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Cisjordanie - 17 avril 2005
Par Maureen Clare Murphy
Article diffusé sur Palestine Report le 13 avril 2005
La semaine dernière à Ramallah ont eu lieu deux évènements cinématographiques importants : la presse anglaise a rendu compte du premier, et pas de l’autre.
Le 6 avril le Ramallah Cultural Palace était bourré de gens venus assister à la projection du film d’Hanu Abu-Asad : «Paradise Now».
La nuit suivante, le même endroit accueillait un public seulement sur invitations, constitué de jeunes amenés par bus des différents camps de réfugiés et de ministres palestiniens, pour regarder la version doublée en arabe d’un film sur Gandhi qui avait été primé en 1982.
Mais mardi, la projection de « Paradise now » qui a été suivie par un débat sérieux n’a pas été couverte par le New York Times, la BBC, le Jerusalem Post et par tous les nombreux autres medias qui ont rendu compte de l’événement du mercredi et de la visite de Ben Kinglsey (N.T : le réalisateur de Gandhi) la star de Gandhi.
Les articles les plus optimistes à propos de la projection de «Gandhi» ont mis l’accent sur les mérites du message contenu dans le film sur la résistance non violente, et combien « le projet Gandhi » mérite d’être montré dans tous les territoires occupés de Palestine et dans les camps de réfugiés du Liban., de Syrie, de Jordanie, pour inculquer le pacifisme comme moyen de résistance à l’occupation israélienne.
Mais, le film d’Abu-Asad, tourné à Naplouse et à Nazareth, qui fait le portrait scénarisé de deux candidats aux attentats suicide qui se mettent à douter de la violence comme outil de résistance nationale quand leur plan tourne mal, est à bien des égards, un catalyseur vulturel beaucoup plus intéressant. Parce qu’il a été tourné par un cinéaste Palestino-Hollandais dans des villes palestiniennes, le film nous touche plus profondément que Gandhi, le film biographique qui raconte les étapes de la vie du célèbre leader indien..
Avec le joli paquet d’articles que lui a valu l’obtention du prix du public et du prix du meilleur film européen au Festival du film de Berlin en février, « Paradise Now » est calme, introspectif, et ses personnages complexes ne peuvent se décrire simplement comme glorieux combattants de la liberté, ou comme des terroristes.
Le personnage le plus dynamique du film est un jeune homme de Naplouse nommé Said, fils d’un collaborateur, qui malgré les supplications de son grand amour Suha qui lui demande de renoncer à son projet, il part pour Tel-Aviv en mission de kamikaze.
Saïd gagne l’empathie du public parce qu’il est émotionnellement vulnérable et qu’il a été nourri des idées romantiques de son recruteur du genre « la mort c’est mieux que l’humiliation» et parce qu’il est montré croupissant, sans avoir l’occasion d’agir dans Naplouse assiégé.
Mais le public sympathise aussi avec Suha la fille d’un héro palestinien assassiné, dont le futur est tout dessiné parce qu’elle été élevée à l’étranger, et elle implore Saïd de se demander si les attentats suicide sont vraiment des moyens moralement solides et efficaces pour combattre l’occupation israélienne. Elle dit à Saïd : « Si tu tues, il n’y a plus de différence entre la victime et l’occupant ».
Après la projection du film à Ramallah, certains ont objecté, dans la discussion avec le réalisateur, que le film n’était pas juste dans les faits, et ont noté que le film décrivait de manière invraisemblable les deux candidats aux assassinat suicide qui se formaient en une journée et que Suha, éduquée en France, représentait quelque chose qui n’existe pas dans la société palestinienne.
Certains dans le public s’interrogeaient avec inquiétude sur le fait que le film ait été financé par des fonds occidentaux.
Un ministre est même allé jusqu’à accuser le film d’être « Orientaliste » pour employer ses propres termes, le film n’étant focalisé que sur les côtés affreux de Naplouse et de la société palestinienne.
Il a été contredit par d’autres spectateurs, mais, qui pensaient que le film était beau, et trouvaient qu’il mettait bien en relief la dimension humaine des attentats suicide, plus que leur dimension politique, ce qui établissait un lien direct avec le public.
Et quand le reporter a demandé aux quelques sceptiques du public de dire en dépit des libertés que le réalisateur avait prises s’ils pensaient que le cinéaste avait vu juste dans sa description de la Palestine, ils ont répondu oui.
Malheureusement, ce débat particulièrement intéressant est passé complètement inaperçu de la presse occidentale. Mais un tas de journalistes ont couvert la visite de Ben Kingsley pour promouvoir le message de Gandhi sur la résistance non-violente, comme faisant partie d’un projet parrainé par des hommes d’affaire américains, parmi lesquels Jeff Skoll, le fondateur de E-bay, le site d’enchères sur internet,
Une chronique de la BBC sur la première de Gandhi, le mercredi, présentait son objectif comme « enseigner aux Palestiniens le message du leader indien pour la résistance non violente et soulignait que c’était une possibilité pour résoudre le conflit israélo-palestinien ».
