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ISM France - Archives 2001-2021

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Naplouse -

Pitié pour nos enfants

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Le premier fils a été tué sur le toit, sous les yeux de sa mère: il avait 15 ans. Des tirs de l'armée israélienne sur son cortège funèbre ont tué son cousin, âgé de 18 ans. Une semaine plus tard, le deuxième fils, âgé de 17 ans, est parti se faire sauter devant les soldats, suscitant la colère de ses parents contre le Jihad Islamique. Naplouse en eaux calmes.

Elle était assise à la fenêtre et regardait son fils assis sur le toit de la maison voisine et occupé à bavarder avec son frère et ses amis. Un rideau qui s'écarte: voilà le toit; coup d'œil au-delà du grillage de la fenêtre.

À l'école, au même moment, son dernier examen du semestre allait avoir lieu - instruction civique - mais son fils n'était pas parvenu à rejoindre l'école. Par deux fois il a quitté la maison ce matin-là et par deux fois il est revenu à cause des soldats qui encerclaient l'école. Alors il est allé s'asseoir sur le toit, attendant de voir.


Elle était assise à la fenêtre et regardait son fils. Tout à coup, elle l'a vu tomber sur le côté. Une seule balle l'avait touché au ventre, sous ses yeux épouvantés. Amjad avait 15 ans.


Mais cela n'était pas assez. Le lendemain, la mort a frappé le deuxième, Mohamed, 18 ans, frappé d'une balle au cours du cortège funèbre de Amjad.


Mais cela non plus n'était pas assez. Une semaine plus tard, la mort frappait une troisième fois. Iyad, son fils aîné, âgé de 17 ans, s'est fait sauter devant les soldats. Si bien qu'Abir al-Masri, 34 ans, a perdu deux fils et un neveu la même semaine. La mère des garçons garde une expression glacée. Elle ne pleure pas, n'élève pas la voix. Une attitude européenne de réserve au cœur de Naplouse.


êtue de façon soignée, en noir, avec un châle gris, pas un muscle ne bouge dans son visage, même lorsqu'elle évoque comment un de ses fils a été assassiné et comment l'autre s'est fait exploser. Elle avait quatre fils, il ne lui en reste que deux, ainsi qu'une fille. Ils habitent dans une maison à appartements au centre de la ville, derrière les étals de choux-fleurs, un appartement au deuxième étage, typique de la petite bourgeoisie, canapés de velours, tapis, et porcelaines dans une vitrine. Amjad était élève en classe de 10e à l'école Amr bin al-Aas, dans la ville.

Le jour de sa mort, le 3 janvier, il s'était levé tôt pour l'examen d'éducation civique. Il s'agissait de la deuxième période fixée pour cet examen: à la première, Amjad n'avait pas pu se présenter: c'étaient les jours des «Eaux calmes», la dernière incursion de l'armée israélienne dans la ville, et les soldats sont entrés dans la maison et ont enfermé tous les habitants de l'immeuble, une cinquantaine de personnes, dans un seul et même appartement. Les chances d'arriver à la première période de l'examen se sont évanouies.

La direction de l'école a fait savoir que ceux qui n'avaient pas pu se présenter à l'examen la première fois, parce qu'ils avaient été enfermés par les soldats, pourraient passer l'épreuve le 3 janvier. Ce jour-là, l'armée israélienne était dans la Vieille ville de Naplouse, mais ici, au centre de la ville, ça semblait calme.

Amjad est sorti à huit heures. Un peu avant d'arriver à l'école, il a aperçu nos troupes. Il est retourné sur ses pas pour rentrer chez lui. Impatient, il a essayé de s'y rendre une deuxième fois après une petite heure et il est de nouveau revenu. L'armée israélienne était sur le terrain: pas d'examen. Il est monté sur le toit de la maison voisine, une maison à appartements, en pierres, comme la sienne, pour mieux voir si l'armée s'en allait.


Un petit drapeau palestinien flotte maintenant sur le toit de la maison voisine, à l'endroit précis où Amjad attendait de pouvoir aller à l'école, et deux plants de palmier ont été plantés dans sa cour, petit mémorial. Il était environ neuf heures moins le quart du matin. Il était assis là avec son frère Iyad et deux amis. Abir lui avait préparé, entre-temps, un petit déjeuner, pour qu'il mange quelque chose.


