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Palestine - 26 janvier 2010
Par Reham Alhelsi
Reham Alhelsi est palestinienne, originaire de Jérusalem. Elle a beaucoup travaillé dans une Compagnie palestinienne de communication et, depuis 2000, date à laquelle elle a déménagé en Allemagne, elle travaille dans différentes radios et télévisions (Deutsche Welle, SWR et WDR). Elle prépare actuellement une thèse sur la Planification régionale, centrée sur l’aménagement du territoire palestinien et le gouvernement local.
Un jour d’été, il y a de nombreuses années, je jouais avec mes frères et sœurs et mes cousins dans le minuscule jardin de ma grand-mère. Quelquefois, lorsque nous en avions assez de jouer là, nous allions dans le cellier à proximité. Cette maison, qui avait été construite il y a longtemps, certainement pour en faire un futur appartement pour un de mes oncles, était, dans sa structure, très semblable aux pièces de l’UNRWA dans lesquelles mes grands-parents, la famille de ma tante et beaucoup d’autres vivaient, dans le camp de réfugiés de Dheisheh. A l’origine, elle se composait de deux très grandes pièces au plafond bas, et deux petites fenêtres qui ne laissaient entrer que peu de lumière. Le mur entre les deux pièces avait été démoli, transformant le petit « appartement » en une grande pièce. Mes grands-parents avaient agrandi leurs pièces UNRWA d’origine et se servait de celle-ci comme d’un débarras. Il était plein de toutes sortes de choses, de boîtes en bois et de vieilles chaises.
"Des racines ne peuvent vivre sans terre, Alors que ma terre soit résurrection ! "
Lorsque nous y jouions, nous essayions de rester dans la partie avant de la pièce, proche de la porte et des fenêtres, et nous évitions d’aller dans le fond, qui était sombre et tellement encombré qu’il n’y avait pratiquement pas de place pour bouger. Je ne pense pas qu’aucun d’entre nous, enfants, ayons osé y regarder de plus près, parce que c’était plein de toiles d’araignées et de lézards ; il était clair que les boites n’avaient pas été déplacées depuis des siècles et on voyait des bestioles ramper tout autour. Mais quelquefois, la curiosité prenait le dessus et l’un d’entre nous rassemblait son courage et marchait à travers les toiles d’araignées et les lézards pour explorer ce que cachait cet El Dorado. Souvent, il n’y avait rien d’intéressant : quelques vieux pots et casseroles, de vieux tapis, rien de vraiment intéressant.
Mais ce jour d’été là, défier les araignées et les lézards a payé : dans un coin, tout au fond de la pièce, il y avait un énorme four en métal. Il était très rouillé et cela seul le rendait extrêmement repoussant. Plusieurs vieilles boites étaient empilées à côté. Ma grand-mère avait l’habitude de cuire du pain pour nous à jour passé, et pour le petit déjeuner, elle nous faisait du Zaatar et du pain à l’huile d’olive. Accompagné de thé chaud, c’est et cela restera pour moi le meilleur des petits déjeuners. Pour cuire le pain, ma grand-mère se servait d’un four électrique et bien qu’elle ait toujours dit combien elle aimait le pain cuit au bois, elle n’utilisait pas le four du débarras.
De toute façon, la porte du four était bloquée par les nombreuses boites. Aussi, j’ai attendu que les autres soient occupés à jouer dehors et j’ai commencé à enlever les lourdes boites jusqu’à ce que je puisse ouvrir la porte du four. A l’intérieur, à ma surprise, il y avait des piles et des piles de livres, de magazines et de journaux. Je les ai rapidement parcourus et il ne m’a pas fallu longtemps pour réaliser qu’ils étaient empilés là pour une raison : j’ai réalisé que je tenais du « matériel illégal », comme le définit l’autorité d’occupation israélienne. Cet été là, j’ai saisi toutes les occasions pour me glisser dans le cellier et lire ce « matériel illégal ». Et je l’ai adoré, j’ai adoré chaque mot que je lisais, et si je n’avais pas craint d’être pris avec lui sur le chemin, j’aurais emballé la totalité du bazar et je l’aurais emmené chez moi à Sawahreh.
