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Gaza - 29 août 2005
Par Jennifer Loewenstein
Jennifer Loewenstein sera chercheur invité au Refugee Studies Center de l’Université d’Oxford à partir de cet automne. On peut la contacter à l’adresse suivante : amadea311@earthlink.net
Dans la bande de Gaza, une vaste fumisterie est donnée en pâture aux médias du monde entier. Il s’agit de l’évacuation mise en scène de 8 000 colons juifs des maisons de leurs colonies illégales – une évacuation soigneusement planifiée afin de créer une diversion à l’annexion de la Cisjordanie par Israël, sponsorisée par les Etats-Unis, et de la bantoustanisation des Palestiniens.
Israël n’a jamais eu la moindre raison d’envoyer l’armée afin de déplacer ces colons.
Toute l’opération aurait pu être menée à bien sans ce mélodrame nécessité seulement par une frénésie médiatique : il aurait suffi de donner aux colons une date butoir, à laquelle l’armée israélienne se serait tout simplement retirée de l’intérieur de la bande de Gaza.
Une semaine avant une telle date, tous les colons auraient évacué sans bruit, sans caméras télé, sans filles en larmes, sans soldats anxieux, sans commentateurs posant des questions fermées quant à l’impossibilité "pour des juifs de chasser d’autres juifs de chez eux" et sans plus de traumatisme au sujet de leur terribles souffrances, eux, ces victimes du monde, qui doivent, n’est-ce pas, à ce titre, être aidées à chasser les Palestiniens de la Cisjordanie !
Les colons partis de Gaza se réinstalleront ailleurs en Israël, et dans certains cas, dans d’autres colonies tout aussi illégales en Cisjordanie – tout en étant très généreusement dédommagés pour les inconvénients subis. De fait, chaque famille juive quittant la bande de Gaza recevra entre 140 000 et 400 000 dollars [un peu moins en Euros, ndt] simplement en dédommagement du coût des maisons qu’ils laissent derrière eux. Mais ces détails sont rarement mentionnés dans le tsunami des reportages sur la "grande confrontation" et sur le "moment historique" dont nous gratifie Sharon et la culture colon, prédatrice et meurtrière, qu’il a contribué à créer.
A l’émission Nightline, sur la chaîne ABC, un reporter a interviewé une jeune Israélienne sympathique, de la plus grande colonie de Gaza, Neve Dekalim – une fille à la voix sonnant sincère, qui retenait ses larmes. Elle ne voit pas dans les soldats des ennemis, dit-elle, et elle ne veut pas de violence. Elle partira, même si cela lui cause beaucoup de peine. Elle a parlé d’un arbre, qu’elle a planté devant sa maison, avec son frère, à l’âge de trois ans ; elle a parlé de son enfance, dans cette maison qu’ils s’apprêtent désormais à abandonner, des souvenirs, et du fait qu’elle savait qu’elle ne pourrait jamais revenir ; que même si elle revenait, tout ce qu’elle a connu aurait disparu. La caméra se déplaça, ensuite, sur ses parents âgés, assis, sombres, au milieu du déménagement empaqueté, contemplant le spectacle, l’air absent et résigné. Sa mère était maîtresse d’école maternelle, nous a-t-on expliqué. Elle savait pratiquement tout sur les enfants qui avaient grandi là , au bord de la mer.
Durant les cinq années de répression féroce par Israël de l’insurrection palestinienne contre l’occupation, je n’ai jamais vu, ni entendu, une séquence aussi longue, aussi remplie de détails émouvants et humains qu’en cette occasion ; je ne me souviens pas avoir jamais vu un reporter permettre à une jeune femme palestinienne sympathique, dont la maison venait d’être bulldozérisée et qui venait de tout perdre, de raconter sa peine et son chagrin, ses souvenirs et ceux de sa famille ; je n’ai jamais entendu cette jeune femme réfléchir à où elle pourrait bien aller désormais, et de quoi elle allait vivre.
Et pourtant, rien qu’Ã Gaza, ce sont plus de 23 000 personnes qui ont perdu leur maison, Ã cause des bulldozers et des bombardements israéliens, depuis septembre 2000 – bien souvent sans préavis, au motif que ces personnes "menaçaient la sécurité d’Israël".
L’écrasante majorité des maisons détruites se trouvaient trop près d’un avant-poste de l’armée israélienne, ou d’une colonie illégale, pour être autorisée à rester debout. Les victimes n’ont reçu aucun dédommagement pour les pertes subies, et elles n’avaient pas, elles, d’endroit qui les attendait, pour s’y réinstaller. La plupart ont fini dans des camps de toile de l’UNRWA jusqu’à ce qu’elles trouvent un autre abri dans la bande de Gaza surpeuplée, une région dont un quart des meilleures terres étaient accaparées par un pour cent de la population, juive, qui occupait les terres à leurs dépends.
