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Palestine - 4 décembre 2007
Par Akiva Eldar
Mardi après-midi, après avoir été retenu au check de Qalandiyah, tandis qu’il se rendait en Israël depuis Ramallah, Saeb Bamya arriva au siège du ministère israélien de la Défense, à Tel Aviv. L’ancien vice-ministre chargé des questions économiques de l’Autorité palestinienne entra dans le bureau du major général (de réserve) Amos Gilad, en compagnie du professeur Arie Arnon.
Bamya et Arnon présentèrent à Gilad, représentant du ministre de la Défense dans l’équipe chargée de formuler une déclaration en vue du sommet d’Annapolis, un épais document proposant des solutions politico-économiques possibles pour deux des questions "clés" : les réfugiés palestiniens et Jérusalem. (1)
Pour Bamya, cette évaluation du Groupe d’Aix [Aix-en-Provence, ndt], composé d’experts israéliens, palestiniens et internationaux, selon laquelle le coût d’une solution à la question du droit au retour [des réfugiés palestiniens] varierait entre 55 milliards de dollars et 85 milliards de dollars, est une appréciation purement personnelle [qui n’engage que leurs auteurs].
Un discours économique rationnel
La famille Bamya possède un important immeuble cossu dans le quartier Ajami de Jaffa, juste sur la côte. Saeb avait moins d’un an, en 1948, quand son père ferma les portes de la maison ainsi que les bureaux de sa compagnie d’autobus.
Depuis lors, il a vécu la vie d’un Arabe errant : Beyrouth, le Yémen, la Tunisie, Dubaï, la Jordanie, la Tunisie again, Ramallah. Il était aux côtés d’Ahmad Qureï’ (Abu Ala) lors de la naissance d’Oslo I, et, après la signature d’Oslo II, il faisait partie du groupe des exilés de l’OLP à Tunis revenus en Cisjordanie afin d’y édifier la Palestine [sic]. En ayant eu l’opportunité, il emmena ses enfants à Jaffa afin qu’ils pussent y voir la maison de leur grand-père. Les propriétaires juifs d’un seul des appartements (sur sept) leur ouvrirent leur porte.
Depuis lors, il a été la proie d’une interminable série de déconvenues et de crises, mais aussi d’initiatives et d’efforts visant à sauver le processus de paix.
De son point de vue, explique Bamya, la clé de la paix réside dans le partage du pays en deux Etats fondés sur les frontières du 4 juin 1967, avec des accords sur des modifications marginales du tracé de ces frontières. Pour lui, cela signifierait d’oublier l’immeuble [familial] de Jaffa, en échange d’un défraiement convenable, dont le montant serait fixé par des experts neutres. Il choisira de construire son domicile définitif à Jérusalem Est, la capitale de la Palestine. Il y sera le voisin d’Arnon, lequel Arnon, lui aussi né en 1947, dans un couple de survivants de l’Holocauste, qui s’étaient cachés dans un village chrétiens pour échapper aux nazis et avaient immigré en Palestine juste avant la déclaration d’indépendance d’Israël.
Ce professeur d’économie à l’Université Ben Gourion, à Be’er Sheva, dans le désert du Néguev, réside à Beit Hakerme, une des dernières enclaves laïques à Jérusalem Ouest. Pour rien au monde il n’habiterait une maison palestinienne abandonnée [sic], même si on la lui proposait gratis.
Le rapport du Groupe d’Aix, dont la dernière version est rendue publique ici pour la première fois, est la première tentative semi-officielle israélo-palestinienne de déconstruire la barrière [psychologique] du droit-au-retour et de présenter des solutions pratiques à toutes les parties au conflit, ainsi qu’à la communauté internationale.
Le conseiller du Premier ministre ès affaires économiques, le professeur Manuel Trachtenberg, qui a pris part à la réunion [plénière] de ce groupe, à Paris, dit être revenu de cette réunion, pour la première fois de sa vie, avec le sentiment que le problème des réfugiés n’était pas un monstre, et que l’importance du document réside, précisément, dans la capacité bien réelle des deux parties à traduire un discours militant à base d’injustice et de droits historiques en un discours économique rationnel.
