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Jérusalem - 29 mai 2008
Par Reham Alhelsi
Jérusalem, la ville sainte, une ville qui fut le centre religieux, social et économique des Palestiniens pendant des milliers d'années, est devenue une ville fantôme sous occupation israélienne. Les Musulmans, les Chrétiens et les Juifs y vivaient en paix jusqu'à ce que les sionistes commencent à mettre en œuvre leurs projets de création d'un Etat sioniste en Palestine. Une ville qui fut ouverte pendant des siècles est devenue une cité fermée sous la férule de ce que Bush et consorts appellent "la seule démocratie du Moyen Orient" ! Dans quel autre pays au monde la population d'origine musulmane et chrétienne est-elle interdite de vivre dans sa propre ville et d'accéder à ses lieux saints ?
La dernière fois que je suis allé à Jérusalem, c'était il y a presque quatre ans. Après un voyage ennuyeux et quelque peu dangereux, je me souviens combien j'ai été choqué de voir une ville fantôme.
Ce n'est pas la Jérusalem que j'ai connue. Je me souviens du trajet quotidien lorsque j'étais élève, assis dans un autobus bondé de gens allant à l'école, au travail, dans la vieille ville, à la rue Salah-Eldin ou d'autres rues de Jérusalem. Jérusalem était le centre de notre existence. Notre premier arrêt était toujours le kiosque à journaux de la gare centrale des autobus, où mon père achetait le journal Al-Quds, et les lundis, nous étions récompensés des magazines Samir et Mickey Mouse. Cette gare était tellement pleine de vie, de gens allant et venant, de vendeurs de pain au sésame et de falafel, d'étudiants, d'écoliers, d'employés, d'ouvriers, de paysannes et de mères de familles. Tous venaient de Bethléem, Hébron, Jéricho, Ramallah, Naplouse et se rencontraient là, à Jérusalem.
Ce jour-là, il y a quatre ans, j'ai vu une gare centrale presque vide. Seuls quelques autobus attendaient. Le vieux vendeur de journaux n'était plus là, son fils y était à sa place. Il était mort et la ville que lui et moi et beaucoup d'autres avions connu n'était plus là non plus. J'ai acheté Al-Quds, bien que je ne l'ai pas lu depuis pas mal de temps, seulement pour essayer de ranimer un peu de ce qui avait été, pour tenter de faire revenir la Jérusalem que j'avais porté avec moi pendant toutes ces années de vie à l'étranger, et si loin de ma ville bien-aimée. J'ai regardé le visage du jeune homme, pendant que je payais le journal, espérant voir dans ses yeux un signe de reconnaissance. Tout ce que j'ai vu fut un sourire. Je suppose qu'il se réjouissait seulement qu'encore une autre personne ait réussi à arriver en ville, à travers les divers checkpoints israéliens.
Lorsque je suis descendu dans la vieille ville, les seules personnes que j'ai vues étaient surtout des touristes. Une ou deux paysannes, assises, vendaient leurs produits. Le quartier autrefois vivant était tranquille et presque vide : une véritable ville fantôme. Elle était bruyante et pleine de vie, avant. A tel point que vous pouviez à peine entendre votre propre voix, couverte par celles des vendeurs, les rires des enfants, les discussions des gens et les chansons qui sortaient des boutiques. Vous pouviez à peine faire un pas sans qu'on vous dise de faire attention à une charrette qui passait, ou à un gamin en pleine course. Les odeurs des épices, des poulets rôtis, de l'encens et des falafel vous submergeaient et vous guidaient à travers les ruelles étroites. Vous preniez votre temps à vous pénétrer des couleurs, des voix et des odeurs qui vous entouraient, toutes tellement uniques et variées, comme la ville elle-même.
Marchant plus loin, je ne vis aucune couleur, n'entendis aucune voix, ne sentis aucun falafel. C'est comme si j'avais laissé mes sens au checkpoint, lorsque j'ai traversé le mur d'apartheid. Je n'ai vu que des magasins fermés et je me suis demandé si leurs propriétaires avaient été éloignés de la ville par les nombreuses réglementations israéliennes destinées à vider la ville de ses habitants d'origine. J'ai vu quelques enfants jouant dans les rues et je me suis souvenu des mes amis et de mes copains de classe de la vieille ville, dont certains vivent encore ici et élèvent une nouvelle génération de Palestiniens, et dont d'autres ont été obligés de partir et de s'installer à Ramallah ou dans une des banlieues de Jérusalem, de l'autre côté du mur d'apartheid.
