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Palestine - 13 octobre 2007
Par Ben White
Ben White est un journaliste indépendant spécialiste de Palestine/Israël. Son site web est www.benwhite.org.uk
"La lutte populaire", dans son contexte le plus large possible, a autant de significations que le mot arabe riche et résolu "sumud" (fermeté) le suggère. C'est le fermier palestinien qui revient, jour après jour, sur sa terre menacée de saisie, la travaille en pleine chaleur, et passe sa vie d'intendance jusqu'au moment où il s'allonge, de tout son long, devant un bulldozer.
Dans un article récent sur le site web de Open Democracy, le document politique réécrit par l'Autorité Palestinienne qui remplace "muqawama" (résistance) par "lutte populaire" est salué comme pouvant "transformer considérablement un conflit dont la juste résolution a été continuellement esquivée par les diplomates et les militants." (1)
On peut admirer l'écrivain Maria Stephan pour son optimiste sur la possibilité d'une mobilisation à grande échelle dans les Territoires Palestiniens Occupés (TPO) pour un programme de résistance non violente, mais il y a un double échec de contextualisation qui compromet son analyse.
Le premier problème est que l'article ne rend pas justice à la riche tradition et à la pratique actuelle de la résistance non violente, ou lutte populaire, en Palestine.
La première Intifada et les protestations à Bil'in sont citées, mais les Palestiniens puisent dans un réservoir bien plus profond d'expériences, qui remontent à la Révolte de 1936 contre l'occupation britannique et la colonisation sioniste rampante.
Comme l'écrivain Mazin Qumsiyeh l'a noté, une partie de la Révolte incluait "une conférence de 150 délégués représentant tous les secteurs de la population appelle à une grève générale et au refus de payer les impôts aux autorités britanniques d'occupation." (2)
Que ce soit sous les Britanniques, les Jordaniens ou les Israéliens, les Palestiniens ont toujours contrecarré leurs suzerains potentiels par la non coopération et la résistance.
La première Intifada est vue, à juste titre, comme un moment décisif lorsque, comme l'a estimé un expert sur la non violence, environ 85% de la résistance se pratiquait sous une forme non violente, dont "des boycotts commerciaux, des grèves des travailleurs, des funérailles démonstratives, le déploiement des drapeaux palestiniens, la démission des percepteurs d'impôts et de nombreuses formes de non coopération politique." (3)
La deuxième Intifada a été sensiblement plus militarisée, mais également empreinte d'exemples nombreux de lutte populaire, allant de l'empêchement physique des colons de vandaliser les terres agricoles palestiniennes jusqu'à des marches de masse vers les "zones militaires fermées" ou sur les terres devant être confisquées. Si Abbas et Fayyad sont sincères lorsqu'ils appellent à "la lutte populaire", alors nous devrions nous attendre à voir leur palmarès de soutien à la résistance non violente à ce jour.
En fait, c'est l'opposé qui est la réalité, et la deuxième erreur, dans ce qu'affirme Stephan, est de mal interpréter les intentions d'Abbas, en croyant naïvement que le chef du Fatah cherche à ouvrir la voie sur une telle stratégie.
Il y a quelques mois, The Electronic Intifada a publié une interview de Abd al-Nasser Marrar, coordinateur du Comité de Résistance Populaire créé pour lutter contre le mur à Budrus, qui se plaint que "l'Autorité Palestinienne ne les a pas du tout aidé", même pas avec "le moindre geste." (4)
De plus, l'Autorité Palestinienne "a failli à ses responsabilités envers tous les villages à l'ouest de Ramallah en général, et en fait, dans toute la Cisjordanie "; un manquement qu'il décrit comme "anormal et contre nature". "L'Autorité Palestinienne s'en fiche", a conclu Abd al-Nasser.