Ce n’est rien d’extraordinaire en Palestine occupée. Presque chaque maison a une cachette pour divers livres, magazines et journaux. Nous en avions une nous aussi, pleine à craquer de nos livres préférés qui étaient interdits par Israël. D’année en année, la pile grossissait et il nous fallait trouver une autre cachette. Et quand l’armée israélienne faisait un raid sur notre maison à la poursuite d’activistes recherchés, nous devions enterrer certains livres et en bruler d’autres. Le « matériel illégal » devait disparaître.
Ce “matériel illégal” est une menace pour l’existence de l’entité sioniste. Il fait partie de l’arme palestinienne ultime, contre laquelle Israël, avec toute sa puissance militaire, n’a aucune chance. Cette arme est l’identité nationale palestinienne. L’un des mythes sur lesquels l’entité sioniste est bâtie est que la Palestine était « une terre sans peuple pour un peuple sans terre » et qu’il n’y a jamais eu de peuple palestinien. Quand ils veulent se montrer « humains », les sionistes font preuve d’un peu de « générosité » et admettent que « quelques Arabes » ont bien vécu en Palestine, mais seulement « quelques Arabes ». Il est donc essentiel que le mot Palestine et tous ses dérivés deviennent illégaux : il n’y a pas de Palestine et il n’y a pas de peuple palestinien. Et pour effacer l’existence d’une nation, il leur fallait effacer ce qui la définit et ce qui fait une nation. Ce fut facile de mentir et d’affirmer que ces « quelques Arabes » qui vivaient en Palestine venaient de pays arabes voisins et que c’est là qu’ils devaient repartir. Mais lorsque ces « quelques Arabes » ont une identité et une culture distinctes, ce n’est pas aussi aisé de convaincre les autres d’un mensonge. Ainsi, supprimer le sentiment national palestinien et l’identité de la Palestine devait devenir une priorité, et pour créer une identité nationale sioniste et garantir sa survie, il fallait nier aux Palestiniens leur identité nationale et toute expression de celle-ci.
Immédiatement après la guerre de 1967, l’autorité d’occupation israélienne a commencé à poursuivre une politique visant à saper le concept d’un peuple palestinien et d’une identité palestinienne. Une censure très stricte a été imposée sur la vie de chaque Palestinien et toute forme d’expression de la culture palestinienne fut interdite. Le matériel imprimé fut censuré et requérait l’approbation de l’armée israélienne avant publication et diffusion. Les logements et les librairies ont été mis à sac et des bibliothèques entières ont été confisquées. A voir la réaction de l’occupation israélienne vis-à-vis des livres, on pourrait penser que ces livres contenaient des instructions sur la manière de fabriquer un cocktail Molotov ou comment construire un réacteur nucléaire, alors qu’en fait, la plupart d’entre eux, comme ceux du cellier de mes grands-parents, étaient de nature littéraire : des romans et des poèmes.