Le reportage a complètement oublié de l’histoire de la résistance palestinienne non violente et soutient un affligeant contraste avec les principales publications palestiniennes d’Al Quds et Al Ayyam qui publient, presque tous les jours, des photos de soldats israéliens sermonnant des manifestants non violents qui protestent contre le mur de Cisjordanie .
Les informations données par le New York Times résument l’histoire de la résistance non violente palestinienne en deux phrases : « Les Palestiniens prétendent qu’ils ont recherché souvent à résister par la non violence au cours des années, ce qui n’a pas servi à grand chose.
Depuis deux ans, des Palestiniens non armés ont organisé de nombreuses manifestations contre le Mur de Séparation d’Israël, en Cisjordanie , mais ils soulignent que leurs efforts n’ont pas attiré beaucoup d’attention ».
Pourtant, le titre de l’article sur le projet Gandhi a déjà dit que : "Pour les Palestiniens, la résistance non violente a rarement été la ligne directrice de leur combat avec Israël".
Naturellement, voilà qui risque d’offenser bien des Palestiniens qui pourraient parler de l’histoire des grèves et de la résistance non violente qui ont conduit en 1936 à la révolte paysanne exactement comme à l’Intifada qui a explosé dans les années 1980.
Evidemment, le Projet Gandhi n’a pas été exactement accueilli à bras ouverts par une société palestinienne épuisée.
Dea Opahi, 21 ans, a déclaré au Times of London que la situation des Palestiniens était trop différente de celle de l ‘Inde de Gandhi et que : "Si nous cessons de résister à Israël, il confisquerait probablement tout ce qui nous reste de notre terre".
Ce n’est pas la première fois ces derniers temps que le message de résistance non-violente de Gandhi s’invite chez les Palestiniens, le petit-fils du Mahatma Gandhi Arun est venu en Cisjordanie en août dernier, pour rencontrer les leaders palestiniens et participer à une manifestation contre le Mur à Abu Dis, où il a fait la comparaison entre la situation des Palestiniens et celle des Noirs d’Afrique du Sud pendant l’Apartheid.
Pourtant, sans la rejeter, l’idée de résistance non violente, outil efficace pour faire échec à l’occupation israélienne n’a rencontré qu’un monceau d’incertitude chez un peuple fatigué de la violence mais qui voit s’ étendre la colonisation israélienne et doit affronter de graves restrictions à la circulation tous les jours.
D’une certaine manière, la futilité des hommes d’affaire américains qui s’intéressent à l’idée d’instrumentaliser Gandhi pour inculquer la résistance non violente comme principe directeur dans le cœur et l’esprit des jeunes gens des camps de réfugiés est identique à celle de Suha, le personnage de « Paradise Now » qui essaie de pousser Saïd à adopter les mêmes principes idéalistes.
Et la plupart des réactions dubitatives qu’ont eu les spectateurs des camps de réfugiés au spectacle de "Gandhi", aurait pu se prédire de celles de la projection de "Paradise Now" le mardi. Beaucoup d’entre eux ayant rejeté le noble discours de Suha qui, parce qu’elle a été élevée à l’étranger, n’a pas connu les pires horreurs israéliennes que Saïd lui a connues.
Evidemment, il y a des questions sur l’inutilité de montrer « Gandhi » pour encourager les Palestiniens à abandonner les armes dans leur lutte pour l’indépendance.
Evidemment, on pourra dire que ça supposerait que les Palestiniens ne seraient pas prêt à débattre de l’inutilité de la tactique de violence, y compris les attentats-suicide, utilisés contre Israël ces quatre dernières années.
Un récent sondage indique une érosion du soutien aux attentats-suicide : "Environ 71% des gens sont opposés à la récente attaque-suicide de Tel Aviv" mais ce n’est pas nécessairement une indication pour dire qu’il y a un mouvement chez les Palestiniens pour le pacifisme comme moyen de parvenir à la paix.
C’est plutôt une indication sur le sentiment d’une défaite générale.
Un sondage du Centre Palestinien pour la Politique et la Recherche du mois dernier a montré que 65% des Palestiniens de tous les territoires ne croyaient pas «qu’une paix permanente avec Israël était possible» tandis que seulement 3,1% des gens pensaient que cette paix est possible.
Il est probable que la projection de «Paradise Now» mardi et ces sondages démontrent véritablement, que des discussions sur les stratégies palestiniennes qui devraient être utilisées pour résister contre Israël, existent déjà.
Et ce que la multiplicité des articles récents à propos de la projection de "Gandhi" peut indiquer, c’est la méconnaissance de ce débat de la part de la presse occidentale, et sa méconnaissance de la résistance non violente dont les Palestiniens de toute la Cisjordanie usent chaque jour, individuellement ou en masse.
Source : Palestine Report
Traduction : CS pour ISM
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