Le rapport du Groupe d’Aix s’ouvre sur une déclaration de principes, aux termes de laquelle une solution juste et durable au problème des réfugiés palestiniens de 1948 doit être fondée sur les résolutions afférentes de l’Onu, dont la Résolution 194 de l’Assemblée générale, qui garantit à tout réfugié, sous certaines conditions, le droit de choisir entre retourner chez lui et une compensation financière, « tout en reconnaissant qu’une application littérale de cette Résolution n’est plus possible désormais, étant donné les changements substantiels sur le terrain ».
D’un côté, les réfugiés palestiniens seront en mesure de choisir un lieu de résidence définitif, mais de l’autre, la concrétisation de leur choix devra faire l’objet d’un accord entre les deux parties et être soumis à la souveraineté de tous les pays concernés, dont Israël et la Palestine.
Comme énoncé, « les parties se mettraient d’accord sur le fait que les mesures recommandées dans le présent document mettraient en application la Résolution 194 ».
Jouable
Voici l’évaluation du groupe : la résolution du problème des réfugiés coûtera entre 55 et 85 milliards de dollars. Comparée à cette alternative, avec un étalement sur dix ans et une aide internationale généreuse et quasi mondiale, cela n’est pas un objectif inatteignable.
D’après la Banque d’Israël, les premières années de l’Intifada ont causé à Israël de l’ordre de 4 milliards de dommages économiques chaque année. Un mois de guerre en Irak coûte au contribuable américain plus de 20 milliards de dollars.
D’après les paramètres Clinton, tels que présentés aux deux parties en décembre 2000, un nombre considérable de réfugiés iraient vivre dans de nouveaux pays (pour un coût allant de 8 à 19 milliards de dollar, en fonction du nombre des réfugiés optant pour le départ de leur actuel pays de résidence). D’autres bénéficieraient d’une réhabilitation dans leurs lieux de (sur)vie actuels, et recevraient une compensation "en nature ou en espèces" (pour un coût allant de 10 à 14 milliards de dollars).
Le choix entre ces options binaires serait fait individuellement, sous la supervision de l’Agence Internationale pour les Réfugiés Palestiniens [International Agency for the Palestinian Refugees - IAPR], une instance à créer à cette fin.
Chaque réfugié ordonnerait ses priorités par ordre de préférence, et un cadre temporel serait convenu d’un commun accord pour la concrétisation du processus. L’IAPR mettra en œuvre un mécanisme garantissant que les décisions finales en ce qui concerne les lieux de résidence soient cohérentes avec les accords généraux conclus entre les deux parties.
Les instances palestiniennes, ainsi que les instances israéliennes et internationales, ont en leur possession des bases de données extrêmement détaillées en ce qui concerne les "propriétés abandonnées". Le problème, bien entendu, résidera dans l’évaluation de leur valeur et dans la méthode de capitalisation. En conséquence, il a été décidé qu’un comité international d’experts calculerait la compensation financière attendue sur une base « exhaustive et équitable ».
Les économistes du Groupe d’Aix estiment que le coût total varierait entre 15 et 30 milliards de dollars. "La restitution ne sera envisagée que dans les seuls cas où « une compensation exhaustive et équitable » n’aurait pas été proposée, et où les propriétés sont encore dans un état qui en rendrait la restitution faisable et équitable."
Par ailleurs, le groupe recommande la création d’un quatrième fonds financier, qui requerrait environ 22 milliards de dollars, pour abonder des dédommagements relatifs à la "réfugitude" [merci, Ségolène ! ndt], non liée à des revendications de propriétés ni à d’autres programmes.
Tous les réfugiés enregistrés comme tels percevront un montant uniforme d’environ 5 000 dollars chacun. Actuellement, une famille de réfugiés composée de six ou sept personnes parvient à survivre péniblement avec environ 1.000 dollars annuellement.