Le « matériel illégal » n’était pas seulement palestinien, mais il était en grande partie écrit par des Palestiniens. L’interdiction ne s’est pas arrêtée aux magazines, aux journaux et à la littérature ; de nombreux livres d’histoire et de géographie ont eux aussi été déclarés « illégaux ». Par la censure, le but de l’entité sioniste était de contrôler ce qu’un Palestinien était autorisé ou non à lire, en partant de sa petite enfance et tout au long de sa vie. Etant en charge de l’éducation dans les « Territoires occupés », l’armée israélienne censurait l’enseignement scolaire et universitaire. Sur la couverture de nos livres de classe, était écrit : « L’administration civile de Judée et Samarie » - elle n’a rien de civil, mais l’armée israélienne a l’insolence d’affirmer qu’elle est une « autorité civile », et seule une entité-armée a l’insolence d’affirmer qu’elle est éprise de paix – et cette « administration civile », c’est-à-dire l’armée israélienne, décidait quels livres de classe étaient une menace à la sécurité de l’entité sioniste et lesquels étaient inoffensifs [voir par exemple l’Ordonnance concernant l’utilisation des livres de classe, Région de Cisjordanie , Amendement n°1, n°183 de 1967, ou l’Ordonnance concernant l’utilisation des livres de classe, Région de Cisjordanie , Amendement n°2, n°812 de 1979]. Beaucoup de livres ont été interdits dans toutes les institutions scolaires, y compris dans les maternelles et les centres d’enseignement privés. Quiconque enfreignait cette interdiction était condamné à 12 mois de prison ou devait payer une amende de 2.500 lires israéliennes, ou les deux. Parmi les livres de classe interdits : Grammaire arabe (parties 2 et 4), Principes de Rhétorique, Littérature élémentaire (parties 1 et 2), Textes littéraires, Histoire complète de la Littérature (parties 2 et 3), Morceaux choisis, Histoire des Arabes et des Musulmans, Histoire des Anciennes Civilisations, Histoire de l’Europe au Moyen Age et à l’époque moderne, Histoire moderne de l’Europe, Le Monde arabe, Histoire arabe moderne, Europe moderne : son développement culturel et politique, Histoire des Croisades, Histoire générale : les civilisations de l’ancien et du moyen-âge, Géographie du monde arabe, Géographie économique, Le Monde arabe en Afrique, Guide pour dessiner les cartes du Monde arabe, Géographie générale, Géographie de l’Asie arabe, Géographie de l’Afrique arabe, La Cause palestinienne, La Société arabe, La Société jordanienne, Principes de la Religion islamique (parties 3 et 4) et beaucoup d’autres [voir l’Ordonnance pour l’utilisation des livres de classe, Région de Cisjordanie , n° 107 de 1967]. Toute université souhaitant recevoir des revues scientifiques ou éducatives pour sa bibliothèque devait faire une demande d’autorisation auprès de l’autorité militaire, qui était le plus souvent refusée.
En plus de censurer les livres de classe, des milliers de livres ont été interdits. Les librairies et les kiosques à journaux devaient demander l’autorisation de l’armée israélienne avant d’importer toute publication et de la vendre, et toutes les publications non approuvées étaient considérées comme du « matériel illégal » [voir l’Ordonnance concernant l’introduction des journaux et leur diffusion, Région de Cisjordanie , Amendement n° 1, n° 110 de 1967]. La punition pour l’introduction et la diffusion de ce « matériel illégal » était de 5 années de prison ou une lourde amende de 1500 dinars jordaniens, ou les deux [voir l’Ordonnance concernant l’introduction et la diffusion de journaux, Région de Cisjordanie , n° 50 de 1967, ou l’Ordonnance concernant l’introduction et la diffusion de matériel imprimé, Amendement n° 3, Judée et Samarie, n° 862 de 1980]. Le commandement militaire israélien avait le droit d’ordonner la diffusion de certaines publications et désobéir à cet ordre valait un emprisonnement d’un an ou une amende de 1.000 lires israéliennes, ou les deux [voir l’Ordonnance concernant la vente de publications officielles, Région de Cisjordanie , n° 133 de 1967]. Non seulement les publications importées du monde extérieur étaient censurées et nécessitaient l’approbation de l’armée israélienne, mais aussi les publications locales. Divers magazines et journaux publiés à Jérusalem, Haïfa ou Nazareth étaient interdits en Cisjordanie et à Gaza. Certains étaient définitivement interdits ; d’autres étaient interdits de diffusion pendant des périodes plus ou moins longues selon le « crime » commis par le journal ou le magazine, comme par exemple avoir publié un article interdit par la censure israélienne. Les journaux et les magazines palestiniens publiés à Jérusalem étaient soumis à une censure très stricte, et même les encarts publicitaires devaient avoir l’approbation de l’armée avant d’être publiés.
