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Tulkarem - 27 février 2004
Par Dave
L’ International Solidarity Movement est une organisation non-gouvernementale palestinienne regroupant des pacifistes palestiniens et internationaux travaillant à promouvoir la lutte pour la liberté en Palestine et pour la fin de l’occupation israélienne. Nous utilisons des méthodes de résistance non-violentes et des actions directes pour affronter et défier les Forces illégales d’occupation israélienne et leur politique.
Toujours encourageant quand la presse doit s’équiper de gilets par-balles et de casques.
Nous le disons pour la liberté de mouvement proclamée pour la presse dans ce pays. Je n’invente pas cela pour influer, pour encourager un sentiment anti-israélien : c’est ce que j’ai vu de mes propres yeux, et ce que j’ai pris en photos autant que possible avec mes propres appareils photos.
Départ de la manifestation qui devait être pacifique à Tulkarem le 23 février 2004
• "Alors vous voulez une autre histoire ?'
• 'Uhh...non. Nous voudrions savoir ce qui s’est réellement passé.'
• 'Est ce que le fait de raconter quelque chose ne devient pas toujours une histoire ?'
• 'Uhhh....peut être en Anglais. En Japonais, une histoire aurait un élément inventé à l’intérieur. Nous ne voulons pas d’invention. Nous voulons les ‘faits réels’, comme vous dites en Anglais'
• 'Est ce que le fait de raconter quelque chose - en utilisant des mots, en anglais ou en japonais - n’est déjà pas une sorte d’invention ?
• "Est ce que le fait de poser un regard sur ce monde n’est déjà pas une sorte d’invention ?"
• "Uhhh.....'
• "Le monde n’est pas simplement ce qu’il est. Il est tel que nous le comprenons, non ? Et dans le fait de comprendre quelque chose, nous y apportons quelque chose, non ? Est ce que ceci ne fait pas de la vie une histoire ?"
- Tiré de "La vie de Pi" de Yann Martel.
Aujourd’hui, c’est le jour de manifestation nationale contre le Mur en Cisjordanie , programmée pour coïncider avec l’ouverture du procès sur le Mur à la Cour Internationale de La Haye.
La manifestation locale est prévue à 11h du matin dans un petit village appelé Deir al Ghasoon situé juste au nord de Tulkarem.
Nous nous levons tôt pour nous préparer, avec beaucoup d’humour acide, par exemple : est-ce que le vinaigre sur votre bandana améliore la qualité de protection contre le gaz lacrymogène ?
Devrions nous ajouter les oignons pour faire une belle salade puisque Sharon a dit que tant qu’il n’y aurait aucune tentative d’endommager le Mur, nous serions autorisés à manifester ? (Pour votre information, l’oignon sous le nez protège aussi des effets du gaz lacrymogène : c’est la seule et unique méthode des locaux pour se protéger)
Ceci est ma troisième manifestation depuis que je suis arrivé. J’ai écrit à propos de la manifestation internationale au checkpoint d’Erez dans la Bande de Gaza.
Nous en avons aussi fait une la semaine dernière à Mas’Ha (quelque part au sud d’ici) avec des Palestiniens pour protester contre le mur là bas. Il y a une seule maison à Mas’Ha qui est piégée entre une barrière de colonie et la route militaire construite par la suite, et qui est complètement isolée du reste du village d’une façon similaire à Nazlat Iza ainsi que je l’avais raconté dans mon dernier email.
Apparemment, nous sommes supposés informer la police des frontières / l’armée de toute manifestation prévue en Cisjordanie et d’obtenir une autorisation. Pour cette manifestation, cela a été fait. Une autorisation a été délivrée et, simultanément, la rue entière menant à la porte a été déclarée « zone militaire fermée » si bien que dès que la manifestation a démarré nous avons reçu l’ordre de partir.
C’est dur de ne pas se sentir frustré à ce sujet, surtout lorsque vous entendez cette connerie au sujet de toutes les manifestations pacifiques qui sont autorisées tant que les autorités compétentes sont prévenues.
Nous avons réussi à rencontrer un groupe d’israéliens membres d’un groupe qui s’appelle les Anarchistes Contre le Mur. Ils prévoyaient d’être avec nous à Tulkarem pour la manifestation du lundi 23.
La présence de citoyens israéliens et d’observateurs internationaux constituent la seule protection pour les Palestiniens contre des sanctions plus dures de la part des Forces Israéliennes de Défense. Alors que des balles réelles sont utilisées si les enfants sont Palestiniens, pour certaines raisons, ils n’aiment pas la présence d’Occidentaux pour témoigner à ce sujet.
A 9h30, lundi, il est devenu clair que les choses n’allaient pas être calmes. Nous avons reçu un appel de manifestants israéliens qui nous disaient avoir été suivis par la police dès le moment où ils ont quitté Tel Aviv. Ils ne sont même pas autorisés d’atteindre les check-points en Cisjordanie sans être arrêtés.