Le professeur Arnon : "La dimension économique n’est nullement secondaire. Si les arrangements économiques ne parviennent pas à créer les conditions requises d’un développement réel, l’accord politique échouera lui aussi. Les solutions efficaces sont difficiles pour les deux côtés, mais elles sont applicables."
Bamya : "Le temps disponible pour une solution à deux Etats est en train de s’épuiser. Si des idées telles que les nôtres ne sont pas rapidement adoptées, les deux côtés devront envisager une autre solution politique."
Le Groupe d’Aix est convaincu que, si des mesures audacieuses ne sont pas prises, allant dans le bon sens, la vision d’un Etat pour deux peuples, fondé sur une citoyenneté commune, et l’égalité devant la loi, sera mise à l’ordre du jour.
Le Groupe d’Aix-en-Provence
L’idée de créer un courant alternatif politico-économique semi-officiel a été conçue, voici de cela cinq ans, par le professeur Gilbert Benhayoun, un Français d’origine marocaine. Il est parvenu à la conclusion qu’une des erreurs commises par les deux parties depuis 1993 était le fait de baser le processus de paix sur une "gradation ", sans accord sur – voire même sans discussion du – résultat définitif. Le groupe a décidé d’adopter l’approche de l’"ingénierie à rebours" : les parties se mettent tout d’abord d’accord sur leur destination, c’est-à -dire, sur le bleu [le brouillon] de l’accord définitif, après quoi, elles décident ensemble comment y parvenir.
Le patronage, le financement et la logistique des rencontres ont été fournis par l’Université Paul Cézanne d’Aix-Marseille, par le Peres Center for Peace, DATA Studies and Consultation, un centre d’études de Bethléem. Le groupe est administré par un comité directeur dirigé par Benhayoun, Arnon, Bamya, le Dr. Ron Pundak (directeur du Peres Center) et le Dr. Samir Hazbun (de DATA Studies and Consultation).
Parmi les autres partenaires : l’Union européenne, des donateurs français, la Banque Mondiale, le ministère français des Affaires étrangères, International Development Research Center (Canada), le Conseil Général des Bouches-du-Rhône et le Conseil Régional de Provence-Alpes-Côte d’Azur.
Au nombre des institutions israéliennes dont des représentants ont pris part aux débats qui ont préparé la mise au point du document figurent les ministres des Affaires étrangères, des Finances, du Commerce et de l’Industrie, le National Insurance Institute [la Sécu israélienne, ndt] et la Banque d’Israël.
Les Palestiniens avaient envoyé des représentants de leurs ministères des Finances, Affaires économiques et Planification, ainsi que le groupe logistique de l’équipe des négociateurs.
Les observateurs n’ont pas pris part à la formulation des accords. Le groupe comprend par ailleurs des observateurs de l’Union européenne et les représentants de la Banque mondiale et du Fonds Monétaire International dans les territoires [palestiniens occupés].
Au cours de leurs travaux, les membres du groupe ont rencontré des décideurs des deux parties, y compris Ehud Olmert en sa qualité de ministre de l’Industrie et du Commerce, Meir Sheetrit, en charge du ministère des Finances, le gouverneur de la Banque nationale d’Israël et les hauts fonctionnaires du Conseil National de Sécurité.
La semaine passée, le groupe a rencontré le chef de l’équipe des négociateurs palestiniens, Abu Ala, ainsi, séparément, que les conseillers personnels d’Olmert, Shalom Turgeman et Manuel Trachtenberg et qu’une équipe du ministère des Affaires étrangères dirigée par son directeur général, Aharon Abramovitch.
Auparavant, une série de rencontres avait eu lieu à Washington, en présence de représentants du Département d’Etat, du National Security Council, du Congrès et du Trésor, de la Banque Mondiale et du Fonds Monétaire International.
(1) "Economic Dimensions of a Two-State Agreement Between Israël and Palestine" - Novembre 2007 (253p.) - en anglais, format PDF.
Source : Haaretz
Traduction : Marcel Charbonnier
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