement incapables de changer d'attitude.
Source : http://electronicintifada.net/
Traduction : MG pour ISM
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