En raison de cette censure et parce qu’on pouvait être arrêté pour avoir le « mauvais » livre, beaucoup étaient rares. Les gens se considéraient comme chanceux de pouvoir se procurer un de ces livres et lorsque les ouvrages étaient en sécurité à la maison, ils étaient empilés soit dans une cachette, soit enterrés quelque part. Lorsque j’allais chez mes grands-parents pendant les vacances, je me souviens qu’on ne voyait nulle part ni livres ni journaux. Mais soudain, je voyais un de mes oncles assis, un livre à la main, ou un autre avec un journal. Ceux-ci disparaissaient plus tard comme ils étaient venus, de nulle part. Aussi, inoubliables sont ces matins d’été où nous étions tous réunis pour le petit déjeuner, puis quelqu’un frappait à la porte, un de mes oncles allait voir et revenait avec un de ces journaux « illégaux ». Je crois que presque chaque famille du camp de réfugiés en avait comme nous une copie. Alors, nous nous réunissions tous autour des adultes et attendions notre tour pour lire le journal. Mais ce qu’il nous tardait de voir, c’était la caricature de Naji Al-Ali. Alors la discussion commençait avant que le journal ne disparaisse à jamais.
Mais ce n’était pas seulement les livres, les magazines et les journaux qui étaient illégaux.
Etre pris avec un tract dans votre sac ou votre poche, qui était aussi un « matériel interdit », vous valait une raclée, ou une amende ou l’emprisonnement. Les affiches aussi devaient recevoir l’approbation de l’armée israélienne et étaient considérées comme illégales si elles contenaient quoique ce soit qui évoque la « Palestine ». Vous étiez autorisés à accrocher un poster des Alpes suisses dans votre salon, mais pas la carte de la Palestine, ni l’inscription « Palestine Libre », ni même les martyrs palestiniens. Lors d’un raid militaire chez nous, le commandant nous a ordonné d’enlever un poster d’un martyr palestinien qui était accroché sur le mur de notre chambre. C’était juste le poster d’un jeune homme, sans fusil ni slogan ni rien, mais néanmoins, nous avons reçu l’ordre de l’enlever. Les affiches des martyrs sur les murs des maisons ou des magasins étaient arrachées et déchirées en mille morceaux. Les soldats israéliens donnaient l’assaut aux tentes de condoléances et enlevaient tous les drapeaux palestiniens ou les posters qu’ils y trouvaient.
Les graffiti étaient aussi « illégaux ». L’armée attaquait la maison ou la boutique qui avait un graffiti sur ses murs, souvent à minuit, faisait sortir les propriétaires jusqu’à ce qu’ils les nettoient. Ils se faisaient engueuler, insulter et quelquefois tabasser. C’était une autre manière d’intimider les gens, dans l’espoir que la prochaine fois que quelqu’un essaierait de peindre un graffiti sur leurs murs, les propriétaires les en empêcheraient, mais ça n’a jamais marché. Lorsque des massacres ont été perpétrés par les forces d’occupation, que ce soit à Gaza, à Naplouse ou à Hébron, partout les Palestiniens ont installé des drapeaux noirs à leurs fenêtres en signe de deuil et de solidarité. Quelquefois, même ces drapeaux de deuil étaient arrachés.
Les publications n’étaient pas la seule menace à l’existence de la puissance nucléaire sioniste.