Nous devons partir sans eux. En fait ils ne sont jamais arrivés : ils ont été retenus puis renvoyés à Tel Aviv. Un nouveau coup pour la liberté d’expression.
Nous partons, nous quatre et deux photographes free lance puis nous faisons du stop pour arriver sur le site. Larry a publié une article sur le Mur dans le magazine ‘Time’ début Janvier, et est un visiteur régulier de la Palestine.
Cette manifestation est la plus grande à laquelle j’ai participé. Il y a environ 2 à 3.000 Palestiniens dans le village qui attendent de marcher jusqu’à la porte.
11h : La manifestation commence. Nous avons acheté une bannière pour représenter le message d’ISM ‘ le Mur construit des prisons, pas des Nations’, en Anglais et en Arabe.
Le mur se trouve quelques kilomètres plus loin au bas de la route. Il y a du soleil et il fait plutôt chaud et tout le monde est de bonne humeur, chante des slogans etc. Cela va bientôt changer.
Je veux que ceci soit parfaitement clair. Je me trouvais au début du cortège. Les internationaux essaient de se rendre visibles afin d’alerter les autorités israéliennes de notre présence et aussi de montrer notre solidarité avec les locaux.
A ce stade, aucune pierre n’avait été jetée sur les cars de police qui nous attendaient. Pas une seule. Nous n’étions même pas autorisés à apercevoir la porte, encore moins de manifester devant. La police des frontières nous attendait 200 mètres devant - à l’intérieur du Territoire Palestinien - et a envoyé immédiatement une série de gaz lacrymogène sur les manifestants. Nous étions totalement pacifiques à ce stade.
Aucune tentative de communication avec la foule, aucun avertissement de leurs agissements : seulement du gaz lacrymogène. J’ai lu plusieurs rapports sur la façon dont les manifestations ont dû se disperser à cause des pierres jetées sur les Forces Israéliennes de ‘Défense’….. laisser moi vous répéter que c’est la Police des Frontières qui a démarré les actions violentes.
Je mets la main dans ma poche, je sors le bandana aspergé de vinaigre de son sac et je couvre mon visage. Je peux déjà sentir les picotements dans mes yeux et ma gorge. Une deuxième série de gaz est lancée. Puis une longue canette ; une grenade sonore. Je me tourne dans l’autre sens et couvre mes oreilles. La force de la détonation fouette mon pantalon contre mes jambes. Il y a alors un pandémonium et les Palestiniens battent retraite le long de la route sale et boueuse, entourée de serres des deux côtés. Nous nous retirons deux cent mètres plus bas sur la route.
Moins d’une demi heure après le début et déjà cette douce forme de manifestation a été supprimée de façon expéditive.
Notre coordinateur régional, Flo, une internationale qui est ici depuis longtemps à Tulkarem pour le compte d’ISM – s’équipe d ‘un mégaphone et commence à parler aux soldats.
Elle répète que c’est une manifestation pacifique et qu’elle désire s’approcher d’eux pour discuter de la situation.
Ils répondent plusieurs fois en Hébreu, une langue que personne ne comprend ici. Nous avions bien 30 personnes parlant l’Hébreu qui devaient venir, mais ainsi que je l’ai mentionné précédemment, dans la démocratie d’Israël, ces citoyens de l’Etat ont été retenus et non autorisés à participer à cette manifestation pacifique.
Enfin, ils signalent qu’il est possible de s’approcher, mais presque immédiatement ils changent d’avis, parce que dès que Flo (une américaine juive, non armée et extrêmement menaçante) et un Palestinien s’approchent à une certaine distance, ils rencontrent une autre série de gaz lacrymogène et une grenade sonore.
Pour faire bonne mesure, l’équipe filmant la scène qui se tient 20 mètres sur le côté de la route, TOUS SEULS à 200 mètres des manifestants sont aussi gazés.
Toujours encourageant quand la presse doit s’équiper de gilets par-balles et de casques.
Nous le disons pour la liberté de mouvement proclamée pour la presse dans ce pays. Je n’invente pas cela pour influer, pour encourager un sentiment anti-israélien : c’est ce que j’ai vu de mes propres yeux, et ce que j’ai pris en photos autant que possible avec mes propres appareils photos.
Nous nous trouvons maintenant à 400 mètres plus bas sur la route et les organisateurs commencent à annuler l’action, ou du moins à les rappeler pour un regroupement. Plusieurs personnes sont gravement touchées par les gaz. Les yeux pleurent, les toux abondent.
C’est à ce moment que les Shebab (les jeunes hommes/les grands enfants, dans ce cas là) commencent à accumuler devant le groupe des pierres à lancer. Je ne peux m’empêcher de comprendre leur frustration ….un regroupement pacifique contre leur incarcération a été brisé avant que tout commence.
Même cette forme limitée de protestation leur est déniée et ils sont dispersés tel un regroupement de bétail. Cela fait plutôt pitié - que ce soit le fait de lancer des pierres à la main ou avec ces petits lance-pierres aussi gros que deux de mes doigts mis en V.