Ici, dans cette ville sainte, les grandes familles élargies palestiniennes doivent se contenter de vivre dans de petites maisons, partageant les installations des pièces et des maisons, puisque les Palestiniens obtiennent rarement les permis de construire dont ils ont un urgent besoin. Alors que les colons juifs illégaux sont emmenés par avion du monde entier pour s'installer ici, et reçoivent des incitations pour vivre sur une terre volée aux Palestiniens, les propriétaires originels de la terre doivent se satisfaire de vivre dans des pièces surpeuplées et croulantes qu'ils appellent leurs maisons.
Qu'est-il arrivé à la vieille ville ? C'était toujours tellement excitant d'y venir, en dépit de la foule et du fait que souvent, il fallait des heures pour trouver son chemin à travers les flots de gens qui entraient et sortaient de la Porte de Damas (photo ci-dessus). Ce jour-là, on aurait dit que la vieille ville suppliait qu'on ne l'abandonne pas, qu'on le l'oublie pas.
Les diverses règlementations israéliennes qui visent les Jérusalémites palestiniens ont obligé des milliers de Palestiniens à quitter la cité et à s'installer à l'extérieur. Ces mesures de "déportations tranquilles", comme celle de la restriction de résidence et de logement, visent à chasser les Palestiniens de Jérusalem, contrôlant ainsi le nombre de Jérusalémites, et à assurer une majorité juive dans la ville sainte. Cette politique discriminatoire comprend la confiscation des cartes d'identité, en prenant prétexte de la "Loi pour l'entrée en Israël" de 1952, les "Règles d'entrée en Israël" de 1974 et le projet agréé en 2003 de "Loi sur la Nationalité et l'Entrée en Israël", qui interdit aux Palestiniens jérusalémites mariés avec des habitants de Cisjordanie et leurs conjoints de vivre à Jérusalem, et empêche l'enregistrement de leurs enfants comme résidents de Jérusalem (seuls les Palestiniennes de plus de 25 ans et les Palestiniens de plus de 35 ans ont le droit de rejoindre leurs partenaires à Jérusalem).
De telles restrictions, qui ne s'appliquent pas aux habitants juifs de la ville, incluent :
1) un Palestinien de Jérusalem a besoin d'un visa de ré-entrée israélien lorsqu'il va à l'étranger pour ne pas perdre son droit au retour.
2) un Palestinien de Jérusalem perd ses droits à la résidence s'il vit "à l'étranger" – y compris en Cisjordanie – pendant plus de sept ans.
3) les enfants palestiniens ne peuvent être enregistrés comme résidents de Jérusalem que si leur père est titulaire d'une carte d'identité de Jérusalem valide.
4) un Palestinien de Jérusalem qui se marie avec une non-jérusalémite doit faire une demande de regroupement familial pour pouvoir vivre en toute légalité avec son épouse à Jérusalem.
Entre 1967 et 2006, les droits à la résidence de plus de 8.000 Palestiniens jérusalémites ont été révoqués.
Selon PASSIA, "Au moins 66% du Jérusalem d'aujourd'hui est un territoire saisi par la force (5% de l'ancienne municipalité jordanienne et 61% de l'ancien territoire de la Cisjordanie ). A l'intérieur de ce secteur, Israël a exproprié environ 24.500 dunums (1 dunum = 1000 m²) – soit plus d'1/3 de terre annexé illégalement à Jérusalem, dont la plupart appartenait à des Palestiniens, pour construire les 12 colonies qui existent aujourd'hui dans la ville."
Depuis son occupation de Jérusalem Est en 1967, Israël a mis en oeuvre une politique continue de discrimination systématique de planification et de construction contre les Palestiniens jérusalémites. Alors que la construction dans les secteurs palestiniens était limitée, le bâtiment extensif a pris place dans les zones juives de la ville. "A la fin de 2001, 46.978 appartements ont été construits pour les Juifs sur cette terre, mais pas un seul pour les Palestiniens, qui constituent 1/3 de la population de la ville."