En 1967, l’autorité d’occupation israélienne a interdit tout signe ou symbole d’identité nationale palestinienne. Tout ce qui avait trait à la Palestine ou la symbolisait était interdit, que ce soit le drapeau palestinien et ses couleurs, ou quelqu’usage que ce soit du mot Palestine, quel que soit le contexte. Le mot « Palestine » lui-même, en arabe, en anglais ou en hébreu, était considéré comme illégal et écrire « Palestine » était considéré comme un délit. Des écoliers palestiniens ont été tués ou arrêtés pour avoir brandi le drapeau palestinien, ou même pour avoir entonné des chansons sur la Palestine. Des étudiants ont été arrêtés et emprisonnés pendant six mois ou plus, ou ont dû payer de lourdes amendes pour avoir porté des T-shirts avec le mot « Palestine » ou pour avoir écrit « Palestine » sur des murs. L’Ordre militaire israélien concernant l’interdiction des activités d’incitation et de propagande hostile, Région de Cisjordanie , n° 101 de 1967 interdit la distribution de drapeaux palestiniens, et la possession, l’impression et la diffusion des symboles politiques, des pamphlets, des posters ou des brochures. Quiconque enfreignait cet interdit pouvait passer jusqu’à 10 ans en prison, ou avoir une amende de 2.000 lires israéliennes, ou les deux.
Cette interdiction incluait toute œuvre d’art à « signification politique » et qui comportait les quatre couleurs nationales palestiniennes. L’autorité d’occupation israélienne a dit aux artistes palestiniens que leurs œuvres ne devaient avoir aucun contenu politique et il leur était interdit d’utiliser les quatre couleurs du drapeau palestinien de manière rapprochée, c’est-à-dire qu’un artiste palestinien n’était pas autorisé à peindre une champ de fleur en se servant des couleurs rouge, vert, blanc et noir. Souvent, même quand l’artiste évitait l’utilisation « directe et visible » de ces couleurs, il ou elle pouvait néanmoins « commettre une félonie ». Nombre d’artistes ont été arrêtés ou placés en résidence surveillée. Les forces d’occupation donnaient l’assaut à la seule galerie de peinture de Cisjordanie à l’époque, ainsi qu’aux maisons des artistes, confisquaient les toiles et arrêtaient les peintres. Toute reproduction d’une peinture palestinienne « illégale » était interdite et souvent confisquée et détruite. Mais ceci n’a jamais arrêté les artistes palestiniens, et ils ont continué à se servir de ces couleurs, même sous une forme légère, atténuée.
Un drapeau palestinien veut dire une identité, il veut dire une nation, il veut dire une existence qu’Israël s’acharnait à effacer. C’est la raison pour laquelle les drapeaux palestiniens ont été décrétés illégaux, et c’est la raison pour laquelle le symbolisme a pris de l’importance et de la force. Ce que nous ne pouvions dire ouvertement, nous le disions indirectement au moyen de symboles, principalement par la peinture, la musique et la littérature. Nous écrivons, dessinons et chantons sur les oliviers parce qu’ils représentent notre détermination sur notre terre. Nous écrivons, dessinons et chantons sur les orangers parce qu’ils représentent Haïfa, Yafa et la Palestine à laquelle nous aspirons tous. Nous écrivons, nous dessinons et nous chantons sur les coquelicots parce qu’ils représentent notre lutte et le sang palestinien sacré sacrifié pour que la Palestine vive. Nous écrivons, nous dessinons et nous chantons sur les clefs transmises de génération en génération parce qu’elles nous rappellent que nos maisons et nos terres attendent notre retour. Et nous aimons le rouge, le noir, le blanc et le vert parce qu’ils crient : « Nous sommes la Palestine ».
Les interdictions ne nous ont pas empêchés de faire des drapeaux palestiniens, de les brandir dans les manifestations ou les marches, ou même de remplir nos livres et nos cahiers avec le drapeau palestinien, la carte de la Palestine et toutes sortes de symboles palestiniens. Ceux qui se tenaient en première ligne dans une manifestation et portaient le drapeau, ou ceux qui attachaient un drapeau palestinien à un mât ou à un arbre, ou le hissaient sur un mur ou un bâtiment élevé étaient visés par les snipers israéliens pour les tuer. Néanmoins, les drapeaux palestiniens flottaient partout et les soldats étaient dans une colère noire, tirant sur les drapeaux pour les faire tomber, comme si les drapeaux palestiniens étaient des missiles nucléaires dirigés sur l’entité sioniste. Il y a eu des moments où ils ont forcé les gens, quelquefois des enfants, à grimper dans les arbres ou aux pylônes électriques pour enlever les drapeaux. Rien qu’en 1988, Ayman Farhoud (13 ans), Khalil Jamzawi (18 ans) and Nidal Abu Shomer (17 ans) ont été tués par une décharge électrique lorsque les forces d’occupation les ont obligés à grimper à un pylône pour enlever les drapeaux palestiniens. Quiconque était pris avec un drapeau, ou avait des drapeaux chez lui était tabassé, arrêté et mis en prison. Les drapeaux étaient confisqués et déchirés. Mais ce n’est pas ça qui nous a arrêtés ni effrayés. Nous avons juste cherché les moyens de fabriquer le drapeau palestinien et de le porter près de notre cœur.