Elle a encore jeté un coup d'œil vers le toit et tout à coup, elle l'a vu tomber sur le côté. C'est une maison privée et son toit est éloigné de la grande place où, apparemment, se trouvaient les soldats.

Abir dit qu'elle a vu les enfants bavarder. Le porte-parole de l'armée israélienne a une autre version: «Amjad a été tué alors qu'il lançait des pierres depuis le toit de l'immeuble en direction des troupes de l'armée israélienne, au cours d'une atteinte à l'ordre public à laquelle il était mêlé. Les troupes étaient alors engagées dans une opération à cause d'alertes concernant l'intention d'organisations terroristes d'envoyer cinq terroristes pour des attentats-suicides au cœur d'Israël.

Au cours de l'opération, quatre terroristes-suicidaires ont été appréhendés ainsi que des dizaines de personnes recherchées. Au cours de cette action, se sont produites de nombreuses tentatives pour porter atteinte aux forces de l'armée israélienne par jets de cocktails Molotov, jets de blocs du haut de toits et même par des tirs et des jets de charges explosives.»


Abir a encore eu le temps de crier en direction de son fils: «Qu'est-ce qui t'arrive?» et lui-même a encore eu le temps de lui répondre: «Rien», avant de tomber juste à l'endroit où flotte maintenant leur drapeau national. Elle n'a vu aucune pierre ni aucune bouteille. Une voisine a appelé une ambulance, la mère s'est dépêchée de rejoindre son fils: il était couché sur le toit, inconscient.

Elle n'a pas vu de sang. Iyad les a accompagnés dans l'ambulance. Près du bâtiment de la municipalité, l'ambulance a été retenue par les soldats puis elle est arrivée, après un certain temps, à l'hôpital. Amjad a été enterré le jour même. Le même jour, Naplouse enterrait encore deux de ses enfants. Une ville en eaux calmes.

Abir n'a pas assisté aux obsèques de son fils, mais Fatma al-Masri, sa belle-sœur, s'y est rendue. La tante Fatma raconte qu'Amjad voulait devenir pharmacien: cela faisait longtemps qu'il passait des heures dans sa pharmacie, aidant à faire tourner l'affaire. Son père, Bilal, entre dans la pièce, enveloppé de silence. Comptable, il est sans emploi depuis déjà un an et demi, vivant à l'ombre de sa famille. Iyad était l'espoir de la famille et aussi une petite source de revenu, par le salaire qu'il recevait pour son travail à la pharmacie. Le regard d'Abir se perd au niveau du carrelage. Elle ne pleurera pas, et sûrement pas en présence d'étrangers.


Pendant le cortège funèbre, dit Fatma, des tirs ont tout à coup commencé en direction de ceux qui portaient le brancard du jeune mort. Fatma était là et elle a vu. Elle dit que c'est la première fois dans l'histoire de la ville que cela arrivait: des coups de feu en direction d'un cortège funèbre. Comme en Bosnie. L'un des porteurs du brancard était Mohamed al-Masri, 18 ans, le cousin d'Amjad. Fatma, qui était aussi la tante de Mohamed, raconte qu'une des balles a manqué de peu la tête d'Iyad et a touché son cousin Mohamed. Lui aussi, qui portait le brancard du mort, est tombé mort.


Le porte-parole de l'armée israélienne: «Également au moment des funérailles de Amjad, de violents troubles de l'ordre ont commencé. Sur le parcours du cortège, des cocktails Molotov et des pierres ont été lancés en direction de soldats de l'armée israélienne. Mohamed, le cousin de Amjad, a pris part à ces troubles, il a lancé des cocktails Molotov vers les soldats et les a mis en danger. La troupe a tiré dans sa direction et dans la direction d'un autre terroriste qui était armé d'un pistolet.» Et pourquoi les forces israéliennes doivent-elles être à proximité du cortège funèbre? Pour veiller à l'ordre, est-il dit, pour qu'il n'y ait pas de troubles.


