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Monde Arabe - 27 février 2012
Par Badia Benjelloun
La sollicitude de l’Occident pour les peuples arabes en demande de démocratie a des limites. Elles se dessinent déjà aux portes du Maroc, de ses palais et de ses folles nuits à Marrakech. Cinq étudiants marocains affiliés à la centrale syndicale de l’Union Marocaine des Étudiants Marocains ont entamé une grève de la faim pour protester contre leurs conditions d’incarcération, demander la libération de tous les prisonniers politiques et pour que leur soit reconnue la qualité de prisonniers politiques. L’un d’entre eux, Azzedine Eroussi, arrêté le 1er décembre dans l’enceinte de la faculté de Taza (Nord-Est du Maroc), en grève de la faim depuis le 19 décembre 2011, est actuellement en danger de mort. Mohamed Ghloud, Mohamed Zghdid, Mohamed Fetal et Ibrahim Saidi, emprisonnés à Fes, l’ont rejoint dans sa protestation et entamé leur grève de la faim depuis le 23 janvier 2012.
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Ces jeunes gens étaient actifs dans le mouvement de contestation sociale né dans le sillage du soulèvement arabe connu désormais sous le nom de « mouvement du 20 février ».
Sans avenir, la jeunesse marocaine est déjà prisonnière d’un système de castes gangrené par la corruption. Elle se heurte avec sa fougue et sa vitalité au mur infranchissable de la pénurie d’emplois, de l’inertie et du cynisme des politiques.
Elle manifeste tous les jours. Le mouvement des diplômés chômeurs organise depuis une dizaine d’années des rassemblements pacifiques devant le siège du Parlement à Rabat, à l’occasion desquels ils subissent des bastonnades régulières et énergiques des agents de la Sécurité intérieure.
Quelles perspectives lui laisse le pouvoir, l’immolation par le feu ?
Ou alors risquer sa vie et la perdre souvent par noyade en Méditerranée quand elle cherche à émigrer.
Le projet surréaliste d’une ligne TGV entre Tanger et Casablanca, vrai scandale financier et écologique, inutile voire nuisible économiquement, coûteux et grevant une dette déjà lourde et combien odieuse, qui sera confié à des entreprises françaises, n’est pas le moindre des amortisseurs aux prises de position occidentales vis-à-vis du régime marocain. Le Maroc a déjà eu un roi passionné par les trains électriques, mais miniatures cette fois, au début du siècle dernier. Moulay Abdelaziz, roi à l’âge de 16 ans en 1894, fut déposé par le peuple marocain en 1908 pour sa grande tolérance à l’ingérence de la France et sa propension à aggraver la dette souveraine pour ses dépenses personnelles.
Un autre prisonnier politique avait choisi de faire une grève de la faim qui a duré plus de 65 jours abordant le point extrême de résistance à la privation alimentaire sans que ne s’en soit ému le système occidental. Adnane Khadr, 34 ans, boulanger et père de trois enfants, a été mis aux arrêts sur ordre de l’autorité militaire sioniste sans chef d’inculpation. Il avait rejoint les milliers de Palestiniens détenus administrativement pour six mois renouvelables sur simple décision d’un gradé militaire et jamais jugés.
Un mutisme pudique est impératif devant l’absence de droits des Palestiniens ghettoïsés dans les 224 enclaves de la Cisjordanie . L’entité sioniste enfreint pourtant de façon flagrante les Conventions de Genève régissant les obligations qui s’imposent à une puissance occupante. Elle déplace les prisonniers loin de leur lieu de résidence les rendant inaccessibles aux visites des leurs, elle les soumet à la torture physique et psychologique. Elle incarcère, parmi des adultes, des mineurs pour des motifs aussi bénins que des jets de pierres. Près de 400 enfants palestiniens subissent dans les geôles sionistes des sévices, viols, privations sensorielles et de sommeil, cellules exiguës et glacées, maintien dans des positions douloureuses, menaces lors d’interrogatoires leur extorquant des aveux écrits dans une langue qui leur est étrangère.
Élever une question face à ces pratiques barbares peut valoir à son auteur la sanction infamante d’antisémitisme et la mise au ban.