Une fois, je me souviens que nous avions besoin d’un drapeau en urgence pour une activité de dernière minute organisée pour le Jour de la Terre, et parce que c’était impossible, comme aujourd’hui, d’aller dans un magasin et de l’acheter, et qu’il n’y avait aucun moyen de nous en procurer un à temps par d’autres moyens, nous avons essayé d’abord d’en faire un avec du papier de couleur, mais il n’était pas aussi bien qu’un vrai drapeau. Alors nous avons cherché dans nos armoires et choisi des vêtements des quatre couleurs du drapeau, nous les avons découpés et passé la nuit à les coudre. Pendant la première Intifada, et malgré l’interdiction des quatre couleurs du drapeau palestinien, les femmes se sont mises à coudre les vêtements aux couleurs nationales palestiniennes. La broderie palestinienne, autre symbole de l’identité palestinienne, était à l’époque non seulement une ressource pour beaucoup de familles, mais aussi une forme de protestation contre l’occupation israélienne. Les Palestiniennes confectionnaient des blouses aux quatre couleurs nationales de la Palestine, ou brodaient, sur les habits traditionnels, les châles et les coussins, les symboles de la Palestine, dont l’olivier, les clefs et même le drapeau palestinien et la carte de la Palestine. Ma mère avait confectionné ce genre de chemises pour ma sœur et moi et chaque fois que nous allions au camp de réfugiés de Dheisheh, ce sont elles qui étaient empaquetées en premier. Nous savions que les soldats israéliens étaient trop stupides pour remarquer le symbolisme de ces chemises, nous marchions donc dans le camp et passions devant les troupes israéliennes en les portant. Nous nous sentions fières et fortes : vous avez vos fusils et nous avons notre drapeau. C’était une sorte de protestation, une sorte de résistance : vous ne nous autorisez pas à porter le drapeau palestinien sans nous tirer dessus, nous le porterons sur nos corps tous les jours et vous ne pourrez pas nous en empêcher. Il est à noter que c’était pendant cette première Intifada que des Palestiniens brandissant des tranches de melons (avec leurs quatre couleurs) comme symbole du drapeau palestinien ont été arrêtés par l’armée d’occupation.
Non seulement nous défiions l’armée d’occupation en portant les symboles de l’identité palestinienne sur nos chemises, mais nous en tricotions des bracelets. Nous passions de longues heures à confectionner ces bracelets, les décorant du mot « Palestine », du drapeau palestinien, de la carte de Palestine, d’Handala ou même des initiales des mouvements de libération palestinienne auxquels nous étions affiliés. Ces bracelets avaient beaucoup de succès, pour les porter ou pour les offrir aux amis ou aux gens qu’on aimait, et certains en portaient trois ou quatre. Mais, à nouveau, comme pour les livres et les drapeaux, ces petits bracelets étaient considérés par l’armée d’occupation comme une menace pour la 5ème armée du monde. Nous entendions des histoires qui racontaient que l’armée israélienne arrêtait des voitures et demandait aux conducteurx et aux passagers de montrer leurs poignets à la recherche de ces bracelets, des élèves étaient arrêtés sur le chemin de l’école et fouillés, à la recherche de ces bracelets. Et s’il vous arrivait d’être pris avec, les bracelets étaient pratiquement arrachés de votre poignet, causant des douleurs et des contusions. Ce qui est drôle, c’est que plus les soldats israéliens détruisaient de bracelets, plus nous en fabriquions. Nous portions les bracelets pour afficher notre affiliation politique avec fierté, mais nous les enlevions quand les soldats étaient proches parce qu’une affiliation politique signifiait de longues années de prison, jusqu’à 7 ou 8 ans, quelquefois plus longtemps. Se voir proposer de rejoindre un mouvement de libération, même si vous refusiez, voulait dire que vous passiez 2 à 3 ans enfermé dans les geôles israéliennes. Il est bien connu que la torture est une procédure standard à l’intérieur des prisons israéliennes : enfants et adultes étaient torturés et obligés d’avouer des choses qu’ils n’avaient pas commises, ou sur d’autres. Certains avouaient qu’un tel était affilié à tel ou tel parti, ou qu’un autre avait demandé de rejoindre un certain mouvement de libération, et que ce soit vrai ou faux, ou que la personne ait accepté ou non n’avait aucune importance, la personne était arrêtée et incarcérée.
