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Afrique - 3 février 2011
Par Comaguer
Bulletin n° 223– semaine 5 – 2011
A l’instar du « grand jeu » eurasiatique commencé dans la seconde moitié du XIXe siècle par le face à face des empires britannique et tsariste et qui se poursuit de nos jours sur la forme du face à face OTAN/Organisation de coopération de Shanghai, se déroule sous nos yeux le nouveau « grand jeu » africain. Passé le partage colonial du XIXe scellé par le Congrès de Berlin (1885), passée la décolonisation formelle des années 50 et 60, le continent africain est devenu le principal champ de bataille de l’impérialisme étasunien.
Ses objectifs :
1- contrer l’influence économique grandissante de la Chine et l’empêcher d’avoir un accès régulier aux ressources minières du continent,
2- écarter ou satelliser les petites puissances néocoloniales à commencer par la France pour être le seul maitre du jeu.
Ses outils :
1- un commandement militaire intégré spécifique : l’AFRICOM chargé expressément de coordonner influence économique et ingérence militaire,
2- des partenariats de diverses sortes entre l’OTAN et les armées africaines incluant bien entendu des fournitures massives d’armes made in USA,
3- un « terrorisme islamique » suscité pour justifier une présence militaire, avec et sans uniforme, permanente.
La crise égyptienne est donc évidemment une crise moyen-orientale en raison du poids propre de l’Egypte au sein du monde arabe et de la protection qu’elle assure à l’Etat sioniste. Cette dimension est largement couverte par les commentateurs.
Mais elle est aussi une crise africaine.
Avant d’arriver en Egypte, le Nil et ses affluents traversent 9 pays : Burundi, RD Congo, Egypte, Ethiopie Kenya Rwanda, Soudan, Tanzanie Ouganda. Sur cet immense bassin fluvial la question de l’eau est vitale en particulier dans sa partie aval (désert égyptien et du nord Soudan). Une gestion collective de cette ressource est un impératif et en même temps tout conflit sur l’eau est un facteur majeur de crise régionale [NILE BASIN INITIATIVE (1)]. La puissance qui veut dominer la région dispose là d’un puissant outil de division. En alimentant la guerre au Sud Soudan elle en a tiré avantage puisque la création prochaine du nouvel Etat sud-soudanais entièrement soumis aux Etats-Unis et à Israël va permettre d’utiliser contre le régime Soudanais honni la menace hydrique. Pour les Etats du bassin du Nil coopérer et écarter toute ingérence extérieure dans la gestion de la ressource en eau est la clé d’une véritable indépendance. Cette question de l’eau fait comprendre que toute crise égyptienne a nécessairement des répercussions sur toute l’Afrique de l’Est où le désordre somalien perdure et où le calme du référendum au Sud Soudan ne peut pas masquer le fait que le Sud Soudan, nouvel Etat enclavé, misérable n’est qu’une fabrication impérialiste, qu’une base d’intervention, un futur Kosovo africain.
La crise égyptienne est aussi une crise pétrolière.
Producteur de pétrole et de gaz naturel, l’Egypte doit d’abord satisfaire des besoins internes à la mesure de sa population. La production de pétrole a décru ses dernières années et couvre juste maintenant une demande locale bien servie par d’importantes capacités de raffinage. Il en va tout autrement pour le gaz où les capacités : production et réserves connues, situent le pays au 3° rang en Afrique après le Nigéria et l’Algérie. L’Egypte est donc devenue un exportateur important soit par voie terrestre : un gazoduc dessert la Jordanie, le Liban et la Syrie avec une branche vers Israël, soit par voie maritime. Trois installations portuaires de liquéfaction existent et permettent les exportations vers les Etats-Unis, premier client et depuis peu vers la France (réception au port de Fos par GDF/Suez).
Il existe une société pétrolière nationale mais elle fonctionne plus comme partenaire financier de groupes étrangers que comme exploitant. Tous les groupes étrangers sont occidentaux : majors anglo-saxons (BP SHELL) ou outsiders, ENI, RWE et les commentaires qu’ils font sur les conditions économiques qui leur sont faites par l’Etat égyptien sont élogieux ! Par contre la porte est totalement fermée aux compagnies non occidentales, situation exactement inverse de la situation soudanaise.
Les champs pétroliers sont largement répartis sur le territoire : delta du Nil, zone du Golfe de Suez, désert de l’Ouest au voisinage de la Lybie sont les zones principales d’extraction mais les forages offshore en Méditerranée se sont développés ces dernières années et des ressources existent également dans la haute vallée du Nil. Si l’on ajoute le fait que les recherches dans le désert occidental sont rendues très difficiles par les champs de mines qui y on été mis en place par l’armée nazie pendant la deuxième guerre mondiale et qui y demeurent on peut considérer l’Egypte comme un pays pétrolier moyen avec de bonnes perspectives de développement ce qui explique que le pays soit membre de l’OPAEP (Organisation des Pays Arabes Exportateurs de Pétrole) mais pas de l’OPEP.
La crise politique actuelle est donc ressentie très directement par les compagnies pétrolières occidentales. Les inquiétudes immédiates par rapport aux troubles de l’ordre public se mélangent aux craintes pour l’avenir en cas de changement dans le mode de partage de la rente pétrolière entre l’exploitant et l’Etat égyptien ou en cas d’ouverture de ce pays à des investisseurs non occidentaux aujourd’hui exclus. Elle peut conduire des forces nationalistes à mieux utiliser la ressource pétrolière pour favoriser un développement national indispensable si l’on songe que l’Egypte devrait compter 100 millions d’habitants en 2020. Elle est également très vive en Israël car beaucoup d’égyptiens considèrent la fourniture de gaz à l’Etat sioniste comme une trahison (parmi d’autres) du peuple palestinien.
La crise égyptienne est enfin une menace sur le transport international
Le canal de Suez sis en totalité sur le territoire égyptien est depuis la prise du pouvoir par Nasser nationalisé géré par une autorité égyptienne et aucun gouvernement égyptien, quelles que soient ses orientations, ne saurait renoncer de son plein gré à cette souveraineté. Mais cette voie de communication sert d’une part au passage d’une partie du pétrole destiné à l’Europe (bien qu’elle soit doublée par un pipeline terrestre : le SUMED), d’autre part elle est le point de passage de la quasi totalité de l’intense commerce maritime entre l’Asie et l’Europe. Un blocage du canal accidentel ou provoqué (même sans écluses, ce qui est le cas de Suez à l’inverse de Panama, un canal est une infrastructure fragile) bouleverserait instantanément tout le commerce mondial.
(1) Nile Basin Initiative : L’Initiative du Bassin du Nil est un partenariat initié et mené par les états riverains du Fleuve du Nil1 par le biais du Conseil des Ministres des Ressources en Eau des pays du Bassin du Nil ou le NILE-COM. L’IBN vise à développer le fleuve sur une base coopérative, à partager les bénéfices socio-économiques et à promouvoir la paix et la sécurité régionale. Dans tous les bassins fluviaux internationaux, la gestion coopérative des ressources en eau s’est toujours avérée être une affaire complexe. Au niveau du Bassin du Nil qui est caractérisé de l’insuffisance d’eau, la pauvreté, une longue histoire des disputes et d’insécurité, une population et demande d’eau croissantes, la gestion coopérative est particulièrement difficile. L’IBN a commencé avec un processus participatif du dialogue parmi les pays riverains qui a abouti à leur accord sur une vision commune : « atteindre le développement durable socio- économique par l’utilisation et le partage équitables des bénéfices communs des ressources en eau du Bassin du Nil. »
Source : Comaguer
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