Où étaient les cameramen, en mai 2004, à Rafah, quand des réfugiés perdirent deux fois de suite leur maison au cours d’un simple raid nocturne, ne retrouvant absolument rien de ce qui étaient à eux ?
Où étaient-ils quand des bulldozers et des tanks ont labouré des rues pavées avec leurs lames d’acier, ravageant les égouts et les canalisations d’eau potable, coupant les lignes électriques et démolissant un parc public et un zoo ?
Où étaient-ils quand des snipers ont abattu deux enfants, frère et sœur, qui donnaient à manger aux pigeons sur la terrasse de leur maison ?
Où étaient-ils quand l’armée d’occupation a tiré un missile sur un groupe de manifestants pacifiques, tuant quatorze d’entre eux, dont deux enfants ? se planquaient-ils, toutes ces cinq dernières années, quand la chaleur estivale de Rafah rend la température si insupportable que la seule chose qu’on puisse faire, c’est rester assis sans bouger sous son toit de têle ondulée – parce qu’il vous est interdit, homme ou femme que vous soyez, d’aller à la mer, à dix minutes, à pied, du centre ville ?
Ou alors, si les habitants de Gaza s’aventuraient dans des espaces plus ouverts, ils devenaient immédiatement des cibles humaines ambulantes ?
Et quand leurs citoyens résistaient, où étaient les accolades et les médias admiratifs, commentant le "cran", la "volonté" et l’"audace" de ces "jeunes gens" [comme ils disent, en parlant d’Israéliens, uniquement] ?
Le mardi 16 août, le quotidien israélien Haaretz a écrit que plus de 900 journalistes venus d’Israël et du monde entier assuraient la couverture des événements dans la bande de Gaza, et que des centaines d’autres se trouvaient dans les villes israéliennes pour couvrir les réactions locales. Y a-t-il jamais eu autant de journalistes, quelque part, au cours des cinq années écoulées, pour assurer la couverture de l’Intifada palestinienne ?
Où étaient ces 900 journalistes internationaux, en avril 2002, après que le camp de réfugiés de Jénine eut été complètement dévasté en une semaine, dans un show de pure hubris et sadisme israéliens ?
Où étaient les 900 journalistes internationaux, Ã l’automne dernier, quand le camp de réfugiés de Jabalya, dans la bande de Gaza, a été assiégé par l’armée israélienne, plus de cent civils étant tués ?
Où étaient-ils, ces cinq années, quand la totalité de l’infrastructure de la bande de Gaza était systématiquement détruite ?
Lequel de ces journalistes ont écrit que tous les crimes de l’occupation israélienne, depuis les démolitions de maisons, les assassinats ciblés et les blocus hermétiques jusqu’Ã l’assassinat de civils et la destruction délibérée de biens commerciaux et publics ont augmenté de manière significative, Ã Gaza, après que Sharon ait annoncé son "Plan de 'Désengagement'", cette "grande avancée vers la paix" ?
Où sont les centaines de journalistes qui devraient être en train de couvrir les nombreuses manifestations de protestation non violente de Palestiniens et d’Israéliens opposés au mur d’apartheid – des manifestants non-violents néanmoins humiliés et tabassés par les forces israéliennes ?
Où sont les centaines de journalistes qui devraient parler de l’encerclement économique et géographique de Jérusalem Est, ville palestinienne, et de la double coupure de la Cisjordanie , accompagnée de la subdivision de chacun des trois cantons ainsi créés en des dizaines de mini-prisons isolées ?
Pourquoi ne sommes-nous pas soumis à un feu de barrage de reportages scandalisés sur les routes de contournement réservées aux seuls juifs ?
Sur les checkpoints internes, par centaines, qui n’ont absolument aucune justification ? Sur les tentatives d’exécutions sans procès, et les centaines de mutilations ? Sur la torture et les mauvais traitements infligés aux Palestiniens dans les geêles israéliennes ?
Où étaient ces centaines de journalistes, quand chacun des 680 enfants palestiniens tués par l’armée israélienne au cours des cinq années écoulées était porté à sa dernière demeure par leur famille brisée de douleur ? C’est une honte que les mots ne suffisent pas à exprimer.