«Je n'oublierai jamais cette vision», dit la tante, une femme de grande stature, «même mes vêtements s'étaient couverts de sang». La mère a vu son fils se faire tuer et la tante a vu son neveu se faire tuer le lendemain, son sang giclant sur elle, et maintenant elles racontent tout cela froidement. Mohamed a été enterré à côté de Amjad, le lendemain. Voilà l'affiche commémorative commune aux deux cousins, Amjad et Mohamed.


Iyad, qui était sur le toit avec son frère Amjad et qui l'avait accompagné dans l'ambulance et qui avait failli être tué à l'enterrement, au moment où son cousin, Mohamed, était tué à ses côtés, est apparemment retourné à la routine de sa vie. Sa mère dit, en commençant, qu'elle n'a perçu aucun signe particulier de détresse ni n'a entendu chez lui de paroles de vengeance. Pourtant, il y avait quelque chose, reconnaît-elle finalement, qui mérite d'être mentionné.

Au terme des quatre jours de deuil pour la mort de son frère, il a demandé à sa mère de ne pas trop vite mettre fin au deuil. Les jours qui ont suivi, il n'a presque pas quitté la maison, enfermé dans sa chambre. Il a aussi commencé à fumer, ce qu'il n'avait jamais fait. Sa tante Fatma lui a dit que son rôle était maintenant de veiller sur sa mère et de s'occuper d'elle.


Le dimanche 11 janvier, tout juste une semaine après l'enterrement, Iyad est sorti de la maison. Il a dit à ses parents qu'il allait au travail. Il travaillait occasionnellement dans la construction. Abir n'a plus rien su de lui. L'après-midi, la chaîne de télévision du Hezbollah, Al Manar, a diffusé une information concernant un jeune homme qui s'était fait sauter devant des soldats en terrain découvert, à la sortie du village de Jinsafout.

Ce jour-là, nous étions à A'zoun, tout proche, et nous avons vu les soldats en terrain découvert, debout autour du corps. Les policiers nous ont empêchés d'approcher. Dans la maison familiale, on n'avait pas encore allumé la télévision à cause du deuil pour la mort d'Amjad: ils n'ont donc pas appris la nouvelle. Ce n'est que le soir qu'ils ont su. «Iyad n'a pas tenu compte de sa mère», dit maintenant la tante Fatma, furieuse. «Il aimait la vie, il n'aimait pas la mort», s'obstine la mère, ne comprenant pas son fils.


Où allait-il? Que préméditait-il? Pourquoi s'est-il fait sauter en terrain découvert? S'est-il égaré en voulant se rendre au barrage de Qalandiya, loin de là, et inquiété en voyant les soldats du barrage qui assiège Jinsafout puis fait sauter loin d'eux, comme il s'est publié sur base des propos des villageois? Le porte-parole de l'armée israélienne: «Iyad al-Masri, frère d'Amjad, s'est fait sauter à proximité du village de Jinsafout, près de Kedoumim. Il était en route pour perpétrer un attentat-suicide au centre du pays.»

La famille n'a reçu aucune information sur ce qui s'est passé. Le lendemain, Ha'aretz publiait une information selon laquelle le père de famille, Bilal, avait exprimé de la colère contre le Jihad Islamique qui avait recruté son fils.

Le journal citait ces propos du père: «Nous sommes une famille patriote qui a apporté sa part à l'Intifada, mais le groupe qui a recruté Iyad l'a envoyé sans penser qu'ils sacrifiaient sa vie pour rien.» Dans le communiqué de la famille qui s'est tournée, d'après cette information, vers l'Autorité Palestinienne pour qu'elle enquête sur les circonstances du recrutement d'Iyad, il est dit également que «la famille condamne l'exploitation de l'état psychique d'un jeune homme suite à l'assassinat de sang froid de son frère.

Le jeune homme a été envoyé pour une action sans but, dont la conséquence était prévisible. Il a été envoyé avec une ceinture d'explosifs sans que ceux qui l'envoyaient se soient préoccupés de ses chances de réussite alors qu'ils connaissaient les mesures de sécurité prises par l'armée.»