Une des serres sur la gauche prend un sérieux coup (les jeunes de 12 ans ne sont pas très doués pour viser) mais autant que je peux le voir, toutes ces pierres tombent bien avant l’emplacement de la police.
Malgré cela, ils commencent à avancer. Plus de gaz lacrymogène, plus de grenades sonores.... nous sommes poussés de plus en plus loin du mur. L’armée nous repousse sur une route adjacente et lance encore du gaz lacrymogène sur la manifestation. Les manifestants battent en retraite de façon désordonnée.
Nous avons maintenant été repoussé d’au moins 1 kilomètre plus bas vers le village. Maintenant les choses deviennent plus sérieuses.
Des enfants plus grands -16 ou 17 ans - se mettent à jeter des pierres.
Certains sont armés de lance-pierres faits maison : vous ne pouvez pas vous empêcher d’apprécier le symbole. Ils sont basés sur un design ancien utilisé par les armées dans les premières années après la mort de Jésus, le type de chose que David a utilisé pour battre Goliath.
C’est la seule arme disponible ici : une pièce de ficelle noire avec une pierre au bout. Néanmoins il est vrai que si ils arrivent à en lancer une correctement, cela pourrait très bien blesser quelqu’un - une figure ou une main coupée - représentant une escalade dans la situation et un signal que les activistes pacifistes d’ISM devraient probablement penser à s’en aller.
A 12h15 : J’entends les premières balles en caoutchouc. Un petit peu après, je suis à côté de Larry – le photographe – et je regarde la route quand j’entend un son de sifflement distinctement juste au dessus de nous ….. une balle en caoutchouc tirée au dessus de nos têtes. Ceci devient un peu trop prêt pour notre confort.
Tout d’un coup les soldats chargent. Je suis toujours devant le van de la manifestation et je suis coincé au milieu d’une ruée de jeunes garçons. Je me retourne pour regarder, en essayant d’enregistrer le maximum.
C’est alors que je vois une scène que je n’arrive pas à enlever de mes pensées depuis.
Pas plus de 20 mètres en bas de la route, il y a un soldat habillé dans une armure de guerre (veste de camouflage, armure corporelle, casque, grenades, fusil). Il a une matraque dans une main levée haut au dessus de sa tête et qui entame une descente. Son autre main est sur le corps d’un jeune garçon, je ne pense pas qu’il ait plus de 12 ans, qui est tombé lors de la ruée et est déjà recroquevillé dans la position du fœtus.
J’aimerais pouvoir dire que je suis resté et que j’ai enregistré ce qui est arrivé ensuite, mais j’ai encore honte de dire que c’est à ce stade que mes nerfs ont craqué.
Un autre soldat charge dans notre direction à moins de 10 mètres et je me retourne aussi et me met à courir, forcé de quitter la route principale bouchée de gens et je me faufile dans un passage entre deux serres. Je ne peux pas vous dire s’il a frappé cet enfant, mais j’ai du mal à enlever cette image de ma tête.
Encore une fois, je trouve qu’il est dur de comprendre en quoi traiter des jeunes enfants de cette manière fait quelque chose pour améliorer la sécurité d’Israël…
Comment frapper un enfant peut faire d’Israël un endroit plus sécurisé dans le futur ?
Est-ce ce à quoi servent les forces de ‘Défense’ d’Israël ? Effrayer de jeunes enfants ?
J’ai lancé beaucoup de pierres sur divers objets à cet âge là – souvent d’autres jeunes enfants me lançaient des pierres. J’ai eu de temps à autres une égratignure à cause de cela ; mais jamais autre chose, et je ne portais aucun protection corporelle. La réaction semble totalement exagérée par rapport à la situation.
Peu de temps après, j’ai rejoint les internationaux, à plus d’1.5 kilomètres du mur maintenant. Les soldats continuent leurs charges périodiques et la nouvelle arrive qu’il y a maintenant des soldats dans le village derrière nous.
Dans une totale confusion, cette manifestation pacifique se désintègre. Nous voilà forcés de courir dans les champs et sur le côté de la colline pour éviter l’arrestation. Nous avons perdu notre bannière, notre drapeau.
Mes vêtements sont pleins de boue séchée et mes chaussures toutes boueuses. Mes yeux me piquent encore à cause du gaz lacrymogène. Bienvenue aux manifestations pacifiques, à la façon d’Israël.
La semaine dernière, une famille Palestinienne d’un camp de réfugiés m’a donné un cadeau : un chapelet pour la prière. Je l’ai utilisé pour me distraire en attendant d’accéder à mon compte Hotmail sur internet.
Aujourd’hui, dans mon sac j’ai un cadeau du côté israélien : une grenade sphérique de gaz lacrymogène vide offerte par la Police Israélienne des Frontières.
Source : www.palsolidarity.org
Traduction : BM
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