Pour supprimer l’identité culturelle palestinienne, l’armée israélienne contrôlait les centres culturels, les cinémas et les représentations et événements culturels. Un rassemblement de plus de 10 personnes à un endroit donné pour des raisons politiques ou pour « ce qui pouvait être interprété » comme étant politique, participer à un rassemblement ou à une réunion ou à une manifestation, encourager ou soutenir quelqu’un était illégal et était puni de 10 ans de prison, ou d’une amende de 2.000 lires israéliennes, ou les deux [voir par exemple l’Ordonnance concernant l’Interdiction des activités d’incitation et de propagande hostile, Région de Cisjordanie , n° 101, 1967 et l’Ordonnance concernant l’Interdiction des activités d’incitation et de propagande hostile, Judée et Samarie, n° 1423, 1995]. Les représentations publiques, les pièces de théâtre ou même un cirque nécessitaient la permission du commandant militaire israélien. Toute production, participation ou même fourniture de place pour ces rassemblements et représentations sans accord préalable des forces d’occupation valait un emprisonnement de 3 mois ou une amende de 500 lires israéliennes, ou les deux [voir l’Ordonnance concernant les Représentations publiques (Censure), Cisjordanie , n° 49, 1974, et l’Ordonnance concernant le contrôle sur la loi des films de cinéma, Région de Cisjordanie , n° 118, 1967]. Les mariages, les événements littéraires et culturels faisaient l’objet de raids et même ces événements organisés par les universités étaient interdits.
Les mariages palestiniens étaient une autre forme de célébration de l’identité palestinienne. Avant l’Intifada, un mariage palestinien durait trois jours et trois nuits de pur folklore palestinien, de chants de résistance et de danses. Les après-midis, quand chacun était de retour du travail, tout le monde se rassemblait chez le marié, qui devenait une scène en plein air. Des groupes de Dabkeh venus de partout montraient leurs talents les uns après les autres. Des jeunes, en beaux habits traditionnels palestiniens, dansaient, chantaient ou jouaient d’un instrument de musique. On entendait des chansons de la culture palestinienne et de la résistance nationale toute la nuit et jusqu’aux premières heures du matin. Des gens des villes, des villages et des camps de réfugiés, proches ou lointains, venaient assister à ces mariages, parce qu’ils étaient des fêtes de la culture palestinienne à une époque où exprimer son identité était « illégal ». Quelquefois, les soldats israéliens faisaient une descente sur ces mariages pour disperser le rassemblement ou pourchasser des Palestiniens « recherchés ». Ces mariages étaient l’occasion pour les enfants et les jeunes d’en savoir plus sur les contes populaires, les danses et les chants palestiniens. C’est au cours d’une de ces fêtes nationales que j’ai été pour la première fois initié aux danses et aux chants de Jrash, le village d’origine de ma mère, nettoyé ethniquement en 1948 par les groupes terroristes sionistes. A Sawahreh, des mariages semblables ont eu lieu, à la différence qu’à Sawahreh, les chants et les danses étaient surtout du folklore palestinien traditionnel. Et lorsque la mariée ou le marié venait d’une ville ou d’un camp de réfugiés éloignés, sur le chemin, nous chantions des chansons palestiniennes. Un de mes souvenirs très précis est celui du mariage d’un cousin de ma mère, dont la femme venait d’un camp de réfugiés près de Ramallah. Nous avons donc fait le voyage de Dheisheh, près de Bethléem, jusqu’à Ramallah via Jérusalem (avant que Jérusalem ne soit interdite aux Palestiniens). Alors que nous traversions Jérusalem, nous nous sommes mis à chanter plus fort, et même certains à pleurer. Ils peuvent essayer tant qu’ils veulent, ils n’arriveront jamais à nous déraciner de Palestine, ou à déraciner la Palestine de nos cœurs et de nos esprits.