Face à ces citations de ses propos, Bilal, embarrassé, s'agite. «Ils ont déformé mes paroles», dit-il, hésitant. Il s'est seulement adressé à l'Autorité Palestinienne avec la demande que celle-ci se tourne vers le Jihad Islamique pour obtenir des informations sur ce qui est arrivé à Iyad. Ensuite il consent à en dire davantage: «L'envoi de mon fils était une grosse erreur. Nous voulons vivre et ceux qui ont une conscience combattront l'occupation, chacun à sa manière.»

Et si Iyad vous avait demandé?

«Aucun père au monde n'aurait été d'accord.»

Vous êtes en colère contre le Jihad?

«Nous sommes des gens croyants. C'est quelque chose qui est arrivé et voilà. Les conditions et le moment n'étaient pas justifiés.»

Qu'est-ce qui est arrivé, selon vous, à Iyad?

«S'il pensait aller à ces organisations-là, c'était seulement pour venger la mort de son frère, celle de son cousin et aussi celle de son ami Raad Khaled, qui a lui aussi été tué.»

Bilal voudrait au moins le corps de son fils. L'armée israélienne ne le lui rend pas. Le porte-parole de l'armée israélienne: «Le corps de tous les terroristes palestiniens sont rendus aux familles pour l'enterrement. Dans les cas où la décision est prise de ne pas rendre le corps d'un terroriste à sa famille, c'est sur base de considérations sécuritaires et en tenant compte de l'ensemble des circonstances se rapportant à l'affaire.»

Iyad n'a pas laissé d'explication. Pas de lettre ni de cassette vidéo. Curieusement, il n'y a pas dans les rues de la ville d'affiches perpétuant sa mémoire, ni du Jihad ni d'aucune autre organisation.

«Nous n'avons rien vu d'autre de la part des occupants que destructions et tueries», dit la mère. «Nous sommes en cage comme des poules, et chaque jour on sort une poule pour l'abattre», dit la tante.

«Quelle autre occupation dans le monde fait entrer des chars dans des cours d'écoles?

Chez nous, les chars sont entrés dans la cour de l'école fondamentale islamique.» Le fils cadet, Islam, 11 ans, lance un regard surpris comme s'il ne comprenait pas pourquoi ce tumulte. Qu'est-il arrivé à son frère Amjad ?
«Nous étions assis pour le petit déjeuner», dit-il, «je l'ai appelé pour qu'il nous rejoigne et il a dit qu'il arrivait et alors ils ont tiré sur lui, dans le ventre et ils l'ont eu.» Et qu'est-ce qui est arrivé à Iyad? «Il est tombé mort», dit-il.

Leur petite sœur, Alaa, a vu son frère se faire tuer sur le toit. «Des enfants d'un an ou de deux ans savent chez nous qu'il y a la mort, les assassinats et les tirs. Chacun d'entre nous s'attend à tomber mort à chaque instant», dit Fatma, «Pitié pour nos enfants. De même que vous aimez vos enfants, nous aimons les nôtres.» «Faites pression sur vos fils pour qu'ils arrêtent la tuerie», dit Abir aux mères en Israël. «Des mères autorisent leurs enfants de tuer puis viennent se plaindre des attentats-suicides. Tant que leurs fils continuent à tuer nos enfants, elles ne doivent pas s'attendre à ce que, de notre côté, nous arrêtions de tuer.»

En bas, dans la rue froide, des enfants jouaient, pieds nus, avec des restes de choux-fleurs en guise de ballons de foot. L'obscurité du soir est tombée sur la rue poussiéreuse au centre de Naplouse.

Voici la photo d'Amjad, les yeux en amandes, un pull rose, des jardins de châteaux européens comme arrière-plan. Iyad s'est fait sauter une semaine après que son frère a été tué et deux jours avant son anniversaire. Trois jours avant de partir pour sa mission de mort, il est encore allé se faire photographier dans un studio de la ville avec, en arrière-plan, un lac bleu avec des cygnes blancs et des pelouses.

Source : www.haaretz.com/

Traduction : Michel Ghys

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