Stephan montre qu'elle sait bien sûr comment, après Oslo, l'Autorité Palestinienne nouvellement créée a transformé la résistance en coopération, et la lutte dynamique en corruption et avancement personnel. Il n'est toutefois pas tout à fait correct de décrire ce glissement comme le résultat de l'incapacité de l'OLP à gagner à la "table des négociations". Les accords sur le papier et le désintérêt ultérieur de l'Autorité Palestinienne à "mobiliser le peuple pour contester les piliers économiques, politiques et militaires à la base de l'occupation" ont été intrinsèquement liés, représentant une capitulation d'abord en mots puis en actes.
Le manque de soutien de l'Autorité Palestinienne à la lutte populaire, au niveau officiel, est reflété par une apathie générale parmi la classe bourgeoise, financièrement prospère, qui ne veut pas couler le navire. Ils doivent être nettement distingués de la multitude de Palestiniens sans travail, affamés et épuisés, dont "l'apathie" envers la lutte populaire n'est que le bénéfice recherché par l'effet cumulé de siège israélien, les humiliations et les injustices qui drainent leurs vies.
Ce n'est pas seulement la satisfaction (de quelques-uns) ou la fatigue véritable (de beaucoup) qui fait de la mobilisation de masse une gageure. Les Palestiniens craignent aussi que les deux éléments décisifs du succès de la lutte populaire non violente leur fassent défaut : une couverture internationale et une répression limitée de la part de l'oppresseur. Comme mentionné plus haut, la "lutte populaire" a toujours fait partie de la résistance palestinienne à l'occupation et à la colonisation, mais elle ne reçoit qu'une fraction de la couverture que la presse offre à la résistance violente.
Non seulement les actions non violentes n'obtiennent qu'une couverture minime, ou pas du tout, mais lorsque les forces israéliennes d'occupation ripostent avec violence, et même avec une force meurtrière, le tollé international ne va guère au-delà d'un appel pleurnichard à la "retenue".
Au cours du premier mois de la deuxième Intifda, 141 palestiniens ont été tués, avant même que les groupes de résistants palestiniens aient commencé une auto-défense militarisée sérieuse. (5)
Souvenez-vous du massacre de Rafah, en mai 2004, lorsque les hélicoptères israéliens ont ouvert le feu sur une marche pacifique. (6) En dépit des scènes sanglantes et chaotiques qui ont été filmées, tout ce que le département d'Etat US "profondément troublé" a trouvé à exprimer fut "de l'inquiétude". (7)
Mark LeVine fournit davantage d'exemples dans un article sur CommonDreams.org, citant la fameuse déportation forcée de Mubarak Awad, fondateur du Centre palestinien pour l'étude de la non violence, en 1988, ainsi que l'emprisonnement plus récent, sans accusation, d' Ahmed Awad, chef du "Comité non violent pour la lutte populaire contre la barrière de séparation." (8)
Dans un article détaillé paru dans Middle East Report en 2002, Lori Allen cite Elias Rishmawi, "un dirigeant du mouvement de résistance aux impôts pendant la première Intifada", et explique la différence entre alors et maintenant.
Les Palestiniens furent en mesure de présenter au monde la nation palestinienne comme une nation civilisée mettant en application les valeurs humaines déterminées par la communauté internationale, y compris la communauté américaine.
En conséquence, il y eut une sympathie internationale claire avec les Palestiniens à la fois au niveau officiel et populaire… (Maintenant), les circonstances mettent chaque palestinien dans l'impasse.
Pour être réaliste, comment penser rationnellement dans une situation irrationnelle ? Quel comportement pouvez-vous attendre de quelqu'un qui est traité pire qu'un chien ? Est-il supposé vous envoyer un baiser ?
"La lutte populaire", dans son contexte le plus large possible, a autant de significations que le mot arabe riche et résolu "sumud" (fermeté) le suggère.
C'est le fermier palestinien qui revient, jour après jour, sur sa terre menacée de saisie, la travaille en pleine chaleur, et passe sa vie d'intendance jusqu'au moment où il s'allonge, de tout son long, devant un bulldozer.