Des statistiques de 2002 ont montré que "la densité par logement dans les quartiers arabes était presque de deux fois celle des quartiers juifs, 11,9 m² par personne comparés aux 23,8 m² par personne. La situation présente a forcé de nombreux palestiniens à bâtir des maisons sans obtenir au préalable un permis de construire."
Non seulement les conditions de vie à Jérusalem Est sont difficiles, mais c'est toute l'infrastructure sociale et économique qui est insuffisante et inadéquate, et les services sont souvent supprimés.
Bien qu'ils représentent 33% de la totalité des habitants, les Palestiniens de Jérusalem ne reçoivent que 12% du budget social de la ville, et ils doivent payer les mêmes taux d'impôt que les habitants juifs, en dépit du fait que le revenu par habitant des habitants juifs est environ 8 fois plus élevé, et, en même temps, les Palestiniens jérusalémites ne bénéficient pas des services correspondants (parmi les incitations, les habitants juifs ne paient pas d'impôts pendant les 5 premières années, puis les impôts sont réduits). De plus, le taux de pauvreté des Palestiniens de Jérusalem est de plus du double de celui des résidents juifs.
Nathan Krystall déclare que "La Quatrième Convention de Genève stipule que tous les impôts collectés dans une zone occupée doivent être utilisés sur cette même zone. Les Palestiniens paient 26% du coût des services municipaux, mais ne reçoivent que 5% de ces services."
C'est ainsi que les quartiers palestiniens souffrent du mauvais entretien des infrastructures et des services, à tel point que des quartiers entiers ne sont pas connectés au tout-à-l'égout, et les rues ne sont pas goudronnées. Les maisons et propriétés palestiniennes sont souvent fermées et confisquées pour usage militaire ou pour les colons juifs extrémistes, qui occupent continuellement les demeures palestiniennes, menacent et attaquent les habitants palestiniens.
D'autres mesures discriminatoires consistent à la révocation des droits sociaux et à l'assurance médicale des Palestiniens de Jérusalem. "Médecins pour les Droits de l'Homme estiment qu'actuellement, quelques 10.000 enfants résidant à Jérusalem Est ne sont pas couverts par une assurance médicale."
Gardant en mémoire que le taux d'accroissement de la population est de 1,2% pour les Juifs, et de 3,3% pour les Palestiniens (PASSIA, 2003), les statistiques de B'Tselem montrent que 73% des projets de construction à Jérusalem concernent les quartiers juifs, pour seulement 27% dans les quartiers palestiniens. Entre 2004 et 2007, 316 maisons ont été démolies à Jérusalem Est, laissant 993 Palestiniens sans abri.
Selon la Convention de La Haye signé en 1907, paragraphe 152, les forces d'occupation ne doivent pas confisquer les terres ou les biens du peuple occupé.
Israël est signataire de l'engagement de "respecter et garantir à tous les individus se trouvant sur leur territoire et relevant de leur compétence les droits reconnus dans le présent Pacte, sans distinction aucune, notamment de race, de couleur, de sexe, de langue, de religion, d'opinion politique ou de toute autre opinion, d'origine nationale ou sociale, de fortune, de naissance ou de toute autre situation."
(Pacte International relatif aux Droits civils et militaires, article 2).
J'écris ceci en tant que Palestinien pour qui le pivot de la vie a toujours été Jérusalem, une ville que je connais comme ma poche. Pourtant, je ne peux plus y aller parce que je viens d'une petite ville, de l'autre côté du mur d'apartheid, une petite ville qui a fait partie, d'un point de vue géographique et politique, de Jérusalem pendant des siècles. L'Etat d'Israël ne nous autorisera plus à y entrer, nous qui avons grandi dans la ville sainte, et avec un peu de chance, cette "seule démocratie du Moyen Orient" nous permettra d'y être enterrés, je dis bien, si nous avons de la chance ! Pour moi, ces Palestiniens jérusalémites, déterminés à rester à Jérusalem en dépit de toute les souffrances et les mesures discriminatoires israéliennes, sont un autre exemple puissant de la fermeté et de l'espoir de tous les Palestiniens, partout. Ce sont eux le véritable visage de Jérusalem parce qu'ils en sont les véritables habitants d'origine.
Principales sources :
PASSIA, B'TSELEM, BADIL.
Source : Palestine Think Tank
Traduction : MR pour ISM
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