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Monde - 30 janvier 2009
Par Youssef Girard
Au-delà des indépendances, un des objectifs des luttes de libération nationale est de permettre aux peuples dominés d’entrer en interaction dialectique avec la civilisation occidentale hégémonique afin d’apporter leur contribution spécifique à la construction d’un universalisme réel. Alors que la « critique des armes » se fait entendre de manière assourdissante, les « armes de critique » s’aiguisent et le problème de la dialectique du spécifique – les facteurs culturels, nationaux, civilisationnels – et de l’universel se pose avec une acuité renouvelée.
Dessin Carlos Latuff, 2009
La question palestinienne, qui est au cœur des luttes de libération des peuples des Trois Continents, est porteuse de cette dialectique du spécifique et de l’universel car par sa lutte, le peuple palestinien exprime sa volonté de vivre en préservant son identité spécifique, liée à une terre dont il a été spolié, et dans le même temps cette résistance opiniâtre dépasse, par sa puissance symbolique, sa propre spécificité pour devenir une métaphore de l’affrontement immémorial entre les puissants et les faibles, les dominants et les dominés, les moustakabiroun et les moustadh’afoun. La lutte entre le Goliath sioniste et le David palestinien reprend au cœur de la bataille toute la force symbolique que lui accorde la tradition de tous ceux qui se réclament d’Abraham.
Du fait de cette dialectique du spécifique et de l’universel présente dans la lutte de libération nationale palestinienne, le soutien qui s’organise autour d’elle est porteur de ce même rapport dialectique.
La question palestinienne a une résonance particulière au sein des peuples arabes et musulmans en raison des liens spécifiques qui unissent ces peuples au peuple palestinien. Géographiquement situé au centre du monde arabo-islamique, l’asservissement de la Palestine est vécu comme une attaque dirigée contre l’ensemble des peuples arabes et musulmans qui, malgré leurs luttes de libération nationale, vivent toujours sous le joug de l’Occident impérialiste. Cette domination occidentale empêche ces peuples de recouvrer pleinement leur souveraineté politique, économique et culturelle, préalable indispensable à toute renaissance nationale-culturelle des peuples arabes et musulmans. De fait, la Palestine apparaît comme le point paradigmatique de la résistance des peuples arabes et musulmans en lutte pour reconquérir leur capacité d’initiative historique.
La symbolique religieuse qui entoure la Palestine, même si la question palestinienne est fondamentalement politique, renforce la centralité de cette question dans l’identité civilisationnelle des peuples musulmans mais aussi dans leur mobilisation concrète. La Mosquée al-Aqsa, dont le Coran nous dit qu’Allah a « béni les alentours » , fait d’al-Quds (Jérusalem) une ville chère au cœur de l’ensemble des musulmans. Ceux-ci ont tous en mémoire cet événement capital de la vie du Prophète qu’est l’ascension et le voyage nocturne – al-isra’ wa al-mi’raj – au court duquel Allah transporta Mohammed de la Mosquée de la Mecque à la Mosquée al-Aqsa. La place de cet évènement est d’autant plus centrale dans la tradition musulmane que c’est au cours de ce voyage nocturne d’Allah institua les cinq prières quotidiennes qui représentent le second pilier de l’islam.
La centralité de la Palestine, dans l’imaginaire arabo-musulman, est aussi liée à l’histoire du monde arabo-islamique et de la résistance aux croisades qui frappèrent durement une civilisation alors florissante. Les exactions des croisés et la résistance de figures héroïques telle que Nour ad-Din Ibn Zenqi (1146-1174) ou Salah ad-Din al-Ayoubi (1171-1193) finirent d’imposer la centralité de la Palestine et d’al-Quds dans l’imaginaire politique et religieux des peuples arabes et musulmans.
Cet imaginaire empli des représentations de la Mosquée al-Aqsa et de la ville d’al-Quds explique, en grande partie, les mobilisations massives en faveur de la Palestine que l’on peut observer de Rabat à Djakarta.
En France, la communauté arabo-musulmane est particulièrement active dans le soutien à la Palestine et son avenir social et politique dépend directement de son aptitude à se mobiliser sur cette question. Alors que les représentants des intérêts impérialistes veulent mettre à l’index notre communauté en lui imputant la responsabilité « d’importer le conflit » afin de discréditer son action, notre capacité à résister à cette offensive idéologique est la seule preuve de notre force et de notre maturité politique. Communauté « en soi » c’est-à-dire communauté n’ayant pas encore conscience d’elle-même en tant que force sociale agissante ; le soutien actif à la Palestine est en train de transformer la communauté arabo-musulmane en communauté « pour soi » c’est-à-dire ayant pris conscience de son rôle sociopolitique.
Du fait de cette fonction du soutien à la Palestine dans la prise d’initiative historique de la communauté arabo-musulmane en France, nombre d’acteurs sociopolitiques, mus par un esprit néo-colonialiste nauséabond ou par un « fraternalisme » suranné, condamne toute affirmation du spécifique dans la mobilisation en faveur de la cause palestinienne. Ceux-ci cherchent par là à enrayer tout expression politique autonome de la communauté arabo-musulmane qui pourrait remettre en question la suprématie idéologico-culturelle du « centre » hégémonie au cœur même de l’Occident. Ils se situent dans la tradition occidentalo-centriste, soucieuse d’homogénéité, qui refuse d’entendre les sociétés et les cultures différentes, dissemblables et contestataires.
Toutefois le soutien à la résistance du peuple palestinien dépasse les seuls peuples arabes et musulmans - et en France la seule communauté arabo-musulmane - car elle porte en elle une dimension universelle qui transcende toutes les spécificités culturelles, religieuses et civilisationnelles. La résistance du peuple palestinien face à une puissance militaire suréquipée symbolise la lutte contre toutes les injustices et toutes les oppressions qui est universellement partagée. La bataille qui se déroule en Palestine est aussi une lutte pour la dignité de l’humanité.
Par les souffrances qu’il endure, par sa dignité dans le malheur, par son courage opiniâtre, le peuple palestinien martyr symbolise tous ceux qui ont fait le choix de mourir la tête haute et la foi inébranlable plutôt que de vivre dans la soumission et le reniement. La lutte du peuple palestinien vient nous rappeler, dans le sang et la douleur, qu’il ne s’aurait y avoir dignité sans liberté et que sans indépendance réelle des peuples dominés, il ne peut y avoir d’hommes libres. Ainsi, la résistance palestinienne porte en elle l’espoir qu’ont tous les opprimés de se libérer de leurs chaînes.
Du fait, de cette identification à l’opprimé en résistance, nombre de personnes, qui n’ont pas de liens directs avec la civilisation arabo-musulmane, se mobilisent en faveur du peuple palestinien car ils se sentent solidaires de la résistance héroïque d’un peuple luttant pour son droit à la vie contre les conjurations des puissances impérialistes hégémoniques.
La dialectique du spécifique et de l’universel qui se développe concrètement dans le soutien à la Palestine, pose, de manière implicite, les jalons d’un universalisme réel permettant de rompre avec l’universalisme occidentalo-centrique qui a été la pierre angulaire de l’édifice idéologique sur lequel s’est appuyé l’Occident impérialiste pendant des siècles. En cela, la résistance du peuple palestinien, et le mouvement qui soutient sa lutte, est sûrement le point nodal où est en train de se jouer une partie importante du monde en devenir.
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