Moustapha Barghouti, l’homme de l’"Initiative Palestinienne", mouvement fondé pour concurrencer le népotique Fatah organe de l’OLP qui a renoncé à toute velléité de libération en échange de l’aide internationale versée à l’Autorité Palestinienne, a accueilli la geste du gréviste de la faim Adnane Khadr comme la percée réussie d’une résistance pacifiste "à la Gandhi".
Mustapha Barghouti avait reçu des mains de Bernard Kouchner à la veille de son éviction des Affaires Étrangères de France la Légion d’honneur. Dès lors qu’il souscrit à une résistance soft, il peut jouir d’une tribune d’opinion sur le New York Times et être décoré par le plus sioniste des ministres français.
La doctrine de la lutte non violente développée par Gene Sharp, inspirateur des révolutions colorées en Europe de l’Est, a été professée depuis une chaire à l’université de Harvard. L’un de ses disciples, le milliardaire Peter Ackerman a fondé l’International Center on Non-violent Conflict en 1982, puis le Center for Applied NonViolent Action and Strategies (CANVA). CANVA a formé à Belgrade nombre d’activistes égyptiens membres d’ONG qui ont participé au mouvement du 6 avril. Selon le journal Blomberg, Akerman passerait plus de temps à entraîner des dissidents à renverser des dictateurs qu’à s’occuper de son business.
À l’évidence, en Syrie, nous n’assistons pas à la mise en pratique de la théorie de la révolution non violente. Le traumatisme encore vivant de la démocratisation de l’Irak voisin, la survivance de quelques traces socialistes de l’État baathiste qui n’a pas ouvert toute son économie au tout-marché néolibéral peuvent expliquer que le peuple syrien n’adhère pas totalement au renversement d’un régime qui lui garantit jusques-là la cohésion de sa société multiconfessionnelle et multiethnique.
Au contraire, il n’est question que d’armer officiellement et de plus en plus l’opposition syrienne. Radwan Ziadeh, porte-parole du Conseil National Syrien, mais préalablement directeur du Syrian Center for Political and Strategic Studies, réclame de la Communauté Internationale qu’elle intervienne militairement pour luxer Bashr Al Assad de son trône. Il donne son point de vue sur le Fikra Forum, site qui émane du Jewish Institute for National Security Affairs (JINSA). Ce think tank doté d’un budget de plus de 8 millions de dollars reçoit des donations de plus de 17.000 adhérents. Il avait été créé en 1976 pour mener une réflexion sur l’avenir de la coopération militaire entre les Us(a) et Israël au lendemain de la guerre du Kippour. L’intégration en son sein de Richard Perle, Michael Ledeen et James Woolsey en a fait le fer de lance de la bataille des néoconservateurs pour aligner la politique étasunienne aux intérêts sionistes.
Le 17 février 2012, les abonnés de la liste courriel du JINSA ont reçu une invitation pour assister à une nouvelle conférence du syrien Farid Ghadry, co-fondateur en 2001 du parti de la Réforme syrienne. Comme ils l’ont fait avec Chalabi pour l’Irak, les acolytes néoconsionistes ont fabriqué Ghadry, un dissident bien sous tout rapport prêt à interpréter son rôle. Il a tenu une conférence le 7 septembre 2011 au siège du JINSA à Washington sur le thème "Rôle de la Syrie au Moyen-Orient, amie de l’Iran, hôte du Hamas et patron du Hezbollah".
Il avait été convié en 2007 à Prague par Sharansky, ancien ministre du gouvernement Sharon, pour une séance de travail menée sous l’égide de l’Adelson Institute for Strategics Studies. La conférence réunissait des officiels israéliens, des néoconservateurs et des démocrates est-européens nouvellement installés au pouvoir. La liste des participants est éloquente, avec des servants aussi zélés que Vaclav Havel, Maria Aznar et Shelton Adelson.
Avec de tels compagnons de route, si Farif Ghadry et ses amis du CNS, Radwan Ziadeh et Burhan Ghallioun prenaient le pouvoir en Syrie, Israël s’étendrait au Nord au Liban et en Syrie sans coup férir.
Et les grévistes de la faim pourraient toujours continuer à mener leur résistance non violente.
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