Et voici qu’en lieu et place, reportage après reportage, on nous annonce « la fin de trente-huit années d’occupation » de la bande de Gaza, un « tournant pour la paix », et la grande nouvelle qu’ « il est désormais illégal, pour des Israéliens, d’habiter à Gaza ». Est-ce une plaisanterie ?
Oui, il est « illégal, pour les Israéliens, de vivre dans la bande de Gaza » en tant que colons provenant d’un autre pays. Mais cela fait trente-huit ans, que c’est illégal (si des Israéliens veulent aller s’installer à Gaza pour y vivre en égaux avec les Palestiniens, et non en citoyens israéliens, personne ne les en empêchera).
Le plan de « désengagement » unilatéral de Sharon ne met pas fin à l’occupation de Gaza. Les Israéliens, en effet, sont loin de desserrer leur contrêle sur la bande de Gaza.
Ils conservent le contrêle de l’espace aérien et des eaux territoriales, ainsi que celui du corridor Philadelphie, tout au long de la frontière entre la bande de Gaza et l’Egypte, où les Egyptiens pourront patrouiller sous supervision israélienne, en respectant les consignes les plus strictes du gouvernement israélien.
Les un million quatre cent mille habitants de la bande de Gaza restent prisonniers d’un énorme pénitencier, en dépit de ce que leurs dirigeants liges essaient de donner à accroire. L’armée israélienne se contente de se redéployer à l’extérieur de la bande de Gaza, laquelle est cernée de barrières électrifiées et / ou bétonnées, de miradors, de gardes armés et de détecteurs de mouvement, et elle conservera le pouvoir d’envahir Gaza en un clin d’œil.
Huit mille ouvriers palestiniens travaillant en Israël pour des salaires de misère se verront très bientêt interdire de retourner à leur travail. 3 200 Palestiniens supplémentaires qui travaillaient dans les colonies pour un salaire moins que minimum ont été remerciés sommairement sans avoir recours à indemnités de licenciement ni à de quelconques compensations. D’autres encore vont perdre leur gagne-pain quand les Israéliens déménageront la zone industrielle de Gaza d’Erez à on ne sait où dans le désert du Néguev.
En décembre 2004, la Banque mondiale faisait savoir que la pauvreté et le chêmage ne pourraient qu’augmenter, à la suite du « désengagement », même dans la meilleure des conjonctures, parce qu’Israël conservera le contrêle total des mouvements de marchandises entrant à et sortant de Gaza, maintiendra une séparation forcé entre la Cisjordanie et la bande de Gaza, empêchant les habitants de chacune des deux régions d’aller les uns chez les autres, et déterminera des accords douaniers avec chacune des deux zones, étouffant leurs économies déjà dévastées – et néanmoins, nous sommes contraints à entendre, jour après jour, des nouvelles au sujet de cette initiative de paix historique, de ce grand tournant dans la carrière d’Ariel Sharon, ainsi que ces histoires de traumatisme national pour nos frères et nos sœurs qui ont eu à faire appliquer des ordres douloureux venus de leur dirigeant avisé et harcelé.
Que faudra-t-il pour faire connaître la vérité aux gens ?
A la jeune femme de Neve Dekalim, qui peut s’exprimer sans un battement de sourcil marquant son embarras ou sa honte ?
Alors que les caméras zooment sur des colons en colère se confrontant de manière poignante avec leurs "frères et sœurs" de l’armée israélienne, qui se préoccupera de leurs autres frères et sœurs, Ã Gaza ?
Quand l’histoire palestinienne de 1948 et 1967, et de chaque jour qui passe sous la violence de la dépossession et de la déshumanisation, fera-t-elle l’objet d’un gros titre, dans nos journaux ?
Cela me rappelle une interview que j’ai effectuée, cet été, à Beyrouth, avec Hussein Nabulsi, du Hizbullah, une organisation qui n’a rien à voir avec le mouvement de libération nationale palestinienne, absolument rien à voir, mais qui se considère l’allié de ceux qu’il considère comme les véritables victimes des politiques et des mensonges israéliens. Je me souviens de ses yeux fermés et de ses poings serrés lorsqu’il demanda combien de temps encore les Arabes et les musulmans seraient-ils censés accepter les accusations d’être – eux – des terroristes et des agresseurs ?
"Oui, ça fait mal", me dit-il, dans une passion chuchotée.
"Oui, ça fait terriblement mal, de voir toute cette injustice, jour après jour."
Et il se mit à m’expliquer pour quelle raison "les Américains et les Israéliens, en dépit de leurs arsenaux militaires monstrueux, ne seront jamais victorieux."
Source : http://counterpunch.com/
Traduction : Marcel Charbonnier
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