C'est aussi la mère qui arrive à traverser le checkpoint, par-dessus les monticules de terre, et vend assez de fruits au marché pour nourrir et habiller ses enfants pour une autre semaine. En effet, la lutte populaire palestinienne est un refus d'abandonner l'espoir, et une détermination à vivre sa vie sur la terre convoitée par les colonisateurs.
Plus spécifiquement, comme le note Stephan, la "lutte populaire" en Palestine est une "manière de poursuivre la lutte en mobilisant la pression civique où 'l'infanterie' est constituée des civils ordinaires et 'les armes' comprennent les boycotts, les grèves, les manifestations, les sit-in et autres formes de non coopération et de défi organisé." Elle a raison de souligner que "de telles méthodes (…) ne représentent pas une soumission docile à l'oppression", mais plutôt une façon de lutter qui "défie activement les pratiques oppressives en utilisant la désobéissance civique à grande échelle."
Vue sous cet éclairage, l'essence de la lutte populaire palestinienne est exactement le contraire des méthodes d'Abbas et de Fayyad – celles des privilèges diplomatiques, des compromis d'arrière-boutique et de l'apaisement de Washington et de Tel Aviv. Leurs antécédents ont été de bâillonner les désirs de leur peuple exprimés collectivement, depuis Oslo jusqu'au gouvernement Hamas élu. En plus, de la même manière que la lutte populaire n'a rien en commun avec le régime Abbas-Fayyad, de même la "conférence de paix" de novembre a peu à voir avec une garantie de l'autodétermination palestinienne
Stephan voit la politique US vis-à-vis de la Palestine/Israël comme s'étant déplacée (temporairement) pendant la première Intifada, concluant que ce fut un résultat de l'embrassement palestinien de la lutte populaire.
Ainsi, "une modification similaire pourrait intervenir si les Palestiniens peuvent montrer qu'être "pro-Israël" et "pro-Palestine" sont des objectifs qui se renforcent mutuellement." Voilà qui fleure la logique de la Feuille de Route : si seulement les Palestiniens en faisaient assez, ou sautaient à travers les bons cerceaux, alors peut-être, mais juste peut-être, leurs droits à la liberté et à la protection selon la loi internationale pourraient leurs être reconnus et appliqués.
Le problème n'a jamais été l'échec palestinien à répondre aux demandes des US ou de la communauté internationale, démonstration de l'arrogance coloniale qui se répète elle-même lors de chaque "négociation" successive. La lutte populaire, comme la résistance violente, n'est pas une fin en soi, c'est une méthode, une stratégie.
C'est le but final, la décolonisation et la libération de l'occupation et de l'apartheid sioniste, auquel s'opposent férocement les gardiens internationaux auto-proclamés du "processus de paix" et leurs amis parmi l'élite palestinienne. Le reste n'est que fumée et miroirs.
Notes de lectures :
[1] Stepha, Maria, "Dropping 'muqawama" openDemocracy, 27 septembre 2007.
[2] http://qumsiyeh.org/palestiniannonviolentresistance/, 10 octobre 2007.
[3] Gene Sharp cité par Maxine Kaufman-Lacusta, "Some Thoughts on Nonviolence and on the 'Imperative of Joint Struggle' Against the Israëli Occupation of Palestine" Tikkun, 13 février 2007.
[4] Audeh, Ida, "A Village Mobilized: Lessons from Budrus" The Electronic Intifada, 13 juin 2007.
[5] Middle East Policy Council, 10 octobre 2007.
[6] BBC News, "Gaza town in shock at bloodshed" 19 mai 2004
et Al Jazeera English, "Isreli forces massacre protesters in Rafah", 20 mai 2004
[7] US Department of State Daily Press Briefing for 19 May 2004.
[8] LeVine, Mark, "The Death of Arafat and the Myth of the New Beginnings" 13 novembre 2004.
[9] Allen, Lori A., "Palestinians Debate 'Polite' Resistance to Occupation" MIddle East Report Online, hiver 2005.
Lire, en relation avec ce sujet : "La laïcité et l’Islamisme dans le Monde Arabe", par Sukant Chandan
Source : Electronic Intifada
Traduction : MR pour ISM
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