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USA - 27 février 2004
Par Noam Chomsky
Article publié le 23 février 2004 dans The New York Times. Noam Chomsky, professeur de linguistique au Massachusetts Institute of Technology, est l’auteur de : « Hégémonie ou survie : la quête américaine de la domination mondiale »
Bien avant que la construction de la barrière commence vraiment, l’ONU a estimé que les barrières, les projets d’infrastructure et les colonies avaient créé 50 poches palestiniennes isolées en Cisjordanie. Maintenant que le mur se dessine, la Banque Mondiale a estimé qu’il pourrait isoler de 250 000 à 300 000 palestiniens, plus de 10 % de la population, et annexer effectivement jusqu’à 10% des terres de Cisjordanie.
CAMBRIDGE, Massachusetts.
Lorsqu’ils entreprennent une action controversée, les gouvernements mettent en avant la sécurité, c’est presque un réflexe, et cela cache souvent un prétexte pour autre chose. Il faut toujours bien tout examiner. La soi-disant barrière de sécurité d’Israël, qui est l’objet d’audiences à la Cour Internationale de Justice de la Haye, en est une parfaite illustration.
Peu de gens contesteraient le droit d’Israël à protéger ses citoyens d’attaques terroristes comme celle d’hier, même si la construction d’un mur de sécurité était la bonne solution. Si la sécurité était le souci principal, il est également clair que celui-ci devrait être construit à l’intérieur d’Israël, à l’intérieur de la frontière internationalement reconnue, la Ligne Verte établie après la guerre de 1948-49.
Alors, le mur pourrait être aussi infranchissable que les autorités le voudraient : patrouillées par l’armée des deux côtés, bourré de mines, impénétrable. Un tel mur présenterait une sécurité totale, et il n’y aurait pas de protestations internationales ni de violations des lois internationales.
Cela est bien compris. Alors que la Grande Bretagne soutient l’opposition de l’Amérique aux audiences de la Haye, son Ministre des Affaires Etrangères, Jack Straw, a écrit que le mur est "illégal".
Un officiel de son ministère, qui a inspecté la "barrière de sécurité", a déclaré qu’elle devrait être sur la Ligne Verte ou "évidemment du côté israélien de la ligne". Une commission d’enquête britannique aussi a demandé que le mur soit construit sur des terres israéliennes, condamnant la barrière comme étant partie d’une "stratégie" israélienne "délibérée" pour "soumettre la population".
Ce que ce mur fait vraiment est de s’emparer de terres palestiniennes. Il aide aussi à changer les communautés palestiniennes en oubliettes, à côté desquelles les bantoustans d’Afrique du sud ressemblent à des symboles de liberté, de souveraineté et d’autodétermination.
Bien avant que la construction de la barrière commence vraiment, l’ONU a estimé que les barrières, les projets d’infrastructure et les colonies avaient créé 50 poches palestiniennes isolées en Cisjordanie . Maintenant que le mur se dessine, la Banque Mondiale a estimé qu’il pourrait isoler de 250 000 à 300 000 palestiniens, plus de 10 % de la population, et annexer effectivement jusqu’à 10% des terres de Cisjordanie .
Et quand le gouvernement d’Ariel Sharon a finalement fait connaître sa proposition de carte, il est devenu clair que le mur découperait la Cisjordanie en 16 enclaves isolées, confinées à seulement 42% des terres cisjordaniennes dont M. Sharon avait auparavant dit qu’elles pourraient être cédées à un état palestinien.
Le mur s’est déjà emparé de certaines des terres les plus fertiles de la Cisjordanie . Point crucial, il étend le contrôle israélien sur les maigres ressources en eau, qu’Israël et ses colons peuvent s’approprier comme ils le veulent, alors que la population locale manque souvent d’eau à boire.
Les Palestiniens qui se trouvent entre le mur et le Ligne Verte auront le droit de demander la permission d’habiter dans leurs propres maisons ; les Israéliens ont automatiquement le droit d’utiliser ces terres. « La porte de l’expulsion se cache derrière des explications de sécurité et le jargon bureaucratique apparemment neutre des ordres militaires», a écrit le journaliste israélien Amira Hass dans le quotidien Haaretz. « Goutte à goutte, invisible, pour ne pas être remarqué internationalement et choquer l’opinion publique. »Même chose pour les assassinats ordinaires, la terreur et la brutalité quotidienne et l’humiliation des 35 dernières années d’occupation dure, alors que la terre et les ressources ont été prises pour les colons attirés par des subventions généreuses.
Il semble aussi probable qu’Israël transférera en Cisjordanie les 7500 colons dont il a annoncé ce mois-ci le départ de la Bande de Gaza. Ces Israéliens jouissent actuellement de vastes terres et d’eau douce, alors qu’un million de Palestiniens survivent à peine, leurs maigres ressources en eau étant virtuellement inutilisables. Gaza est une cage, et comme la ville de Raffah dans le sud est démolie systématiquement, les habitants ne peuvent avoir de contact ni avec l’Egypte ni avec la mer.
Il est faux d’appeler cette politique israélienne. Elle est américano-israélienne - rendue possible par le soutien militaire, économique et diplomatique sans faille d’Israël par les Etats-Unis. Cela est vrai depuis 1971, lorsque, soutenu par les Américains, Israël a rejeté une offre de paix totale de l’Egypte, préférant l’expansion à la sécurité. En 1976, les Etats-Unis ont opposé leur veto à une résolution du Conseil de Sécurité appelant à un accord à deux états dans un consensus international éclatant. La proposition de deux états est soutenue par la majorité des Américains, et pourrait être mise en pratique immédiatement si Washington le voulait.
Au mieux, les audiences de la Haye se termineront par une déclaration ayant valeur de conseil que le mur est illégal. Cela ne changera rien. Toute chance réelle d’accord politique - et d’une vie décente pour les peuples de la région - dépend des Etats-Unis.
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