Une identité nationale palestinienne réfuterait divers mythes sionistes, toutes les formes de l’expression de cette identité, comme la littérature, la peinture et la musique devenaient donc une menace. L’entité sioniste ne voulait voir aucune célébration de l’identité palestinienne, ni aucun signe de soutien et de solidarité parmi les Palestiniens et avec le monde extérieur. Avec le début de la mascarade appelée « processus de paix », les lois israéliennes sur la censure ont été quelque peu assouplies. Néanmoins, l’acharnement israélien à éliminer l’identité palestinienne et à créer une entité juive continue. L’entité sioniste pensait qu’avec son geste théâtral d’avoir « généreusement accordé » (selon sa propagande) aux Palestiniens une autorité très limitée dans les ghettos de Cisjordanie et la Bande de Gaza assiégée, la Cause palestinienne serait un chapitre clos et que les aspirations nationales palestiniennes se satisferaient de la version israélienne d’un « Etat palestinien », qui n’est rien de plus qu’une version améliorée de l’expérience malheureuse des « ligues de village ».
Aujourd’hui, les attaques israéliennes sur l’identité palestinienne et ses symboles ont toujours lieu, et les militants, écrivains, journalistes et artistes palestiniens – et jusqu’à un certain point les internationaux pro-palestiniens – sont attaqués, harcelés et arrêtés pour les réduire au silence. Ce que l’entité sioniste redoute et considère comme une menace croissante à son existence est la continuation de la lutte et de l’activisme en Palestine occupée, le soutien grandissant pour la Palestine et la Cause palestinienne dans le monde et le renforcement de l’unité et de la solidarité entre les indigènes palestiniens musulmans, chrétiens et juifs , en Palestine occupée et ailleurs.
Malgré des décennies d’oppression et d’occupation, malgré le nettoyage ethnique en cours en Palestine, malgré les massacres, le vol des terres, la colonisation, l’emprisonnement et l’expulsion, et malgré tous les crimes de guerre perpétrés par Israël contre les Palestiniens, l’objectif de l’entité sioniste d’éliminer l’identité nationale palestinienne, les aspirations palestiniennes et la soif de liberté et d’auto-détermination a échoué. En dépit des interdictions et des menaces, nous lisons, nous écrivons et nous chantons sur la Palestine, nous brandissons le drapeau palestinien et nous célébrons le fait d’être palestiniens dans toute la Palestine occupée, hier, aujourd’hui et nous continuerons de célébrer la Palestine jour après jour.
Et parce que l’entité sioniste a tenté en vain de nous empêcher d’écrire, de lire, de chanter, d’exprimer et de célébrer notre identité nationale et culturelle, il est essentiel que nous boycottions cette entité par tous les moyens possibles, en particulier à cet égard de boycotter ses institutions et ses activités et fêtes universitaires et culturelles. Il est de notre devoir et de notre responsabilité de boycotter l’entité sioniste, d’un point de vue culturel et académique, jusqu’à la Libération totale.
Source : A Voice from Palestine
Traduction : MR pour ISM
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